Présentation du mouvement humanitaire au NIGERIA

 

Les caractéristiques générales


Pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria compte peu d’ONG, tout au moins au sens formel du terme. Difficiles à vérifier, les chiffres disponibles le confirment. En période de dictature militaire, par exemple, le Nigeria ne recensait que 226 ONG de développement selon un annuaire compilé en 1995 par Georgina Ngeri-Nwagha à partir d’un inventaire réalisé pour l’UNICEF dans moins de la moitié des Etats de la fédération. Certes, le secteur associatif s’est libéralisé depuis le retour des civils au pouvoir en 1999. Dix ans plus tard, le pays comptait quelques 46 000 ONG dûment enregistrées si l’on en croit les estimations de Darren Kew. Les chiffres étaient encore plus élevés si l’on incluait les syndicats et les associations professionnelles. D’après Edwin Madunagu, le Nigeria comptait jusqu’à 250 000 ONG en 1999, dont un quart établi dans la seule ville de Lagos. Toutes proportions gardées, cependant, c’était assez peu relativement au poids démographique d’une population d’environ 200 millions d’habitants en 2020.
 

Riche de son pétrole, dont il est le premier producteur du continent, le géant de l’Afrique se caractérise également par une très faible dépendance à l’égard de l’assistance de la communauté internationale, surtout si on le compare à d’autres pays pauvres de la zone, en particulier au Sahel. Au cours des années 2010, l’aide étrangère n’a jamais dépassé les $2 milliards, autour de 1% du produit intérieur brut du Nigeria. A la fin de la dictature militaire en 1999, le pays a certes bénéficié d’un regain d’intérêt quand la communauté internationale a mis fin à ses menaces de boycott contre le régime du général Sani Abacha, au pouvoir de 1995 à 1998. L’aide publique au développement a alors augmenté jusqu’à 6,5% du revenu national brut en 2004, avant de retomber à 1,1% après les élections frauduleuses de 2007, puis de remonter un peu à mesure que le pays entrait en récession après 2015 et que la crise humanitaire dans le Nord-Est prenait de l’ampleur avec le conflit contre l’insurrection djihadiste de Boko Haram à partir de 2009.

Un rapide panorama historique


Historiquement, le secteur associatif et caritatif du Nigeria s’est d’abord construit autour de ses traditions religieuses, essentiellement islamique et chrétienne. Pendant toute la période coloniale britannique, par exemple, tant les écoles coraniques que les missions chrétiennes ont accueilli davantage d’élèves que les établissements du gouvernement. Le décalage était tout aussi saisissant dans le domaine de la santé. Les dispensaires de campagne, en particulier, étaient généralement tenus par des missionnaires chrétiens. De ce point de vue, le pays n’a pas dérogé au schéma global de l’Afrique subsaharienne où, aujourd’hui encore, 40% des services de santé sont assurés par des organisations confessionnelles si l’on en croit les estimations du Fonds des Nations Unies pour la Population, le FNUAP, ou UNFPA en anglais. Pour beaucoup héritées des missions chrétiennes d’autrefois, les cliniques privées du Nigeria sont ainsi réputées compter davantage d’employés que les hôpitaux publics.
 

Après l’indépendance en 1960, la guerre de sécession du Biafra, dans le sud-est du pays entre 1967 et 1970, a certes marqué un coup d’arrêt à l’expansion du secteur associatif dans un pays gouverné par les militaires. Si les organisations humanitaires étrangères ont joué un rôle crucial pendant toute la durée des hostilités, les ONG locales, elles, ont beaucoup souffert de la situation. Les associations communautaires, en particulier, ont été interdites au prétexte qu’elles relayaient des revendications séparatistes et les établissements des missions chrétiennes, accusées d’avoir soutenu les rebelles, ont été nationalisés au cours du boom pétrolier des années 1970. Une fois la paix revenue, des clercs musulmans du nord ont néanmoins commencé à monter leurs propres ONG caritatives. Etablie à Kano en 1973 sous l’égide d’un docteur du nom de Hassan Gwarzo, la Fondation Islamique a sans doute été la première du genre. Surtout active dans la plus grosse agglomération du nord à dominante musulmane du Nigeria, elle y a investi dans des écoles primaires, des collèges et des dispensaires de santé. En 1987, par exemple, elle allait ouvrir un hôpital, Al-Noury, à Tarauni dans la banlieue de Kano. Inauguré en grande pompe par l’émir de la région, Alhaji Ado Bayero, cette institution devait accueillir des patients de toutes confessions et former ses médecins, exclusivement musulmans, en partenariat avec une ONG chrétienne américaine, Catholic Relief Services. L’hôpital Al-Noury a aussi fourni des soins gratuits aux indigents tout en prenant soin de séparer les sexes pour respecter les principes de la charia et se distinguer d’un établissement rival aux mains de l’Ahmadiya, une confrérie d’origine indienne et considérée comme hérétique par les sunnites.
 

