Présentation du mouvement humanitaire au KOWEIT


Coincé entre ses puissants voisins irakien et saoudien, le Koweït mène une politique extérieure qui vise à tisser des liens de confiance pour garantir son indépendance. Grâce à l’argent du pétrole, son aide au développement sert ainsi à multiplier les soutiens à l’étranger, y compris en Chine depuis les années 1970. Ces appuis, en l’occurrence, sont d’autant plus importants qu’ils ont permis de monter une coalition internationale pour débarrasser le Koweït des troupes d’occupation irakiennes en 1991.

Le dispositif de l’aide koweïtienne
Le dispositif de l’aide koweïtienne repose sur trois principaux piliers : le Kuwait Fund for Arab Economic Development (KFAED) ; des auxiliaires parapublics comme le Croissant Rouge, l’IICO (International Islamic Charity Organization) et la Kuwait Society for Relief ; des ONG. Les initiatives humanitaires sont cependant limitées par la taille d’un petit pays qui est peu peuplé et qui ne peut donc pas envoyer beaucoup de volontaires à l’étranger. En pratique, le Koweït joue surtout un rôle de levier financier.
 
Le KFAED, pour commencer, lui tient lieu d’agence de développement bilatérale. Créé en 1962 et placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, il porte mal son nom car il a vite élargi ses activités en dehors du monde arabe grâce au boom pétrolier qui a résulté de la crise de 1973, d’abord vers l’Afrique, puis vers l’Asie, le Caucase et l’Amérique Latine. Le KFAED travaille avec les gouvernements et s’avère réticent à financer des ONG. Si les pays arabes continuent de recevoir la moitié de ses prêts, l’Afrique de l’Ouest en capte désormais près de 10% et le reste de l’Afrique subsaharienne environ 11% en 2016.
 
En principe, l’IICO (al-Munadhama al-Islamiya al-Khayriya al-Alamiya) est quant à elle une structure de droit privée. Parfois opérationnelle pour mener elle-même ses programmes à l’étranger, elle a surtout pour objectif de mobiliser les ONG de la région, à défaut de pouvoir les coordonner. En mai 2014, par exemple, elle a organisé à Kuwait City un forum humanitaire qui a réuni des ONG comme Direct Aid, Al-Islah et la Revival of Islamic Heritage Society. A l’instar du Croissant Rouge koweïtien, l’IICO bénéficie cependant d’un statut paragouvernemental. Créée par un décret de 1985 à l’initiative des pays membres du Conseil de coopération du Golfe, elle est financée pour moitié par la cassette personnelle de l’émir du Koweït. Depuis 2012, elle est également présidée par Abdallah al Maatouq, un ancien ministre des affaires islamiques puis de la justice entre 2003 et 2007, devenu conseiller humanitaire de l’émir et envoyé spécial des Nations Unies pour les affaires humanitaires dans les pays du Golfe. A ce titre, l’IICO rend des comptes directement à l’émir plutôt qu’au ministère des affaires sociales, à la différence des autres ONG.
 
Dans le même ordre d’idée, la Kuwait Society for Relief joue un rôle d’auxiliaire des pouvoirs publics. Née en 1987 sous le nom de Kuwaiti Joint Relief pour envoyer des secours aux victimes d’inondations au Bangladesh, elle a d’abord été accueillie dans les bureaux de la Chambre de la Zakat jusqu’en 1992, puis sous la forme d’un comité, le High Committee for Relief, au sein de l’IICO. Reconnue comme un groupement d’intérêt public en 2011 et officiellement enregistrée en 2012, elle est censée faciliter et coordonner les levées de fonds des ONG qui en sont membres : Al-Islah, la Revival of Islamic Heritage Society, Al-Najat, la Sheikh Abdullah Nouri Charitable Society, le Patients Helping Fund, Direct Aid, Al-Falah, l’Islamic Presentation Committee, ainsi que les syndicats d’enseignants, d’étudiants, de médecins et de femmes. Son conseil d’administration comprend cependant des représentants de l’administration, notamment du ministère du waqf et des affaires islamiques, et il est présidé par Abdallah al Maatouq comme à l’ICCO. En pratique, la Kuwait Society for Relief vise à contrôler les levées de fonds des ONG et a surtout pris de l’ampleur à partir de 2015, lorsqu’elle a commencé à véhiculer des dons du gouvernement en faveur des victimes de la guerre au Yémen puis en Irak.
 
