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Médecins Sans Frontières - Commentaires




4) Les financements


- Dans la base de données de l’Observatoire, les budgets des sections MSF du Canada et de Hongkong sont convertis en dollars des Etats-Unis ; ceux du Japon, de Grande-Bretagne, de Suisse et de Norvège, en euros.

- MSF-France a pour politique de refuser les subventions de l’État français et d’essayer de s’affranchir des financements d’ECHO (European Community Humanitarian Office). Les autres sections nationales semblent moins regardantes à ce sujet. Du fait de sa proximité avec les instances européennes à Bruxelles et d’un vivier de donateurs moins important qu’en France, MSF-Belgique, notamment, travaille souvent avec des fonds gouvernementaux et les subsides d’origine publique représentent environ les quatre-cinquième de son budget au cours des années 1980. Son président de 1986 à 1994, Réginal Moreels, devait d’ailleurs devenir sénateur en 1995 puis secrétaire d’Etat et finalement ministre de la coopération de Bruxelles en 1999. Son directeur des opérations, Georges Dallemagne, fut quant à lui élu sénateur en 1999 puis 2007 et député fédéral en 2008 puis 2011. Sur 231 millions de dollars de ressources pour l'ensemble du mouvement MSF en 1997 (contre 252 en 1996 et 306 en 1994), 46% provenaient de fonds publics. En 1999, encore, 26% des 304 millions d'euros récoltés par les différentes sections MSF provenaient de fonds publics. Ces chiffres étaient respectivement de 19% et 21% pour des budgets de 365,7 millions d'euros en 2002 et 373,8 en 2003. Il est question d’abaisser statutairement ce seuil à un maximum de 15%.

- Pour disposer de fonds propres, le mouvement fait donc appel à la générosité des particuliers. Après Greenpeace et Amnesty International, MSF a par exemple été une des premières ONG françaises à commencer à recruter des donateurs dans la rue, en l’occurrence à partir de 2003. Avec l’appui de la Fondation Rockfeller, un des principaux centres de collecte de fonds du mouvement se trouve aujourd’hui aux Etats-Unis, ce qui soulage MSF-France des efforts en la matière et lui permet de se concentrer sur ses terrains d’intervention, quitte à rendre l’association tributaire des desiderata du public américain. Au sein du mouvement, les autres sections opérationnelles semblent dépendre plus de leur marché national et Ian Smillie relevait par exemple que MSF-Hollande avait dépensé 37% de ses ressources privées à des fins de publicité et de marketing en 1990. Sur un marché où la compétition est très forte, MSF-Grande-Bretagne, elle, ne participe pas au Disasters Emergency Committee, un regroupement d'ONG qui lance des appels de fonds ad hoc en fonction des crises humanitaires. Elle y a sans doute intérêt car elle gagne plus à concurrencer seule un collectif qui redistribue l'argent collecté proportionnellement à l'importance budgétaire de ses organisations membres. En même temps, sa démarche contrecarre les efforts des " dissidents " qui ont fondé leur propre ONG (Merlin, membre du Disasters Emergency Committee) quand le mouvement MSF s'est opposé à ce que la section britannique devienne opérationnelle.

- Pour conforter ses fonds propres, MSF-France ne fait pas seulement appel à la générosité du public, mais aussi au mécénat d'entreprise. A partir de 1986, l'association obtient ainsi le soutien des PDG (Présidents Directeurs Généraux) de Péchiney, de Havas, des cognacs Martell, de Saint-Gobain, d'Alsthom et du groupe Ouest-France. Avec une SARL (Société à responsabilité limitée) appelée " 6-8 Assistance ", l'organisation labellise également des produits vendus dans les grandes surfaces : shampoings Mixa-Bébé de Roja Garnier (une filière de L'Oréal), céréales Kellog's, yaourts Gervais-Danone, stylos Waterman, etc. Ces efforts en direction du secteur privé correspondent en l'occurrence à un tarissement des ressources financières de MSF-France en 1987, suivi d'un premier déficit en 1988 qui oblige à restreindre les dépenses. A l’époque, ils suscitent d’ailleurs certaines critiques car ils reviennent à accorder des brevets de respectabilité à des firmes qui ne sont pas au-dessus de tout soupçon, telle la marque de chaussures Nike, accusée de sous-traiter sa production dans des filiales du tiers-monde ne respectant pas le droit du travail.

- Les autres sections nationales de MSF font également appel au mécénat d'entreprise. Une particularité de MSF-Hollande est de se financer aussi grâce à la loterie nationale (à hauteur d'un cinquième de son budget sur la période 2000-2005). Les subventions du Jersey Overseas Aid sont certainement les plus discutables car les îles anglo-normandes recyclent l'argent sale des dictatures du tiers-monde, tel le Nigeria du général Sani Abacha entre 1993 et 1998. Le risque serait de voir des activités de MSF financées grâce au détournement des fonds publics dans des pays en développement où l'Etat n'investit pas ou peu dans les infrastructures médicales.

- Au vu de son indépendance financière relativement aux subventions gouvernementales, MSF-France a la capacité d’ouvrir sur ses fonds propres des missions humanitaires dans des pays peu couverts par les médias mais dont les besoins sont criants, tels l’Angola ou la Tchétchénie par rapport à l’Afghanistan en 2002, sans parler de programmes originaux et encore peu développés chez d’autres ONG, par exemple dans les prisons de Côte d’Ivoire et de Madagascar.

- A notre connaissance, le mouvement MSF n'a jamais connu de scandale financier. En janvier 2006, la section française prenait les devants et licenciait un comptable responsable d'un vol de 30 000 euros. MSF a par ailleurs apporté la preuve de sa grande intégrité en arrêtant assez vite de collecter des fonds en faveur des victimes du tsunami asiatique de décembre 2004. Spécialisée dans les secours d'urgence, l'association a argué qu'elle ne saurait utiliser cet argent à bon escient à moins de dévoyer son mandat et de se lancer dans des opérations de reconstruction en dehors de ses capacités. De fait, en Indonésie à Lamno dans la province d'Aceh, elle s'est lancée en mars 2005 dans des programmes qui n'étaient pas son coeur de métier et qui consistaient par exemple à financer des bateaux avec du bois coupé illégalement dans la forêt voisine. De plus, les besoins de la région étaient déjà largement couverts. A un moment donné, explique Kirsten Schulze, Aceh s'est même retrouvée avec plus de médecins que tout le reste de l'Indonésie ; l'offre a été telle qu'elle a littéralement balayé les dispensaires locaux (puskesmas) et que les services de santé en sont venus à se disputer le patient et à soigner des maladies sans aucun rapport avec le tsunami. En France, la position de MSF n'en a pas moins suscité un tollé de la part des autres ONG françaises, même si MDM et HI s'y sont finalement ralliés en demandant discrètement à leurs donateurs de réaffecter leurs fonds vers d'autres crises moins médiatisées mais tout aussi graves.