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Young Men’s Christian Association
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Young Men’s Christian Association - Commentaires




3) Le fonctionnement en réseau


-Les YMCA et les YWCA sont imbriquées dans de nombreux réseaux d’ONG et d’Eglises. Elles entretiennent également des relations suivies avec le mouvement scout et les organisations onusiennes. Dès avant la Seconde Guerre mondiale, l’Alliance mondiale des YMCA est ainsi sollicitée par la SDN (Sociétés des Nations) pour préparer un rapport sur les méfaits de la drogue en vue d’obtenir la signature en 1931 d’une Convention internationale sur la fabrication et la distribution des narcotiques. Les associations de Chine sont particulièrement impliquées et, après avoir lancé une campagne en faveur de la fermeture des fumeries d’opium en 1909, un secrétaire de la YMCA de Shanghai, Tong Kai-son, deviendra membre de la Commission internationale sur l’opium. Pour sa part, la YWCA chinoise est membre statutaire de l’association nationale contre l’opium (National Anti-Opium Association), qui revendique plus de 4 millions de membres en 1926.
 
-Fort de son prix Nobel au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement collabore également aux institutions onusiennes. D’après Louise Holborn, il fournit notamment les premiers employés du HCR (Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés), dont le directeur des opérations jusqu’en 1972 est un Britannique, Tom Jamieson, qui a démarré sa carrière à la YMCA avant de commencer en 1945 à travailler en faveur des personnes déplacées par le conflit en Europe. Fonctionnaire américain posté à la YMCA de Riga en 1923 puis de Moscou de 1924 à 1926, Hobson Dewey Anderson participe quant à lui au lancement de l’OFFRO (Office of Foreign Relief and Rehabilitation) en 1940 puis de l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration) en 1943. Promu à la tête de l’Institut des affaires publiques, il publiera ensuite des études qui encourageront le président Harry Truman à établir une agence d’aide internationale dont la création sera annoncée lors du fameux discours dit du « Point Four » en 1949. L’Alliance mondiale des YWCA n’est pas en reste. Enregistrée dès 1947 au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), elle participe régulièrement aux réunions à Genève de la Commission onusienne des droits de l’homme, de l’UNICEF (United Nations Children's Fund) et de l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization). Féministe, elle préside par ailleurs le forum des ONG aux conférences des Nations Unies sur la question des femmes à Mexico en 1975, Copenhague en 1980 et Nairobi en 1985, sommets qui rassemblent de plus en plus de délégués, respectivement 5 000, 8 000 et 17 000.
 
-Le mouvement entretient également des relations suivies avec la nébuleuse des associations caritatives. Ce peut être sous la forme d’échanges de personnels. Les financiers les plus dynamiques de la YMCA des Etats-Unis, Charles Ward et Ward Dartmouth, passent par exemple au service de la Croix-Rouge américaine pour l’aider à collecter des fonds. Des dirigeantes de la YWCA australienne rejoignent quant à elles les rangs d’autres ONG, à l’instar de Susan Brennan, qui travaille pour Oxfam au Timor Oriental en 2001, ou de Wendy Rose, qui démissionne en 1986 pour occuper une position plus intéressante à Save the Children. Les collaborations prennent aussi la forme de financements croisés et récurrents. L’Alliance mondiale des YWCA, par exemple, reçoit des subventions de Bread for the World pour monter des projets de développement à partir de 1984 puis de l’Open Society Institute pour appuyer les efforts de démocratisation des pays du Sud au sortir de la guerre froide. Les coopérations sont parfois ponctuelles, à l’image de la YWCA ougandaise qui soutient avec les Américains de l’ONG Heifer Project des coopératives laitières de fermières dans les régions centrales de Mukono et du Bugerere à partir de 1985.
 
-Mais c’est évidemment avec les organisations protestantes que le mouvement a le plus de facilités à travailler. Les YMCA et les YWCA jouent un rôle important dans la fondation du Conseil œcuménique des Eglises, le WCC (World Council of Churches), à Amsterdam en 1948. Selon Ruth Rouse et Stephen Neill, les quatre cinquièmes des délégués présents à la première Assemblée générale du WCC sont issus des YMCA, des YWCA ou de leurs branches étudiantes. D’anciens responsables de la FUACE (Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d’Étudiants) tels que Willem Visser't Hooft, Philip Potter, Emilio Castro et Samuel Kobia deviennent ainsi secrétaires généraux du Conseil œcuménique des Eglises. Le WCC compte aussi pour premier président d’honneur l’Américain John Mott avant d’être rejoint en 1988 par Brenda Fitzpatrick, une dirigeante de la YWCA australienne. Pour autant, les relations avec les autres Eglises protestantes ne sont pas toujours égales. Après avoir avoir fourni des volontaires américains pour aider les prisonniers de guerre britanniques et canadiens en Europe, l’Eglise des Brethren cesse par exemple en 1947 de coopérer avec la YMCA des Etats-Unis quand celle-ci décide de financer des partenaires locaux plutôt que de continuer à envoyer des expatriés sur les terrains de crises. D’une manière générale, les relations avec les acteurs de l’aide ne sont pas exemptes de problèmes. A la suite du tsunami asiatique de 2004, un rapport de la Cour des comptes française, publié en 2011, critique ainsi le manque de coordination de la YMCA, qui a financé pour les rescapés des maisonnettes construites à côté des logements déjà achevés par Emmaüs à Cuddalore dans l’Etat du Tamil Nadu, en Inde. Il aurait été plus efficace de se concerter pour réaliser des économies d’échelle et réduire les coûts.

