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Fédération internationale des ligues des droits de l’homme
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Historique

Fédération internationale des ligues des droits de l’homme - Historique




Années 1930


-A partir de 1930, France : l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de droite, mené par André Tardieu, ne permet par à la LDH de se repositionner pour prendre ses distances avec les élus des partis de gauche. Au sommet de sa puissance, avec un nombre record d’adhérents, la Ligue continue au contraire d’être littéralement engluée dans la politique politicienne locale, laissant la plupart des affaires internationales à une FIDH qui reste une simple excroissance de l’organisation française. Ainsi, explique William Irvine, les adhérents des sections locales écrivent régulièrement au comité central pour obtenir des faveurs, un emploi dans la fonction publique ou un poste dans un ministère. La Ligue constitue en fait un tremplin politique pour se faire élire. Son prestige et sa capacité d’entregent sont tels qu’à l’occasion, des députés qui ne sont pas ligueurs cherchent même à adhérer au groupe interparlementaire de la LDH, qui rassemble près de la moitié des représentants de la Chambre en 1933. Le problème est que l’enchâssement de la Ligue dans les réseaux de pouvoir de la Troisième République conduit à des conflits de loyauté car les ministres et les élus sont d’abord responsables devant leurs électeurs et ne se gênent pas pour enfreindre les valeurs morales de l’association. Or la LDH ne se résout pas à expulser les membres des gouvernements qui ne suivent pas sa ligne idéologique. Elle répudie certes Gaston Doumergue, un ligueur protestant et un radical socialiste qui vire à droite une fois devenu président de la République en 1924. Mais elle refuse de couper les ponts avec ses élus les plus compromis, tant et si bien qu’elle est parfois critiquée par des gouvernements de droite qui sont parvenus au pouvoir grâce au vote des ligueurs du parti radical à la Chambre. Bien qu’il soit le premier président de la LDH à n’être ni député ni sénateur, Victor Basch contrecarre par exemple une procédure d’expulsion et menace de démissionner en 1934 quand les adhérents réunis en congrès veulent condamner Edouard Herriot, coupable d’avoir renvoyé des grévistes de la municipalité de Lyon dans la ville où il était maire ; la direction arguera ensuite d’un vice de forme pour annuler de nouveau une motion en ce sens en 1936. Secrétaire général de la LDH depuis 1912, Henri Guernut doit quant à lui démissionner du comité central en 1932 parce qu’il s’oppose au droit de vote des femmes, et non parce qu’il vient d’être réélu député radical socialiste de l’Aisne. A chaque congrès, les ligueurs cherchent en fait à éviter d’interdire formellement le cumul des fonctions associatives et gouvernementales, position qui, de guerre lasse, finit d’ailleurs par provoquer la démission de membres fondateurs de la LDH comme Charles Richet et Jacques Raynal en 1934. Pire encore, l’organisation n’applique même pas les dispositions qu’elle avait adoptées en 1927 en vue d’empêcher à ses adhérents nommés ministres de rester dans son comité central. En 1936, le gouvernement Léon Blum ne compte quasiment que des ligueurs, dont cinq continuent d’exercer leurs fonctions au comité central de la LDH.
 
-A partir de 1931, France : le budget de la LDH dépasse le cap du million de francs, contre 900 000 en 1927, 600 000 en 1924 et 400 000 en 1924. Plus de la moitié sert à payer la cinquantaine d’employés des bureaux de la Ligue, qui emménage au 27 rue Jean Dolent à Paris en 1932. Une telle augmentation des ressources financières et humaines de l’organisation suscite des tensions car les sections locales doivent reverser au comité central les trois cinquièmes du montant de leurs cotisations, sans pour autant avoir un poids corrélatif dans la direction de la LDH. Au Congrès d’Amiens en juillet 1933, elles doivent par exemple se mobiliser pour rejeter un projet qui, face au nombre toujours croissant de délégués, vise à les court-circuiter en limitant leur représentation au niveau des fédérations régionales. La démocratie interne de l’organisation n’est ainsi pas parfaite. Les sections locales, expliquent Jean et Monica Charlot, ne sont pas maîtres de l’ordre du jour des congrès annuels. « C’est au comité central qu’il revient de l’établir en retenant les propositions présentées par le plus grand nombre de sections. Mais comme la plupart de celles-ci s’abstiennent souvent de donner leur avis…, le comité central réussit toujours à fixer à son gré l’ordre du jour. Fait plus important encore, le choix des membres du comité appartient pratiquement au groupe des dirigeants et non pas à la masse des ligueurs… Les candidats peuvent être présentés par le comité central, ou bien par les fédérations des sections, ou encore par les sections elles-mêmes. Mais, du seul fait qu’il peut présenter des candidats, le comité central exerce sur le scrutin une influence considérable : les hésitants, tous ceux qui ne connaissent pas les candidats ont tendance à opérer parmi ceux-ci une discrimination qui lui est favorable ». Résultat, le comité central est élu par cooptation et se renouvelle très peu, au rythme des morts ou des départs en retraite. Après un premier déficit de 180 000 francs en 1935, la Ligue va en fait perdre des effectifs et rencontrer de grosses difficultés financières avec la crise économique et l’échec du Front Populaire à partir de 1937, alors que le budget s’élève à 1 100 000 francs.