Dans le sud, les missions chrétiennes n’ont pas non plus été en reste. Avec la crise économique des années 1980, le gouvernement a en effet dû renoncer à gérer les établissements nationalisés au sortir de la guerre du Biafra. Les écoles et les dispensaires des missions de la période coloniale ont alors été restitués à leurs anciens propriétaires. De pair avec un début de privatisation de l’économie sous les injonctions de la Banque mondiale, ces transferts ont notamment pris de l’ampleur quand, en 1986, la junte militaire a de nouveau autorisé les organisations non gouvernementales et confessionnelles à gérer des établissements scolaires jusqu’au niveau du collège et des lycées. Dans le même temps, de nombreux autres facteurs ont contribué à l’expansion du secteur non lucratif « laïc » au début de la décennie suivante, paradoxalement au moment où les militaires revenaient au pouvoir après une brève tentative d’intermède « démocratique » en 1992-1993.
 

D’après Darren Kew, la prolifération d’ONG à l’époque s’explique d’abord par l’affaiblissement et la fragmentation des formes d’organisations qui, précédemment, avaient joué un rôle influent, notamment les associations communautaires, les unions dites « tribales » et les syndicats, laminés par la crise économique et la répression des dictatures au pouvoir. Les progrès des télécommunications et l’endettement d’un pays désormais plus dépendant des contributions de la communauté internationale ont aussi joué un rôle. A partir de 1991, la fin de la guerre froide a également créé un climat plus propice au développement du secteur associatif en amenant le camp occidental, en particulier les Etats-Unis, à se préoccuper davantage de la démocratisation des pays en développement plutôt que de continuer à appuyer aveuglément des dictatures censées combattre les communistes.

Dictatures militaires et droits de l’homme


C’est dans le domaine des droits de l’homme que les progrès ont été les plus manifestes. La Civil Liberties Organization (CLO) a été fondée par Olisa Agbakoba et Clement Nwankwo en 1987 ; Human Rights Africa (HRA), par Tunji Abayomi en 1988 ; le Committee for the Defence of Human Rights (CDHR), par Femi Falana et Beko Ransome Kuti en 1989 ; le Constitutional Rights Project (CRP), par Clement Nwankwo en 1990 ; la Prisoners Rehabilitation and Welfare Action (PRAWA), par une femme, Uju Agomoh, fin 1994. Souvent établies par des avocats ou des juristes de Lagos, sur la côte, ces ONG ont été le fer de lance de la résistance à la dictature militaire des généraux Ibrahim Babangida puis Sani Abacha, des musulmans du nord. Certaines ont d’ailleurs réussi à gagner quelques procès retentissants. Le CRP, par exemple, est remonté jusqu’à la Cour suprême pour empêcher l’exécution des auteurs d’une tentative de coup d’Etat en 1990 : une décision que la junte Babangida devait respecter en vertu de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qu’elle avait ratifiée en 1985.
 

Souvent emprisonnés, les militants des ONG de l’époque ont en fait donné au Nigeria ses lettres de noblesse dans son long combat pour la démocratie. De façon plus discrète, d’autres ont quant à eux essayé d’élargir la défense des droits de l’homme au domaine de la formation et de l’information. Ancienne enseignante de la faculté de droit de l’Université de Jos, Adetoun Ilumoka a ainsi lancé à Lagos en 1992 une sorte d’institut de recherches, l’Empowerment and Action Research Centre (EMPARC). Pour sa part, Beko Ransome Kuti, un médecin, participait à l’établissement en 1993 d’une ONG dirigée par Edetaen Ojo et spécialisée dans la défense de la liberté de la presse, le Media Rights Agenda (MRA). Les genres se sont bientôt mélangés quand les défenseurs des droits de l'homme ont aussi commencé à se préoccuper de la protection de l’environnement avec la création d’ONG « hybrides » comme ERA (Environmental Rights Action) en 1993et ND-HERO (Niger-Delta Human and Environmental Rescue Organization) en 1995, au moment où la junte Abacha pendait l’écrivain Ken Sarow-Wiwa, leader de la protestation des Ogoni contre la pollution pétrolière dans le delta du Niger.
 