-A Genève, l’Alliance mondiale des YMCA et des YWCA a d’abord pour fonction de représenter le mouvement auprès des Nations Unies, des Eglises et des coalitions d’ONG. En pratique, elle sert surtout de boîte postale, essentiellement pour échanger avec les associations régionales, plus que nationales. Elle n’a pas pour but de coordonner une nébuleuse qui n’a jamais réussi à développer d’organe central. De 1953 à 1994, son comité permanent pour les réfugiés a quasiment été le seul effort de centralisation de l’Alliance mondiale des YMCA. Encore son droit d’initiative a-t-il été désavoué par les associations nationales qui ont contesté son indépendance budgétaire, comme le rapporte Jim Thomson. En effet, rappelle Martti Muukkonen, la Charte de Paris d’août 1855 a proclamé l’inviolabilité de l’indépendance des associations locales, de pair avec l’essence divine d’une unité des chrétiens qui ne devait rien aux efforts des croyants. Amendée en juillet 2002, la constitution de l’Alliance mondiale des YMCA a quant à elle repris un principe de subsidiarité selon lequel les associations locales étaient les mieux placées pour organiser leurs activités. Genève ne peut donc intervenir qu’au cas où celles-ci n’auraient pas les moyens de mettre en œuvre leurs décisions. Ainsi, un protocole en date du 21 mars 2009 invite seulement les YMCA à se concerter pour lancer des appels de fonds d’urgence et intervenir sur les terrains de crise. La coordination est alors censée se faire au niveau régional ou mondial.
 
-A la différence des modèles centralisé de MSF, qui a créé des franchises à l’étranger, ou fédéral d’Oxfam, qui a aggrégé des ONG déjà existantes, l’Alliance mondiale des YMCA et des YWCA s’apparente ainsi à une sorte de confédération où la maison mère entretient des rapports très lâches avec ses « succursales ». A cela deux principales raisons. D’abord, Genève ne peut pas s’appuyer localement sur une association puissante. En effet, l’UCJG de Suisse a peu d’influence globale malgré son importance sur le plan historique et le rôle ponctuel de son secrétaire général (1979-1987) puis président (1988-1993), Martin Vogler, qui a dirigé l’Alliance mondiale des YMCA de 1998 à 2002. En outre, les efforts de centralisation se heurtent à des difficultés budgétaires qui empêchent Genève de prendre des initiatives. Beaucoup d’associations nationales rechignent à payer une contribution qui, selon elles, ne leur apporte rien en retour. C’est particulièrement le cas des YWCA des pays en développement, comme l’explique Carole Seymour-Jones. Le problème se retrouve d’ailleurs à l’échelle nationale de grands pays comme l’Inde ou les Etats-Unis. Hostiles à une résolution qui les obligeait à reverser 4% de leur budget à un siège central inauguré à New York en décembre 1912, les YWCA américaines ont par exemple préféré se régionaliser en créant trois bureaux concurrents à San Francisco, Chicago et Atlanta lors de leur dix-septième convention nationale à Atlantic City dans le New Jersey en mars 1946.
 
-Résultat, le mouvement donne le sentiment d’être un rassemblement assez hétéroclite d’associations disparates. A l’échelle locale, les YMCA et les YWCA n’utilisent pas toujours le même logo. En 1922, par exemple, les YWCA américaines ont essayé d’harmoniser leurs statuts associatifs. Mais la complexité de leurs spécialisations par sexe, par classe d’âge, par profession ou par occupation a empêché d’homogénéiser et structurer un mouvement divisé entre des branches étudiantes, commerçantes, ouvrières et cadettes, dites Y-Teens. Lors de leur convention nationale de Niagara Falls en 1945, les YWCA du Canada ont également tenté d’adopter des standards communs pour mieux gérer leurs foyers. Depuis les années 2000, les YMCA d’Amérique latine s’efforcent quant à elles d’harmoniser leurs sites web.
 
-Au mieux, on assiste en fait à une sorte de division du travail où Genève joue un rôle relativement effacé. Historiquement, le Comité international de la YMCA américaine, basé à New York, finance ainsi les associations outre-mer tandis que l’Alliance mondiale de Genève se charge de les accréditer. Les Etats-Unis sont particulièrement influents en Amérique latine, en Chine et au Japon ; les Britanniques, en Afrique, aux Caraïbes et en Inde. Assez vite, ces derniers se heurtent cependant à la concurrence des Américains en Inde et des Canadiens aux Caraïbes. Initialement créées par des expatriés de la YMCA britannique, les associations caribéennes ont par exemple été regroupées dans une fédération qui a volé en éclats en 1973 pour, précisément, se débarrasser de la tutelle de l’ancien colonisateur. Résultat, l’émiettement du mouvement a produit une multitude de petites associations insulaires avec, généralement, un seul employé et, parfois, des subventions de la YMCA canadienne, qui a pris le relais de son homologue britannique. Faute de moyens, l’Alliance mondiale des YWCA, quant à elle, a dû fermer ses bureaux régionaux des Caraïbes et du Pacifique en 1991, à la suite de l’Amérique latine en 1974.
 
