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Fédération internationale des ligues des droits de l’homme
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Historique

Fédération internationale des ligues des droits de l’homme - Historique




Années 1920


-22 mai 1922, France : dans le contexte de la reconstruction de l’Europe après la Première Guerre mondiale, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et du citoyen est créée à Paris avec, pour première secrétaire générale, Aline Ménard-Dorian, qui tient un “ salon républicain ” dans le Quartier latin.  En vue d’œuvrer à la réconciliation, la FIDH se décrit comme une “ Internationale de la paix par le droit ” et adopte le slogan allemand : “ guerre à la guerre ” (nie wieder krieg). Elle fait suite à une première ébauche de Fédération qui, en septembre 1915, avait réuni des ligueurs français, belges et italiens pour organiser la propagande en faveur des Alliés et contre l’ennemi allemand. En mai 1922, l’initiative s’inscrit davantage dans une démarche pacifiste et vient surtout de la Ligue de défense des droits de l’homme et du citoyen (LDH) en France et de la Bund Neues Vaterland (“ Association pour une Nouvelle Patrie ”) en Allemagne. La LDH a été fondée en France en juin 1898 par un ancien ministre de la Justice, Ludovic Trarieux, à l’occasion de l’affaire Alfred Dreyfus, officier juif injustement accusé d’espionnage militaire au profit de l’Allemagne. Dirigée à l’époque par des universitaires plutôt que des politiciens, son objectif initial n’était pas de réformer le droit, mais seulement de défendre les libertés menacées et de veiller au respect des procédures juridiques. En 1903, cependant, la LDH s’est dotée d’un nouveau président, Francis de Hault de Préssensé, qui a remplacé Ludovic Trarieux, malade. Issu de la grande bourgeoisie protestante, favorable aux idées de Jean Jaurès, Francis de Préssensé avait adhéré au parti socialiste en 1902 et était le fils du premier député à avoir déposé, dès 1871, un projet de loi d’amnistie des communards. Sous son impulsion, la Ligue s’est battue pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, prônant la liberté de l’enseignement avec des écoles privées placées sous le contrôle des pouvoirs publics. Egalement proche du parti radical, la LDH a soutenu le Bloc des gauches et le gouvernement de Pierre Waldeck-Rousseau, dénonçant la dérive sécuritaire du ministre de l’Intérieur Georges Clemenceau et les atteintes à la liberté d’expression de grévistes socialistes et d’anarchistes aussi bien que des “ camelots du roi ”. En 1911, la Ligue demandait une limitation des armements et s’opposait à l’allongement du service militaire à trois ans. Sous la conduite de Ferdinand Buisson à partir de 1914, elle a cependant rallié les discours patriotiques en faveur d’une union sacrée pendant la guerre contre l’Allemagne. Le 7 janvier 1917, relève Annette Becker, elle a par exemple organisé au Trocadéro à Paris une grosse manifestation pour dénoncer les atrocités commises contre la population civile dans les territoires occupés par Berlin en Belgique et dans le nord de la France. Après 1918, elle allait ensuite militer en faveur de la réhabilitation des mutins de la Mer Noire, en 1922, et des soldats condamnés à tort par des tribunaux militaires pendant la Première Guerre mondiale. Avant de prendre le nom de Ligue allemande pour les droits de l’homme (Deutsche Liga für Menschenrechte) en janvier 1922, la Bund Neues Vaterland, pour sa part, a été lancée en 1914 par des militants antimilitaristes et des personnalités comme Albert Einstein. En 1915, elle a été décimée par l’état-major allemand, qui a emprisonné ses dirigeants accusés de “ défaitisme ”. Suite à l’assassinat de quatre de ses ligueurs (trois socialistes et un officier républicain) en 1919, elle s’est réorganisée avec le journaliste Karl von Ossietzky en 1921 et a participé au Cartel de la Paix qui, après la défaite, a réuni 19 organisations et 30 000 membres, sans parler des 500 000 cotisants de la Ligue des mutilés de guerre. Dans cette perspective, les LDH française et allemande veulent favoriser le désarmement et soutiennent l’idée de renforcer la Société des Nations en la dotant d’une gendarmerie internationale capable de s’interposer dans les conflits. Elles encouragent également la constitution d’Etats Unis d’Europe afin de diminuer les tensions économiques et de prévenir les risques de guerre. En France en particulier, la LDH (dont le Comité central a appelé de ses vœux la création d’une Société des Nations dès 1915) dénonce les conditions injustes imposées à l’Allemagne dans le traité de Versailles. L’organisation s’oppose tout à la fois à l’occupation militaire de la Ruhr, qui excite les passions nationalistes en Allemagne, et au séparatisme rhénan, qui ouvrirait la voie à un démembrement de l’Europe.

