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Oxford Committee for Famine Relief
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Commentaires

Oxford Committee for Famine Relief - Commentaires




8) Les relations avec les forces économiques


-Favorables au commerce équitable, à la responsabilisation sociale des entreprises, à une annulation de la dette du tiers-monde et à un accroissement de l’aide publique au développement, les diverses sections d’Oxfam-International mènent des actions plus ou moins ciblées pour inciter certains acteurs économiques à respecter le droit du travail et à améliorer leurs pratiques dans un sens éthique. En mai 1996, par exemple, le Comité d’Oxford démarre une campagne demandant l’instauration d’un code de conduite dans l’industrie textile, notamment pour interdire le travail des enfants dans les manufactures du Bangladesh et de la République dominicaine qui sous-traitent pour les grandes firmes occidentales. Oxfam-Québec, pour sa part, collabore avec la Centrale des syndicats du Québec afin de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises implantées dans des pays en développement. Les objectifs sont parfois très circonscrits et visent nommément des compagnies. En octobre 2002, Agir Ici (Oxfam-France) lance ainsi une campagne pour obliger la multinationale américaine Bechtel à renoncer à demander un dédommagement de $25 millions au gouvernement bolivien, qui avait rompu un contrat d’adduction d’eau dans la ville de Cochabamba. Le mois d’après, Oxfam-International envoie de son côté une pétition de 40 000 signatures afin d’inciter Nestlé à ne pas réclamer à l’Ethiopie une compensation de $6 millions pour une usine nationalisée quelques années auparavant.
 
-Oxfam-Australie est une des sections qui s’est le plus investie dans ce domaine. En février 2000, elle a monté un ombudsman pour défendre les droits des communautés face aux compagnies minières. Son action a porté sur plusieurs pays : en Indonésie, les Dayak de la région centrale de Kalimantan autour des sites des groupes Aurora Gold à Indo Muro et Rio Tinto à Kelian à partir de 1995 ; aux Philippines, les paysans de la vallée de Cagayan affectés par l’extension des installations de la Climax Arimco Mining Company à Didipio au nord-est de l’île de Luzon à partir de 1999, ainsi que les pêcheurs de Calancan Bay touchés par la pollution de Placer Dome à Marcopper sur l’île de Marinduque à partir de 1993 ; en Papouasie-Nouvelle-Guinéee, les villageois du district de Goilala contaminés par les opérations de Durban Roodepoort Deep Ltd à Tolukuma à partir de 2001 ; au Pérou, les habitants de Cusco lésés par l’exploitation du gisement de Tintaya par BHP Billiton à Yauri dans la province d’Espinar à partir de 1996. En Papouasie-Nouvelle-Guinée à partir de 1998, par exemple, Oxfam-Australie a aidé les habitants de Collingwood Bay à gagner leur bataille juridique contre la compagnie d’exploitation forestière Deegold, qui les avait expropriés. Depuis 2000, l’organisation a aussi fait pression sur un petit parti libéral, les Australian Democrats, en vue d’obtenir une loi encadrant strictement les activités des multinationales dans les pays en développement. La section britannique n’est pas en reste à cet égard. En Bolivie à partir de 2004, le Comité d’Oxford a notamment appuyé les revendications des Indiens de la région de Don Mario qui manifestaient pour demander des compensations aux gestionnaires d’une mine d’or exploitée par la COMSUR (Compania Minera del Sur) de l’ancien président Gonzalo Sánchez de Lozada, au pouvoir à La Paz jusqu’en 2003. Par la même occasion, Oxfam a contribué à la mise en place d’un fonds de développement indigène financé par les royalties versées par l’industrie gazière.
 
