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Oxford Committee for Famine Relief
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Commentaires

Oxford Committee for Famine Relief - Commentaires




7) Les relations avec les forces militaires


-Concernant ses relations avec les forces militaires, Oxfam a adopté une position théorique que la réalité du terrain a souvent mise à mal. Pour limiter l’impact des affrontements sur les populations civiles, Edmund Cairns préconise en l’occurrence de : 1) restreindre le commerce des armes en combattant les trafics illégaux, en interdisant les mines antipersonnel et en promouvant un code de conduite international pour empêcher les ventes à des gouvernements susceptibles d’en faire usage contre leur propre peuple ; 2) traduire en justice les criminels de guerre, en l’occurrence auprès de la CPI (Cour pénale internationale) ; 3) stabiliser les pays en crise en vérifiant l’impact des investissements, de l’aide et des politiques commerciales de la communauté internationale ; 4) garantir les droits des réfugiés et des personnes vulnérables en soutenant des programmes de prévention des conflits, en distribuant des secours et en renforçant le droit d’asile. Ces deux derniers points sont analysés dans les parties traitant de la capacité d’analyse et des relations avec les forces économiques.
 
-La position d’Oxfam sur le commerce des armes a évolué et s’est affinée au cours des années. A ses débuts, le Comité d’Oxford avait pu réclamer une interdiction pure et simple des exportations d’armements, quitte à s’aligner sur les tendances les plus absolutistes du mouvement pacifiste. Malgré les réserves de la Charity Commission et de certains membres de l’organisation en 1975, le directeur d’Oxfam-UK, Brian Walker, décidait par exemple de financer la « campagne de désarmement mondial » du général Michael Harbottle, un ancien chef d’état-major de la force de maintien de la paix des Nations Unies à Chypre. De 1982 à 1985, encore, le Comité d’Oxford soutenait une autre campagne généraliste contre le commerce des armes, la CAAT (Campaign Against the Arms Trade). Les autres sections nationales s’engageaient quant à elles sur des domaines plus précis, la dénucléarisation du Pacifique pour CAA ou le démantèlement des missiles Pershing II pour Oxfam-Solidarité en Belgique. Par la suite, le mouvement a alors limité ses revendications à la régulation et non plus l’interdiction complète du commerce des armes : à la fois par pragmatisme et par souci d’efficacité. Oxfam est en effet passé à côté de la campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel, un succès diplomatique qui devait aboutir à la signature du traité d’Ottawa en 1997. Depuis, le mouvement a donc restreint ses exigences en espérant obtenir davantage de résultats. Avec, entre autres, Human Rights Watch, International Alert, le Conseil œcuménique des Eglises et Amnesty International, Oxfam a ainsi participé au lancement d’une campagne contre les armes légères à Lake Couchiching au Canada en août 1998, puis à la formation d’un réseau spécialisé sur le sujet, le RAIAL (Réseau d’action international sur les armes légères), à La Haye en Hollande en mai 1999. A la différence du processus d’Ottawa en 1997, ces efforts ne devaient cependant pas déboucher sur la signature d’une convention liant les Etats. A l’occasion de la publication de l’étude de Debbie Hillier en octobre 2007, Oxfam a alors essayé de relancer l’adoption d’un traité limité à l’Afrique pour interdire les exportations d’armes vers les seuls Etats incapables de veiller à leur contrôle et d’empêcher les violations massives du droit humanitaire.
 
