>
Secours populaire français
>
Commentaires

Secours populaire français - Commentaires




2) Le fonctionnement


-Bien que plus centralisée, l'action internationale du SPF est moins structurée qu'en France, où les programmes sont d'abord menés par les comités locaux. Quelques fédérations départementales dans le Rhône, le Nord et les Alpes-Maritimes ont leurs propres projets de solidarités à l'étranger. Mais les montants engagés sont souvent faibles et l'action internationale est surtout concentrée entre les mains de l'association nationale.

-Les modes opératoires du SPF dans les pays en développement ont l’avantage d’associer la population au suivi et à l’évaluation des programmes. Mais ils présentent également le risque de multiplier à l'envi les micro-projets et de ne pouvoir empêcher la récupération de la logistique humanitaire à des fins politiques. En Corée du Nord en 2001, par exemple, le SPF accorde une petite aide nutritionnelle, éducative et médicale sur laquelle la dictature de Pyongyang n'autorise pas de supervision étrangère, ce qui ne permet pas de vérifier le bon déroulement des programmes. D'une manière générale, l'action internationale du Secours se caractérise, selon Sylvie Boutereau-Tichet et al., par une grande « improvisation », un manque de « stratégie préétablie » et une « dispersion des interventions nuisible à leur efficacité ». Le suivi des projets est notamment défectueux sur le plan budgétaire, avec des procédures peu formalisées, des prêts au remboursement aléatoire et des avances en liquide parfois difficiles à justifier. Concernant le risque de dispersion, il semble en revanche qu'on assiste à un resserrement du champ d'action géographique du SPF, qui se concentrait sur 28 pays en 2006, au lieu de 63 en 1993 et de 47 en 1987.

-Marqué par les alliances de la guerre froide, le SPF privilégie pendant longtemps les anciens pays du bloc communiste et les régimes dits progressistes (Nicaragua, Ethiopie, Angola, Cambodge, Vietnam, Roumanie, Cuba). A l'instar du Secours Rouge, qui ne se préoccupait que des militants communistes, i l assure ainsi la défense de prisonniers d'opinion dans le camp " impérialiste " et non soviétique. Explicite, l'article 2 de la Charte du Secours populaire de France disait déjà restreindre le soutien moral et matériel aux " victimes du fascisme et du nazisme ". Cité par Axelle Brodiez, le secrétaire général du SPF en 1948, Charles Désirat, explique quant à lui que l'association n'est « ni une organisation charitable, ni une société de secours mutuel [...] La solidarité, précise-t-il, ce n'est pas essentiellement le repas aux vieux travailleurs, ce n'est pas l'aide au voisin dans l'embarras [...] Ces pratiques, certes louables en elles-mêmes, risquent de faire perdre à notre association son caractère propre. N'oublions jamais que notre but essentiel doit être la solidarité aux victimes du fascisme ». Le SPF prend ainsi parti et ne réprouve pas l'usage de la peine de mort pour ses ennemis. A partir de 1945, il participe en l'occurrence aux commissions d'épuration qui visent à châtier les collaborateurs des nazis. Jusqu'en 1953, il demande la peine de mort pour le maréchal Philippe Pétain, dénonce les lois d'amnistie et s'oppose aux politiques de réconciliation nationale. La chasse aux "traîtres" lui apporte d'ailleurs des avantages matériels : de pair avec deux châteaux reconvertis en colonies de vacances, le premier siège du SPF à Paris est ainsi mis à disposition par le COSOR (Comité des OEuvres Sociales des Organisations de Résistance), un organisme chargé de gérer les biens confisqués aux collaborateurs. A l'époque, l'objectif est également d'endoctriner les esprits. Les colonies de vacances, notamment, doivent servir à éduquer les enfants « dans un esprit laïc et républicain ».

-Certes, depuis la chute du mur de Berlin en 1989 , les interventions du SPF à l'étranger ont nettement évolué. A présent, le SPF soutient ainsi les Tchétchènes victimes de la soldatesque russe. Et il ne prend plus de positions ouvertement politiques à propos des événements qui motivent ses actions humanitaires, l'idée étant de peser sur les conséquences et non les causes. A la différence du Secours catholique, qui multiplie au contraire les actions de plaidoyer et d'interpellation politique des autorités au cours des années 1990, le SPF entend désormais ne pas se laisser entraîner vers des positions idéologiques et recommande à ses structures de ne pas s'associer à des appels politiques, par exemple au sein de la plate-forme des ONG françaises pour la Palestine, où il ne veut avoir qu'un rôle d'observateur.

