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Fédération internationale des ligues des droits de l’homme
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Historique

Fédération internationale des ligues des droits de l’homme - Historique




Années 1940


-1940, France : à l’heure de la défaite, la FIDH, la LDH et les sections italienne, allemande et espagnole en exil à Paris sont fermées, victimes de leurs positions contre le nazisme. Leurs bureaux de la rue Jean Dolent sont occupés et les archives, saisies par l’armée allemande, sont emmenées à Berlin, où elles seront récupérées par les Soviétiques en 1945 avant d’être restituées par Moscou… en 2000. Alors que le Nord de la France est désormais occupé par les nazis, le régime de Vichy qui s’installe au Sud avec le maréchal Philippe Pétain et le soutien des milieux catholiques les plus conservateurs n’est guère plus tendre à l’égard d’une organisation connue pour son anticléricalisme, ses liens étroits avec la franc maçonnerie et l’influence qu’y exercent les milieux protestants. Elie Reynier, Salomon Grumbach et Paul Langevin sont ainsi emprisonnés ; les responsables des fédérations de la Sarthe, de l’Hérault, de la Charente-Maritime et des Pyrénées orientales, fusillés par les Allemands ou tués en déportation. Ligueur et député socialiste qui a refusé de voter les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain en juillet 1940, Marx Dormoy est pour sa part assassiné par des « cagoulards » d’extrême droite le 16 juillet 1941. La LDH est également persécutée parce qu’elle est réputée compter jusqu’à un quart de juifs dans ses rangs. Pour toutes ces raisons, de nombreux Ligueurs sont déportés et finiront leurs jours dans des camps de concentration, à l’instar de Henri Lefeuvre, maire du Mans, ou de Théophile Morin, président de la section de Pouilly-sur-Loire. A Dachau disparaissent en l’occurrence Édouard Boisdegrain, un communiste de l’Aube, Jérôme Faget, un militant des Basses-Pyrénées, Charles Grandjeat, président de la Fédération de Haute-Savoie, et Odette Renée Bloch, une des rares femmes membres du comité central de la Ligue. Henri Bascoulergue, résistant de la Creuse, meurt quant à lui à Buchenwald ; Léon Gontier, président de la Fédération de la Somme, à Neuengamme ; Georges Gérineau, un ligueur de Charente-Inférieure, au Struthof.
 
-A partir de 1941, France : des Ligueurs comme Albert Bayet, Frédéric Joliot-Curie, André Philip, Paul Rivet, Marc Rucart et Etienne Vacquier entrent dans la Résistance, tandis que d’autres s’en vont rejoindre les forces de la France libre, à l’instar de George Boris, Pierre Cot, Georges Gombault, Jacques Kayser ou Marius Moutet. Mais certains décident aussi de collaborer avec le régime de Vichy. Selon William Irvine, le rapport est de 30 à 17 entre les résistants et les collaborateurs. A priori, le ralliement au maréchal Philippe Pétain semble contradictoire car l’idéologie nationaliste de son gouvernement est l’antithèse des idéaux démocratiques et anticléricaux de la LDH. Après avoir accepté d’entrer au Conseil national de Vichy en 1940, le ligueur Eugène Frot, un député socialiste indépendant, franc-maçon et pacifiste, va ainsi très vite prendre ses distances avec le régime en prônant un retour au parlementarisme dès 1941. Mais les militants de la LDH qui acceptent les termes de l’occupation le font par rejet absolu de la guerre, par anticapitalisme ou par dégoût des dérives de la Troisième République. Convaincu que la compétition des puissances de l’argent est à l’origine de la Première Guerre mondiale, l’avocat Francis Delaisi soutient par exemple la construction d’une Europe économique, et donc un rapprochement avec l’Allemagne. Enseignant à l’école des cadres de la Légion française des combattants à partir de 1943, Léon Emery considère quant à lui que seule l’armée allemande peut faire rempart contre le risque d’une dictature communiste, qu’il dénonce régulièrement dans ses pamphlets. De son côté, Gaston Bergery estime qu’à défaut de copier le modèle nazi, il convient de collaborer avec l’occupant pour mettre en place les conditions propices à une véritable révolution ; dans une déclaration signée avec son collègue René Château en juillet 1940, il avait notamment prôné le développement d’un cadre socialiste national pour remplacer le régime parlementaire déchu, quitte à accepter l’idée d’un parti unique de masse comme le Rassemblement national populaire de Marcel Déat.  Symbole honni de la collaboration et de la mise en œuvre d’une politique de déportation des Juifs, le chef du gouvernement Pierre Laval, qui arrive au pouvoir en avril 1942, est lui-même un ancien ligueur, tout comme Marcel Déat, d’ailleurs. Il continue d’avoir des soutiens chez certains membres de la LDH, organisation qui, dans les Cahiers des droits de l’homme, l’avait autrefois félicité de son entrée en politique au moment de sa nomination comme ministre des Travaux Publics en avril 1925. Ancien responsable du groupe interparlementaire de la Ligue, Camille Planche veut par exemple contrer les forces de la réaction catholique qui ont obtenu le limogeage de Pierre Laval en décembre 1940. Par anticléricalisme, il soutient donc le retour de celui-ci aux affaires en s’obstinant à croire que l’Etat français finira par revenir à un régime de république parlementaire.
 