-Relativement au deuxième point évoqué par Edmund Cairns, à savoir la traduction en justice des criminels de guerre, Oxfam a, très concrètement, modulé ses positions en fonction des circonstances, de ses sympathies politiques et de la nécessité de protéger les équipes humanitaires déployées sur le terrain, ainsi qu’on l’a vu à propos du Biafra en 1968 ou de l’Ethiopie marxiste en 1985. Dans le premier cas, le mouvement a fini par ne travailler que dans un camp et a assimilé le blocus des troupes nigérianes à un crime de guerre. Dans le second cas, au contraire, il est intervenu de part et d’autre des lignes de front et a choisi de ne pas dénoncer les déportations entreprises par une dictature en vue d’isoler et combattre des guérillas. Résultat, Oxfam s’est parfois retrouvé en porte-à-faux par rapport aux demandes des organisations de défense des droits de l’homme. L’organisation a par exemple critiqué les mandats d’arrestation émis par la CPI (Cour pénale internationale) en 2005 à l’encontre des leaders de la LRA (Lord Resistance Army) dans le nord de l’Ouganda. Selon Oxfam, une telle décision risquait de prolonger le conflit, de perturber les tentatives de médiation et de gêner les opérations de secours en incitant la LRA à poursuivre les hostilités plutôt que de se rendre aux mains de la justice sans pouvoir négocier d’amnistie. Au Darfour, qui plus est, les poursuites engagées depuis La Haye par la Cour pénale internationale ont conduit le gouvernement à expulser les organisations humanitaires en 2009. Après avoir milité en faveur de la création de la CPI en 1998, Oxfam-International a donc produit un document qui a précisé sa position avril 2010. Ainsi, le mouvement refuse désormais de coopérer aux enquêtes de La Haye, qu’il s’agisse de passer des informations, de collaborer avec le procureur, de commenter les procédures en cours ou d’accepter des fonds de la Cour.
 
-Dans certains cas, l’organisation admet cependant la nécessité d’envoyer des soldats sous mandat de la communauté internationale pour protéger des populations susceptibles d’être exterminées. En février 2008, Oxfam a ainsi participé avec HRW, AI et l’ICG au lancement à New York d’un Centre global pour promouvoir la notion de « responsabilité de protéger », qui renouvelle les possibilités d’ingérence humanitaire en respectant davantage la souveraineté des Etats. De fait, l’organisation tolère les opérations de la paix du moment qu’elles ont l’aval des Nations Unies et qu’elles sont placées sous la responsabilité d’autorités civiles. Après avoir fait pression sur le Parlement britannique pour inciter le Nigeria à engager des négociations de paix avec les Biafrais en 1968, Oxfam-UK a ainsi demandé une intervention militaire de l’ONU au Pakistan oriental pendant la guerre d’indépendance du Bengladesh en 1971. L’association a également réclamé une intervention militaire de la communauté internationale pour mettre fin à la famine en Somalie en 1992, au génocide rwandais en 1994, au siège de Sarajevo en 1995, à la guerre au Congo-Kinshasa à partir de 1997, aux massacres du Kosovo en 1998 et aux combats de la Sierra Leone en 2000 et du Libéria en 2003. Dans une tribune du Guardian le 16 avril 1994, le directeur des affaires outre-mer d’Oxfam-UK, Stewart Willis, demandait par exemple le déploiement de casques bleus à Kigali pour empêcher ce que l’organisation a fini par désigner sous le nom de génocide dans un communiqué de presse en date du 28 avril. Non sans contradictions, relève David Rieff, le Comité d’Oxford a réclamé tout à la fois un cessez-le-feu, la fin des massacres et l’envoi de soldats ! En mai 2003 dans le Nord-est du Congo-Kinshasa, encore, il demandait une intervention militaire de l’ONU à Bunia, d’où l’armée d’occupation ougandaise venait de se retirer et où s’affrontaient les milices des Hema et des Lendu. En novembre 2008, il renouvelait sa demande, cette fois à propos de l’envoi d’une force européenne au Nord-Kivu. Mais en juillet 2009, il appelait les Nations Unies à arrêter de soutenir et suspendre la meurtrière offensive menée dans la région par l’armée congolaise contre les rebelles hutu des FDLR (Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda), dont certains responsables avaient pris part au génocide d’avril-juillet 1994. Quand une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU a musclé le mandat des casques bleus en mars 2013, Oxfam a finalement accepté d’intégrer un programme de protection des civils. Dans un rapport jamais publié et cité par Ryan O’Neill, l’ONG a également émis des recommandations pour améliorer la performance de l’armée congolaise. Son analyse était qu’une intégration des humanitaires à un effort militaire n’était pas simplement une politique décidée par Washington, contrairement aux cas de la Somalie ou de l’Afghanistan. Elle répondait à une demande de la population, qui voyait l’armée congolaise comme partie prenante du problème et de la solution tout à la fois. De plus, la stabilisation d’un Etat fragile était la seule façon de protéger plus efficacement les civils. Une telle analyse était très différente de celle de MSF, qui a essayé de réduire au maximum tout contact avec une armée prédatrice au service d’un régime impopulaire et corrompu.
 
