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Médecins Sans Frontières - Commentaires




7) Les relations avec les forces militaires


- En principe, MSF essaie à tout prix de bien séparer les secours humanitaires des actions militaires menées dans le cadre d'opérations de la paix. En 2004, l'organisation a ainsi quitté l'Afghanistan et l'Irak pour protester contre les interférences des armées occidentales, et pas seulement pour des raisons de sécurité. En 1999 puis 2003, MSF-USA, notamment, s'est progressivement retiré d'un collectif d'ONG américaines, InterAction, qui avait désapprouvé le mélange des genres militaro-humanitaire au Kosovo mais envoyé au nom de tous ses membres une lettre incitant la Maison Blanche à intervenir dans la crise du Libéria. Soucieux de préserver sa neutralité, le mouvement n'est généralement pas favorable à la version coercitive de l'ingérence humanitaire telle qu'elle a pu être définie par Bernard Kouchner. Pour des raisons logistiques, MSF-France a cependant pu convoyer du matériel et des équipes dans des avions ou des hélicoptères de l'armée de l'air française au Nicaragua en 1972, au Tchad en 1980, au Yémen en 1989, au Libéria en 1990, au Kurdistan en 1991 au Rwanda en 1994 ou en Indonésie en 2005. L’association a également demandé l’intervention militaire de la communauté internationale au moment du génocide au Rwanda en 1994, des combats dans l’Est du Congo-Kinshasa en 1996 ou des massacres d'Albanais par les Serbes au Kosovo en 1999. En général, la position du mouvement se précise plutôt au cas par cas, de façon assez pragmatique, voire contradictoire, et revient souvent à critiquer la façon dont sont mises en œuvre les " opérations de la paix ", notamment sous l'égide des Etats-Unis en Somalie en 1991, de la France au Rwanda en 1994, de l'ONU en Bosnie en 1995 et de l'OTAN au Kosovo en 1999. Par le biais de son président Jean-Hervé Bradol, MSF-France s'est en particulier opposé aux projets d'interventions militaires au Libéria et au Darfour en 2003. Dans Le Monde du 14 septembre 2003, Jean-Hervé Bradol rappelait que "l'indépendance est essentielle au secouriste humanitaire pour être perçu par les belligérants comme ne participant pas aux hostilités. Le respect de ce principe impose de ne pas faire sien les projets visant à l'établissement d'un nouvel ordre politique international". Il critiquait ainsi la façon dont Washington manipulait le qualificatif de génocide en fonction de ses intérêts diplomatiques et stratégiques pour déclencher des interventions militaires. Les Etats-Unis, qui s'étaient refusés à employer le terme à propos du Rwanda en 1994, ont parlé de génocide à propos du Darfour en 2004, alors même que l'intention d'exterminer un groupe n'était pas plus évidente que l'existence de races dans un conflit censé opposer des "Arabes" à des "Africains". Dans Libération du 23 mars 2007, Jean-Hervé Bradol et Fabrice Weissman se sont à nouveau inquiétés du projet d'envoyer au Soudan des casques bleus de l'ONU après que le plus gros des massacres a déjà eu lieu, quitte à provoquer « un bain de sang » supplémentaire et à « miner l'une des opérations de secours les plus efficaces des vingt dernières années ».

- En dernier recours, lorsque l’intensité des combats empêche toute activité humanitaire, il arrive que des équipes de MSF se placent ponctuellement sous la protection des militaires déployés dans le cadre d’une mission de la paix. En mai 2003 à Bunia, le personnel de MSF-Suisse est ainsi allé trouver refuge dans le camp du bataillon uruguayen de la MONUC (Mission des Nations Unies au Congo), où il a établi une clinique provisoire. Un responsable de la mission de MSF-France en Côte d’Ivoire était quant à lui exfiltré d’Abidjan par les troupes de l’Opération Licorne au moment des violences anti-françaises de novembre 2004. A l’occasion, l’ONG a également accepté de payer des miliciens et des guérilleros pour escorter ses équipes en Somalie en 1991 ou au Rwanda en 1994 après la disparition d’une de ses infirmières à Byumba dans les zones tenues par le FPR (Front patriotique rwandais). De telles décisions n’ont évidemment pas été sans soulever de graves problèmes éthiques. Au Rwanda en 1994, relatent Jean-Hervé Bradol et Marc Le Pape, deux gardes du FPR devaient par exemple exécuter froidement deux civils sous les yeux des personnels de MSF-Belgique qu’ils étaient chargés de protéger. Suite à d’autres initiatives inspirées de manuels de survie comme Safety First de Save the Children en 1995 ou Staying Alive du CICR (Comité International de la Croix-Rouge), qui fut distribué à partir de 1993 et officiellement publié en 1999, MSF-France s’est finalement résolu en 2013 à codifier ses procédures d’intervention en zone de guerre, à créer un poste de référent sécurité et à faire appel à la protection de sociétés privées telles que Control Risk Group ou Amarante.