De leur côté, les militaires ont eux-mêmes investi le champ associatif pour améliorer leur image de marque, infiltrer les contestataires ou, tout simplement, détourner des fonds publics. Les femmes des dictateurs au pouvoir de 1985 à 1992 puis 1993 à 1998, respectivement Maryam Babangida puis Maryam Abacha, ont notamment pris la tête d’organisations paragouvernementales et prétendument caritatives qui, financées par l’Etat, étaient censées aider les ménages en milieu rural. Leurs œuvres sociales, à savoir le Better Life for Rural Women Programme et le Family Support Programme, n’ont cependant pas réussi à mettre en œuvre de véritables projets en faveur des milieux les plus défavorisés. Les femmes de présidents se sont plutôt signalées par leur propension à lever des fonds au cours de galas entourés de beaucoup de publicité. Leur entregent n’a d’ailleurs pas empêché la montée en puissance des ONG de défense des droits de l’homme.
 

Le CDHR, par exemple, s’est d’abord monté en 1989 pour demander la libération d’un syndicaliste qui dirigeait une petite formation politique, à savoir Femi Aborishade à la tête du National Conscience Party. Par la suite, il s’est beaucoup engagé dans la Campagne pour la Démocratie (CD), une coalition de l’opposition formée à Lagos en 1991 et galvanisée par l’annulation des élections présidentielles de 1993. Avec Ubani Chima, un activiste de la CLO, Beko Ransome-Kuti (1940-2006), frère du fameux chanteur Fela, a ainsi participé à l’organisation de manifestations de rues et de grèves qui se sont multipliées pour protester contre les militaires à partir de 1992. Une telle politisation a cependant eu des répercussions sur l’intégrité du mouvement des droits de l’homme au Nigeria. La Campagne pour la Démocratie, d’abord, a vite été minée par des rivalités internes. Après l’annulation des résultats des élections présidentielles, Beko Ransome-Kuti a en effet accepté à l’été 1993 de rallier le gouvernement intérimaire d’Ernest Shonekan, tandis que les plus radicaux s’en allaient en 1994 à Benin City former un embryon de parti politique clandestin, Alternative Démocratique.
 

Centré sur Lagos, le mouvement des droits de l’homme a par ailleurs souffert de son ancrage ethnique dans le sud-ouest yorouba du Nigeria, fief de l’opposition à la dictature militaire. Moins développé sur le plan éducatif, le nord à dominante musulmane, en particulier, a semblé rester à la traîne et a compté peu d’initiatives en la matière, à l’exception de Human Rights Monitor, une organisation formée à Kaduna début 1993. Le sud, en revanche, a connu une prolifération d’ONG qui ont parfois dérivé vers la défense d’intérêts particuliers et communautaires. Tous deux yorouba, Beko Ransome-Kuti et Gani Fawehinmi ont ainsi soutenu la formation d’un groupe xénophobe, l’OPC (Oodua Peoples Congress), le premier comme trésorier, le deuxième comme conseiller juridique, tandis que la CLO se prononçait contre l’interdiction de cette milice d’autodéfense au prétexte qu’elle avait la réputation de lutter efficacement contre la criminalité.
 

