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Médecins Sans Frontières
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Historique

Médecins Sans Frontières - Historique




Années 1970


- 1971-1975, France : MSF réunit le GIMCU (Groupe d’intervention médico-chirurgical d’urgence) de Bernard Kouchner, créé en 1970 à la suite de l’expérience biafraise, et le SMF (Secours médical français), également fondé en 1970, en l’occurrence par Philippe Bernier et Raymond Borel du journal Tonus, organe de presse du groupe pharmaceutique Winthrop. Ancien responsable du service d'ordre de l'Union des étudiants communistes, Bernard Kouchner avait, en son temps, hébergé des clandestins algériens du Front de Libération Nationale ; en 1968, il était ensuite parti porter secours aux Biafrais et avait rompu la « loi du silence » du CICR ( Comité International de la Croix-Rouge) en dénonçant le blocus des troupes gouvernementales nigérianes. Ancien maquisard des Francs-Tireurs et Partisans dans le Lot en 1944, Philippe Bernier, lui, est un journaliste progressiste qui avait fait six mois de prison à Fresnes à cause de ses liens avec les Algériens du Front de Libération Nationale, puis qui avait été impliqué malgré lui et acquitté dans l'affaire de l'enlèvement et de l'assassinat du chef de l'opposition marocaine en exil, Mehdi Ben Barka, à Paris en 1965. Membre actif du comité central du parti gaulliste UDR (Union des démocrates pour la République), le premier président de MSF, Marcel Delcourt, démissionne en août 1973 pour se présenter aux élections législatives dans l'Eure et devenir conseiller du ministre des Affaires étrangères Michel Jobert. Il est remplacé par Max Récamier puis, en 1974-75, par Jacques Bérès, un homme de la " bande des Biafrais " qui l'emporte sur le " clan Tonus " et qui, avec Bernard Kouchner, veut promouvoir la médiatisation des actions de MSF. Ancien militant du groupe " Socialisme et Barbarie ", Jacques Bérès a déjà travaillé en zone de guerre : parti effectuer sa coopération militaire en 1967 à Saigon, il avait brièvement soigné des combattants du Viet-Cong lors de l'offensive du Têt, avant d'être expulsé par les autorités du Vietnam du Sud en mai 1968.

- 1972-1978, Nicaragua : en décembre 1972, MSF-France obtient du ministre de la Défense, Michel Debré, le droit d’utiliser un Transall pour monter sa première mission " autonome " et venir au secours des victimes d’un tremblement de terre en collaboration avec les médecins militaires de l’EMIR (Element médical d’intervention rapide). Les volontaires arrivent trop tard, quatre jours après le séisme, et constatent que, sur place, l’épouse du président Anastasio Somoza revend les médicaments au marché noir. Aux dernières heures de la dictature, en 1978, MSF-France est de nouveau présent, cette fois aux côtés du FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale).

- 1973, France : avec un budget qui dépasse à peine la vingtaine de milliers de francs en 1973, MSF souffre de sa faible capacité opérationnelle et s'interroge sur l'orientation de ses actions vers le développement ou l'urgence. Faute de mieux, l'association fournit surtout des médecins au CICR et à des ONG comme Medicus Mundi ou Terre des Hommes, pour qui elle commence à gérer un centre médico-chirurgical et une banque du sang au Bangladesh en janvier 1972. Les premières missions de MSF ne sont guère professionnelles. Lors de l'Ouragan Fifi au Honduras en 1974, Xavier Emmanuelli rapporte par exemple que les volontaires expatriés sur le terrain n'ont pas de médicaments adéquats et entravent les secours en détournant les sinistrés des centres équipés pour les soigner.