- La question ne continue pas moins d’être l’objet de nombreux débats. Dans son étude sur les relations entre ONG et forces armées, Daniel Byman soulignait par exemple les incohérences de MSF qui, lors de l'ouragan "Mitch" d’octobre 1998 en Amérique centrale, avait refusé de transporter ses secours dans des avions militaires mais sollicité l’armée américaine pour effectuer des missions de reconnaissance et retrouver un de ses hélicoptères perdu au-dessus du Honduras. Pour sa part, Conor Foley a critiqué la légèreté de la position de MSF qui, lors d’une conférence de presse à propos du Kosovo en 1999, appelait la communauté internationale à réagir en se gardant bien de préciser s’il fallait envoyer des troupes ou des secours, des bombes ou des vivres, sous prétexte que c’était aux gouvernements occidentaux de prendre leurs responsabilités.
 
- Notons également que les différentes sections nationales du mouvement ne sont pas non plus toujours d’accord entre elles. Concernant la Somalie en 1992, par exemple, les Français et les Hollandais expriment leurs doutes sur la pertinence d’une intervention militaire que les Belges appellent de leurs vœux. Ces derniers critiquent notamment une position qui revient à exiger de la communauté internationale qu’elle obtienne d’abord l’accord des seigneurs de guerre et des responsables de la famine pour être autorisée à monter une opération de paix. Sur le terrain, l’attitude des Français et des Hollandais heurte également le président autoproclamé Ali Mahdi, qui est favorable à une intervention contre son rival Mohamed Farah Hassan « Aidid ». Pour ne pas diviser le mouvement, les Belges acceptent néanmoins de ne pas diffuser le communiqué de presse qu’ils avaient rédigé en septembre 1992 et qui demandait un déploiement de casques bleus. Et en décembre, les trois sections se retrouvent à l’unisson pour s’inquiéter publiquement des pillages que provoque l’annonce du débarquement de soldats américains qui tardent à arriver, laissant aux bandes armées le temps de voler ce qui peut encore l’être. A défaut de condamner le principe d’une intervention militaire, le mouvement communique alors sur ses dérives. En mai 1993, la section belge remet aux autorités un rapport sur les abus commis par les parachutistes belges à Kisimayo. En juin suivant, l’ensemble du mouvement dénonce les bavures des troupes onusiennes contre des civils ou des humanitaires, essayant d’introduire en justice un recours qui n’aboutit pas. Mais la discorde reparaît aussitôt quand Paris annonce son retrait du pays en arguant de la fin de l’urgence, constat qui n’est pas partagé par les Belges et qui peut d’ailleurs laisser croire à tort à un succès de l’intervention militaire américaine. De fait, les Français ne tardent pas à revenir dans la capitale, dès juin. Lorsqu’ils repartent de nouveau, en septembre 1993, MSF-Belgique doit en conséquence diffuser un communiqué de presse qui justifie la poursuite de son travail à Kisimayo, où la situation « n’est pas comparable à celle de Mogadiscio ».

-C’est à l’occasion de la crise des Grands Lacs que le mouvement MSF a, pour la première fois de son histoire, appelé à une intervention militaire de la communauté internationale, d’abord pour mettre fin au génocide rwandais en juin 1994, puis en novembre 1994 et novembre 1996 pour sécuriser les camps de réfugiés au Zaïre, qui étaient infestés de miliciens génocidaires et qui ont ensuite été l’objet de massacres.