-1923, France : lors de son deuxième Congrès, à Paris, la FIDH élimine de l’article trois de ses statuts la référence directe aux Déclarations françaises des Droits de l’Homme de 1789 et 1793. La Fédération, dont le siège est abrité par la LDH à Paris, ne s’inspire pas moins du modèle français et rejette par exemple une motion demandant une référence explicite à la déclaration américaine des Droits de l’Homme aux Etats-Unis. Des sept congrès tenus par la FIDH entre 1922 et 1937, tous se déroulent en terre francophone : cinq à Paris (en 1922, 1923, 1927, 1932 et 1937), un à Bruxelles (en 1926) et un à Luxembourg (en 1936). En outre, la représentation des organisations membres au sein du Conseil de la Fédération, dont l’administration est entièrement financée par la LDH française au moins jusqu’en 1927, se fait à la proportionnelle. Un tel fonctionnement favorise la LDH française, qui compte le plus d’adhérents, et suscite des récriminations de la part des autres ligues nationales. La FIDH, notamment, ne parvient pas à s’étendre dans le monde anglo-saxon malgré les contacts pris avec Gilbert Murray, futur fondateur d’Oxfam, et le National Council for Civil Liberty National Council for Civil Liberty en Grande-Bretagne. Aux Etats-Unis, où elle veut faire campagne contre l’exécution de deux militants anarchistes, Nicolas Sacco et Bartolomeo Vanzetti, en 1927, elle tente en vain de consolider ses liens avec l’Union américaine pour la défense des libertés civiques. A dire vrai, les autres implantations régionales de la Fédération ne sont pas non plus très solides. Des onze ligues constitutives de la FIDH en 1922, deux, l’arménienne et la russe, vivent en exil à Paris, tandis que leurs homologues chinois, géorgien et bulgare n’existent sans doute que sur le papier. Fondée en 1899 et légalisée en 1901, la LBDH (Ligue belge des droits de l’homme) se reforme difficilement en 1923, suite à la mort de son président Georges Lorand et à la dispersion de ses membres pendant la guerre. Lancée en avril 1913 sous l’égide du chef de la franc-maçonnerie espagnole, le Docteur Luis Simarro Lacabra, la Liga Española de los Derechos del Hombre y del Ciudadano, qui s’est reconstituée à Madrid dans le courant de l’année 1922, doit quant à elle s’installer en France fin 1923, d’abord provisoirement, puis définitivement après avoir essayé de fonctionner dans son pays de 1931 à 1938, en pleine guerre civile. Fondée en 1920, la LDH portugaise, elle, a dû interrompre ses activités après le coup d’Etat de la “ Nuit sanglante ” le 19 octobre 1921 et elle ne réussit pas à ancrer le mouvement en Amérique latine, où une éphémère Ligue brésilienne sera dissoute en 1937. En Europe de l’Est, nombre de LDH sont animées par des députés et connaissent également une durée de vie très réduite à mesure que les régimes parlementaires de l’après-guerre prennent fin, comme en Albanie ou en Hongrie, où un ancien dirigeant de la Ligue des droits de l’homme, Mihály Károly (1875-1955), a brièvement présidé la République à Budapest du 11 février au 21 mars 1919 avant de partir en exil et de voir ses biens confisqués en 1927. En Tchécoslovaquie, la LDH, lancée en 1925, disparaîtra avec l’invasion allemande en 1938. En Roumanie, la LDH, créée en 1923, deviendra inactive à partir de 1929, après que son secrétaire général, Costa Foru, a été victime d’un attentat antisémite en 1926. D’une manière générale, l’antisémitisme continue de marquer la région. En Pologne, par exemple, la LDH, qui sera dissoute en 1937, dénonce la misère du prolétariat mais nie l’existence d’un numerus clausus qui limite l’accès des Juifs à l’Université. Pareille attitude contraste avec l’engagement historique de la LDH française en faveur d’Alfred Dreyfus ou des communautés ashkénazes de l’Empire austro-hongrois, tandis que la FIDH refuse l’adhésion d’une Ligue palestinienne qui n’est pas représentative car exclusivement composée de Juifs sionistes en exil à Paris.