-Dans d’autres régions du monde, les anciens dominions britanniques ont aussi essayé de raviver la flamme du mouvement. En Océanie, la YMCA de Nouvelle Zélande a par exemple suscité la création d’associations à Suva sur l’île de Fidji en 1971 puis à Apia dans les Samoa occidentales en 1978. Malgré la dépression des années 1930 qui l’a obligée à réduire ses effectifs et vendre des biens immobiliers, la YWCA australienne a quant à elle commencé en 1955 à s’intéresser aux populations aborigènes et a ouvert en 1962 un bureau à Port Moresby en Papouasie Nouvelle Guinée, où elle a fini par établir un conseil national des YWCA locales en 1973. Elle s’est également implantée dans les îles de Fiji en 1961, Salomon en 1969, Samoa en 1978 et Tonga en 1988. Son approche s’est avérée moins coloniale que celle de son homologue britannique dans la région des Caraïbes, où les YWCA sont restées très dépendantes des subventions occidentales malgré leur antériorité en Guyana dès 1926, aux Bahamas en 1936, au Surinam en 1942, à Trinidad en 1943, à Puerto Rico et en Jamaïque en 1946, sur l’île de la Grenade en 1949 (après une première tentative en 1889), aux Barbades en 1951 et à Antigua en 1961.

-D’une manière générale, les YMCA et les YWCA anglo-saxonnes sont, de très loin, les plus actives à l’international. Plus formalisée que son homologue britannique, la YMCA américaine, en particulier, s’est vite dotée à New York d’un « comité international » dont les programmes outre-mer avoisinaient les 400 000 dollars et représentaient près de la moitié des dépenses au début du XXème siècle, à hauteur de 47% en 1906 et 42% en 1907. En vertu de directives datant de janvier 1911, celui-ci a soutenu de nombreuses associations à l’étranger en les laissant devenir propriétaire des bâtiments dont il subventionnait la construction, du moment qu’elle en supportaient au moins un tiers du coût total. Dans le cas contraire, la YMCA américaine conservait la pleine propriété de l’établissement, à charge pour l’association locale d’en assurer l’entretien et de veiller à ce que sa gestion reste entre les mains de chrétiens. Un tel dispositif s’est cependant heurté aux législations nationales qui interdisaient à des entités étrangères de posséder des biens immobiliers, obligeant l’organisation à léguer ses bâtiments outre-mer aux YMCA du Japon, d’Inde ou d’Amérique latine. Le dortoir de Jérusalem a fait exception. Lorsque la ville a été coupée en deux au moment de la création de l’Etat d’Israël en 1948, la YMCA de la partie Ouest de l’agglomération a en effet dû passer sous la coupe des Etats-Unis pour former une entité officiellement connue sous le nom de Jerusalem International YMCA à partir de 1975. Elle gère aujourd’hui le seul bâtiment dont la YMCA américaine reste propriétaire à l’étranger.
 
-La YWCA américaine n’a pas été en reste. On estime qu’elle a envoyé plus de 800 volontaires à l’étranger entre 1895 et 1970. Plus œcuménique que les Eglises, qui contrôlaient étroitement le placement de leurs missionnaires et rechignaient à envoyer des femmes dans les pays en développement, la YWCA américaine a su échapper aux pesanteurs religieuses pour décider par elle-même l’affectation géographique de ses expatriées, prioritairement en Chine, puis au Japon. La crise économique de 1929 a cependant réduit ses ambitions outre-mer, avec un budget qui a fondu de 400 000 dollars en 1921 à 374 000 en 1930 et 116 000 en 1935. Lors de sa 17ème convention nationale à Atlantic City en mars 1946, la YWCA américaine a alors décidé de créer un fonds spécial de deux millions de dollars pour aider à la reconstruction outre-mer des territoires détruits par la Seconde Guerre mondiale. Sa section des affaires étrangères a ensuite pris le nom de département international en 1961, puis de bureau des relations avec le reste du monde en 1972.
 
-Dans les pays développés, Canadiens et Scandinaves ont également affiché quelques velleités à entreprendre des actions outre-mer. Dès 1888, par exemple, la YMCA de Montréal s’est dotée d’un comité spécialisé pour gérer des activités à l’étranger. Pendant longtemps, les actions outre-mer du mouvement canadien sont certes restées sous la coupe du « comité international » à New York. Mais en 1970, la YMCA du Canada s’est définitivement affranchie de son homologue américain pour monter ses propres programmes à l’étranger en ouvrant un bureau de représentation à Ottawa afin d’obtenir des fonds de la coopération canadienne. Ce « service », alternativement appelé International, Foreign Work ou World Service, a alors triplé son budget de fonctionnement au cours de la décennie. Les pays scandinaves n’ont pas non plus été en reste. En 1980, les YMCA et les YWCA de Norvège ont ainsi élargi aux pays en développement et intégré formellement un programme, Delta Internasjonalt, qu’elles avaient démarré en 1947 pour assister les populations déplacées par la guerre en Allemagne. De leur côté, les YMCA et les YWCA finlandaises, danoises et suédoises ont joué un rôle important au sortir de la guerre froide pour relancer les associations d’Europe de l’Est fermées du temps des communistes.