-1932, France : suite aux pressions de la LDH, qui avait fait voter en ce sens une première loi le 9 août 1924, une cour militaire spéciale créée en 1926 est officiellement reconnue par le Parlement le 19 mars 1932 afin de réviser les procès expéditifs de soldats exécutés pour l’exemple et accusés de désertion, d’automutilation ou d’espionnage pendant la Première Guerre mondiale. La Ligue obtient que les personnes innocentées soient entièrement réhabilitées. Son succès reflète bien l’influence grandissante de l’organisation sur les législateurs. Selon Ferdinand Ferlé et William Irvine, la LDH compte à l’époque 16 présidents de commissions parlementaires à la Chambre des députés, dont 12 où les ligueurs sont majoritaires. Elle recense, 12 adhérents sur 18 ministres dans le gouvernement Edouard Herriot de juin 1932, 9 sur 17 dans le gouvernement Joseph Paul-Boncour de décembre 1932, 10 sur 18 dans le gouvernement Paul Daladier de janvier 1933, 11 sur 18 dans le gouvernement Albert Sarraut d’octobre 1933, 5 sur 20 dans le gouvernement Pierre-Étienne Flandin de novembre 1934 et 8 sur 20 dans le gouvernement Pierre Laval de juin 1935. Au total, elle a le soutien de 163 radicaux-socialistes et 116 socialistes à la Chambre et au Sénat. Mais les liens étroits qu’elle entretient avec les partis de gauche au pouvoir nuisent aussi à sa crédibilité car ils mettent en évidence des conflits d’intérêts et de loyautés. Oubliant que son fondateur et premier président Ludovic Trarieux avait été à l’origine des « lois scélérates » qui visaient à mater les mutineries des troupes coloniales au début des années 1890, la Ligue a ainsi dû se résoudre en 1930 à expulser un de ses membres au gouvernement, Paul Painlevé, parce que celui-ci avait refusé d’abolir les tribunaux d’exception militaires et interdit aux communistes d’accéder à des grades d’officiers, épargnant les royalistes au prétexte qu’ils ne prônaient pas l’insoumission.
 
-27 février 1933, Allemagne : la nuit de l’incendie du Reichstag, les nazis arrêtent les dirigeants de la Deutsche Liga für Menschenrechte, notamment son président Karl von Ossietzky, qui mourra dans un camp de concentration en mai 1938 après avoir reçu le Prix Nobel de la paix en 1935. Avec plus de 16 000 membres en 1924, la LDH allemande s’était clairement engagée du côté des forces de gauche. Après la guerre, elle a dénoncé les irrégularités des procès politiques, le réarmement secret de l’armée et l’apparition de groupes paramilitaires, les corps francs. Au moment d’un référendum sur la nationalisation des propriétés et des fortunes princières en 1926, elle a également contribué à la formation d’un Front populaire. Et en septembre 1930, elle a publié un appel contre l’antisémitisme. Officiellement interdits d’activités en mars 1933, les ligueurs partiront en exil, certains aux Etats-Unis ou en Turquie. En France, ils seront accueillis avec d’autres émigrés politiques allemands par la LDH à Paris, en collaboration avec le Secours rouge international et le Secours populaire. La Liga für Menschenrechte se reconstituera en Allemagne de l’Ouest après 1945.
 