Le secteur caritatif associatif, lui, s’est développé après l’Indépendance en 1961. En 1957, une première initiative avait abouti à la création de comités populaires (Peoples Committees for Collection of Contributions) pour soutenir les victimes de la guerre de libération en Algérie. Le boom pétrolier des années 1970 a ensuite précipité le mouvement avec Al-Najat en 1976, le Patients Helping Fund en 1979, Direct Aid, Al-Rahma International, la Revival of Islamic Heritage Society (RISH) et la Sheikh Abdullah Nouri Charitable Society en 1981, ou encore l’IICO en 1985. En 1989, le pays comptait officiellement 54 ONG déclarées d’utilité publique, dont 18 à caractère caritatif parmi lesquelles 12 menaient des activités à l’international. Certaines travaillent surtout au Koweït et n’ont en fait qu’un ou deux projets à l’étranger, à l’instar du Patients Helping Fund ou de la Sheikh Abdullah Nouri Charitable Society, qui a entrepris de construire un hôpital en Inde en 2017. D’autres sont beaucoup plus actives à l’international, à l’exemple de l’IICO, d’Al Najat, de Direct Aid et d’Al-Rahma.
 
Doté d’un Parlement et d’un régime politique plus libéral qu’en Arabie Saoudite, le Koweït n’a cependant pas connu la prolifération d’ONG qui a caractérisé d’autres pays en voie de démocratisation au sortir de la guerre froide, notamment en Afrique subsaharienne. Chargé d’enregistrer les associations d’utilité publique en vertu de la Loi n°24 de 1962, le ministère du travail et des affaires sociales a distribué les nouvelles licences au compte-gouttes, à raison de 3 seulement entre 1985 et 2000. En 1999, il ne comptait plus que 52 ONG actives. Après l’invasion irakienne de 1990, les autorités se sont en effet méfiées des ONG islamiques qui avaient pris le parti de Saddam Hussein contre le débarquement de troupes américaines dans le Golfe. En 1993, elles ont donc passé un décret visant à fermer les ONG sans licences. A l’occasion des élections législatives de 1999, encore, elles ont menacé de dissoudre plus de la moitié des 118 associations qui fonctionnaient sans être enregistrées et qui étaient soupçonnées de financer les candidats de l’opposition islamiste. Issu des Frères musulmans, le Comité de l’Appel islamique (Lajnat al-Dawa al-Islamiya) a notamment été placé sous surveillance et accusé d’avoir détourné des millions de dollars destinés aux réfugiés kosovars. Depuis lors, le gouvernement a entrepris de régulariser la situation et d’officialiser les coalitions d’ONG qu’il n’avait pas comptabilisées en 1989, essentiellement Al-Najat et la Social Reform Society (SRS). En 2017, les registres du ministère du travail et des affaires sociales comptaient ainsi 144 associations d’utilité publique, dont 27 à caractère caritatif parmi lesquelles 20 menaient des activités à l’international.