Les liens entre nationalistes yorouba et militants des droits de l’homme se sont en fait développé à tous les niveaux. D’après Olugbenga Onasanya, le leader de la faction la plus radicale de l’OPC, Ganiyu Adams, était par exemple un membre actif de la section de la Campagne pour la Démocratie dans le quartier populaire de Mushin à Lagos en 1993. Les partisans de sa milice se sont eux-mêmes dotés d’une ONG de défense des droits de l’homme appelée HURIDEN (Human Rights Defenders Network). Celle-ci s’est notamment mobilisée pour exiger du gouvernement la libération, non seulement de Ganiyu Adams, mais aussi de Ralph Uwazuruike, d’Asari Dokubo et de Henry Okah, les leaders, respectivement, d’un mouvement séparatiste en pays ibo, le MASSOB (Movement for the Actualisation of the Sovereign State of Biafra), et de deux groupes armés des Ijaw du delta du Niger, la NDPVF (Niger Delta Volunteer People’s Force) et le MEND (Movement for the Emancipation of the Niger Delta).

Du militantisme à l’engagement politique dans un régime parlementaire depuis 1999


Au final, ce ne sont pas les ONG de défense des droits de l’homme qui ont permis de mettre fin à la dictature militaire, mais la mort dugénéral Sani Abacha en 1998. Paradoxalement, le retour des civils au pouvoir en 1999 a alors consacré, tout à la fois, le triomphe et le déclin des militants du monde associatif. D’un côté, ceux-ci ont largement contribué à façonner le discours de la classe dirigeante sur la bonne gouvernance. Certains se sont présentés aux élections et ont obtenu des postes officiels. Directeur de la CLO entre 1987 et 2002, Abdul Oroh a par exemple été nommé par le nouveau président élu, Olusegun Obasanjo, dans une commission chargée d’enquêter sur une explosion qui avait fait quelque 700 morts à Lagos en 2002. Il est ensuite devenu député du parti au pouvoir, le PDP (People’s Democratic Party), de 2003 à 2007, puis ministre de la culture du gouvernement travailliste de l’Etat d’Edo. De son côté, un avocat du CDHR, Sam Amadi, a été nommé par le président Goodluck Jonathan à la tête d’une autorité de régulation du secteur électrique en 2010, la NERC (Nigeria Electricity Regulatory Commission).
 

A la différence de ce qu’on avait pu observer au sortir de régimes autoritaires aux Philippines en 1986 ou en Afrique du Sud en 1994, les militants du monde associatif nigérian n’ont pourtant pas investi massivement le champ politique, qui est très largement resté entre les mains d’affairistes mafieux. Les défenseurs des droits de l’homme ont notamment pâti du désengagement de la communauté internationale, qui les avait plus soutenus du temps de la junte Abacha. A la recherche de financements, beaucoup d’ONG ont cherché à se rapprocher du pouvoir et se sont installées dans la nouvelle capitale fédérale. D’après Usman Tar, Abuja a ainsi recensé jusqu’à un tiers d’entre elles, contre un quart à Lagos, qui avait jusqu’alors été l’épicentre et le principal pôle de rayonnement du secteur associatif au Nigeria. Au fil du temps, les compromissions de la vie politique ont par ailleurs pu finir par avoir raison de la posture « héroïque » des militants d’autrefois. L’ancien directeur de la CLO, Abdul Oroh, devait par exemple soutenir la tentative du président Olusegun Obasanjo de réviser la Constitution en vue d’être autorisé à se présenter pour un troisième mandat en 2007. A l’approche des élections générales de 2011, il ne prenait pas non plus la peine de démissionner de son poste ministériel pour entrer en campagne et se présenter, en vain, à l’investiture du parti travailliste dans l’Etat d’Edo.
 

D’autres menaces pesaient aussi sur le secteur associatif. Comme beaucoup d’autres pays dans le monde, le Nigeria a en effet été emporté dans le maelstrom de la lutte globale contre le terrorisme après les attentats d’al-Qaïda à New York. En 2001, une nouvelle loi, le Terrorism Act, prévoyait ainsi, dans son article 53, de révoquer la licence des œuvres caritatives soupçonnées de financer des mouvements qualifiés de terroristes. Ce dispositif, en l’occurrence, a surtout visé les islamistes dans le nord du Nigeria, notamment le Muntada Islamic Trust (al-Muntadah al-Islamiyya), une fondation britannique qui aidait des mosquées salafistes et qui fut interdite en 2004. Le gouvernement est ensuite revenu à la charge contre l’ensemble des associations du pays avec plusieurs projets de lois concernant leurs financements en provenance de l’étranger en 2014, l’établissement d’organisations de la société civile en 2016 ou la régulation des ONG en 2017.
 