-1934, France : un escroc lié à de nombreuses personnalités politiques, Alexandre Stavisky, est retrouvé mort par la police en janvier 1934. Sachant que son décès arrange les pouvoirs en place, l’Affaire qui porte son nom contribue à déclencher des émeutes antiparlementaires d’extrême-droite le 6 février suivant à Paris. Elle symbolise en effet la corruption de la Troisième République et… de la LDH, dont certains membres sont impliqués. Presque tous les élus dont les noms apparaissent à mesure qu’est dévoilé le scandale sont ainsi des ligueurs, dont seulement deux seront finalement condamnés en justice. Parmi ceux-ci, explique William Irvine, on relève par exemple le cas de députés radicaux comme Louis Proust ou André Hesse, qui parviennent à obtenir le soutien de leur section locale pour éviter leur expulsion par le comité central de la LDH. De son côté, Albert Dubarry est arrêté pour fraude car il a blanchi des fonds d’Alexandre Stavisky dans le journal qu’il dirigeait, La Volonté, et où le président de la LDH, Victor Basch, tenait une rubrique régulière depuis 1926. Une bonne partie de son lectorat était en l’occurrence constitué de ligueurs et la Ligue continuait de lui payer des encarts publicitaires visiblement destinés à séduire un public déjà convaincu. L’Affaire Stavisky n’est d’ailleurs pas le seul scandale où la LDH est compromise. Une dizaine d’années auparavant, un autre ligueur, le sénateur d’Indre-et-Loire René Besnard, avait déjà été impliqué dans des malversations financières que l’organisation avait essayé de couvrir à son congrès de 1932 afin de ne pas prêter le flanc aux critiques des milieux de droite.
 
-1935-1938, France : après avoir organisé des manifestations communes avec la CGT (Confédération générale du Travail) et la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) en mars 1933 et février 1934, la LDH supervise à son siège parisien en 1935 la signature du pacte des partis de gauche, des syndicats et des associations antifascistes qui fondent le Front populaire et parviennent au pouvoir l’année suivante. Président de la LDH depuis 1926, Victor Basch dirige le comité exécutif du Front populaire. Il a ainsi quelque facilité à obtenir le droit de réaliser une émission radiophonique bimensuelle, “ La Voix de la Ligue ”, au poste d’Etat de la Tour Eiffel, y compris à une heure de grande écoute à partir de 1938 (après la guerre, l’organisation tiendra également un bulletin hebdomadaire, de 1945 à 1958).

-14-16 mars 1936, Luxembourg : le sixième Congrès de la FIDH est organisé à Luxembourg par la LDH locale. Opposée à l’union économique avec la Belgique, celle-ci réclame en vain un rattachement du duché à la France depuis le référendum du 28 septembre 1919, qui était favorable à 73% à une telle solution et qui n’a jamais été suivi d’effet. La LDH française et la FIDH se gardent bien de répondre dans un sens ou dans l’autre. Au Congrès, la Fédération exprime surtout le souhait d’étendre la notion de droits de l’homme. Hostile à la guerre, elle défend notamment “ le droit à la vie ”, y compris pour le fœtus pendant la grossesse, ce qui, concrètement, revient à interdire l’avortement sur le modèle de la Déclaration des droits des enfants proposée le 27 mai 1927 par le Docteur Justin Sicard de Plauzolles de la LDH française.

-1937, Espagne : alors que la guerre civile entre les républicains et les franquistes prend de l’ampleur, la FIDH s’engage de plus en plus contre le camp nationaliste, tandis que Victor Basch préside une "Commission de solidarité pour l’aide au peuple espagnol" avec le parti socialiste et les communistes du Secours Rouge. Dès 1903, la LDH française avait en l’occurrence demandé la révision des procès des militants de la Mano Negra, un groupe libertaire d’Andalousie. En 1909, elle avait ensuite protesté contre l’exécution de Francisco Ferrer, un pédagogue accusé d’avoir instigué une révolte à Barcelone. En 1927, encore, elle avait défendu Buenaventura Domingo Durruti (1896-1936), un syndicaliste anarchiste dont l’Argentine réclamait l’extradition et qui, revenu d’exil au moment de l’instauration de la République espagnole en 1931, devait tomber au front cinq ans plus tard. Constituée en France en 1924 par des exilés qui avaient dû fuir leur pays après la prise du pouvoir des fascistes de Benito Mussolini à Rome en 1922, la LDH italienne, qui compte plus de 2 000 membres en 1928, est aussi extrêmement active en Espagne. Sous la présidence de Luigi Campolonghi, elle participe aux brigades internationales et envoie d’abord combattre une légion commandée par un membre de son comité central, Mario Angeloni, qui est vite tué au combat. Puis elle monte une Brigade Garibaldi avec Randolfo Pacciardi, le président de la section de Mulhouse de la LDH italienne. A l’invitation du gouvernement républicain à Madrid, elle occupe le consulat de Barcelone et la légation de Valence, ce qui lui permet de délivrer des passeports aux Italiens d’Espagne.