L’économie politique des ONG
De fait, le gouvernement koweïtien ne se méfie pas seulement des ONG parce qu’elles pourraient porter les revendications de l’opposition, mais aussi parce qu’elles sont parfois suspectées de soutenir des activités djihadistes et préjudiciables à l’image de marque de l’émirat. Après les attentats de septembre 2001 à New York, les autorités ont donc renforcé leur contrôle du secteur associatif et coupé leurs subventions afin de ne pas être compromises par l’activisme d’organisations prosélytes. La démarche n’est pas sans paradoxes car elle a favorisé les tendances à l’autoritarisme et légitimé une reprise en mains de l’Etat au détriment de la liberté associative alors que les processus de démocratisation sont justement censés faciliter la régulation des conflits et prévenir les risques de dérive terroriste. Mais le renforcement du contrôle du secteur caritatif privé a aussi répondu à des pressions américaines et russes. En août 2000, par exemple, la police a perquisitionné le bureau de la Social Reform Society à Moscou, qui avait officiellement été enregistré deux ans auparavant et où l’on aurait trouvé du matériel de propagande djihadiste. A l’occasion de la rédaction d’une nouvelle loi sur les associations en mai 2005, le gouvernement russe a ensuite accusé la SRS d’espionnage au profit du Koweït. En mars 2007, encore, il a placé deux ONG koweitiennes sur sa liste noire des organisations terroristes, en l’occurrence la Social Reform Society et la Revival of Islamic Heritage Society. De leur côté, les Etats-Unis n’ont pas été en reste. En janvier 2002, ils ont commencé par accuser les branches pakistanaise et afghane de la Revival of Islamic Heritage Society (RISH) d’être liées à al-Qaïda et d’avoir gonflé le nombre d’orphelins pris en charge afin de financer en sous-main des activités illicites. Les services de renseignement américains se sont ensuite inquiétés de la proximité grandissante entre un cadre de la RISH, Tarek Al-Issa, et Hareth Souleiman Al-Dari, un cheikh qui a financé les réseaux de la guérilla irakienne contre les troupes américaines après le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003. En 2008, enfin, le Trésor américain a placé sur liste noire le siège de l’ONG au Koweït, considérant qu’il avait délibérément soutenu des groupes terroristes comme le Lashkar e-Tayyiba (« l’Armée des pieux ») au Pakistan, la Jemaah Islamiyah (« la Communauté islamique ») en Indonésie et le mouvement Itihaad (« Unité ») en Somalie.
 
Dans un tel contexte, le gouvernement koweïtien a réduit ses contributions financières au secteur caritatif privé. Auparavant, le ministère des affaires sociales avait pu verser quelques subventions. A l’occasion, les ONG avaient aussi bénéficié de fonds de la Chambre de la Zakat, établie en 1982 et financée par les contributions obligatoires des entreprises et, pour les deux tiers, par les dons volontaires des particuliers. Avec le Qatar et Dubaï, les autorités avaient même soutenu des ONG en Afrique comme l’ICODEHS (Islamic Council for Development and Humanitarian Services), qui a été formé par cheikh Mustapha Ibrahim en 1982 et officiellement enregistré au Ghana en 1991. D’une manière générale, la contribution du gouvernement koweïtien au secteur caritatif privé est cependant restée négligeable. D’après Nural Abdulhadi, elle représentait à peine 4 des 90 millions de dollars convoyés par les ONG en 1988, budget qui, lui-même, pesait pour environ un quart d’une aide publique au développement tombée en dix ans d’un milliard à 316 millions de dollars. En 2008, le Parlement koweïtien a certes recommandé que 10% de l’aide publique au développement passe par des organisations intergouvernementales ou des associations d’utilité publique et de droit privé. Mais en pratique, les autorités se sont interdites de donner des terrains ou de subventionner des ONG après 2004. Les exceptions concernent le Croissant Rouge, la Kuwait Society for Relief et les subsides gouvernementaux officiellement destinés à financer des projets plutôt que des technostructures, ceci sans parler d’ONG yéménites à partir de 2012.
 
