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Fédération internationale des ligues des droits de l’homme
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Fédération internationale des ligues des droits de l’homme - Commentaires




3) Le fonctionnement en réseau


-Jusqu'en 2001, la FIDH n'avait pas de correspondant aux Etats-Unis, et encore moins de membre affilié. Lorsqu'elle s'est reconstituée en 1948, la Fédération a indéniablement manqué une occasion importante en ne cherchant pas à s'associer plus étroitement à l'International League for Human Rights. Face à l'influence grandissante d'organisations américaines comme Human Rights Watch, la FIDH a, depuis lors, perdu du terrain dans les arènes internationales. Ainsi, la LDH française, qui constitue un pilier essentiel de la FIDH historiquement, ne recense plus que 6 000 à 7 000 adhérents cotisants, contre 12 000 en 1954, 20 000 en 1948 et 177 000 en 1933. Elle connaît aussi un vieillissement de sa base militante : selon une enquête, plus de la moitié de ses responsables locaux avaient cinquante ans passés dans les années 1980 et 1990. Certes, le nombre d'organisations membres de la FIDH (88 en 1995, 105 en 1997, 116 en 2001) est en augmentation, y compris avec des ligues en exil en 2003, qui en France pour la vietnamienne, l'iranienne et la camerounaise, qui aux Etats-Unis pour la chinoise. Après une période de démobilisation suite à la chute du Mur de Berlin, qui a vu les dissidents d'autrefois rentrer dans des gouvernements post-soviétiques, l'ouverture des pays d'Europe de l'Est et d'Asie centrale a renforcé le mouvement. L'internationalisation de la Fédération a alors permis de s'affranchir de la LDH française, longtemps prépondérante de par son poids moral et sa capacité d'action, avec un budget qui, à lui seul, était à peu près équivalent à celui de la FIDH en 2000. Cette internationalisation se retrouve aussi au niveau des dirigeants. Pour la première fois en 2000, la Fédération a élu un président qui n'était pas français, l'avocat sénégalais Sidiki Kaba : celui-ci a succédé à Patrick Baudoin (1996-2000), Daniel Jacoby (1986-1996), Michel Blum (1983-1986), Daniel Mayer (1977-1983)… et Victor Basch (1926-1944), qui dirigeait également la LDH française.

-La ventilation des implantations géographiques de la Fédération n’en est pas moins significative des différences de culture des droits de l’homme entre les mondes anglo-saxon et francophone. Bien que préoccupée par le sort des femmes, la LDH française, en particulier, ne se reconnaît pas dans la défense impartiale des «droits humains», «méconnaissance de l’universalisme du mot homme», ou des «droits de la personne», «vision dépolitisée qui laisse de côté le citoyen». Selon elle, c'est l'Humanité qui a des droits, et non les droits qui sont humains. Parler de droits de la " personne humaine " est soit un pléonasme, puisque toute personne est humaine, soit une référence religieuse aux droits que l'Humanité tiendrait de Dieu. Or la LDH française est profondément laïque et refuse la terminologie de l'Eglise catholique en faveur des " droits de la personne " plutôt que de " l'homme ". La Ligue défend une conception universaliste et citoyenne de droits qui ne se réduisent pas à la protection physique ou humanitaire de l'individu et comprennent aussi une importante dimension économique et sociale. Avec un logo dessiné dans les années 1980 et représentant un bonnet phrygien pour la liberté, une balance pour l'égalité et un rameau d'olivier pour la fraternité, l'organisation s’inspire directement de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, dont l’article 2 proclame le droit de «résistance à l’oppression». Ses objectifs sont de combattre les injustices, les actes arbitraires et les abus de pouvoir, ce qui l’amène à concentrer ses efforts sur les régimes en place dans des Etats autoritaires, plutôt que sur les exactions commises par des groupes armés dans le cadre de guerres civiles. «Mauvaise conscience de la République», la LDH française se dit politique, et non pas humanitaire ou caritative. Elle prend position sur les exactions dont elle rend compte et, à l’instar de Human Rights Watch, propose des solutions. Son président en 1977, Henri Noguères, critiquait ainsi Amnesty International qui, en restreignant ses activités au niveau des individus, donnait «bonne conscience à la petite bourgeoisie» et refusait «d’analyser les causes profondes des violations des droits de l’homme dans un pays».