-1942, Etats-Unis : Roger Nash Baldwin lance la Ligue internationale pour les droits de l’homme et la nouvelle démocratie (International League for the Rights of Man and for New Democracy), qui deviendra la Ligue internationale pour les droits humains, l’ILHR (International League for Human Rights), en mars 1976. Fondateur d’un Comité international pour les prisonniers politiques, l’ICPP (International Committee for Political Prisonners), puis du Bureau national des libertés civiques en 1917, qui a pris le nom d’ACLU (American Civil Liberties Union) deux ans plus tard, Roger Nash Baldwin s’est surtout occupé de défendre des opposants de gauche et avait participé en tant qu’observateur au comité central de la LDH à Paris en 1927, précédent dont il s’inspire pour établir l’ILHR. Avec l’occupation de la France par les troupes allemandes en 1940, il a par ailleurs accueilli des membres de la FIDH et des personnalités en exil aux Etats-Unis. Parmi les initiateurs de la Ligue internationale pour les droits de l’homme, on trouve notamment Henri Bonnet, un ambassadeur de France aux Etats-Unis, Max Beer, un journaliste juif allemand, Charles Malik, un ancien ministre des Affaires étrangères du Liban et futur président de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, et Henri Laugier, le directeur de la culture du gouvernement de Charles de Gaulle à Londres et l’organisateur de l’exfiltration de scientifiques français menacés d’être retenus par les nazis.
 
-1943-1946, France : en exil à Alger, un comité central provisoire de la LDH se reconstitue avec des gaullistes (René Cassin et Henri Laugier), des radicaux-socialistes (Pierre Cot) et des socialistes (Félix Gouin). A la Libération de la France, les communistes lui proposent de nouveau de fusionner avec leur Secours populaire mais l’organisation refuse comme en 1936. En 1945, un prêt sans intérêts de la Confédération générale du Travail lui permet cependant de reprendre ses activités et d’inspirer les rédacteurs de la Constitution de la IVème République naissante. Elle participe ainsi à la création d’un Cartel national laïc qui, conjointement avec la Ligue de l’Enseignement, la CGT, la SFIO, le parti communiste et les radicaux-socialistes, demande la suppression des subventions publiques aux écoles privées, notamment les établissements religieux. Tandis que l’assassin de Victor Basch, Joseph Lécussan, est condamné à mort et exécuté en 1946, Paul Langevin, élu président de la LDH en 1944, est remplacé par le Docteur Justin Sicard de Plauzolles, qui restera en poste jusqu’en 1953. Dirigeant de la Société française de prophylaxie “ sanitaire et morale ”, ce dernier fait partie de ces médecins “ hygiénistes ” qui proclament que “ l’infériorité physique et intellectuelle ” des pauvres se transmet par hérédité ! Proche des idées de la Fondation Alexis Carrel, qui prône la stérilisation thérapeutique des classes dangereuses pour protéger les élites, Justin Sicard de Plauzolles se dit favorable à une forme d’eugénisme social qui vise à préserver les “ nations civilisées ” des risques de contagion du prolétariat. De telles positions sont significatives de l’anachronisme d’une organisation qui, avec 7 000 adhérents en 1950, compte encore un bon nombre de francs-maçons et de notables de la IIIè République.
 