-A partir de 1974, Irak : en septembre 1974, Bernard Kouchner monte une opération d’assistance financée et transportée par la résistance kurde des peshmargas du général Mustapha Barzani ; Philippe Bernier refuse d’encaisser les chèques de ce mouvement de lutte armée. Soucieuse de préserver son indépendance financière à l’égard des belligérants, l’association préfère s’investir dans la région avec ses propres fonds. Les financements affluent de toutes façons au moment de la première crise du Golfe, au risque de provoquer des gaspillages. A la différence des sections hollandaise et belge, MSF-France décide alors de ne pas ouvrir une mission au Koweït, pays déjà très largement aidé par les Américains après le départ des troupes d’occupation irakiennes en janvier 1991. L’organisation travaille en revanche depuis Bagdad, ce qui l’oblige à composer avec la dictature Saddam Hussein pour franchir les lignes de front et ravitailler le pays kurde au Nord. Ancien caïd et dealer de drogue à Montréal, son logisticien sur place, Marc Vachon, trafique des faux papiers pour alimenter en pétrole les réchauds que les Nations Unies ont fourni aux Kurdes d’Irak. Au ministère du pétrole à Bagdad, il parvient à acheter pour quinze dollars 15 000 litres d’essence subventionnée qu’il fait passer en contrebande dans le double plancher de camions Scania. Au total, il estime ainsi avoir convoyé un million de litres qui sont donnés à des ONG établies en pays kurde, à savoir ACF, l’IRC et Medico International. Mais, lors d’un convoi, un assistant est tué à bout portant par un commandant soupçonneux à un check-point. De plus, des chauffeurs kurdes disparaissent avec les camions, qu’ils revendent en Iran, tandis que les peshmargas prennent leur part pour financer leur lutte armée. Enfin, il faut bientôt fermer les missions de Bagdad et Bassorah car le régime de Saddam Hussein refuse de renouveler les visas des expatriés humanitaires. Dans le cadre de l’Opération Provide Comfort, MSF-France ne continue pas moins de travailler en étroite collaboration avec les soldats américains et français de l’Opération Libage, qui, du 6 avril au 28 juillet 1991, distribuent des secours au Kurdistan irakien depuis la Turquie, notamment à Cukurça. En effet, l’organisation, qui n’est bientôt plus présente dans la capitale, a moins besoin de préserver sa neutralité et de ménager le gouvernement Saddam Hussein, à la différence du Comité international de la Croix-Rouge, qui remet à MSF son dispensaire de Dashdan et qui cherche à se dissocier des troupes occidentales dans le Nord pour assurer la poursuite de ses programmes dans le Sud. Alors que le pays est sous embargo de la communauté internationale, les médecins sans frontières se méfient en outre de la propagande du régime, qui insiste sur l’impact sanitaire de ces sanctions économiques pour réclamer leur allégement et négocier un surcroît d’aide humanitaire. Contrairement à de nombreuses ONG, MSF refuse ainsi d’assister la population dans les zones sous contrôle du gouvernement Saddam Hussein dans la deuxième moitié des années 1990. Quand les troupes américaines débarquent à Bagdad en avril 2003, le mouvement décide en revanche de revenir sur place et deux de ses employés (dont le chef de mission de la section française) sont brièvement arrêtés par les services de sécurité de la dictature. A la différence d’Oxfam, de la Croix-Rouge française, d’ACF, de MDM, de HI, de PU, de Solidarités et d’EMDH, l’association ne prend pas publiquement position contre l’intervention militaire des Etats-Unis, estimant que son objectif n’est pas de condamner une guerre mais d’en soulager les effets sur le plan humanitaire ; selon Rony Brauman et Pierre Salignon, qui plus est, rien ne prouve que les bombes américaines soient plus dévastatrices que les exactions de la dictature Saddam Hussein. La neutralité affiché par MSF, relève Sarah Stroup, ne protège cependant de l’insécurité ambiante. Après la victoire de Washington et l’effondrement du régime, l’association doute d’ailleurs de son utilité sur place car les infrastructures de santé existent et la puissance occupante a l’obligation de les remettre en état de marche. Après des débats internes sur l’opportunité d’aider la population, MSF réduit finalement sa présence en dénonçant les obstructions des autorités américaines. Comme Oxfam ou le CAFOD et contrairement à Christian Aid ou SCF, la section anglaise de MSF, notamment, refuse les fonds en provenance d’Etats parties au conflit, en l’occurrence les subventions du gouvernement britannique. Incapable de soigner les blessés du fait de la disparition de son chef de mission Bernard Calas, la section française, quant à elle, s’en va fin avril 2003. Tandis que ses homologues belge et hollandais continuent de travailler à Bagdad jusqu’en octobre 2004, elle dénonce alors les organisations humanitaires qui exagèrent la situation afin de récolter des fonds. En juin 2007, le mouvement revient de toute façon travailler en pays kurde à l’hôpital de Souleymaniye.

