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Action Contre la Faim
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Droit de réponse

Action Contre la Faim - Droit de réponse




L’Observatoire remercie ACF de sa coopération. La partie « historique » de ce profil a été discutée lors d'une entrevue le 10 avril 2003 avec Jean-Christophe Rufin, Président d’ACF. Dans une lettre adressée le 6 juin 2003, M. Jean-Christophe Rufin a apporté les précisions suivantes :

« Nous avons reçu Monsieur de Montclos en lui précisant que nous nous interrogeons sur la légitimité de l'évaluateur qu'il se prétend être. Les informations et commentaires figurant dans ce site nous paraissent provenir d'enquêtes hâtives et incomplètes (au moins en ce qui nous concerne). Par ailleurs, les commentaires et la présentation des faits font ressortir un parti pris idéologique peu compatible avec l'idée d'évaluation objective.

C'est ainsi que Monsieur de Montclos semble considérer a priori négativement la poursuite d'opérations humanitaires dans des contextes difficiles, voire criminels. Or les organisations humanitaires qui sont amenées à faire le choix douloureux de rester ou de partir le font en leur âme et conscience et sans qu'on puisse, hélas, désigner un choix idéal. Il est facile a posteriori de critiquer telle ou telle décision; il était plus difficile de la prendre.

Action contre la Faim est une des associations humanitaires qui a le plus précocement contribué à développer la recherche sur les questions politiques liées à l'humanitaire.

Assumant les fonctions de directeur médical pendant la terrible famine en Ethiopie, j'ai édité un ouvrage intitulé « Piège humanitaire » dans lequel il me semble facile de distinguer certains concepts qui ne sont pas étrangers aux travaux de Monsieur de Montclos (rédigés 15 ans plus tard). Ce n'est donc pas « l'expérience aidant » qu'Action contre la Faim a pris conscience des enjeux politiques de sa présence, mais dès le début et d'une façon permanente.

Un autre préjugé est contenu dans le texte qui nous est consacré. Dans l'esprit de ses rédacteurs, il semble impossible de concilier financements publics et indépendance. Cette vision nous paraît simpliste. Les fonds collectés auprès d'un grand public ne sont, hélas, pas un garant de l'indépendance et de l'impartialité. Chacun sait que les contraintes de communication ont tendance à faire dériver les ONG vers les conflits les plus médiatiques et les plus spectaculaires. Sans entrer dans le détail, il nous paraît tout à fait possible, notamment en diversifiant les bailleurs de fonds, de conserver une grande latitude d'action tout en recueillant des financements publics.

Action contre la Faim est de ce point de vue dans une situation favorable car elle dispose d'un financement très diversifie, équilibré et souple qui n'entrave pas sa liberté d'action. Il serait par exemple intéressant, pour compléter le tableau qui a été brossé, de relever nos actions « d 'advocacy », notamment en ce qui concerne le conflit tchétchène. Nous avons contribué, par de nombreux témoignages et auditions à maintenir l'intérêt sur ce conflit dont on ne peut pourtant pas dire qu'il draine en matière humanitaire beaucoup de financements internationaux...

Enfin, s'agissant de la guerre en Irak, Action contre la Faim aura été présente au premier plan avant, pendant et après le déclenchement des hostilités pour analyser les enjeux humanitaires de ce conflit et mettant en garde contre les risques qu'il comportait.

Nous sommes tout à fait prêts à reconnaître le caractère humain, donc faillible de nos positions et de nos actions. Monsieur de Montclos qui, grâce à nous, a pu se rendre en Somalie, donne un exemple (le seul) de ces difficultés.

Qu'il nous soit seulement permis de souhaiter que les commentaires figurant dans ce site aident les ONG à améliorer leur action et ne contribuent pas au découragement et à la démobilisation dont seules pourraient souffrir les victimes. »

La réponse de l’auteur de la fiche a été la suivante:

« Mon propos étant d’étudier le fonctionnement des ASI dans des situations de conflits armés, j’ai toujours souhaité avoir les points de vue de tous, même si les analyses des uns et des autres se contredisent parfois au sein d’une même ONG. Autrement dit, je reste évidemment prêt à étudier de plus près la position d’ACF dans le conflit tchétchène dont vous faites mention. N’ayant pas d’informations précises à ce sujet, je n’ai pu analyser plus avant ce point précis.