-1944, France : alors que les forces alliées commencent à marquer des points contre l’armée allemande, le régime de Vichy se durcit et multiplie les exactions. Le 10 janvier 1944, sa milice assassine notamment Victor Basch et sa femme parce qu’il est juif et franc-maçon d’origine hongroise. Le 20 juin 1944, elle liquide également Jean Zay, un député radical socialiste et franc-maçon sorti exprès de prison pour être froidement exécuté. Des 40 membres du comité central de la LDH en 1939, seuls 24 survivront à la guerre.
 
-1945, France : à la Libération, la LDH n’est plus que l’ombre d’elle-même et la FIDH n’existe plus que sur le papier. Pour reprendre ses activités, la Ligue commence par renvoyer de son comité central onze de ses membres accusés de collaborations, certains pour avoir voté les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain en juillet 1940, à l’instar des députés Maurice Thiolas et Robert Jardillier, d’autres pour s’être franchement engagés en faveur des Allemands, comme Marcel Bidegarry, Georges Dumoulin, Georges Pioch, Félicien Challaye, Gaston Bergery et Léon Emery, notamment en écrivant pour la presse vichyste, antisémite et pronazie : l’Œuvre, l’Effort, les Nouveaux Temps, Germinal ou L’Atelier. Victime de la montée en puissance du parti communiste et du discrédit frappant les élites laïques et dreyfusardes d’avant guerre, la LDH peine alors à rajeunir sa base militante. Expression de la petite et moyenne bourgeoisie, elle continue d’avoir des soutiens dans les milieux enseignants et fonctionnaires, mais toujours pas prolétaires malgré la volonté affichée de maintenir les droits de cotisation à un niveau très bas afin d’essayer d’attirer la classe ouvrière. Si les communistes n’interdisent plus à leurs membres d’adhérer à la Ligue, à l’instar de Madeleine Rebérioux, les socialistes et les radicaux sont moins pressés de rejoindre un club politique qui leur semble redondant. Vivier d’un bon nombre de ligueurs d’autrefois, le parti radical s’est de toute façon écroulé et beaucoup de ses militants s’étaient déjà écartés de la LDH avant-guerre, l’accusant d’être récupérée par les communistes et les socialistes. A terme, un tel essoufflement se traduit, entre autres, par un désengagement des élus et des professionnels de la politique, dont la proportion au comité central de la Ligue tombe de 47% en 1947 à 28% en 1974. Parallèlement, l’organisation connaît une forte baisse de ses effectifs et de ses ressources financières, avec des déficits persistants de 600 000 francs en 1947, 2 500 000 en 1950, 2 000 000 en 1951 et 1 350 000 en 1953. Au bord de la banqueroute, la LDH doit vendre à la Sécurité sociale ses bureaux de la rue Jean Dolent en 1949. Pendant cette période, la Ligue se caractérise par la concentration du pouvoir aux mains de son comité central, l’absence de débats internes, des résolutions votées à la quasi-unanimité, l’incapacité à reconstituer un groupe interparlementaire et l’abandon des programmes de sensibilisation de l’opinion par des conférences en province.
 
