Présentation du mouvement humanitaire en NORVEGE

 
 
Nombre d'ONG de solidarité internationale 43 (1993)
95 soutenues par NORAD (1996)
Plates-formes d'ONG laïques Bistandstorget (45 membres)
Plates-formes d'ONG religieuses Bistandsnemda (missionnaires)
ONG " parapubliques " Norwegian Volunteer Service
Statut des ONG pas de loi spécifique
Avantages fiscaux pas de défiscalisation des activités caritatives
défiscalisation partielle des dons
Système d'accréditation non, sauf pour les fondations stiftelser (loi n°11 du 23 mai 1980)
Aide publique au développement
(APD)
n.d.
% APD/PNB n.d.
% APD destiné aux ONG
(non compris les avantages fiscaux)
24% (1991), dont environ un tiers pour des actions d’urgence
22% (2002)
Proportion moyenne de financements privés dans les ressources des ONG de solidarité internationale 54% (1993)
Champs d'interventions géographiques des ONG, par ordre décroissant d'importance Afrique subsaharienne, Amérique latine/Caraïbes, Asie Centre & Sud, Afrique du Nord/Proche orient, Asie Est & Océanie
Institution gérant l'APD NORAD (Norwegian Agency for Development Cooperation), créée en 1952 et intégrée au Ministère des Affaires étrangères en 2004
Organisme de contrôle des ONG non
Interface ONG / Etat Department for NGOs, Volunteers and Cultural Affairs, NORAD
Financement public des ONG du Sud oui, jusqu’à 20% des financements NORAD, notamment au Bengladesh
 


Contrairement aux pays de l’Europe du Sud, l’État et les ONG entretiennent en Norvège une relation quasi-symbiotique. La proportion de l'aide publique au développement canalisée par les ONG a beaucoup augmenté ces dernières années, à tel point que son montant dépasse désormais celui des programmes d'aide bilatérale. Plus des deux tiers des subventions gouvernementales pour les ONG vont en l'occurrence à une centaine d'organisations norvégiennes, sachant que les autorités peuvent financer jusqu'à 100% des projets d'une association de solidarité internationale. Au ministère des Affaires étrangères, en particulier, 83% du montant de l’aide bilatérale a été déboursé par le biais d’ONG en 2001. Si l’on s’en tient aux opérations d’urgence en dehors des pays de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) cette année-là, le ministère des Affaires étrangères a, plus précisément, consacré 41% de ses fonds humanitaires aux associations de solidarité internationale, 17% au mouvement de la Croix-Rouge et 42% aux agences spécialisées de l’ONU. La proportion dévolue aux ONG dans le cadre d’actions de développement en temps de paix représentait, elle, 18% des dépenses de l’agence de coopération norvégienne, NORAD.

Bénéficiant des retombées prestigieuses du prix Nobel de la paix, dont la cérémonie se déroule à l’hôtel de ville d’Oslo, la politique extérieure de la Norvège présente la particularité d’être très dynamique, qu’il s’agisse de proposer des services de médiation au Sri Lanka ou en Israël, de soutenir des mouvements de lutte armée ou d’afficher des sympathies pour les Palestiniens ou les Kurdes. Indépendant de la Suède depuis 1905 seulement, le pays a d’abord appuyé les luttes anti-coloniales. Au risque de contrevenir à ses intérêts nationaux, il s’est notamment engagé en faveur des mouvements de libération en Afrique lusophone, alors même que le Portugal était un allié au sein de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). Malgré le contexte de la guerre froide, il a appuyé des guérillas reconnues par l’URSS et armées par les pays membres du Pacte de Varsovie, à savoir l’ANC (African National Congress), la SWAPO (South West Africa People’s Organisation), la ZAPU (Zimbabwe African People’s Union), le FRELIMO (Frente de Libertação de Mozambique), le MPLA (Movimento Popular da Libertação da Angola) et le PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo-Verde). Il a également assisté des organisations considérées comme proches de la Chine maoïste, tels la ZANU (Zimbabwe African National Union) et le PAC (Pan-Africanist Congress).

D’une certaine manière, les ONG norvégiennes ont ainsi servi à prolonger la diplomatie d’Oslo par d’autres moyens, plus discrètement que dans le cadre d’une réunion au sommet. A travers la NCA (Norwegian Church Aid) ou la NPA (Norwegian People’s Aid), le ministère des Affaires étrangères a pu soutenir directement les guérillas de l’African National Congress en Afrique australe, de l’Eritrean People’s Liberation Front en Éthiopie et de la Sudan People’s Liberation Army au Soudan. D’une manière générale, l’implantation des ONG norvégiennes correspond assez bien aux objectifs de la politique extérieure du pays. Pour d’évidentes raisons de proximité géographique et d’intérêt national, ces associations sont notamment actives dans les États baltes et l’ex-URSS. Établie en 1986, la Fondation Bellona, par exemple, finance à Saint-Pétersbourg le Centre écologique des droits de l’homme d’Alexandre Nikitine, un ancien capitaine de vaisseau de la Marine soviétique à qui elle avait commandé un rapport sur les dangers de contamination des sous-marins nucléaires de la flotte du Nord (ledit rapport devait valoir à son auteur une accusation d’espionnage et dix mois de prison préventive en 1996)…

