>
Young Men’s Christian Association
>
Commentaires

Young Men’s Christian Association - Commentaires




7) Les relations avec les forces politiques


-Le mouvement est généralement proche des autorités en place. Dès ses origines, la YMCA de Londres soutient ainsi le Premier ministre William Ewart Gladstone à travers un de ses fidèles piliers, Samuel Morley, qui est député libéral de Nottingham en 1865-1866 puis de Bristol de 1868 à 1885. La YMCA de Norwich est pour sa part fondée en 1856 par un député libéral, Jeremiah James Colman (1830-1898), qui a fait sa fortune dans le commerce de la moutarde et qui prend la présidence de l’association de 1860 jusqu’à sa mort en 1898, date à laquelle il cède sa place à un colonel, Geoffrey Fowell Buxton (1852-1929), qui deviendra maire de la ville en 1903. Le mouvement entretient aussi des liens étroits avec les milieux politiques aux Etats-Unis. A Cleveland, par exemple, le secrétaire général de la YMCA locale, Glen Shurtleff (1860-1909), est particulièrement proche du maire démocrate de l’agglomération, Tom Johnson. A partir de 1865, le président de la YMCA de New York, William Earle Dodge, est quant à lui député républicain de la ville en 1866-1867 : un de ses lointains successeurs en 1977, Quigg Newton, a par ailleurs été maire de Denver dans le Colorado en 1947-1955. Au niveau national, enfin, le responsable de la YMCA américaine, John Mott, jouit de la confiance du président Woodrow Wilson, qui, une fois élu en 1912, lui propose de devenir ambassadeur à Pékin pour mettre à profit ses connaissances de la Chine. A défaut d’accepter, John Mott incite la Maison Blanche à développer l’influence américaine dans la région en reconnaissant la République fondée par Sun Yat Sen. Après avoir été chargé de mener une médiation officielle avec le Mexique lors d’escarmouches frontalières en juin 1916, il participe ensuite en mai 1917 à une mission spéciale en Russie sous la conduite d’Elihu Root, prix Nobel de la paix en 1912, sénateur conservateur de New York depuis 1909 et un ancien secrétaire d’Etat (de 1905 à 1909) et ministre de la Guerre (de 1899 à 1904). Pour la Maison Blanche, qui a aussitôt reconnu le nouveau régime révolutionnaire après la chute du tsar, l’objectif est de sonder le prince Georges Lvov pour savoir si son gouvernement va continuer à faire la guerre contre l’Allemagne. Arrivé à Moscou par le Transsibérien depuis Vladivostok, John Mott pense de son côté profiter de l’occasion pour négocier un accès équilibré des YMCA auprès des prisonniers de guerre russes et allemands tout à la fois.
 
-Ailleurs en Europe, le mouvement est tout aussi proche des autorités. Certaines YMCA sont même présidées par des princes comme Bernadotte en Suède ou Paul en Yougoslavie, ce dernier ayant confié l’éducation de ses enfants à des secrétaires anglais de l’organisation. Pour sa part, l’Alliance mondiale des YWCA travaille avec la princesse Basma Bint Talal de Jordanie, dont elle fait son ambassadrice itinérante en 2003. En Corée du Sud, elle peut également compter sur le soutien de Lee Hee-ho, la femme méthodiste du président Kim Dae-jung, au pouvoir de 1998 à 2003. Secrétaire générale (1959-1962) puis présidente (Resident Commissioner, 1964-1982) de la YWCA locale, celle-ci fait beaucoup pour la création d’un ministère de l’égalité entre les sexes lorsque son mari est à la tête du pays. A l’occasion, les bonnes relations du mouvement avec les pouvoirs en place peuvent néanmoins être compromettantes. En témoignent les réunions au sommet de l’Alliance mondiale des YMCA qui se tiennent en présence de dictateurs comme Idi Amin Dada à Kampala en 1973 ou le général Jorge Rafael Videla à Buenos Aires en 1977.