Parallèlement, les autorités ont resserré le contrôle de la collecte de fonds, qui est encadrée par la Loi n°59 de 1959. La Charity Foundation, qui dépend du ministère des affaires sociales, accordait déjà aux ONG habilitées des permis de collectes pour des périodes de deux à six mois sur la base d’agréments renouvelables tous les trois ans. Mais le gouvernement a aussi interdit les collectes de fonds en liquide, notamment dans les mosquées au moment du ramadan. Pour assurer leur traçabilité, les dons doivent désormais se faire par le biais d’une carte de crédit spéciale. Dans le même ordre d’idées, le ministère des affaires étrangères a commencé en 2012 à enregistrer les partenaires locaux habilités à recevoir de l’argent des ONG koweïtiennes. Informatisé en 2016, le système comptait 120 organisations en 2017 et a été complété en 2013 par une loi anti-blanchiment puis la mise en place courant 2014 d’une unité spécialisée qui est aussi censée couvrir les activités financières des ONG.
 
Enfin, les autorités ont donné des gages à leurs partenaires engagés dans la lutte contre le terrorisme de type djihadiste. En 2014, un sous-secrétaire du Trésor américain, David Cohen, avait ainsi accusé un député salafiste devenu ministre de la justice et des affaires islamiques du Koweït, Nayef Mohamed al-Ajmi, d’avoir financé deux ONG soutenant des combattants en Syrie. Proche de la mouvance djihadiste, ces groupes auraient prôné l’assassinat de l’ambassadeur de Damas au Koweït et le massacre des minorités chiite et alaouite en Syrie. Nayef Mohamed al-Ajmi a alors été discrètement évincé à l’occasion d’un remaniement de gouvernement en mai 2014. Après un attentat commis par un kamikaze saoudien et revendiqué par Daech contre une mosquée chiite dans la capitale koweitienne en juin 2015, les autorités ont également dissout l’association Fahd al-Ahmed, qui avait été fondée en juin 2010 et nommée en l’honneur d’un officier tué pendant l’invasion irakienne d’août 1990. En effet, celle-ci n’avait pas respecté la réglementation gouvernementale sur les transferts de fonds humanitaires et elle a été soupçonnée d’avoir financé en Syrie des groupes extrémistes liés à l’attentat. En 2016, enfin, le Ministère des Affaires Sociales a dissous pour l’exemple une fondation, al-Bunyan (« Construction »), qui ne rendait pas de comptes sur ses activités auprès de réfugiés syriens à Erbil au Kurdistan irakien.

Culture associative et Frères Musulmans
Dans un pays très majoritairement musulman, l’islam a bien évidemment joué un rôle déterminant dans la culture humanitaire d’une société d’origine bédouine. Plutôt que les Wahhabites saoudiens, très conservateurs, les Frères Musulmans venus d’Egypte ont en l’occurrence été les premiers à organiser des associations pour répondre aux défis de la modernité. On les retrouve derrière la plupart des ONG caritatives au Koweït, ce qui n’a d’ailleurs pas empêché des dissensions au sein de leur mouvance. Historiquement, ils ont d’abord formé en 1952 une Société pour la Guidance Islamique (Jamiat al-Irshad al-Islamiya) sous la houlette d’Abdul Aziz Al-Ali al-Mutawa et Yousef al-Nafeesi. Dès 1959, ils devaient cependant fermer leur organisation car les Frères Musulmans avaient soutenu une tentative d’assassinat contre le président égyptien Gamel Abdul Nasser en 1956. A l’heure de l’indépendance du Koweït et du triomphe des nationalismes arabes, ils ont alors constitué en 1961 une Société pour la Réforme Sociale, la SRS (Jamiat al-Islah al-Ijtima’i), qui a d’abord été présidée par Yousef al-Haji puis par le frère d’Abdul Aziz al-Ali al-Mutawa, Abdullah Ali al-Mutawa, jusqu’à son décès en 2006.
 