La remarque m’amène d’ailleurs à revenir sur ma prétendue partialité. Vous me reprochez de ne parler que des difficultés d’ACF en Somalie, où mon témoignage se rapproche d’ailleurs de celui d’un journaliste américain, David Rieff, cité dans mon texte à propos de la mission ACF dans le sud du Soudan. Je n’ai évidemment pas la prétention d’avoir une vue d’ensemble de l’action d’ACF : je dispose d’informations éparses et non exhaustives qui m’ont conduit à pointer des difficultés dans les cas que je connaissais, et évidemment pas dans les cas que je ne connaissais pas ! C’est précisément aussi pour combler ces lacunes que je vous ai soumis mon texte.

Au-delà des analyses de terrain, vous qualifiez plus généralement de « parti pris idéologique » ma problématique de sciences politiques. Je crois pourtant que nous n’avons pas de désaccords fondamentaux sur les risques de l’aide humanitaire. Mon livre écrit en 2000 s’est évidemment inspiré du vôtre, ce que je suis tout à fait prêt reconnaître, sachant que je cite régulièrement vos travaux. Je considère même que le débat sur les effets pervers de l’aide est très largement antérieur à nos propres réflexions, comme en témoigne par exemple la controverse opposant Florence Nightingale et Henry Dunant au moment de la fondation de la Croix-Rouge en 1863. L’originalité de mon livre était peut-être d’aller plus loin en proposant de comparer plus finement les stratégies d’action des opérateurs humanitaires.

Je reviens également sur le « préjugé » que vous croyez déceler à propos de mon analyse de la structure financière d’ACF. Je ne dis pas qu’il est impossible de concilier financements publics et indépendance d’action. Je souligne simplement les risques de dépendance de la même manière que je constate l’étroitesse de la marge de manœuvre d’autres ONG dont les financements proviendraient du secteur privé mais seraient peu diversifiés.

Permettez-moi enfin de dire que je ne me pose pas en évaluateur. Ma démarche tente d’abord de développer la capitalisation d’expérience en s’interrogeant rétrospectivement sur des décisions déjà prises. Je voudrais éclaircir certains malentendus de ce point de vue. Ma recherche porte sur les stratégies d’action des ONG et leur comparaison. A terme, je souhaiterai donc animer un débat avec tous les acteurs concernés à propos des modalités d’une telle comparaison. La notation éthique des ONG, vous le savez, est déjà développée dans des pays comme la Suisse ou les Etats-Unis. De la part du public, il existe, de plus, une réelle demande de transparence qui, je crois, correspond à une crise de confiance à l’égard des opérateurs humanitaires. Des scandales, il en éclatera certainement d’autres et il serait dommage qu’ils démobilisent les bonnes volontés en ternissant des idées que, vous comme moi, nous tenons à défendre. Or on connaît la difficulté à poser un regard critique et constructif sur des sujets aussi passionnants et passionnés que la solidarité humaine. Critiquer en généralisant, c’est prendre le risque d’éclabousser inutilement la réputation de personnes intègres. Ne pas critiquer, c’est ne pas dénoncer des dérives que d’aucuns réprouveraient par ailleurs. Le chemin entre ces deux précipices est étroit. D’où l’idée d’élaborer un curseur humanitaire avec des citoyens concernés par les difficultés de l’aide. Ou alors de faire valider les organisations de secours par l’Etat, voire les bailleurs européens, sous la forme d’une sorte de décret d’utilité publique pour les ASI.

Les options sont toutes ouvertes et il est fort possible qu’aucune n’aboutisse. Je souhaiterais en tout cas aborder la question avec les ONG et non contre les ONG. Qui et comment note-t-on serait évidemment un point essentiel à traiter. »

Rédacteur de la fiche et date de Mise à jour : M.-A.P.d.M., 9-12-2011