-Le mode opératoire des organisations membres de la FIDH, qui surveillent les droits de l’homme dans leur propre pays, a tout à la fois des avantages et des inconvénients. Le mérite est de consolider et d’accompagner les structures de la société civile. A la différence de Human Rights Watch, qui constitue plutôt une sorte de comité d’experts, la FIDH travaille en réseau avec des organisations déjà existantes qui ont choisi de rejoindre la Fédération et d’y cotiser. Mais celles-ci sont particulièrement vulnérables face aux tentatives de répression. Et la défense des droits de l'homme par les ressortissants du pays concerné présente des risques de partialité lorsque des conflits d'intérêts apparaissent. En témoignent la LIDHO en Côte d'Ivoire à partir d'octobre 2000 et la LDH française après l'élection des présidents François Mitterrand en mai 1981 puis Jacques Chirac en mai 2002. La remarque vaut également pour les organisations associées de façon ad hoc aux enquêtes de la FIDH, tel le CRDDR (Comité pour le respect des droits de l'homme et de la démocratie au Rwanda), une ONG fondée en exil par Gasana Ndoba à Bruxelles en novembre 1990. Celle-ci, en l'occurrence, dénonce uniquement les exactions du gouvernement à dominante hutu du président Juvénal Habyarimana, et non les abus des rebelles tutsi du FPR (Front patriotique rwandais), qui ont lancé leurs premières attaques en octobre 1990. Selon le journaliste Pierre Péan, l'enquête « internationale » que le CRDDR supervise en janvier 1993 avec Eric Gillet, de la FIDH, est très biaisée et mentionne le massacre de 2 000 personnes sans parvenir à localiser les charniers et les cadavres. Il faut dire que la mission d'investigation est menée au Rwanda par Jean Carbonare, un militant de la CIMADE qui ne cache pas ses sympathies pour la guérilla et qui deviendra son conseiller officiel quand elle s'emparera du pouvoir en juillet 1994.

-La FIDH a aussi pu cautionner des rapports très engagés comme celui de la Confédération des étudiants iraniens publié à la suite d'une mission effectuée en décembre 1977 pour étudier "la répression, l'oppression et la terreur imposées à notre pays par le Chah criminel, cette marionnette de l'impérialisme". Avec de tels termes de références, les conclusions des enquêtes ne pouvaient guère apparaître objectifs. Analysant 29 rapports de la FIDH, Hans Thoolen et Berth Verstappen trouvaient que près d'un tiers d'entre eux faisaient état de violations des droits de l'homme avant même d'avoir entrepris de vérifier sur le terrain les allégations à l'encontre d'un régime autoritaire.

-L'absence de distance critique se distingue certes de la complaisance en matière de violations des droits de l'homme. La sensibilité de gauche de la FIDH n'a pas empêché de condamner les errements du totalitarisme soviétique alors que, dans les années 1970, Amnesty International avait pu passer sous silence certaines exactions des régimes communistes. En 2001, par exemple, la Fédération a négocié l’admission de la CCDHRN (Comisión Cubana de Derechos Humanos y Reconciliación Nacional) malgré les réticences de ses correspondants en Amérique latine, pour qui la reconnaissance des abus de la dictature de Fidel Castro revenait à détruire un symbole démocratique et à faire le jeu des Etats-Unis. En 2004, ladite Commission cubaine pour les droits de l’homme et la réconciliation nationale publiait la première étude du système carcéral castriste, estimé détenir 100 000 prisonniers.

-Conçue comme un soutien aux activités des associations membres, la FIDH sert de plate-forme de lobbying et de relais plus que de coordination au niveau international. De fait, elle ne peut guère imposer de plans d'action à des organisations nationales qui ne partagent pas toujours ses vues. A l'occasion de l'instauration d'un PACS (Pacte civil de solidarité) en France en 2000, par exemple, la LDH s'est fortement engagée dans la défense des droits des homosexuels : elle s'est prononcée en faveur de campagnes de sensibilisation contre le sexisme ou l'homophobie et a demandé l'asile politique pour les victimes de persécutions dues à leur orientation sexuelle. Une telle position n'est vraisemblablement pas partagée par de nombreuses associations membres de la FIDH en Afrique ou en Amérique latine. A l’occasion, on observe également un manque de concertation régionale entre plusieurs organisations affiliées à la Fédération et revendiquant, en l’occurrence, l’accès à l’eau potable comme un droit fondamental de l’homme. Respectivement créées en mars 1987 à Dakar et avril 1991 à Niamey, l’ONDH (Organisation Nationale des Droits de l'Homme) et l’ANDDH (Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l'Homme) ont ainsi mobilisé leurs membres pour protester contre des projets de privatisation des services d’adduction municipaux ; établie en février 1991 à N’djamena, la LTDH (Ligue tchadienne des droits de l'homme) n’a, en revanche, rien tenté de la sorte alors qu’elle affirmait compter quelque 9 0000 adhérents en 2006.