-D’une manière générale, le mouvement n’a jamais vraiment cherché à interdire à ses membres de cumuler des mandats politiques et associatifs. En conséquence, ses conseils d’administration ont souvent compté des édiles locaux, à l’instar du maire de Banjul (1987-1994), James Gomez, à la tête de la YMCA de Gambie, ou, au début des années 1970, de Taufa Vakatale, Fiame Naomi Mata’afa et Gwendolyne Konie pour les YWCA, respectivement, de Fiji, Samoa et Zambie. Le mouvement a également servi de tremplin à des responsables politiques. Certains n’ont guère rencontré de succès, à l’instar du secrétaire de la YMCA d’Elmira dans l’Etat de New York, qui s’est présenté sur une liste réformiste en 1913 mais qui a dû démissionner après avoir été arrêté par la police au cours d’un raid contre des maisons closes ! Président de la YMCA de Chicago en 1932-1935, George McKibbin a par exemple échoué à remporter la mairie de la ville lorsqu’il a concouru aux élections municipales sous les couleurs du parti républicain en 1943. D’autres ont été plus heureux. Roland Fairbairn McWilliams (1874-1957), un avocat de Winnipeg qui avait présidé le Conseil national des YMCA canadiennes de 1922 à 1929, est ainsi devenu gouverneur du Manitoba de 1940 à 1953. Etudiant à la YMCA d’Oulu en 1952 puis responsable des programmes sportifs du mouvement à Karachi au Pakistan de 1960 à 1963, Martti Oiva Kalevi Ahtisaari allait quant à lui être président de Finlande de 1994 à 2000, récompensé en 2008 du prix Nobel de la paix pour ses actions de médiation dans les conflits armés. De son côté, la Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d’Étudiants (WSCF) a pu compter dans ses rangs de futurs présidents africains comme Eduardo Chivambo Mondlane au Mozambique, Julius Kambarage Nyerere en Tanzanie, Kwame Nkrumah au Ghana et Ellen Johnson Sirleaf au Liberia. Certains ont d’ailleurs choisi la voie de la lutte armée, tels Eduardo Chivambo Mondlane avec le Frelimo (Frente de Libertação de Moçambique) contre le colonisateur portugais ou Oliver Reginald Tambo avec l’ANC (African National Congress) contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud.

-La YWCA n’a pas été en reste. A Genève, la présidente de son Alliance mondiale, Ruth Nita Barrow (1916-1995), est ainsi devenue gouverneur général des Barbades en 1990. Historiquement, la YWCA s’est d’ailleurs plus vite politisée que la YMCA en se mobilisant en faveur du droit de vote pour les femmes. En Amérique du Nord, le mouvement des suffragettes a notamment compté dans ses rangs la présidente de la YWCA américaine à partir de 1914, Emma Bailey Speer, sa collègue de Chicago, Jane Addam, et la présidente de la YWCA canadienne en 1913 puis 1922, Nellie Langford, qui était mariée à un fameux avocat nationaliste du parti libéral, Newton Wesley Rowell. Du côté des YMCA, la politisation du mouvement est d’abord venue des milieux étudiants. Pacifiste dans les années 1930, la Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d’Étudiants (WSCF) est devenue tiers-mondiste au cours des années 1960. Adepte de la théologie de la libération de Paulo Freire, elle a alors privilégié une approche matérialiste et socialiste de la Bible. A l’époque, ses prises de position en faveur de mouvements de guérilla progressistes ont d’ailleurs amené l’Eglise luthérienne à désavouer la YMCA étudiante de Finlande en 1973.

-Historiquement, le mouvement a aussi pu être un terreau du nationalisme. Teinté de militarisme, son patriotisme a été particulièrement évident pendant les deux guerres mondiales en Amérique du Nord. Mais il a également éclos dans les pays où les YMCA étaient les seules à avoir des équipements sportifs de compétition. En effet, le sport a permis aux nations en développement et aux peuples colonisés de s’affirmer sur la scène mondiale. Après avoir organisé des jeux olympiques asiatiques à Manille en 1913, Shanghai en 1915 et Tokyo en 1917, le mouvement a ainsi préparé les équipes indienne et argentine qui ont participé aux jeux olympiques de 1924 et 1928 respectivement. Quant à un dominion comme le Canada, la YMCA se vante d’y avoir formé les premiers sportifs de compétition pour les Jeux Olympiques de 1908.