-A partir de 1924, France : la LDH essaie en vain d’interdire le cumul des mandats de ministre et de ligueur afin de préserver son indépendance politique. Lors de ses Congrès à La Rochelle en novembre 1925 et à Paris en juillet 1927, elle édicte de nouvelles règles qui sont censées prévenir les conflits d’intérêts de ses adhérents. Elle blâme notamment le président du parti radical, Edouard Herriot (sénateur du Rhône depuis 1912, ministre des Travaux publics en 1915 puis de l’Instruction publique en 1926, brièvement chef du gouvernement en 1924 puis 1932), et exclut de son comité central Paul Painlevé (député de Paris depuis 1910, ministre de l'Instruction publique en 1915 et de la Guerre en 1917 puis 1925-1929, président du conseil en septembre-novembre 1917 et avril-novembre 1925). Mais elle reste dominée par les radicaux jusqu’en 1924, puis par les socialistes, qui accèdent à la présidence de l’organisation avec Victor Basch en 1926 et au secrétariat général avec Emile Kahn en 1932. La Ligue s’est d’ailleurs dotée en 1918 d’un groupe interparlementaire qui, pérennisé en 1922, devient un véritable lobby politique, comptant 240 députés et sénateurs en 1933. Concrètement, l’affranchissement des logiques partisanes provient plus des positions de la LDH, qui a dénoncé les procès d’intellectuels à Moscou et l’annexion manu militari de l’Arménie et de la Géorgie par l’URSS. Lors du IVè Congrès de la IIIè Internationale ouvrière en 1922, Léon Trotski a ainsi demandé aux membres des partis communistes de quitter les ligues des droits de l’homme. Marcel Cachin, par exemple, a dû démissionner de la LDH, où il était le seul communiste représenté au comité central, en l’occurrence de 1918 à 1921. A l’inverse, le ministre Ernest Lafon a été contraint de quitter le parti communiste en 1923 pour rester à la Ligue. Bientôt, tant les communistes que les socialistes disposent de toutes façons de leurs propres organes pour défendre, non pas les libertés individuelles, mais leurs propres partisans, à qui ils fournissent une assistance judiciaire lors des procès politiques. L’Union internationale des juristes socialistes est créée à Berlin par l’Internationale ouvrière en août 1928 ; de 1929 à 1940, l’Association juridique internationale, elle, émane du mouvement communiste et du Secours Rouge.
 
-A partir de 1925, Algérie : socialiste, franc-maçon et membre du comité central de la LDH française jusqu’en 1935, Maurice Viollette (1870-1960) devient gouverneur général de l’Algérie en mai 1925 ; à partir de juin 1936, ministre du gouvernement Léon Blum, qui est lui-même un ligueur, il sera l’artisan d’un projet de loi avorté visant à accorder des droits civiques et politiques à une minorité d’Arabes. D’une manière générale, la FIDH, via la LDH française, cautionne à l’époque la colonisation dans ce qu’elle “ a de meilleur ” et préconise une politique d’assimilation. A titre individuel, relève William Irvine, certains ne cachent d’ailleurs pas leurs inclinations racistes. Au congrès de 1930, des ligueurs protestent contre les concessions déjà accordées aux Arabes en Algérie ou les projets éducatifs qui risqueraient de priver les métropolitains d’emplois dans la fonction publique au Vietnam. Les sections coloniales sont évidemment les plus hostiles à l’émancipation des « races inférieures ». En 1931, encore, les ligueurs repoussent à une très large majorité une motion de Félicien Challaye qui vise à soutenir les luttes pour l’indépendance et à condamner la colonisation, irréformable parce qu’elle repose fondamentalement sur une spoliation. En revanche, la LDH réclame l’abolition du code de l’indigénat et s’élève contre les abus de pouvoirs. Elle dénonce ainsi les expropriations à Madagascar, les sévices au Congo ou les monopoles en Indochine, de la même manière qu’elle avait protesté contre la répression de la révolte des Boxers en Chine en 1900, l’élimination des Boers d’Afrique du Sud en 1901 et une expédition militaire de la France au Maroc en 1912. Dans les territoires sous mandat de la Société des Nations, la Fédération est quant à elle favorable à l’émancipation des populations locales, comme en Syrie du côté français. Côté britannique, la FIDH soutient la création d’une éphémère LDH égyptienne en exil à Paris après l’abrogation en 1930 au Caire de la Constitution de 1923. Côté américain, la Fédération proteste contre l’occupation militaire de Haïti, où la Constitution a été abrogée en 1918 et où une LDH prétend exister.