Dans le fond, la connivence entre l’État norvégien et les ONG tient à quatre principaux facteurs. D’un point de vue culturel, d’abord, la population fait preuve d’une remarquable sensibilité aux questions humanitaires. L’engagement associatif et le volontariat sont à l’avenant. Sachant la tradition d’entraide d’un territoire au climat difficile et à la nature sauvage, la Norvège recense presque trois fois plus de membres d’associations que d’habitants ! Il est en effet fréquent qu’un citoyen adhère à plusieurs associations. Les pouvoirs publics ne peuvent tout simplement pas ignorer la puissance de ces réseaux.

Dans le tiers-monde, en outre, la Norvège, petit pays d’environ quatre millions d’habitants, n’a pas d’anciennes colonies et a donc besoin de mobiliser toutes ses ressources humaines pour assurer son rayonnement international. Une telle caractéristique oblige le gouvernement à consulter régulièrement les travailleurs humanitaires en poste à l’étranger. A la différence des volontaires dans les associations caritatives de l’Europe méridionale, ces derniers font figure d’experts, avec une longue expérience de terrain, car ils peuvent mener toute leur carrière dans une ONG en touchant des salaires équivalents à ceux du secteur privé. Ainsi, d’après une enquête menée par Terje Tvedt, 66 ONG norvégiennes travaillant dans des pays en développement employaient près d’un millier d’expatriés, plus de quatre milles autochtones mais moins d’une centaine de volontaires en 1992.

La non-séparation de l’Église et de l’État a également favorisé la collusion des mouvements missionnaires et des cercles de pouvoir. La Constitution proclame que la Norvège est un pays luthérien, en particulier dans la « Bible Belt » du Sud, tandis que le parti démocrate chrétien a (presque) toujours été au gouvernement. Si 3% seulement de la population va encore au temple le dimanche, l’Eglise luthérienne est financée par le contribuable et continue d’avoir une influence importante : 88% des Norvégiens s’en réclament. Aujourd’hui, la ventilation géographique des associations de solidarité internationale n’est pas non plus sans liens avec l’implantation historique des mouvements missionnaires, qui ont beaucoup évolué et se sont adaptés aux circonstances.

Au plan laïc, le développement d’un État-providence et d’une société corporatiste a aussi suscité des vocations et les milieux syndicaux sont très impliqués dans les activités de solidarité internationale. Le syndicat des instituteurs, par exemple, prélève 3,5% des cotisations de ses membres en faveur d’actions de développement. Soucieux de mener une politique de coopération conforme à l’idéal social du pays, le gouvernement, lui, soutient ces initiatives et entretient d’étroites relations institutionnelles avec les organisations syndicales. A la différence des États-Unis, les autorités n’obligent pas les ONG qu’elles financent à acheter des produits fabriqués en Norvège: depuis 1979, la promotion des intérêts commerciaux du pays passe plutôt par le Nordfund, une structure qui garantit et subventionne les investissements des entreprises norvégiennes dans les pays en développement, ainsi que par la Chambre de commerce, qui identifie les fournisseurs chargés d’approvisionner en produits de secours les réserves d’urgences financées par le ministère des Affaires étrangères et gérées par une association parapublique, le NRC (Norwegian Refugee Council).

Reflet d’une confiance largement partagée entre l’État et les ONG, la législation paraît alors assez laxiste relativement aux autres pays d’Europe. Ainsi, les organisations caritatives n’ont pas besoin d’être enregistrées auprès des autorités pour solliciter la générosité du public. La plupart, il est vrai, témoignent d’une très grande transparence par rapport à leurs homologues d’Europe du Sud. Ceci explique sans doute l’absence de contrôle gouvernemental et les limites des initiatives privées en la matière : établie en 1948, réorganisée en 1992 et financée par ses propres membres, la Stiftelsen InnsamlingsKontrollen i Norge, ou Charitable Collection Control Foundation, n’oblige pas les associations humanitaires à publier leurs résultats alors qu’elle est censée vérifier leurs comptes.

Dans tous les cas, les autorités ne sont pas très regardantes quant au mode de financement des ONG. A tour de rôle, celles-ci jouissent chaque année des bénéfices du téléthon, des collectes dans la rue ou des quêtes à l’église. Autre particularité, les principales organisations caritatives sont autorisées à gérer des machines à sous. Le « jack pot » n’est pas négligeable : en 2000, il a représenté plus de 55% des ressources de la Croix-Rouge norvégienne, qui y a employé près de 40% de son personnel permanent !

Cinq associations, les « Big Five », dominent le marché humanitaire à destination des pays du Sud : la NCA (Norwegian Church Aid), la NPA (Norwegian People’s Aid), le NRC (Norwegian Refugee Council), la Croix-Rouge norvégienne et Redd Barna, la branche locale de Save the Children Fund. Au vu des méthodes de classement de l’Observatoire, seules les trois premières d’entre elles ont été étudiées.

M.-A.P.d.M.