Très influente dans les syndicats d’étudiants, la SRS a ouvert son premier centre coranique en 1968. Son réseau s’est vite développé et a accueilli jusqu’à 80 000 personnes réparties dans 317 établissements pour hommes et 79 pour femmes avant l’invasion irakienne de 1990. Après la dissolution du Parlement en 1976, des membres de la SRS ont par ailleurs obtenu des postes au gouvernement et négocié des concessions en matière d’imposition de la zakat et de finance islamique. En 1989, ils établissaient un mouvement politique appelé Hadas, l’Islamic Constitutional Movement (Al-Haraka Al-Dusturi Al-Islamiyya), et devaient bientôt se dissocier des Frères Musulmans égyptiens qui approuvèrent tacitement l’invasion irakienne du Koweït en 1990. Officiellement reconnu en 1991, leur groupe a alors poursuivi sa stratégie d’entrisme dans les cercles du pouvoir. S’il a perdu trois de ses cinq sièges de députés aux élections de 2003, il a obtenu le portefeuille de la communication dans le nouveau cabinet formé en 2006. Ainsi, de nombreux présidents de la SRS ont exercé des fonctions officielles : Yousef al-Haji a été ministre du waqf ; Hamoud Hamed Al-Saleh Al-Roumi a été député par deux fois.
 
Aujourd’hui, la mouvance des Frères Musulmans du Koweït se compose donc de deux principaux piliers, l’un politique avec l’Islamic Constitutional Movement, l’autre social avec la SRS et ses satellites « humanitaires ». Elle a inspiré les plus importantes ONG koweitiennes travaillant à l’international. L’ICCO, par exemple, a été présidée par Yousef al-Haji et créée à l’instigation de Yusuf al-Qaradawi, un Frère Musulman qui avait dû s’installer au Qatar après avoir fui l’Egypte à sa sortie de prison en 1961. De même, la Sheikh Abdullah Nouri Charitable Society a été fondée par Nader al-Nouri, un compagnon de route de la SRS et d’Abdullah Ali al-Mutawa. Avec leur comité mondial pour l’Islam (Islamic World Committee), les Frères Musulmans du Koweït se sont par ailleurs dotés eux-mêmes de structures internationales comme Al-Rahma en 1981 et Al-Dawa Al-Islamiya en 1984. Créé pour venir en aide aux Afghans en lutte contre l’Armée Rouge, ce dernier a d’abord eu pour vocation de rassembler les différentes factions du mouvement autour d’une plateforme commune de prosélytisme. Il a aussi servi de levier pour financer les activités des Frères Musulmans avec des fonds de l’Islamic Development Bank à Djeddah et les dons de philanthropes comme Abdel-Rahman Abdallah al-Awdi (un ministre koweitien du Plan), Mohamed bin Qaoud (un cheikh du Comité des Grands Oulémas d’Arabie Saoudite) ou Wael Hamza Jouleydan (le directeur de la Muslim World League à Peshawar). Ce Comité de l’Appel islamique (Lajnat al-Dawa al-Islamiya), enfin, a permis au mouvement de nouer des contacts à l’étranger, par exemple avec l’ONG canadienne Human Concern International ou avec les dirigeants des principaux partis islamistes afghans, à savoir Borhanuddin Rabbani du Jamiat Islami ainsi que Gulbuddin Hikmatyar et Mohamed Younes Khalis du Hizb-e-Islami.
 
Les Frères Musulmans ne sont cependant pas les seuls à avoir chapeauté l’organisation d’associations caritatives. Les philanthropes d’Al Najat ont par exemple inspiré la création de Direct Aid et du Patients Helping Fund. Les salafistes ont également leur fondation, la Société pour le renouveau du patrimoine islamique (Jamiat Ihya at-Turaz al-Islami, parfois orthographié Jamiat Ihia al-Turath al-Islamiya). Plus connue sous le nom de RIHS (Revival of Islamic Heritage Society), celle-ci est active en Europe, en Asie et en Afrique, où elle a ouvert une branche au Ghana en 1992 et un orphelinat appelé Osman ben Affan à Mogadiscio en 1991. Elle n’est pas moins vindicative que la mouvance des Frères Musulmans. Ces derniers, en l’occurrence, approuvent tacitement les attentats contre Israël et leur mentor, cheikh Yusuf al-Qaradawi, a publiquement admis la complémentarité entre le jihad militaire et les activités de secours et de prédication. Fondé sous l’égide de la SRS et de l’ICCO en 1984, leur Comité de l’Appel islamique (Lajnat al-Dawa al-Islamiya) a par ailleurs été placé en 2003 par les Nations Unies sur une liste noire d’organisations terroristes et ses avoirs ont été gelés à hauteur de 4,5 millions de dollars. En 2014, une action en justice a également été engagée au Koweït pour faire interdire Al-Islah, la branche caritative de la Société pour la Réforme Sociale. Pour autant, les leaders de l’Islamic Constitutional Movement (Hadas) ont toujours condamné avec fermeté les actes terroristes, que ce soit dans leur propre pays ou en Irak.