-A l’occasion, des expatriés ont eux-mêmes contribué à articuler un nationalisme en gestation dans les pays en développement. Les Américains, notamment, ont soutenu les revendications indépendantistes et anti-impérialistes de la Chine et de la Corée. Le personnel de la YWCA de Foochow, rapporte Nancy Boyd, avait par exemple pour habitude de bénir les femmes qui, en 1912, voulaient partir au combat soutenir les idéaux républicains de Sun Yat-Sen. Par la suite, l’organisation a émis des communiqués qui, signés par les expatriées, ont demandé en mai 1925 la révision des traités imposés à la Chine puis dénoncé en janvier 1927 les menaces d’intervention militaire occidentale pour mettre fin à des troubles révolutionnaires. Au début du XXème siècle, des missionnaires américains ont, quant à eux, entériné les projets impérialistes du Japon, convaincus que la nation la plus civilisée de la région devait servir de tête de pont à l’évangélisation de l’Asie. Leur discours moderniste, explique Jon Davidann, a rencontré l’adhésion des chrétiens japonais de la YMCA qui avaient affirmé leur penchant nationaliste pour justifier leur conversion auprès des traditionalistes. Après la Seconde Guerre mondiale, des associations locales prirent ensuite le relais des Américains en appuyant des revendications indépendantistes ailleurs en Asie. En 1982, la YWCA japonaise devait ainsi lancer une campagne en faveur de l’indépendance du Timor oriental. En Asie, de nombreuses associations locales se sont également prononcées en faveur de l’indépendance de la Nouvelle Calédonie et de Tahiti. Créée en 1954 et affiliée à son homologue français en 1955, la YMCA de Papeete a en l’occurrence été reconnue comme une association indépendante au sein de l’Alliance des YMCA d’Asie, ceci en dépit d’un budget qui a continué d’être subventionné à 100% par le gouvernement de la Polynésie française.

-Sur le plan politique, le mouvement est plutôt classé à droite du fait de son passé nationaliste, raciste et conservateur. Historiquement, explique Clyde Binfield, la YMCA anglaise du XIXème siècle a beau être dominée par des libéraux, elle prend ainsi position pour l’annexion de l’Irlande et l’interdiction dominicale de tout travail le jour du seigneur. De plus, elle s’oppose aux idées marxistes et promeut le maintien d’un ordre moral dont les valeurs chrétiennes sont certainement « les plus efficaces » pour contrer la menace de l’Internationale socialiste si l’on en croit les propos de George Crooks dans un article de 1882. De son côté, l’UCJG française promeut l’union et non la lutte des classes. Ses salles de gymnastique, ses cours du soir et ses universités populaires, argue Roger Merlin, doivent servir à attirer la jeunesse pour ne pas être « distancé par les syndicats ouvriers et, en général, par toutes les organisations qui se rangent plus ou moins sous l’étiquette socialiste ». La YMCA américaine est tout aussi conservatrice. Marquée par son époque, elle fait par exemple référence aux travaux du Docteur Alexis Carrel, qui sont cités par Owen Pence et qui recommandent d’euthanasier les déviants, les criminels et les malades mentaux. Des Etats-Unis à la Suède en passant par le Canada ou l’Allemagne avec une loi promulguée par les nazis en 1933, de nombreux pays de culture protestante ont en effet adopté des programmes de stérilisations contraintes qui ont parfois duré jusque dans les années 1970. Catholique expatrié aux États-Unis de 1904 à 1939, Alexis Carrel avait pour sa part développé un discours mystique et des théories eugénistes qui l’ont amené à rallier le régime du maréchal Philippe Pétain en 1941, après avoir adhéré à l’idéologie fasciste du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot.

-Sans aller jusque là, la YMCA américaine puise indéniablement ses racines puritaines dans des milieux très conservateurs. Soucieux d’éviter les polémiques, son comité international ne souhaite d’abord pas prendre de positions sur des sujets publics, à l’exception de deux appels en faveur de l’interdiction du travail le dimanche en 1891 et 1893. Opposés à un engagement social synonyme de politisation, les membres les plus conservateurs de la YMCA de New York, relate Galen Merriam Fisher, démissionnent pour leur part à la fin des années 1850, avant de revenir dans l’association au début de la guerre civile. Par crainte des controverses, explique Emmett Dedmon, la YMCA de Chicago interdit également à la fin des années 1880 les débats politiques auxquels participent un démocrate presbytérien, William Jennings Bryan, qui sera trois fois candidat à la présidence des Etats-Unis en 1896, 1900 et 1908. Le mouvement n’échappe cependant pas aux déchirements de la guerre de sécession. Dirigée de 1862 à 1904 par un avocat, Cephas Brainerd (1831-1910), qui a rejoint l’association en 1857 et demandé à l’Etat de verser des compensations financières aux Noirs victimes d’émeutes raciales en 1863, la YMCA de New York, en particulier, est très engagée contre l’esclavage. Ainsi, elle soutient ouvertement la candidature aux présidentielles des Républicains John Charles Frémont en 1856 et Abraham Lincoln en 1860 puis 1864, tous deux des abolitionnistes. Aux présidentielles de 1896, encore, le Conseil international des YMCA américaines, basé à New York, appelle à voter pour le Républicain William McKinley, qui est proche des milieux citadins, progressistes et industriels de la côte Est, contre le Démocrate William Jennings Bryan, qui défend les intérêts des agriculteurs conservateurs de l’Ouest.