-Bien plus décentralisé qu’Amnesty International à Londres, le siège parisien de la Fédération peut cependant arbitrer les litiges et suspendre les organisations qui dérapent. Marquées par de fortes tensions régionales avec leurs sections vénitienne et catalane respectivement, la Lega Italiana dei Diritti dell’uomo et la Liga Española por la Defensa de los Derechos del Hombre ont ainsi été suspendues en 2002 pour avoir remis un prix des droits de l’homme au président tunisien Zine el-Abidine ben Ali. Le contrôle de la FIDH s’exerce pleinement lors des congrès qui se réunissent tous les trois ans afin d’élire un bureau international et de décider de l’intégration ou de la radiation d’une Ligue. Quatre procédures permettent de pénaliser les organisations qui ne répondraient plus aux critères du mandat de la FIDH, notamment en matière de transparence et d’impartialité : la suspension, la démission, l’exclusion ou la rétrogradation du statut de membre affilié (avec un droit de vote en congrès) à celui de correspondant (simple voix consultative). Au 32ème congrès de janvier 1995 à Madrid puis au 34ème congrès de janvier 2001 à Casablanca, respectivement sept et huit associations correspondantes ou affiliées ont ainsi disparu des listes de la Fédération, certaines pour cause d’inactivités, d’autres parce qu’elles avaient été récupérées par les pouvoirs en place, par exemple en Mauritanie et en Biélorussie.

-Il est intéressant de comparer la FIDH à son équivalent américain l'ILHR, dont le fonctionnement en réseau présente bien des similitudes et se heurte aux mêmes difficultés. Au milieu des années 1970, la Ligue internationale pour les droits de l'homme comptait 38 organisations affiliées dont 7 aux Etats-Unis, 1 au Canada, 12 en Europe de l'Ouest, seulement 1 en Russie, 2 en Amérique latine, 1 en Afrique du Sud, 1 sur l'île Maurice, 1 en Jordanie et 7 en Asie. Dans les pays en développement, on trouvait des ONG relativement fragiles comme l'International Human Rights League of Korea de Hwal Lee en Corée du Sud ou la Chilean Commission on Human Rights, que l'ILHR avait aidée à établir en décembre 1978. Certaines, telle la Bangladesh Human Rights Society, n'étaient que des coquilles vides. Dans les pays occidentaux, très majoritaires, on trouvait en revanche des ONG déjà bien assises comme l'ACLU, l'Irish Association of Civil Liberty, la Canadian Civil Liberties Association, le Minority Rights Group ou l'Anti-Slavery Society. Financièrement et juridiquement, toutes étaient indépendantes de la Ligue et certaines devaient prendre leur essor en s'affranchissant complètement de leur mentor. En 1975, l'ILHR avait ainsi créé à New York un Lawyers Committee on International Human Rights devenu autonome en 1978 puis entièrement indépendant en 1980. Avec une quarantaine d'employés en 1996 et un grand nombre de bénévoles, ce Comité, qui a pris le nom de Human Rights First en 2004, a vu son budget passer de $50 000 en 1978 à $750 000 en 1985 et $3,4 millions en 1996. Après dix ans de bataille juridique, il a été admis à l'ECOSOC en 1991, dispose de gros moyens institutionnels et connaît une visibilité bien supérieure à l'ILHR. Il publie des rapports quadriennaux sur la politique étrangère américaine et le respect des droits de l'homme depuis 1988, ainsi que sur la Banque mondiale depuis 1993, année où ses critiques contre le barrage de Sardar Sarovar en Inde ont contribué à l'abandon du projet.

-De façon significative, l’ILHR a, comme la FIDH, beaucoup hésité à exclure les organisations affiliées qui outrepassaient leur mandat ou ne répondaient plus aux critères du mouvement. En avril 1973, elle a exceptionnellement rompu les attaches avec une ONG israélienne, l’Israel League for Human and Civil Rights, qui disait parler en son nom et qui dénonçait violemment les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. Officiellement, il s’agissait de questions de procédures à la suite d’une tentative du parti travailliste, en novembre 1972, d’infiltrer et de mettre la main sur l’organisation pour en démettre le président, Israel Shahak, considéré comme trop favorable aux Palestiniens et néanmoins confirmé dans ses fonctions par la justice. En revanche, l’International League for Human Rights n'a pas exclu l'IADF (Inter-American Association for Democracy and Freedom) en dépit des déclarations de sa secrétaire générale Frances Grant, qui était membre du conseil d'administration de l'ILHR. Deux mois après le renversement du gouvernement socialiste de Salvador Allende en 1974, celle-ci avait publié un rapport favorable à la junte du général Augusto Pinochet, accusant les castristes d'avoir fomenté un prétendu " Plan Z " pour envahir le Chili et minimisant les exactions des militaires inventées par la " propagande marxiste ". Il avait fallu attendre février 1974 pour que l'IADF finisse par déplorer l'instauration d'une dictature de facto.