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Médecins Sans Frontières - Commentaires




8) Les relations avec les forces économiques


- La position du mouvement MSF à l’égard des acteurs économiques se concentre essentiellement sur des questions de santé publique et a évolué au cours du temps. Dans les années 1980, remarquent Jean-Hervé Bradol et Claudine Vidal, l’association a par exemple critiqué les projets d’industrialisation pharmaceutique du tiers-monde et les modèles maoïstes du « médecin aux pieds nus », considérant que seules les firmes privées avaient la capacité d’investir à long terme sur la recherche médicale. Au cours de la décennie suivante, l’organisation a en revanche vilipendé les effets dévastateurs du capitalisme pharmaceutique sur la santé publique, et elle a entrepris de soutenir la recherche médicale dans les pays en développement. L’association ne fait cependant pas partie de la mouvance altermondialiste à proprement parler, même si elle partage certaines préoccupations des forums sociaux mondiaux, notamment quant à l’accès des pays en développement aux médicaments essentiels. Il est arrivé que MSF collabore avec la Banque mondiale, qui a par exemple financé un programme de formation de médecins au Cambodge de 1999 à 2001. Depuis qu’il a lancé en 2003 une Fondation contre les « maladies négligées », remarque Peter Redfield, le mouvement s’est également rapproché des laboratoires pharmaceutiques et s’est institutionnalisé au risque de compromettre son indépendance d’action. Au Niger d’octobre 2003 à décembre 2004, MSF a par ailleurs investi dans une entreprise de Niamey, la STA (Société de transformation alimentaire), en vue de produire du Plumpy’nut, un aliment destiné à traiter la malnutrition à domicile.

- Si MSF bénéficie d’une réputation irréprochable en France, il n’en va pas toujours de même à l’étranger. Aux Etats-Unis en novembre 2004, une ONG de Washington, Public Interest Watch, a ainsi accusé l’association de diffuser des traitements au rabais contre le sida, sous prétexte d’employer des médicaments génériques et moins onéreux, en l’occurrence le Ranbaxy. De fait, le fabriquant concerné, basé à New Delhi en Inde, venait de retirer son produit de la circulation, de crainte qu’il ne renforce la résistance de la maladie à des traitements anti-rétroviraux. Au Nigeria, encore, MSF s’est retrouvé mêlé à une malheureuse affaire d’expérimentations du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer, qui a provoqué la mort de onze enfants. Intervenue à l’occasion d’une épidémie de méningite en mars 1996, l’association menait certes ses propres programmes de vaccination et n’a supervisé en rien les tests de médicaments. Le responsable médical nigérian de l’époque, Idris Mohammed, rappelle d’ailleurs que MSF avait protesté contre les expérimentations et menacé de se retirer. Mais l’association travaillait dans le même hôpital à Kano, souvent avec les mêmes employés que Pfizer, ce qui a valu à la section hollandaise d’être expulsée par les autorités. Lorsque le gouvernement nigérian a lancé des poursuites judiciaires contre la compagnie pharmaceutique en juin 2007, le président de MSF-France, Jean-Hervé Bradol, a ensuite regretté une décision qui risquait, selon lui, de dissuader les laboratoires pharmaceutiques de poursuivre des essais thérapeutiques contre les maladies affectant les pays du Sud.

- La Canadienne Julie Laplante reproche quant à elle aux médecins sans frontières de promouvoir les médicaments pharmaceutiques comme une panacée et de négliger les savoirs locaux des populations du Sud. Intervenue à la demande du gouvernement brésilien lors d’une épidémie de choléra en 1991, MSF-Hollande a ainsi commencé en 1993 à former des agents de santé auprès des Indiens Madija-Kulina du Haut Jurua en Amazonie. La médecine moderne a alors supplanté les guérisseurs traditionnels, réduits au rôle d’herboristes, et les thérapies locales, considérées comme obsolètes. Résultat, la population est devenue incapable de se prendre en charge elle-même, sans pour autant parvenir à maîtriser des techniques nouvelles et peu adaptées au climat amazonien, par exemple avec des microscopes moisis par l’humidité et inaptes à identifier les formes de malaria. Incidemment, Julie Laplante note aussi que le programme de MSF-Hollande a exacerbé les tensions sociales avec les chamanes, dépossédés de leur pouvoir de guérison, et les chefs traditionnels, désormais concurrencés par des agents de santé détenteurs de l’unique radio ou bateau à moteur du village.

- Pour sa part, le vice-président de MSF-France de 2001 à 2003, Didier Fassin, a déploré le paradoxe qui consistait à demander aux Etats, aux institutions internationales et aux entreprises de diffuser des traitements anti-rétroviraux alors que l’association ne cherchait même pas à dépister le sida chez ses propres collaborateurs.