-26-27 juin 1926, Belgique : le troisième Congrès de la FIDH, qui se déroule à Bruxelles, consacre la renaissance de la LBDH (Ligue belge des droits de l’homme), qui s’est reconstituée en octobre 1923. Mobilisée en faveur de la protection des émigrés politiques, la Fédération réclame la création d’un organisme spécial sous l’égide de la Société des Nations, ancêtre du HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés). Nombre de LDH se préoccupent en effet du sort des populations déplacées par le conflit ou privées de citoyenneté suite aux recompositions géopolitiques de l’Europe après 1918. Avant de disparaître en 1937, la Ligue grecque, par exemple, proteste contre l’occupation du Dodécanèse par l’Italie en vertu du traité de Lausanne de 1923. Lancée en mai 1926 par des antifascistes favorables au rattachement de leur pays à l’Allemagne, la LDH autrichienne, elle, lutte en faveur des apatrides heimatlosen qui ont perdu leur citoyenneté après le démantèlement de l’Empire austro-hongrois mais qui n’ont pas pu bénéficier de la protection de la Société des Nations accordée aux réfugiés russes ou arméniens.

-1927, Ukraine : en France, l’avocat Henry Torrès, du comité central de la LDH, défend et obtient l’acquittement d’un réfugié ukrainien, Samuel Schwartzbard, qui, le 25 mai 1926, avait assassiné Simon Petlioura, le chef des cosaques responsables du massacre de plusieurs milliers de Juifs. Membre de la LDH, journaliste à L’Humanité et fondateur de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, Bernard Lecache se rend pour sa part en Ukraine afin d’enquêter sur les pogroms anti-juifs et fournir des témoignages au procès de Samuel Schwartzbard.

-1928, France : la FIDH étend son mandat à la protection des droits économiques et sociaux, et plus seulement civiques. Concernant les migrants, elle continue cependant de donner la priorité à la défense du droit d’asile des réfugiés politiques, et non des travailleurs immigrés en général, ce qui n’est pas sans poser des problèmes pour les ligues en exil en France. A La Rochelle en novembre 1925, la LDH française avait par exemple pris la résolution d’accepter les étrangers dans ses sections. Mais elle est revenue sur sa décision dès la tenue de son Congrès suivant, à Metz en novembre 1926, sous prétexte de ne pas gêner le travail des ligues exilées en France. En pratique, la position de la LDH française est assez protectionniste. Si la Ligue se dit favorable à l’égalité de salaire et de protection sociale entre les citoyens français et les travailleurs étrangers, elle prône également une politique d’immigration choisie, quitte à mettre en place des contrôles policiers et sanitaires aux frontières pour interdire l’accès du territoire aux personnes porteuses de maladies contagieuses ou de casiers judiciaires. Dans le même ordre d’idées, relate René Galissot, elle refuse toute reconnaissance communautaire et préconise l’assimilation complète des étrangers dans le moule républicain en écartant les analphabètes pour sélectionner les candidats les plus aptes à s’intégrer dans la société d’accueil. A Metz en novembre 1926, la Ligue vote ainsi une résolution qui accepte les immigrés « dans la mesure où leur présence ne risque pas de bouleverser l’équilibre économique du pays », c’est-à-dire de priver les Français de travail. Or sa position provoque parfois des frictions avec les autres organisations membres de la FIDH, au premier rang desquelles la LIDU (Lega Italiana Dei Diritti dell’Uomo), qui a rejoint la Fédération en 1923, à défaut de participer à son congrès fondateur en 1922. Les ligues en exil aimeraient en effet que leur homologue française se préoccupe davantage des tracas administratifs auxquels se heurtent quotidiennement leurs ressortissants dans la patrie des droits de l’homme. Constituée d’exilés qui ont fui le fascisme à partir de 1922, la LIDU, explique Eric Vial, est particulièrement concernée car, toutes proportions gardées, elle est très bien implantée dans la communauté italienne de France, avec 3 000 adhérents à son apogée en 1931. En faisant jouer les contacts de la LDH française auprès du gouvernement, elle obtient parfois des résultats en évitant l’expulsion des Italiens de Nice en 1927. Elle trouve également abri auprès de la Ligue à Paris quand elle doit quitter ses bureaux après la dissolution de la Concentration antifasciste en 1934. Il n’en reste pas moins que ses membres s’émeuvent du peu d’empressement de la LDH française à contrer la préférence nationale que défendent les syndicats et la gauche républicaine, ceci sans parler de désaccords personnels qui conduisent à la démission en 1933 d’Alceste De Ambris, un fondateur de la LIDU de tendance anarcho-syndicaliste.
 
-1929, France : malgré la crise économique, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement mené par un diplomate opposé au militarisme, Aristide Briand, laisse espérer que la Société des Nations parviendra à mettre en place des mécanismes qui excluent le recours à la force pour résoudre les différends entre les Etats. Un tel système de médiation internationale et de sécurité collective est âprement défendu par le courant pacifiste de la LDH, qui s’est constitué autour de la Société d’études documentaires et critiques sur la guerre, un centre de réflexion créé en 1915 par des socialistes dissidents et bientôt accusés de défaitisme.