-Le partage du monde en zones d’influence n’en a pas moins laissé transparaître des tensions lorsque les YMCA ou les YWCA, essentiellement anglo-saxonnes, ont court-circuité l’Alliance mondiale à Genève pour financer des associations sœurs dans les pays en développement. Les problèmes de coordination et les chevauchements de compétences ont été particulièrement criants pendant les deux guerres mondiales. Selon Kenneth Steuer, par exemple, la YMCA américaine a décidé de sa propre initative d’ouvrir à Berne en 1917 un bureau d’aide aux prisonniers de guerre alors que Genève était censé diriger les opérations de secours avec l’assistance financière des Etats-Unis. La Seconde Guerre mondiale a également réveillé les tensions entre la YWCA et la YMCA, d’abord réticente à transférer des responsabilités aux femmes. Il a fallu attendre juin 1944 pour que la YMCA et la YWCA américaines montent un service commun d’assistance aux rescapés des combats dans les territoires européens libérés par les troupes alliées. Avec des expatrié(e)s rémunérés par l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration), elles se sont alors occupées des populations déplacées en Allemagne et en Autriche de septembre 1945 à juin 1947.
 
-De loin la plus active à l’étranger, la YMCA américaine a elle-même été confrontée à des difficultés internes qui ont gêné la gestion de ses programmes outre-mer. Très tôt, son Conseil international a par exemple dû désapprouver l’entreprise isolée et intempestive d’un jeune fondamentaliste du Kansas, George Fisher, qui s’était établi au Soudan en 1890 pour évangéliser le pays sans avoir demandé l’avis de New York et des Eglises déjà présentes dans le pays. Celui-ci finit par démissionner de la YMCA en 1891 après l’échec de sa mission, constituée de trois volontaires tous décimés par la fièvre. Les initiatives montées sans coordination n’ont pas moins continué de se multiplier. A Toledo dans l’Ohio en 1920, un juge, Paul William Alexander, décidait ainsi de fonder un Y’s Men Club dont le principe allait être entériné pour l’ensemble du territoire des Etats-Unis à la convention d’Atlantic City en 1922. Etendu à d’autres continents dans une cinquantaine de pays, essentiellement en Amérique du Nord, en Asie et en Europe, ce mouvement s’est ensuite affranchi de la tutelle des YMCA en se dotant en 1973 à Genève d’une Constitution internationale plus décentralisée et ouverte aux femmes. Financé aux quatre cinquièmes par les cotisations de ses adhérents, le reste par des placements ou la locations de bâtiments, il comptait quelques 19 000 membres en 1977, près de 30 000 en 2015.
 
-A y regarder de plus près, il s’avère ainsi que la YMCA américaine n’a pas vraiment plus de contrôle sur ses associations locales que l’Alliance mondiale sur les initiatives outre-mer des organisations constitutives du mouvement. En effet, les associations des grandes villes sont généralement bien plus riches que leur conseil national à l’échelle d’un pays. Le constat s’applique aussi au Canada, où la YMCA métropolitaine de Toronto disposait d’un budget passé d’environ C$ 2 millions en 1981 à plus de 64 millions vingt ans plus tard, contre moins de C$ 8 millions au niveau national au cours des années 2000. Le problème se retrouve au niveau des villes. Organisée à un échelon local, métropolitain, régional, national et mondial, la YMCA américaine a toujours eu le plus grand mal à se coordonner. Respectivement fondées le 28 mai 1852 et le 9 juin 1853, les associations de New York et de Brooklyn, par exemple, se sont développées séparément. Bien que dotées de bureaux métropolitains pour superviser leurs branches locales à partir de 1887 à New York et 1896 à Brooklyn, elles ont mis plus d’un siècle pour accepter de fusionner sous les auspices d’une YMCA du Grand New York en 1957. La YMCA de Chicago, explique Mayer Zald, a pareillement été traversée de forces centrifuges et centripètes au début des années 1960. D’un côté, les associations de quartier revendiquaient une grande marge de manœuvre car elles devaient d’abord rendre des comptes à leur « clientèle ». Elles se sont donc plaintes de perdre leur autonomie financière quand elles sont devenues plus dépendantes des subventions du bureau métropolitain, dont le personnel avait augmenté de 33% quand il diminuait de 18% dans les associations de quartier entre 1954 et 1963. D’un autre côté, le secrétaire général de la YMCA de Chicago souhaitait réaliser des économies d’échelle et réduire les coûts en mutualisant les moyens. Il a ainsi voulu prendre une assurance collective, constituer une centrale d’achats, partager les locaux et les campagnes de publicité, former le personnel en commun et améliorer la coordination des programmes. Sous sa supervision, l’objectif était également de standardiser et d’aligner les salaires pratiqués par les associations de quartier de façon assez disparate. Le point de vue du bureau métropolitain l’a finalement emporté car il recommandait une hausse des rémunérations qui lui a acquis la sympathie des employés locaux.