-En France, le SPF travaille beaucoup avec des bénévoles et emploie donc moins de salariés (125 en 1989) qu'à la Croix-Rouge française ou au Secours catholique. Avec 70 000 animateurs revendiqués, il dispose en effet d'un puissant réseau associatif, structuré en 98 fédérations départementales et professionnelles, 699 comités et 4 000 antennes qui se réunissent en Congrès tous les deux ans. Certes, les chiffres sur le nombre de militants réellement actifs sont sans doute moindres car le SPF renouvelle automatiquement la carte de ses adhérents, même de ceux qui ne donnent plus signe de vie. De plus, les salariés occupent une place grandissante dans l'organisation. Leur rémunération, charges sociales incluses, représente désormais le poste de dépense le plus important et elle continue de croître à un rythme très rapide.

-Sur le plan de la gouvernance interne, le SPF renouvelle régulièrement ses instances mais est dirigé depuis cinquante ans par la même personne, Julien Lauprêtre. Sylvie Boutereau-Tichet et al.constatent en l'occurrence un renfermement de l'organisation sur les membres qui lui doivent leur métier. Dans leur rapport issu d'une enquête pour l'Inspection générale des affaires sociales en 2003, les auteurs s'inquiètent notamment des possibles conflits d'intérêts au profit des salariés et au détriment de l'objet de l'association. Le risque porte à la fois sur la « confusion des organes d'exécution et des organes de contrôle du fonctionnement associatif », d'une part, et sur la « perte de vue de l'objet désintéressé de l'oeuvre entreprise », d'autre part. De fait, le SPF se distingue de la plupart des ONG françaises, où les bénévoles siègent dans les instances dirigeantes tandis que les salariés travaillent à la réalisation des objectifs. En 2003, ces derniers composaient 70 des 190 élus du comité national et 25 des 30 membres du bureau qui en était issu. Dans le même ordre d'idées, 44 responsables de fédérations départementales sur 98 étaient salariés et cumulaient les fonctions de président et de directeur. Au niveau national, la domination des instances par les salariés ne reflète pas la richesse de la vie locale et ne permet pas de représenter convenablement les bénévoles. Autre travers, les dirigeants continuent de se faire élire avec des votes qui sont décomptés à main levée lors des congrès. Enfin, il n'y a pas de réel débat sur les orientations stratégiques du SPF à l'international. Les instances délibératives se contentent le plus souvent d'entériner la poursuite des programmes menés à l'étranger.

-De pair avec la professionnalisation de sa direction, qui a commencé à recruter des techniciens du management au cours des années 1990, notamment des cadres issus de la CGT (Confédération générale du travail), le SPF s'est quelque peu embourgeoisé au fil des ans. Dans les années 1950, déjà, il comptait beaucoup moins d'ouvriers et d'agriculteurs que le PCF, autant d'employés et plus d'avocats (18% des délégués de l'organisation à son congrès de 1953, proportion qui devait ensuite diminuer considérablement). Mais c'est surtout pendant la période de croissance économique des « Trente Glorieuses », jusque dans les années 1970, qu'il est devenu une association de classes moyennes en accueillant des catégories socioprofessionnelles (employés, artisans, commerçants, enseignants, médecins) moins bien représentées au PCF. Après avoir connu un fort rajeunissement dans la foulée de la révolte étudiante de mai 1968, puis un certain vieillissement au cours des années 1980, la base sociale de l'organisation s'est finalement stabilisée dans les années 1990, à parts à peu près égales entre les enseignants et les employés (pour un tiers chacun), le reste étant essentiellement des cadres moyens et supérieurs (plus d'un quart du total) et des professions libérales.

-Parallèlement, le SPF s'est féminisé. A ses débuts, il comptait surtout des hommes car les femmes se retrouvaient plutôt dans une autre organisation d'obédience communiste, l'UFF (Union des femmes françaises), qui était plus attrayante et moins rigide idéologiquement. La situation a cependant évolué à mesure que l'UFF périclitait. A partir de 1981, la moitié des responsables des fédérations régionales du SPF ont été des femmes. Au secrétariat national, leur pourcentage a également augmenté et est passé d'un tiers en 1989 à près des deux tiers en 1997, de pair avec une plus grande qualification due à l'arrivée d'experts-comptables, de médecins, de gérantes et d'étudiantes.