 
-De fait, la YMCA américaine ne reste pas insensible aux grandes questions de société qui relèvent de la politique. Elle met par exemple en place des cours d’éducation civique au cours desquels les étudiants organisent des simulacres de parlements. Favorables à la prohibition de l’alcool, certains de ses membres mènent également campagne en faveur du parti « sec », par exemple à Kansas City en 1916. En 1915, le secrétaire général de la YMCA de l’Ontario, George Warburton, doit ainsi renoncer temporairement à ses fonctions associatives pour participer à une campagne politique contre l’alcoolisme. En règle générale, c’est le parti républicain qui a les faveurs du mouvement. Malgré sa proximité avec le président démocrate Woodrow Wilson pendant la première Guerre mondiale, John Mott, notamment, est un fidèle soutien des Républicains, dont il appuie ouvertement la politique de prohibition de l’alcool en 1932. Le mouvement, explique David Hammack, craint en revanche que le New Deal des Démocrates empiète sur le domaine des ONG en confiant des activités d’assistance sociale à l’Etat. Située dans un fief démocrate, la YMCA de Chicago qu’étudie Mayer Zald est assez typique à cet égard. Plutôt conservateurs, ses responsables se méfient des progressistes, des partisans du New Deal, des méfaits de l’Etat-Providence et des programmes sociaux des « libéraux ». Pour les présidentielles de 1960, seulement trois secrétaires sur cinquante annoncent avoir l’intention de voter pour John Kennedy, candidat démocrate et catholique. A l’époque, les deux seuls membres du conseil d’administration à s’être présentés à des élections l’ont fait sous la bannière du parti républicain. La YMCA de Chicago va cependant évoluer car ses programmes sociaux sont de plus en plus financés par Washington et la mairie démocrate de Chicago, qui est tenue par l’inamovible Richard Daley de 1955 à 1976. A la différence de ses homologues du Midwest, qui refusent toute aide des pouvoirs publics pour ne pas compromettre leur indépendance, elle devient alors la principale association récipiendaire de subventions fédérales au sein du mouvement aux Etats-Unis à partir de 1962.
 
-Dénigrée par les Soviétiques comme une agence bourgeoise, capitaliste et antirévolutionnaire, la YMCA américaine est par ailleurs anticommuniste. Dans des mémoires publiées par James Gidney, son secrétaire en Russie de 1917 à 1919, Edward Heald, ne cache ainsi pas son antipathie des bolchéviques et son admiration pour l’amiral Aleksandr Kolchak, qui dirige la résistance armée contre les Rouges. Recruté à la YMCA en 1916 et responsable de l’aide aux prisonniers de guerre russes en Pologne en 1919, Hobson Dewey Anderson est également un anticommuniste avéré, député démocrate à l’Assemblée de Californie en 1935-1937 et directeur en 1939 du département des affaires sociales du gouverneur Culbert Olson, dont il chassera les éléments « gauchistes ». La YMCA canadienne n’est pas en reste. Dans un rapport moral daté de décembre 1924 et cité par Murray Ross, son secrétaire général, Harry Ballantyne, invite par exemple à répondre aux défis du communisme. En 1940, l’organisation dénonce ensuite la dérive socialiste et se retire du Congrès de la jeunesse canadienne qu’elle avait contribué à fonder quatre ans plus tôt.
 