-De fait, Oxfam s’oppose aux opérations qui ne répondent pas clairement à des objectifs humanitaires. En octobre 2001, par exemple, l’organisation demandait (vainement) aux Etats-Unis d’interrompre leurs bombardements de l’Afghanistan pour permettre aux secouristes de distribuer des vivres sur place. De même, en mars 2003, Oxfam a vivement condamné le débarquement des troupes américaines en Irak sans l’accord des Nations Unies, allant jusqu’à soutenir des manifestations contre la guerre aux Etats-Unis. En septembre 2007, encore, l’organisation a demandé que Paris réduise sa contribution militaire à la force européeenne en passe d’être déployée au Tchad et en Centrafrique pour sécuriser les camps de réfugiés fuyant la crise du Darfour. En effet, la France n’était pas neutre dans la région et l’envoi de ses soldats pouvait aussi servir à repousser les assauts des rebelles et à aider les régimes alliés au pouvoir à Ndjaména et Bangui.
 
-Sur le terrain, l’organisation n’en est pas moins obligée de composer avec les forces combattantes, gouvernementales ou rebelles. A l’occasion, elle a parfois collaboré avec les militaires occidentaux : en 1946, les troupes britanniques étaient chargées de redistribuer aux Allemands les vêtements donnés par le Comité d’Oxford ; en 1979, les vivres acheminés par l’organisation depuis Singapour vers le Cambodge étaient discrètement escortés par la marine australienne pour éviter les attaques de pirates ; en 2002 et 2003, Oxfam-Australie continuait de recevoir un soutien de l’armée de son pays… Dans les pays en développement, l’organisation a également été amenée à traiter avec les forces gouvernementales ; en 1994, son partenaire ACORD a par exemple utilisé des escortes de l’armée malienne pour travailler dans le nord en proie à la rébellion touarègue. Les relations avec les mouvement insurrectionnels et les guérillas ont par ailleurs évolué dans le temps. En 1965 au Sénégal, le Comité d’Oxford avait d’abord refusé de monter des opérations clandestines de l’autre côté de la frontière dans les maquis du PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde), qui luttait contre le colonisateur portugais en Guinée Bissau. Par la suite, cependant, il a commencé à travailler avec des mouvements comme l’EPLF (Eritrean Peoples Liberation Front) en Ethiopie en 1977, tandis que son homologue belge coopérait avec le Front Polisario au Sahara occidental à partir de 1976 et que la section australienne versait directement de l’argent aux militants sud-africains de l’ANC (African National Congress) en exil au Zimbabwe en 1973. Avec la fin de la guerre froide, l’organisation est même allée jusqu’à payer les services de compagnies de sécurité privée pour protéger ses installations et ses convois dans des pays en guerre comme la Somalie en 1993. En 2003, par exemple, Oxfam-America a rémunéré des gardes en Irak après le renversement du régime Saddam Hussein par les troupes américaines. De telles décisions ont suscité beaucoup de débats internes. Cités par Rebecca Buell en 1996, les spécialistes d’Oxfam déployés dans les situations de crises avaient déjà protesté contre ces pratiques. Ils avaient recommandé l’adoption d’un code de conduite interdisant de rémunérer des services de protection armée et d’ouvrir des programmes à risque sans disposer de personnel qualifié. Selon Peter Warren Singer en 2006, Oxfam fait désormais partie des rares organisations humanitaires qui, avec le CICR et Mercycorps, ont rédigé des circulaires encadrant leurs relations avec des compagnies de sécurité privée.