Officiellement, l’objectif était de mieux coordonner le secteur et de l’obliger à rendre des comptes pour justifier ses exemptions fiscales et éviter les abus. Mais les ONG y ont vu une atteinte à la liberté d’association. A Abuja fin 2017, relate Chris Akiri, elles ont par exemple manifesté devant l’Assemblée Nationale contre un projet de loi les contraignant à renouveler leurs licences tous les deux ans devant un organisme spécialisé, la Corporate Affairs Commission, qui comprenait des représentants des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Leur lobbying fut efficace. Finalement, les lois en question ne furent pas votées. Les ONG nigérianes n’en ont pas moins continué de pâtir de leurs faiblesses structurelles dans des environnements gangrénés par la corruption.

Des faiblesses structurelles


Les organisations de défense des droits de l’homme, soutient ainsi Obiora Chinedu Okafor, sont restées élitistes, urbaines, essentiellement masculines et peu démocratiques pour ce qui était de leur gouvernance interne. En compétition les unes avec les autres, elles n’ont pas réussi à mobiliser les masses et n’ont jamais compté beaucoup d’adhérents cotisants, ce qui les a rendues très dépendantes des financements étrangers. De plus, elles ont connu de nombreuses scissions destinées à créer de nouvelles associations et de capter les financements des bailleurs de la communauté internationale. Par contraste, les ONG caritatives issues des traditions islamique et chrétienne ont bénéficié d’un ancrage plus solide dans la population, y compris dans le monde rural. Selon Oluwafunmilayo Para-Mallam, elles auraient même constitué le moyen le plus efficace et légitime d’exprimer les revendications des femmes en les aidant à s’organiser. Respectivement fondées en 1976 et 1985, tant la WOWICAN (Women Wing of Christian Association of Nigeria) que la FOMWAN (Federation of Muslim Women’s Associations of Nigeria) ont notamment développé des réseaux actifs à l’échelle nationale. Elles se sont aussi impliquées dans des projets de développement et de reconstruction, par exemple avec la FOMWAN en distribuant des premiers secours lors d’inondations dans une banlieue de Maiduguri, Dalori, à la suite de la rupture d’une digue sur le lac Alau en 1994.
 

Il paraît cependant difficile d’en conclure qu’a priori, les organisations confessionnelles seraient mieux placées que leurs équivalents laïcs pour défendre et promouvoir les droits des pauvres. Si elles jouissent généralement d’un bon ancrage communautaire, note Wendy Tyndale, elles n’ont pas toujours une vision holistique du développement. Malgré leur antériorité, leur durabilité et leur engagement en faveur des pauvres, en outre, elles ne sont pas forcément plus efficaces que les ONG « laïques » qui, à une échelle très locale, s’activent uniquement le temps d’un projet, d’un contrat ou d’une subvention. Au contraire, les organisations confessionnelles privilégient généralement les adeptes de leur communauté de croyance, au risque d’exacerber les inégalités sociales. Des études citées par Comfort Davis montrent par ailleurs qu’elles n’échappent pas aux problèmes de corruption, d’abus de biens sociaux, de dérives autoritaires, de mauvaise gestion et de dépendance financière qui touchent l’ensemble du secteur associatif.
 

Les ONG laïques, elles, sont souvent plus professionnelles car leurs conseils d’administration ne sont pas gouvernés par des religieux mais par des experts. Pour elles, la fin justifie les moyens et elles sont prêtes à collaborer avec des partenaires de tous types du moment que cela répond à leurs attentes en matière de développement. Les organisations confessionnelles, en revanche, accordent plus d’importance à leurs valeurs religieuses. Côté chrétien, par exemple, beaucoup s’interdisent de recommander l’utilisation de préservatifs pour lutter contre le sida. Côté musulman, la direction des ONG islamiques n’est pas non plus ouverte aux femmes. Tout bien considéré, les œuvres caritatives du Nigeria ont ainsi montré leurs limites pour répondre aux défis du développement d’un pays gigantesque. En pratique, les mécanismes de solidarité lignagère et les liens de voisinage continuent de jouer un rôle plus essentiel que les ONG pour assurer la survie d’une population confrontée à une crise économique structurelle.

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