-Les actions de plaidoyer du mouvement Oxfam prennent évidemment une dimension singulière quand il s’agit d’entreprises travaillant dans des pays en guerre. Elles rejoignent en effet le troisième point évoqué par Edmund Cairns pour limiter l’impact humain des conflits armés en restreignant les relations financières et commerciales avec des régimes belliqueux. De ce point de vue, les efforts portent à la fois sur l’industrie de l’armement et les multinationales qui travaillent dans le tiers-monde et y financent des dictatures. On a déjà parlé de la position d’Oxfam sur le commerce des armes. Pour mémoire, il faut savoir que les actions entreprises dans ce domaine ont pu viser nommément des compagnies. En 2001, Agir Ici gagnait par exemple le procès en diffamation qui l’opposait en France aux sociétés Etienne Lacroix et Ruggieri, deux firmes qui fabriquaient des feux d’artifice et que l’ONG avait soupçonnées en 1994 de produire des mines antipersonnel. Les autres secteurs industriels, en particulier le pétrole, le textile et les mines, n’ont pas non plus échappé aux pressions du mouvement lorsqu’ils finançaient l’effort de guerre de régimes belliqueux. En 2001, NOVIB a ainsi obtenu la fermeture en Birmanie d’une usine de sous-vêtements de la marque Triumph, qui collaborait avec la dictature militaire de Rangoon, sous-payait ses employés, faisait travailler des enfants et arguait que son désengagement du pays contribuerait au chômage. A partir de 1999, le mouvement a également accusé une compagnie pétrolière canadienne, Talisman, de financer l’armée soudanaise et de cautionner les déplacements forcés de population autour de ses gisements. Dans un communiqué de presse signé avec CARE, German Agro-Action, Fellowship for African Relief, Norwegian Church Aid et International Volunteer Organization for Cooperation à Toronto le 8 septembre 2000, Oxfam a notamment tenu à se dissocier d’une firme qui prétendait travailler avec des ONG humanitaires et mettre en place des programmes d’aide pour compenser les communautés lésées par la production pétrolière.
 
-La question des sanctions économiques, qui va aussi dans le sens d’un assèchement des flux finançant les efforts de répression et les conflits armés, est plus compliquée à apprécier. Historiquement, le Comité d’Oxford est né en réaction contre le blocus britannique de la Grèce en 1942 et il n’a pas caché sa réprobation du siège de l’enclave biafraise par les troupes nigérianes en 1968. Mais il a parfois adopté des positions inverses. D’un côté, il a soutenu les sanctions économiques contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud et, de l’autre, il s’est prononcé contre dans le cas du Cambodge à la même époque. D’une manière générale, l’organisation condamne l’utilisation de la faim comme une arme de guerre et considère que les embargos pénalisent inutilement les civils. Au mieux, elle accepte le principe de sanctions ciblées contre certains responsables politiques, afin d’épargner le reste de la population. Dans son Poverty Report de 1995, elle se dit par ailleurs favorable à des restrictions, voire des suspensions de l’aide internationale en vue d’inciter les gouvernements du tiers-monde à dépenser plus en faveur des pauvres. « Oxfam, est-il écrit, croit que de nouvelles formes de conditionnalités pourraient faciliter la mise en œuvre de réformes positives sur le plan social… Les bailleurs de fonds et les gouvernements concernés devraient se mettre d’accord pour augmenter les investissements dans le secteur des soins, de la santé publique, de la scolarisation et de l’accès à l’eau… Beaucoup de donateurs se montrent réticents à cet égard et arguent qu’une telle approche viole la souveraineté nationale des pays récipiendaires. Mais ils n’ont pas hésité à imposer des plans d’ajustement structurel qui ont obligé les gouvernements [du tiers-monde] à dévaluer leur devise, à augmenter leur taux d’intérêt, à privatiser des segments entiers de l’industrie, à libéraliser les marchés, à rendre l’école payante et à commercialiser les services de santé primaire ».
 
-Dans ses relations avec les forces économiques, Oxfam a finalement été amené à adopter des positions au cas par cas. Ainsi, le mouvement milite en faveur d’une annulation graduelle et circonstanciée de la dette du tiers-monde. Il se distingue en cela des organisations plus radicales qui réclament la suppression immédiate et inconditionnelle de toutes les créances. Il considère en effet que les procédures d’annulation de la dette doivent se concentrer sur les pays les plus pauvres et ne pas favoriser les régimes autoritaires. Un responsable d’Oxfam, cité par le journal Libération le 10 septembre 2004, considérait par exemple qu’il n’y avait pas de raisons d’annuler la dette irakienne sous la pression des Américains. De fait, dans un pays doté de vastes ressources naturelles, l’objectif, très politique, était d’abord et avant tout de ne pas ponctionner le budget et les recettes pétrolières du futur gouvernement mis en place à Bagdad par les Etats-Unis.
 