-Les problèmes de coordination ont par ailleurs révélé des rivalités entre les principales associations actives à l’international. Historiquement, l’Inde a été un des grands champs de bataille opposant les Britanniques aux Américains. Dès 1894, New York y a en l’occurrence envoyé une première expatriée, Agnes Hill, un an après l’arrivée à Calcutta d’une Anglaise dépêchée depuis Londres par Emily, la fille de Marie Jeanne Kinnaird, fondatrice de la YWCA britannique. Cette dernière bénéficiait en l’occurrence du soutien tacite des autorités coloniales, qui ont voulu empêcher Agnes Hill d’ouvrir un foyer mixte, ouvert aux Européennes comme aux Indiennes, à Simla, la résidence d’été des hauts fonctionnaires en poste en Inde. Mais les Britanniques n’ont pas pu empêcher les YMCA et YMCA américaines de s’étendre dans la région. Plus progressistes, les Etats-Unis ont notamment financé l’indianisation du mouvement. Les difficultés sont alors venues des relations avec les expatriés sur place. En octobre 1892, le Conseil international à New York décidait ainsi de transférer du personnel de Madras vers Calcutta sans même en aviser le secrétaire général américain de la YMCA indienne, David McConaughy, qui a menacé de démissionner et obtenu le départ en janvier 1893 du nouveau secrétaire dépêché à Calcutta, Frank Wood. En août 1899, il devait de nouveau se plaindre de l’autoritarisme de New York, qui avait nommé un associé, Robert Wilder, sans prendre la peine de consulter le comité national des YMCA indiennes. Ses successeurs ont finalement dû négocier en janvier 1903 un accord entérinant leur droit de regard sur les affectations de personnel à travers le pays.
 
-La Chine a été un autre pays marquant les luttes d’influence entre Britanniques et Américains. Très vite, remarque Alison Drucker, la puissance financière des YMCA et YWCA américaines a permis de damer le pion aux petites associations d’expatriés britanniques qui s’étaient montées dans les concessions européennes de la côte. Plus encline que Londres à envoyer des expatriées et à salarier ses collaborateurs locaux, la YWCA des Etats-Unis, en particulier, a réussi dès 1899 à former un comité national à l’échelle du pays en soutenant l’embryon d’association chinoise lancée par une institutrice, Tse Ah-mun, dans une école de filles de la mission presbytérienne de Hangchow en 1890. Avec 3 000 adhérentes lors de sa première convention nationale en 1923, le mouvement s’est ensuite développé en ouvrant des YWCA à Shanghai en 1908, Canton en 1912, Tientsin en 1913, Pékin en 1916, Changsha et Foochow en 1919, Hongkong en 1920, Chengdu en 1921, Hangchow en 1922, Mukden, Naking et Tsinan en 1923 et Chefoo en 1926.
 
-Par contraste, les YMCA et YWCA britanniques à l’étranger sont plus souvent restées confinées à des milieux expatriés. Leur vision coloniale du monde était davantage ségréguée, y compris à l’égard des populations blanches des dominions de l’Empire. Pendant la Première Guerre mondiale, relève par exemple Charles Bishop, la YMCA britannique a délibérément retardé jusqu’en mars 1916 le transfert à son homologue canadien des foyers de soldats établis dans des casernes occupées par les troupes du Canada déployées en Grande-Bretagne, en l’occurrence à Shorncliffe. Il a fallu attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu’elle laisse d’emblée les Canadiens gérer leur foyer de Farnborough, dès mars 1940.

-Les conflits, précisément, ont pu être un moment de fortes tensions nationalistes au sein d’Alliances des YMCA ou des YWCA qui se disaient mondiales et pas seulement internationales pour essayer d’affirmer leur unité depuis Genève. Historiquement, le mouvement a cherché à éviter les débats politiques et susceptibles de fâcher, à commencer par l’es clavage aux Etats-Unis lors de sa première réunion à Paris en 1855. La Charte adoptée à l’époque prévoyait que « nulle divergence d’opinion ne [devait] rompre l’harmonie dans les rapports fraternels des unions associées ». Mais les YMCA britannique et américaine se sont bientôt disputées à propos du Trent, un navire de Sa Majesté arraisonné en 1861 par la marine des Etats-Unis, à l’époque en pleine guerre de sécession. La guerre franco-prussienne de 1870 a ensuite troublé la sixième convention internationale des Unions chrétiennes de jeunes gens à Amsterdam en 1872. A partir de 1899, encore, les YMCA britannique et hollandaise se sont disputées à propos de la guerre des Boers en Afrique du Sud. Opposant les colons anglais aux paysans afrikaners d’origine hollandaise, le conflit a aussi eu des répercussions sur les milieux étudiants protestants. En août 1900, la troisième rencontre de la WSCF a ainsi été délocalisée en France, à Versailles, car les représentants des Pays-Bas ont refusé de se déplacer à Londres où la conférence devait initialement se tenir. En mai 1905, leurs homologues britanniques ont certes accepté de se rendre à Zeist en Hollande pour assister à la cinquième rencontre de la Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d'Étudiants. Mais la réunion aurait en fait dû se dérouler à Tokyo, où elle fut annulée à cause de la guerre de Mandchourie entre le Japon et la Russie.
 