L’opacité financière et les suspicions de terrorisme
La Société pour le renouveau du patrimoine islamique (RIHS) est plus ambiguë à cet égard. En Europe, où elle a établi un British Education and Support Trust (BEST) en Grande-Bretagne en 1992, elle a vite été suspectée de promouvoir un islam sectaire et fanatique, notamment lorsqu’elle est intervenue auprès des musulmans de Bosnie à partir de 1993. A Zenica, où elle a ouvert un centre islamique des Balkans en juillet 1994, elle a en effet distribué des pamphlets dénonçant le laxisme des mœurs, réclamant l’application de la charia, condamnant le socialisme, critiquant la démocratie et soutenant les combattants de Podbrezje. Son activisme a été tel qu’en avril 1995, le gouvernement bosniaque lui-même a menacé d’interdire les distributions alimentaires de la RIHS, qui étaient réservées aux musulmans et conditionnées par le port du voile pour les femmes et de la barbe pour les hommes. En février 1997, la police a fini par ordonner la fermeture du centre islamique de la RISH, devant lequel un converti au chiisme venait de se faire tuer. Mais l’ONG a poursuivi ses activités dans la région. D’après Roland Jacquard, elle a profité de sa présence auprès des réfugiés kosovars en Albanie pour financer des volontaires qui se sont enrôlé dans l’Armée de libération du Kosovo, l’UCK (Ushtria Clirimtare E Kosoves). Un de ses employés à Tirana, Mohammad Hassan Mahmoud, travaillait ainsi avec un collaborateur de l’ONG saoudienne IRRO (International Islamic Relief Organisation), Mohamed al-Zawahiri, qui est devenu un des chefs des forces spéciales de l’UCK et qui était par ailleurs le frère d’Ayman al-Zawahiri, bras droit d’Oussama Ben Laden au sein d’al-Qaida. Depuis lors, la RIHS a continué d’être suspectée de soutenir des groupes armés et des activités terroristes. En effet, elle a coopéré avec une entité, la Global Relief Foundation, qui a été accusée d’être liée à al-Qaida et d’avoir planifié des attentats contre des intérêts occidentaux au Kosovo, où ses bureaux ont été perquisitionnés et certains de ses membres arrêtés par les troupes de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) en décembre 2001. Poursuivi par un mandat d’arrêt égyptien, un autre de ses cadres, Imad al-Misri, a quant à lui été arrêté en Bosnie en juillet 2001.
 