-Une approche circonstanciée des problèmes économiques n’a certes pas empêché les contradictions, voire les incohérences. D’un côté, Oxfam a souvent critiqué les effets pervers de la production pétrolière dans les pays en développement. L’organisation a notamment souligné que l’argent facile de l’or noir et la fameuse « maladie du hollandais » (dutch disease) aggravaient les inégalités sociales, favorisaient la corruption, précipitaient l’inflation et pénalisaient les activités manufacturières pourvoyeuses d’emplois. D’un autre côté, Oxfam a, en mai 2004, revendiqué en faveur du Timor oriental les réserves d’hydrocarbures offshore qui risquaient d’être exploitées par l’Australie voisine sur une frontière contestée. Dans le même ordre d’idées, le mouvement a beaucoup critiqué l’impact social désastreux du modèle libéral et des plans d’ajustement structurel de la Banque mondiale. En 2002, NOVIB soutenait ainsi une campagne contre la privatisation du secteur de la distribution d’eau potable au Ghana. Pour autant, le mouvement a aussi accepté d’être financé par la Banque mondiale, par exemple pour un programme de réintégration des enfants de la rue mené par Oxfam-Québec à Kinshasa en 2001.
 
-Les contradictions observées viennent en partie de ce qu’Oxfam est à la fois en dehors et dans les grandes institutions financières. Aux yeux du grand public, le mouvement paraît plutôt se ranger dans le camp contestataire, à coups de pétitions et de campagnes médiatiques. Mais, plus discrètement, il essaie aussi d’agir en exerçant des pressions auprès des acteurs économiques, qu’il s’agisse d’entreprises, de banques ou d’organisations intergouvernementales, et il participe à des cercles de réflexion au sein de la Banque mondiale et de l’OMC. Oxfam-Australia, plus précisément, contribue par exemple à l’évaluation et à l’inspection des projets de l’Asian Development Bank pour vérifier qu’ils ne lèsent pas la population. Le Comité d’Oxford, de son côté, fait partie des membres fondateurs de l’EIRIS (Ethical Investment Research Service), une structure qui note et alimente une base de données sur les fonds éthiques et les compagnies socialement responsables. Arguant de sa position critique, il sert également de consultant à la British Petroleum, qui a signé en 1996 un contrat de cinq millions de dollars avec l’armée colombienne pour protéger ses installations contre les attaques de la guérilla. Avec Novib, encore, le Comité d’Oxford produit une étude d’impact social pour la firme Unilever en Indonésie en 2005.
 
-Bien entendu, une telle ambivalence a suscité des tensions au sein du mouvement. C’est par l’intermédiaire de son directeur, Frank Judd, que Oxfam-UK a entamé avec NOVIB puis CAA un « dialogue constructif » avec les institutions financières internationales en 1986. L’initiative n’a pas fait l’unanimité. Pierre Galand, directeur d’Oxfam-Belgique, a préféré démissionner du comité consultatif de la Banque mondiale, créé en 1984.  Des volontaires ont quant à eux reproché à John Clark de quitter Oxfam-UK pour rentrer au service de la Banque mondiale en 1991. Par la suite, une responsable d’Oxfam-America, Severina Rivera, a également démissionné en 2002 pour protester contre les compromissions de son organisation, qui avait rallié les thèses libérales en préconisant l’ouverture des frontières du monde industralisé aux produits textiles en provenance des pays en développement. Dans un article très critique, Walden Bello montrait ainsi qu’il aurait mieux valu s’opposer frontalement à l’ensemble des dispositions de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), plutôt que d’en adopter certaines au risque de les cautionner toutes. Selon lui, la position d’Oxfam éludait les vrais enjeux de justice sociale et répondait aux impératifs d’une campagne publicitaire en vue d’obtenir des résultats rapides et tangibles. En outre, la levée des barrières douanières du Nord au profit des pays du Sud était une fausse question puisqu’en principe, ce point était déjà acquis depuis l’Uruguay Round de 1994 et qu’il risquait d’être de nouveau négocié contre un surcroît d’avantages favorisant la pénétration des marchés du tiers-monde par les grandes puissances industrielles. Ces critiques ont très succinctement été prises en compte par Paul Nelson, un consultant d’Oxfam-America qui devait plutôt insister sur la force de frappe du mouvement dans l’enceinte des organisations internationales.
 