-Dans le même ordre d’idées, Allemands et Français ont refusé de célébrer conjointement en août 1920 le vingt-cinquième anniversaire de la WSCF à Saint Beatenberg, en Suisse, au sortir de la Première Guerre mondiale. Considéré par les Allemands comme un belliciste et un impérialiste, John Mott a alors pris la présidence de la Fédération jusqu’en 1928, tandis que son prédécesseur à ce poste, le Suédois Karl Fries, devenait le secrétaire général de l’Alliance mondiale des YMCA. Ces dernières ont ensuite accompagné les mouvements nationalistes au pouvoir dans les pays d’Europe de l’Est qui ont acquis leur indépendance sur les décombres de l’Empire austro-hongrois. Constituée à Vienne en 1873 et divisée par des querelles personnelles qui avaient quasiment mis un terme à son existence en 1890, la YMCA autrichienne, elle, n’avait jamais réussi à s’affranchir des tendances séparatistes et des barrières linguistiques qui avaient limité son champ d’action. Reprise en mains par les Allemands sous l’égide de Wold von Ziegler und Klipphausen, qui supervisa l’établissement d’une union nationale des YMCA à Vienne en 1896, elle a continué de dépendre des subventions de l’étranger. Quand la Première Guerre mondiale a éclaté, relate Kenneth Steuer, elle a seulement pu coordonner les efforts de ses diverses branches caritatives. Dans un pays catholique, elle était suspecte de prosélytisme protestant et n’a pas été autorisée à intervenir auprès des soldats autrichiens sur le front, contrairement aux conditions prévalant du côté américain, anglais, français et russe. En pratique, c’est donc la YMCA américaine qui a assisté les prisonniers de guerre russes entre les mains autrichiennes.
 
-L’Asie n’a pas été épargnée par les tensions nationalistes, à tel point que la YMCA américaine a dû arrêter de subventionner les associations chinoises et coréennes qui avaient les plus virulemment développé des sentiments anti-japonais. Au début du XXème siècle, relate Jon Davidann, les expatriés américains en poste à Tokyo avaient d’abord pris le parti des Japonais, tandis que leurs homologues à Séoul défendaient les positions des Coréens face aux vélléités de colonisation de l’Empire du Soleil Levant. Pour ne pas compromettre la poursuite de ses activités, la YMCA américaine a ensuite décidé de ne pas se prononcer sur l’invasion de la Mandchourie en septembre 1931. Seul un télégramme envoyé à la Société des Nations par Sherwood Eddy pour le compte du comité international des YMCA américaines devait condamner explicitement l’agression japonaise. Pour le reste, le mouvement est resté silencieux et a accepté sans protester que les associations de Mandchourie soient placées sous la coupe de Tokyo. Son pendant féminin n’a pas agi autrement malgré les précautions de la YWCA japonaise, qui s’est initialement abstenue de travailler en Chine pour ne pas empiéter sur le domaine de son homologue à Pékin. Réunie en convention mondiale en 1938, les YWCA ont laissé le Japon absorber les associations coréennes. Pire encore, elles ont décidé d’affilier la YWCA de Mukden comme un membre à part entière, au risque de reconnaître l’indépendance de l’Etat fantoche du Manchuoko mis en place par Tokyo pour contrôler la Mandchourie et démanteler la Chine. Les hostilités ont évidemment laissé des cicatrices après la défaite japonaise en 1945. A l’époque, l’Alliance mondiale des Unions chrétiennes de jeunes filles avait pour vice-présidente la femme du général Chu Shiming, attaché militaire de Tchang-Kai Shek à Wahington pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’elle ait réussi à faire venir des représentantes de la YWCA allemande, elle n’est pas parvenue à réconcilier les associations japonaises et chinoises lorsqu’elle s’est réunie en conférence à Hangchow en 1947. Officiellement, la délégation japonaise n’a pas obtenu de visa parce que son pays n’avait pas encore signé de traité de paix avec Pékin. En réalité, ses homologues chinois lui reprochaient de ne pas avoir condamné les atrocités commises par l’occupant. La secrétaire générale de la YWCA chinoise, Tsai Kwei, se débrouilla d’ailleurs pour ne pas aller à Tokyo lors d’une visite sur place d’une délégation de l’Alliance mondiale en 1947. Par la suite, l’arrivée au pouvoir des communistes en Chine et en Corée du Nord a continué de polariser l’attention. En 1956, par exemple, les délégués coréens du Sud se sont retirés de la WSCF car celle-ci avait accepté de recevoir des représentants de la République populaire de Chine.

-Les déviances belliqueuses, nationalistes ou racistes de certaines associations locales posent évidemment de sérieuses questions sur le rôle de Genève. D’après sa constitution, amendée en juillet 2002, l’Alliance mondiale des YMCA est censée suspendre ou exclure les organisations qui ne respectent pas les principes du mouvement, qui ternissent sa réputation, qui ne répondent pas à ses courriers ou qui ne paient pas leur cotisation annuelle. De telles dispositions se retrouvent parfois à l’échelle d’un pays. Selon l’article 4 de sa Constitution, adoptée en septembre 1912 et amendée en octobre 1946, le Conseil national des YMCA canadiennes peut par exemple décertifier les associations qui contreviennent à ses valeurs, qui ont arrêté de verser des cotisations ou qui ne rendent plus de comptes. Des dérogations sont cependant prévues et, sur le plan légal, les organisations fondatrices du Conseil national des YMCA canadiennes ont de facto été exemptées d’une possibilité d’expulsion car elles étaient déjà enregistrées de façon autonome dans leurs Etats respectifs.
 