-1947, Madagascar : la LDH française dénonce la répression coloniale d’une insurrection qui fait des dizaines de milliers de morts. En octobre 1948, elle participe ensuite avec le parti communiste et le Secours populaire à la création d’un « comité national de défense et d’action pour la justice et la vérité dans l’affaire de Madagascar ». Celui-ci vise notamment à obtenir la révision du procès des députés Joseph Ravoähangy et Joseph Raseta, qui seront finalement libérés en 1956 après avoir été injustement condamnés.
 
-31 octobre 1948, France : la FIDH est reconstituée avec des sections portugaise, grecque et roumaine qui fonctionnent depuis Paris dans la clandestinité, mais sans les ligues d’autres pays d’Europe de l’Est, fermées pendant la guerre et jamais rouvertes à cause de la chape de plomb du totalitarisme soviétique. Par l’intermédiaire de René Cassin, la Fédération participe à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui est adoptée par les Nations Unies le 10 décembre 1948. Conseiller juridique de la France libre avec le général Charles de Gaulle en exil à Londres après 1940, vice-président du Conseil d’Etat entre 1944 et 1960, René Cassin (1887-1976) présidera également la Cour européenne des droits de l’homme de 1965 à 1968, date à laquelle il recevra le prix Nobel de la paix.

-1949, Etats-Unis : Roger Nash Baldwin, qui vient de quitter l’ACLU, prend la direction de la Ligue internationale pour les droits de l’homme sans pour autant se rapprocher de la FIDH en train de renaître difficilement de ses cendres. Les deux organisations vont se développer séparément. L’incapacité de la FIDH à rallier l’ILHR témoigne de la nouvelle puissance américaine et, côté français, de la perte d’influence d’un pays ruiné par la guerre. De fait, l’organisation de Roger Nash Baldwin a davantage de moyens et peut plus précocement se projeter à l’international pour accompagner les mouvements de décolonisation. A propos de l’Afrique du Sud, elle se mobilise ainsi contre l’occupation de la Namibie, ancienne colonie allemande, à défaut de condamner la ségrégation raciale du régime de l’apartheid. Dès 1949, un pasteur anglican de Johannesburg, le révérend Michael Scott, est en l’occurrence chargé par l’ILHR de plaider la cause namibienne à la tribune des Nations Unies malgré les réticences des autorités américaines, qui le soupçonnent de sympathies communistes (à force de pressions, le mandat de la Société des Nations accordée à l’Afrique du Sud pour gérer l’ancienne colonie allemande sera officiellement abrogé en 1966 et l’indépendance formellement proclamée en 1981 et effective en 1991). Dans le même ordre d’idées, la Ligue internationale pour les droits de l’homme se dira favorable à l’autodétermination du Timor oriental, du Sahara occidental, de Tahiti et des îles du Pacifique sous mandat des Etats-Unis. Hostile à la peine de mort, l’organisation aura aussi un entendement plus individualiste des droits de la personne que la FIDH. Elle n’envisagera donc pas l’autodétermination comme un droit collectif et prêtera le flanc aux critiques qui l’accuseront d’avoir cédé aux groupes de pressions des Juifs américains en refusant de soutenir le combat de mouvements comme l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) dans les territoires occupés par Israël. La FIDH et l’ILHR conservent néanmoins des similitudes. L’une et l’autre entretiennent un réseau de correspondants et d’organisations affilées. En 1977, leurs présidents respectifs, Jerome Shestack et Daniel Mayer, entameront d’ailleurs des discussions inabouties en vue de former une confédération avec les mêmes membres dans chaque pays. En outre, les deux organisations font référence à la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948. Elles étenderont donc leur mandat à la protection des droits sociaux, culturels ou économiques, et pas seulement politiques. Au Timor oriental, par exemple, l’ILHR dénoncera la famine en adoptant une position légaliste pour condamner l’invasion de cette ancienne colonie portugaise par l’Indonésie en 1975.