- Janvier-mai 1975, Vietnam : alors que les Américains quittent le pays, MSF-France, qui n'a pas obtenu l'autorisation de se déployer dans le Nord communiste, travaille brièvement dans le camp d’Anh Loï à Saigon lors d’une mission financée par le ministère français des Affaires étrangères et la diaspora vietnamienne à Paris, à la demande d’une ONG proche du régime de Hanoï, Aide à l’enfance vietnamienne. Pressée par les autorités communistes, l’association doit bientôt partir.

- 1975-1984, Liban : MSF-France intervient à la demande du Croissant Rouge palestinien et de l'imam Moussa Sadr, chef religieux de la communauté chiite qui, dans une lettre du 3 novembre 1975, propose de payer les billets d'avion et de financer le matériel médical de l'opération. L'association travaille alors à Beyrouth au cœur du quartier assiégé de Nabaa-Borj Hammond, une enclave chiite que les médecins doivent quitter au moment de la fermeture de l'hôpital, au plus fort des combats en juillet 1976. A partir de 1978, MSF-France se déploie ensuite en zone chrétienne à Beyrouth, Zahlé puis Deir el Kamar. En 1984, l'association finit par se retirer car la sécurité des volontaires n'est plus assurée.

- Mai 1976, Algérie : après avoir passé un accord avec le ministre de la Santé de la République Arabe Sahraoui Démocratique, dont le Maroc nie l’existence, MSF-France doit renoncer à travailler dans les camps de réfugiés de Tindouf, qui sont fermement contrôlés par les guérilleros du Front Polisario.
 
- A partir de décembre 1976, Thaïlande : MSF-France commence d’abord par travailler pour l’International Rescue Committee et World Vision dans les camps de réfugiés khmers et laotiens d’Aranyaprathet et Ban-Vinaï, puis pour Terre des Hommes dans ceux de Nam Yao et Chieng-Kong. L’association participe également au programme qui vise à transplanter en Guyane française 500 Hmong du Laos, sélectionnés d’après des critères d’aptitude médicale. Son assistance revêt bientôt une forte dimension politique car MSF dénonce non seulement le génocide commis par les Khmers rouges, mais aussi l’invasion du Cambodge par les Vietnamiens après le renversement du régime de Pol Pot en 1979. Après s’être retirée fin 1980 de Sakéo, un fief khmer rouge, l’association continue par ailleurs de ravitailler les camps de réfugiés cambodgiens qui servent de base arrière aux partisans « pro-américains » de Lon Nol. Le 2 février 1980 devant le pont frontalier de Poï-Pet sur la rivière Klong Luek, elle organise avec les médias une marche symbolique contre les troupes vietnamiennes qui occupent le Cambodge. Celles-ci, qui ont refusé l’assistance de MSF, veulent en effet superviser la distribution de l’aide alimentaire, détournent les vivres et refusent les secours à destination des camps de réfugiés tenus par les Khmers rouges si elles n’obtiennent pas au préalable une reconnaissance internationale du nouveau gouvernement en place à Phnom Penh. A Paris, la campagne de MSF est critiquée car elle a été menée sans consulter la base et a conduit à expulser Jean-Christophe Rufin, qui s’y était opposé. De plus, elle risque de provoquer une fermeture totale de la frontière, où passent encore depuis la Thaïlande les charrettes de ravitaillement des paysans de la région. En outre, il s’avère finalement qu’il n’y a pas de famine au Cambodge. L’affaire prend un tour idéologique car elle associe des Américains anti-communistes notoires, notamment le président de l’International Rescue Committee, Leo Cherne. A l’époque, certains volontaires de MSF-France dans le camp de Kao I Dang ne cachent pas non plus leurs opinions politiques, tels Patrice Franceschi, qui se battra aux côtés des moudjahidine en Afghanistan, ou Philippe de Dieuleveult, qui disparaîtra dans les rapides du fleuve Zaïre. Pour autant, MSF-France tente de ne pas encourager la lutte armée contre l’occupation vietnamienne et se retire assez vite des sites tenus par les « génocideurs » khmers rouges, limitant ses opérations aux autres camps de réfugiés.