-1938, France : la LDH se scinde entre les partisans et les adversaires du traité de Munich, par lequel la France pactise avec Adolf Hitler. Pour privilégier une alliance large contre le nazisme et le fascisme, la Ligue ne dénonce pas non plus la répression stalinienne en URSS. Dans un rapport approuvé par son assemblée générale en 1937 et publié dans les Cahiers des droits de l’homme du 15 novembre 1936, elle va jusqu’à considérer que les faux procès de Moscou sont « l’expression de la justice » car « les aveux des accusés ont été entendus par la presse du monde entier ». Dans le même ordre d’idées, relate William Irvine, elle nomme une commission d’enquête qui, dirigée par l’avocat Marc Rosenmark, conclut que les suspects exécutés par les staliniens ne sont sûrement pas innocents. Malgré les nombreux éléments montrant que les preuves à charge ont été fabriquées de toutes pièces, la LDH parle officiellement de « terroristes » et refuse qu’une militante, Magdeline Paz, publie une critique des procès de Moscou dans sa revue —l’article paraîtra finalement dans La Flèche, le bulletin d’un dissident de la Ligue, Gaston Bergery. Le parti pris est d’autant plus flagrant que, trois ans auparavant, le responsable éditorial des Cahiers des Droits de l’Homme, Emile Kahn, avait autorisé un autre ligueur, André Berthet, à publier un essai prenant la défense d’Adolf Hitler ! De fait, depuis l’expérience du Front populaire, la Ligue s’est beaucoup politisée et seule la presse de gauche publie encore ses communiqués, à savoir LŒuvre, Ce Soir, Le Populaire (organe de la SFIO), L’Humanité (organe du parti communiste) et Le Peuple (organe de la CGT). Toujours proche de la Ligue de l’enseignement, avec qui elle partage souvent les mêmes membres, l’organisation s’est en effet rapprochée des communistes qui, suivant les directives de Moscou, prônent désormais l’alliance avec les frères ennemis socialistes pour lutter contre la montée en puissance de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie mussolinienne, quitte à coopérer avec les ligueurs et à imaginer une fusion avec le Secours populaire de France et des colonies (héritier du Secours Rouge). Une telle évolution a évidemment suscité des tensions internes qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler la crise de l’association au congrès de Rennes de 1909, lorsque la LDH avait perdu 30 000 de ses 91 000 membres parce que ses dirigeants avaient soutenu la grève générale des postiers. En 1937, Jacques Kayser, membre du parti radical, a ainsi démissionné pour protester contre l’emprise grandissante des socialistes.
 
-1939, France : la LDH est mal placée pour affronter la guerre qui se profile contre l’Allemagne nazie. Déconsidérée par sa proximité avec le Front Populaire et des positions pacifistes fort anciennes, elle manque désormais de crédibilité et a perdu 40% de ses adhérents depuis 1933. Passée d’un maximum de 180 000 membres en 1932 à 136 000 en 1936, dont seulement 119 000 à jour de leurs cotisations, elle avait en fait amorcé son déclin dès avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Léon Blum. Elle a en effet fini par incarner toutes les turpitudes du régime parlementaire de la Troisième République. Le paradoxe, souligne William Irvine, est qu’à force de se rapprocher du pouvoir, elle s’est divisée, s’est compromise et n’a pas gagné en influence, devenant moins attractive pour les militants des droits de l’homme. Réuni à Mulhouse peu avant l’entrée en guerre en 1939, son dernier congrès avant sa dissolution en 1940 est ainsi révélateur de profondes divisions. Bien que l’organisation se soit construite autour de la défense antisémite d’Alfred Dreyfus, on y entend des protestations contre l’influence des juifs, qui sont accusés par le courant pacifiste et « munichois » de la Ligue de vouloir partir en guerre contre les nazis pour venger les persécutions de leurs coreligionnaires en Allemagne. Tous deux juifs, le président de la LDH, Victor Basch, et son secrétaire général, Emile Kahn, sont quant à eux suspectés d’avoir manipulé les congrès pour sauvegarder l’unité de la gauche et désamorcer les motions de censure contre la répression stalinienne. Malgré une posture un peu plus critique à l’égard d’une nouvelle vague de faux procès à Moscou en 1938, une telle attitude a provoqué la démission de ligueurs comme Gaston Bergery, Léon Emery, Félicien Challaye, Georges Michon, Magdeline Paz, Georges Pioch et Elie Reynier. Partisans d’un accord avec Adolf Hitler, les « Munichois » et les pacifistes sont également partis, ou bien se sont discrètement retirés, à l’instar du député René Château ou de l’avocat Francis Delaisi.