-En Europe après la révolution bolchévique, le mouvement assiste également les Russes blancs d’une éphémère YMCA en exil qui n’a pu conserver qu’un seul bâtiment, en l’occurrence à Harbin en Mandchourie. Accueillis à Istanbul en Turquie, Sofia en Bulgarie, Narva en Estonie ou Riga en Lettonie, ces réfugiés s’installent bientôt à Berlin puis Paris et constituent les piliers de la résistance au communisme. Certains sont aussi transférés aux Etats-Unis grâce à Ethan Colton, un ancien responsable de la YMCA américaine en Russie en 1918, et à la Fondation Tolstoï, une organisation qu’il aide à créer à New York en 1939 et qui facilite le voyage outre-Atlantique de 12 000 exilés jusque dans les années 1950. Mais c’est surtout depuis Paris, relate Paul Anderson, que le mouvement assiste les anticommunistes russes en éditant leur littérature orthodoxe et en facilitant leur insertion sur le marché du travail à travers un institut technique qui les forme à devenir des spécialistes pour l’industrie de la défense française à l’approche de la Seconde Guerre mondiale. De fait, la méfiance à l’encontre des Soviétiques persiste malgré le combat commun contre l’occupant nazi. Ancien de la YMCA américaine en Pologne en 1919, Hobson Dewey Anderson préfère par exemple quitter l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration) dès sa création en 1943 parce qu’il ne veut pas travailler avec des agents à la solde des services secrets du KGB (Komitet Gosudarstvennoy Bezopasnosti). La guerre froide relance alors l’opposition du mouvement aux communistes. Dans son rapport annuel de 1953, la YMCA de New York se donne ainsi pour mission d’éduquer les jeunes contre les idées marxistes.

-Du fait de ses engagements sociaux, la YMCA américaine n’en a pas moins pu être aussi perçue comme une organisation subversive et prosoviétique ! Dans une note des services de renseignement de l’armée américaine en date du 30 décembre 1918 et citée par Gerald Davis, ses volontaires sont ainsi accusés de germanophilie, de naïveté et de penchants socialistes. A l’époque, les membres les plus conservateurs du mouvement reprochent pour leur part à John Mott d’avoir recruté des libéraux comme Harry Ward, Jerome Davis, Julius Hecker et Sherwood Eddy, qui milite en faveur de la reconnaissance de l’Union soviétique par les Etats-Unis et qui doit quitter le conseil national de la YMCA américaine lorsqu’il adhère au parti socialiste. Mais c’est surtout du côté de la YWCA, observe Susan Lynn, que l’on trouve des sympathisantes de Norman Thomas, un pasteur pacifiste et le candidat du parti socialiste aux élections présidentielles de 1928 à 1948. Après avoir visité l’Union soviétique et été postée à Shanghai, Maud Russell devient par exemple communiste et reste vivre à Changsha après la prise de la ville par l’Armée rouge en avril 1927. Dans les maquis de X’ian, sa collègue Agnes Smedley essaie quant à elle d’apprendre à danser à Mao-Tsé-Toung et de donner un peu d’instruction à ses soldats. De retour aux Etats-Unis, elle sera ensuite accusée d’espionnage du temps de la guerre froide.
 
-La YWCA américaine est indéniablement plus marquée à gauche que son homologue masculin. En Chine, plus particulièrement, elle se laïcise très vite et renonce à évangéliser les ouvrières au grand dam du siège de l’organisation à New York, qui s’inquiète de sa dérive politique sans parvenir à l’en empêcher. Dès 1921, la YWCA chinoise cherche en effet à promouvoir l’alphabétisation des masses et obtenir une révision du code du travail. Dans les concessions européennes de Shanghai, par exemple, elle veut instaurer un jour férié le dimanche, imposer des horaires décents et interdire le travail aux enfants de moins de douze ans. Si le conseil municipal de la ville renonce en 1925 à toute réforme sociale parce qu’il ne parvient pas à obtenir suffisamment de voix pour légiférer, la YWCA chinoise persiste et engage d’autres types d’actions. En 1923, sa responsable locale, Cora Deng, incite les ouvrières des filatures de soie à se mettre en grève pour réclamer une augmentation de salaires et une journée de travail de dix heures. Après avoir établi en 1920 un département industriel sous la direction d’Agatha Harrisson puis de Lily Haass, la YWCA de Shanghai entreprend aussi en 1928 d’ouvrir des écoles en usine dans les zones industrielles de Xiaoshadu, Caojiadu, Yangshupu, Pudong et Zhabei. A partir de 1938, enfin, elle monte des coopératives en s’inspirant des expériences collectivistes d’un homosexuel néozélandais, Rewi Alley (1897-1987), qui blanchit de l’argent, transfère des fonds, transporte des armes, abrite des fugitifs, écrit des articles et opère une radio clandestine pour le compte du parti communiste chinois entre 1932 et 1937.
 