-En pratique, le mouvement a préféré mettre en place des statuts différenciés qui ont laissé une grande marge de manœuvre au niveau local. En vertu de résolutions adoptées lors de sa conférence de Vancouver au Canada en 1975, l’Alliance mondiale des YWCA reconnaît ainsi trois catégories d’affiliations : les membres de plein droit, les associations en cours de développement et les cas spéciaux, qui incluent les organisations hybrides sur le plan religieux, comme en Grèce, au Mexique ou en Belgique, ou mixtes sur le plan sexuel, comme en Suisse et en Suède, puis au Canada, au Danemark, en France et en Allemagne à partir de 1979 ou en Estonie et en Lettonie à partir de 1991. Pour sa part, l’Alliance mondiale des YMCA a introduit des statuts d’associés qui n’ont pas de droit de vote, à l’instar de Y Care depuis 2010. Théoriquement, elle ne reconnaît qu’un seul comité national par pays. Historiquement, elle n’en a pas moins accepté l’indépendance d’une YMCA écossaise qui a le même rang que son homologue de Grande-Bretagne et qui comptait un tiers de femmes sur une vingtaine de milliers d’adhérents dans les années 1970. Des dérogations existent aussi dans les pays où existe déjà une association reconnue par Genève. Une nouvelle organisation peut alors demander à être affiliée du moment qu’elle a le consentement de cette dernière.
 
-De fait, l’Alliance mondiale des YMCA n’a jamais pris l’initiative d’exclure des associations. Lors d’une réunion en 2009, son comité exécutif a seulement envisagé de suspendre 24 YMCA d’Afrique pour corruption ou non paiement des cotisations. Mais il est vite revenu sur sa décision de révoquer le Conseil national des YMCA du Bangladesh. L’Alliance mondiale a surtout filtré les demandes d’accréditation. Dans bien des cas, il s’agissait d’entériner la création de nouvelles organisations nationales ou de composantes résultant de l’éclatement de pays comme l’Union indienne ou l’Autriche-Hongrie. Formé en 1951 et affilié à Genève en 1953, le Conseil national des YMCA de Malaisie s’est par exemple scindé en deux après l’Indépendance, quand Singapour a fait sécession en 1965. Reconstitué en 1966, celui de Malaisie a alors repris sous sa coupe les associations fondées à Kuala Lumpur en 1905, Ipoh en 1951, Penang en 1959, Sabah en 1966 et Sarawak en 1971, tandis que celui de Singapour regroupait les associations de la ville, respectivement créées pour les Britanniques et les Chinois en 1903 et 1947.
 
-A l’occasion, des difficultés ont certes pu se présenter lorsque Genève a dû affilier des regroupements régionaux comme le Comité des YMCA d’Asie en 1967. En effet, explique Mohan Devapriya David, les associations nationales d’Amérique latine s’étaient constituées en confédération dès 1915 et ne souhaitaient pas être rabaissées au rang de simple bureau régional. Tout aussi soucieuses que les Européens de préserver leur autonomie, elles craignaient que l’Alliance mondiale relève leur contribution financière sous prétexte de décentraliser ses fonctions régionales. C’est finalement la vente des bureaux du siège de Genève qui a permis à l’organisation de rééquilibrer ses comptes et de continuer à subventionner les initiatives de regroupements à une échelle régionale. Avec l’Alliance des YMCA d’Afrique, nouvellement créée, les Asiatiques sont alors parvenus à faire reconnaître leur Comité, qui a pris le nom d’Alliance des YMCA d’Asie en 1983.
 
-Le seul cas où le mouvement a sérieusement envisagé d’exclure un de ses membres a concerné l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Anti-impérialiste et ouvertement favorable à la décolonisation, notamment en Inde, la WSCF a été la plus engagée en ce sens. Après avoir pris position contre la ségrégation raciale dès 1946, elle a commencé à dénoncer régulièrement l’apartheid à partir de 1960 et obtenu le départ de sa section sud-africaine en 1965. L’Alliance mondiale des YWCA a été plus lente à réagir. Réunie à Vancouver au Canada en 1975, elle a d’abord condamné l’émigration de Blancs qui privaient les Noirs de travail lorsqu’ils allaient occuper des emplois qualifiés en Afrique du Sud ou en Rhodésie. Mais c’est la YWCA américaine qui a franchi le pas en décidant de soutenir les prisonniers politiques d’Afrique du Sud lors de sa vingt-huitième convention nationale en 1979. Au sein du mouvement, l’Alliance mondiale des YMCA a été la dernière à prendre position. Il a fallu attendre son congrès de Nyborg, au Danemark en août 1985, pour qu’elle condamne publiquement le régime de la ségrégation raciale, demande l’abolition de l’apartheid et recommande des négociations avec les mouvements de libération noirs. Certaines associations locales ont été plus vindicatives à cet égard, surtout en Europe du Nord après la répression de la révolte de Soweto à Johannesburg en juin 1976. Dix ans après, la YMCA d’Oslo organisait ainsi des manifestations de commémoration pendant que ses homologues du Damenark appellaient à boycotter les produits sud-afrcains et à cesser d’investir au pays de l’apartheid. Lors d’une visite à Johannesburg en février 1988, une délégation de l’Alliance des YMCA devait alors réclamer la légalisation des mouvements politiques noirs, à savoir l’UDF (United Democratic Front) et la SANCO (South African National Civic Organisation).