-Oxfam est par ailleurs critiqué de l’extérieur du fait de l’ambiguïté de sa position en tant qu’acteur économique et pas seulement humanitaire. En principe destiné à mieux rémunérer les petits producteurs du tiers-monde, l’engagement de l’organisation en faveur du commerce équitable, notamment, soulève des doutes car les procédures de certification des filières d’achat sont assez opaques et reviennent à rémunérer des vérificateurs à la fois juges et parties. Rédacteur en chef à Radio France Internationale, Jean-Pierre Boris considère par exemple que le commerce équitable est un “ phénomène de mode ”, voire une “ escroquerie intellectuelle ”. Par ce biais, les Occidentaux s’achètent à peu de frais une bonne conscience alors que la part du créneau “ équitable ” dans les échanges avec le tiers-monde est négligeable et que les véritables problèmes se trouvent dans la disparition des grands accords internationaux de régulation des marchés. Le journaliste ajoute que les bénéficiaires du commerce équitable ne sont pas les paysans les plus pauvres mais les plus éduqués. En outre, la multiplication des commissions et des certificateurs réduit d’autant le prix versé au producteur : un tel système ne remet pas en cause l’inégalité des échanges et ne bouleverse pas les circuits commerciaux habituels car il dégage aussi des marges bénéficiaires et substitue simplement un intermédiaire à un autre. Cité par Jean-Pierre Boris, le représentant de la Papouasie-Nouvelle-Guinée auprès de l’Organisation internationale du café à Londres, Mick Wheeler, juge ainsi que, sous des prétextes humanitaires, Oxfam se comporte tout simplement en commerçant. Avec ses campagnes de publicités, le mouvement dénigre en effet les produits de la concurrence et détériore l’image du café vendu dans le commerce courant, celui qui, en l’occurrence, nourrit la très grande majorité des paysans de la filière. De fait, le commerce équitable représente une part dérisoire de la distribution. Avec l’association Max Havelaar aux Etats-Unis, Oxfam n’a par exemple labélisé que 1% du café vendu par la chaîne Starbucks en 2005.
 
-Historiquement, l’engagement du Comité d’Oxford en faveur du commerce équitable a d’ailleurs montré toutes ses limites. Initialement, explique Matthew Anderson, il s’agissait seulement d’écouler en Angleterre des produits fabriqués par des réfugiés chinois à Hongkong. En décembre 1964, la structure établie pour ce faire, Oxfam Activities Ltd, n’avait pas d’autre but. Elargi de manière à inclure d’autres types d’artisanat en provenance du tiers-monde, le schéma monté trois ans plus tard, Helping by Selling, visait ainsi à réinvestir le produit des ventes dans des programmes humanitaires, et non à mieux rémunérer les producteurs. Soucieux de garder la main sur des opérations qui représentaient la moitié des ventes de ses boutiques en 1974, le Comité d’Oxford a au contraire torpillé l’initiative d’un de ses gestionnaires, Roy Scott, qui voulait transformer le projet en coopérative internationale, autofinancée, indépendante et administrée par des élus représentant les producteurs du Sud et les consommateurs du Nord. Lancée en juin 1975, la société Bridge allait garder le statut d’une compagnie commerciale sous le contrôle d’Oxfam. Après la démission de Roy Scott, parti fonder sa propre structure sous le nom de One Village, l’organisation a ensuite maintenu sa ligne de conduite lorsqu’en juillet 1992, elle a participé au lancement d’une marque et d’un processus de certification adossés à une fondation pour le commerce équitable, la Fairtrade Foundation, avec le CAFOD, Tearfund et Christian Aid. Officiellement enregistrée en février 1995, après trois ans de négociations avec les autorités britanniques, ladite fondation a en l’occurrence eu le plus grand mal à obtenir un statut caritatif et à bénéficier de facilités fiscales car la Charity Commission la considérait comme une simple entreprise à but lucratif.