La RIHS a également été l’objet de nombreuses enquêtes en Asie et en Afrique. Un de ses directeurs a ainsi dû rentrer dans la clandestinité tandis que cinq employés égyptiens de sa branche pakistanaise ont été arrêtés à Tirana en 1998 à cause de leurs liens supposés avec une organisation affiliée à al-Qaïda, le Djihad égyptien. En Azerbaïdjan, les autorités ont également fermé en janvier 2002 les bureaux de la RISH, qui était suspectée de soutenir des combattants tchétchènes. En Indonésie, encore, l’ONG a été accusée d’avoir exfiltré depuis le Cambodge un leader de la Jemaah Islamiyah, Nurjaman Riduan Isamuddin « Hambali », qui a finalement été capturé en Thaïlande en août 2003, détenu pour terrorisme et transféré à Guantanamo. Au Bangladesh en mai 2007, les autorités ont par ailleurs supprimé la licence de la RISH, qui avait été enregistrée dans le pays en novembre 1996 grâce à l’entregent du très controversé leader du mouvement salafiste AHAB (Ahlehadeeth Andalon Bangladesh), Muhammad Asadullah Al-Ghalib, qui fut emprisonné en février 2005 puis acquitté en août 2008 des accusations de soutien aux combattants des JMB (Jama’atul Mujahideen Bangladesh). D’après Daveed Gartenstein-Ross et Aaron Zelin, l’ONG koweitienne n’en a pas moins continué d’être suspectée de diverses malversations. En Tunisie, elle aurait par exemple fourni des médicaments à un groupe djihadiste, Ansar al-Sharia, qui avait organisé une violente manifestation contre l’ambassade américaine à Tunis en septembre 2012.
 
La persistance de telles suspicions pose de sérieuses questions à propos du mode de régulation du secteur humanitaire par le gouvernement koweïtien. Le ministère des affaires étrangères, par exemple, est censé habiliter les partenaires locaux des ONG à partir des comptes rendus de ses ambassades. Mais le système pose problème dans les pays où le Koweït n’a pas de présence diplomatique et où les gouvernements concernés peuvent être enclins à lui proposer des associations sélectionnées en fonction de leur degré de soumission aux pouvoirs en place. De plus, les ministères des affaires étrangères et des affaires sociales ne sont concrètement pas en mesure de dissoudre outre-mer les succursales de droit local des ONG koweïtiennes. A l’instar de la fondation al-Haramayn, qui continue de fonctionner en Afrique malgré sa fermeture officielle en Arabie Saoudite en 2004, la section bangladaise de la RISH est ainsi restée active en dépit de sa suspension par les autorités locales en 2007. D’une manière générale, le secteur humanitaire du Koweït continue de se caractériser par une très grande opacité. En théorie, les rapports d’activités annuels des ONG sont remis au ministère des affaires sociales, qui ne les diffuse pas. En pratique, aucune ONG ne met ses budgets en ligne sur Internet. La volonté de dissimulation pour éviter les interférences de l’Etat n’est évidemment pas seule en cause. L’opacit&eacut e; du monde associatif répond aussi aux exigences religieuses des contributeurs de la zakat, qui veulent rester discrets. Dans un petit pays où les citoyens ne paient pas d’impôts et ne cherchent donc pas à obtenir des reçus fiscaux lorsqu’ils font un don, les donateurs ne réclament pas de comptes car ils font confiance à des philanthropes que, bien souvent, ils connaissent personnellement. L’opacité du secteur humanitaire ne continue pas moins d’entretenir le doute à propos d’ONG soupçonnées de financer des activités terroristes.

Sources écrites
-Abdulhadi, Nural [1990], The Kuwaiti Ngos: Their Role in Aid Flow to Developing Countries, Washington DC, World Bank, Working Paper 524, 17p.
-Al-Mdaires, Falah Abdullah [2010], Islamic Extremism in Kuwait: From the Muslim Brotherhood to Al-Qaeda and other Islamic Political Groups, London, Routledge, 304p.
-Burr, Millard & Collins, Robert [2006], Alms for jihad : charity and terrorism in the Islamic world, Cambridge, Cambridge University Press, 348p.
 -Gartenstein-Ross, Daveed & Aaron Zelin [25 fév. 2013], “Uncharitable Organizations”, Foreign Policy.
-Jacquard, Roland [2001], Au nom d'Oussama Ben Laden : dossier secret sur le terroriste le plus recherché du monde, Paris, J. Picollec, 399p.
-Petersen, Marie Juul [2016], « International Muslim NGOs: "Added value" or an echo of Western principles and donor wishes? », in Sezgin, Zeynep & Dennis Dijkzeul (ed.), The New Humanitarians in International Practice: Emerging actors and contested principles, London, Routledge, pp.259-81.