-Bien qu’elle pose d’énormes problèmes de coordination, de duplication et de certification, l’extrême décentralisation du mouvement présente aussi un avantage de taille : elle favorise l’enracinement et l’ancrage local d’associations fort différentes des structures artificielles que suscite trop souvent l’arrivée massive d’ONG internationales en cas de crise. Aujourd’hui, la YMCA peut par exemple se vanter d’avoir en Terre Sainte la seule organisation humanitaire qui fonctionne authentiquement avec du personnel palestinien et qui existait déjà avant la création de l’Etat d’Israël en 1948. Historiquement, le mouvement a toujours encouragé les associations ouvertes outre-mer à se prendre en charge localement et à ne pas gêner le fonctionnement des missions chrétiennes déjà présentes sur place, dont l’assentiment était requis. Réunis lors de retraites sur le Mont Hermon en Californie, les volontaires envoyés à l’étranger, par exemple, étaient spécialement formés pour faciliter l’établissement de structures qui devaient être opérationnelles, dotées de leur propre conseil d’administration et autonomes sur le plan financier et juridique.
 
-L’indigénisation des sections outre-mer de la YMCA américaine a ainsi été très rapide en Asie. Le constat vaut pour son équivalent féminin. Comme au Japon, la YWCA de Chine a par exemple démarré avec des expatriées dont le nombre est passé de 8 en 1911 à 87 en 1923. D’abord dirigée par des Américaines, à savoir Estelle Paddock puis Grace Coppock de 1913 jusqu’à sa mort fin 1921, l’organisation a vite entrepris de siniser son personnel et comptait 51 secrétaires chinoises en 1924, contre une seule en 1906. Avec un budget de $34 000 en 1921, dont près de la moitié provenait des Etats-Unis, la YWCA a également développé ses actions sociales en ouvrant une clinique pédiatrique à Pékin en 1924 et en distribuant des rations de lait en poudre aux bébés malnutris. En 1926, elle a, pour la première fois, élu à sa tête une Chinoise, Ting Shu-ching (parfois orthographiée Ding Shuching) qui, à sa mort en 1937, a été remplacée par Cai Guei (parfois orthographiée Tsai Kuei) après un bref intérim de l’Américaine Maud Russell. En 1930, la YWCA était à 95% chinoise et à 51% non-chrétienne. L’indigénisation du mouvement a été encore plus marquée en Corée, où la YWCA a directement été établie par une autochtone, Helen Kim, et non par des expatriés, contrairement à la Chine et au Japon. Affiliée à Genève en 1924, cette organisation n’a d’ailleurs pas reçu beaucoup de soutiens de la part des réseaux missionnaires car elle était perçue comme un repaire d’activistes favorables à l’indépendance.
 
-Le mouvement des YMCA et YMCA a en revanche été moins heureux en Afrique et en Amérique latine, terre d’élection de l’Eglise catholique. Au Brésil, par exemple, Myron Clark a été envoyé créer de toutes pièces une YMCA dans un pays où n’existaient pas du tout d’associations protestantes de jeunes gens, à la différence de David McConaughy en Inde ou de John Trumbull Swift au Japon. Dans le même ordre d’idées, George Taylor est allé à Mexico fonder en janvier 1891 une association qui a été reprise quatre ans plus tard par un homme d’affaires américain, Edward Gaston, puis, à partir de septembre 1902, par un autre expatrié de New York, George Babcock. Pour sa part, Bertram Shuman a organisé à Buenos Aires en mai 1902 une YMCA qui, limitée aux seuls milieux expatriés anglo-saxons, a implosé à cause des tensions entre ses membres britanniques et allemands pendant la Première Guerre mondiale. Lancée par des expatriées britanniques en 1890 et reconnue par Londres en 1907, son homologue féminin de l’ACF (Asociacíon Cristiana Feminina) a été un peu plus heureuse et a réussi à s’implanter en Argentine sous l’égide d’Isabel Dove de Dardié, sa première secrétaire générale, puis de Leonor Stok de Llovet, qui a présidé l’organisation à partir de 1936. Mais la YMCA du Chili n’a pas non plus survécu à la Première Guerre mondiale. Fondée à Valparaíso en septembre 1912 par des expatriés britanniques et allemands, elle a sombré quand ces derniers ont décidé de la quitter début 1915. Le mouvement a ensuite essayé de reprendre pied sur le continent après la guerre. Au Pérou, un professeur de philosophie d’origine britannique, Jay Field, établissait alors à Lima en mai 1920 une YMCA qu’il allait diriger pendant vingt ans. Le mouvement a parfois attiré des catholiques déçus de l’omniprésence d’une Eglise proche des dictateurs au pouvoir et perçue comme éloignée des problèmes de pauvreté au quotidien. Il n’en a pas moins dû attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour continuer de s’étendre sur le continent, en l’occurrence au Vénézuela en 1946, en Equateur en 1947, en Colombie en 1963 et au Guatemala en 1964.