-Beaucoup d’expatriées et de Chinoises de la YWCA de Shanghai, révèlent Roger Boshier et Yan Huang, sont en fait des communistes et des lesbiennes qui prêchent tout à la fois la révolution sociale et la libération sexuelle, à l’instar de Maud Russell et Agnes Smedley. Certes, elles ne parviennent pas à pénétrer les classes ouvrière et paysanne du fait de contraintes religieuses qui leur interdisent par exemple d’accepter l’adhésion des prostituées tout en prétendant défendre leurs intérêts. A défaut d’être compétitives avec la production industrielle, leurs coopératives font d’ailleurs faillite, qu’il s’agisse d’une manufacture de parapluies à Kwiyand, d’ateliers de couture à Chengdu ou de chaussures à Chungking, d’une cotonnerie à Wusu ou d’une fabrique de lainage à Penghsien. Les sympathies communistes de la YWCA de Shanghai ne sont pas moins évidentes lorsque, dans un appel de 1934, la responsable de son département industriel, Deng Yuzhi, se prononce en faveur d’une économie socialiste, invitant les chrétiennes à se libérer du mal et de l’exploitation capitalistes. En pratique, l’association enseigne le marxisme à travers le théâtre de rue, les chorales, l’organisation de jeux et les cours de catéchisme. En outre, elle imprime et cache dans ses bibliothèques des tracts du parti communiste. Dans ses rangs, on trouve aussi des militantes comme Gong Pusheng, une diplomate qui finira sa carrière comme ambassadeur de Chine populaire en Irlande dans les années 1980. De même, les femmes de Zhou Enlai et Mao-Tsé-Toung, respectivement Deng Yingchao et Jiang Qing, sont, l’une secrétaire de la YWCA, l’autre enseignante pour le compte de l’organisation dans les usines de Shanghai entre 1932 et 1934. Le gouvernement nationaliste au pouvoir à l’époque n’est d’ailleurs pas dupe. A partir de 1927, il place l’association de Shanghai sous surveillance et emprisonne pendant plusieurs jours ses responsables chinoises les plus compromises avec le parti communiste. De son côté, la YWCA admet la nécessité de former un front commun contre l’agresseur japonais mais prend ses distances avec un gouvernement très corrompu. A la différence de la YMCA, elle dénonce l’idéologie fasciste et rétrograde d’un régime dont la philosophie dite de la « Nouvelle Vie » ne permet guère de promouvoir les droits des femmes. Après la Seconde Guerre mondiale, la YWCA de Shanghai ne cache de toute façon plus ses sympathies politiques : en 1946, ses locaux abritent plus ou moins ouvertement les réunions des cellules communistes locales.
 
-Aux Etats-Unis, la YWCA américaine n’est donc pas épargnée par la chasse aux sorcières de l’ère maccarthyste. Un pamphlétaire de droite, Joseph Kamp, l’accuse ainsi de suivre la ligne officielle de l’Internationale communiste depuis que son conseil national a décidé en 1936 de soutenir trois garçons noirs, les Scottsboro, soupçonnés injustement d’avoir violé des Blanches, cas qui fut également défendu par le journal socialiste Daily Worker. Fin 1947, trois responsables new-yorkais de la YWCA de Queens démissionnent par ailleurs en dénonçant la dérive gauchiste du mouvement. C’est pourtant plus tardivement, dans les années 1960, par opposition à la guerre du Vietnam, que le mouvement va connaître sa mue tiers-mondiste. En attendant, la fédération universitaire du mouvement, la WSCF (World Students Christian Federation), prend soin de retirer son fonds mondial de secours aux étudiants (World Student Relief) d’un syndicat d’obédience communiste, l’IUS (International Union of Students), qu’il avait intégré en 1947. Pour rester à l’écart des tensions de la guerre froide, elle préfère fusionner avec l’International Student Service pour former en 1950 un organisme laïc, le WUS (World University Service). De son côté, la YMCA américaine reste profondément anticommuniste malgré les voyages d’études et les échanges universitaires qu’elle organise à parité avec les jeunesses communistes des Komsomols de 1955 à 1975.