- 1977, France : MSF signe une convention avec HSF (Hôpital sans frontières), qui fournit des unités médicales mobiles transportées par des Transaal de l'armée de l'air. Fondée en 1976 par Tony de Graaff et Guy Barthélemy avec le soutien du Rotary International et du fabriquant d'armes Matra, cette association, émule de MSF, essuiera d’abord quelques échecs au Liban, d’où elle devra rapatrier son hôpital de campagne faute d’avoir obtenu un accord quant à un lieu d’implantation acceptable pour toutes les parties en lice. Dans son livre, Guy Barthélemy, qui s’était lié au Docteur Albert Schweitzer dans les années 1950, explique que HSF se déploiera cependant en 1979 dans les camps de réfugiés angolais de Sandoa au Sud du Zaïre et khmer rouge de Sakeo dans l’Ouest de la Thaïlande. L’association connaîtra finalement un destin bien différent de MSF et fermera ses portes en 2002, placée en liquidation judiciaire à cause de problèmes financiers.

- Mai-novembre 1978, Erythrée : à la demande de l’Eritrean Relief Association et avec le soutien logistique des chrétiens de la Croix-Rouge érythréenne du côté de l’EPLF (Eritrean People’s Liberation Front) et des musulmans du Croissant Rouge érythréen du côté de l’ELF (Eritrean Liberation Front), MSF-France tente d’ouvrir une mission chirurgicale dans les maquis des rebelles indépendantistes qui combattent les troupes éthiopiennes. Mais ses équipes n’ont pas accès aux populations civiles et elles ne peuvent soigner que des combattants, en l’occurrence ceux de l’EPLF au détriment de leurs rivaux de l’ELF. MSF-France décide alors de partir en laissant son matériel aux médecins de l’EPLF.

- 1978-1982, France : à la suite de Max Récamier en 1975-76, de Bernard Kouchner en 1976-77 et de Jacques Bérès en 1977-78, MSF est présidé de 1978 à 1980 par Claude Malhuret, un ancien du Parti Socialiste Unifié (le PSU de Michel Rocard), puis par Francis Charhon en 1980-82 et par Xavier Emmanuelli en 1982-83, un docteur qui, en son temps, avait été expulsé du Parti communiste pour avoir soutenu les indépendantistes algériens du FLN (Front de Libération Nationale). Pendant cette période, MSF commence à développer la collecte de fonds afin d'assurer son indépendance financière. Après avoir bénéficié d'une campagne de publicité proposée gratuitement par l'agence Ecom International en 1977, l'association va bientôt, à partir de 1984, solliciter la générosité des Français avec des techniques de démarchage direct et de marketing. D'après Myriam Donsimoni, le budget de MSF, qui était de 730 000 francs en 1977, est multiplié par 36 entre 1978 et 1980. Refusant de faire appel à des sentiments misérabilistes, l’association prend alors soin de contrôler sa politique de communication, qui avait d’abord été confiée à des agences spécialisées et des photographes professionnels, par exemple dans le livre publié par Claude Malhuret et Xavier Emmanuelli en 1982. D’après Joelle Tanguy, directeur exécutif de MSF-USA à partir de 1994, la croissance du mouvement vient aussi de la multiplication des camps de réfugiés, où l’association intervient de façon prioritaire ; le nombre de réfugiés recensés dans le monde double de 1976 à 1979 puis, de nouveau, de 1979 à 1982.

- 1979, France : un moment rédacteur en chef de l’Événement, un magazine créé en 1966 par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Bernard Kouchner, convaincu des mérites du « tapage médiatique » pour défendre les causes humanitaires, quitte MSF, qui l’a désavoué en s’opposant à l’envoi d’un bateau, l’Île de Lumière, chargé de recueillir les boat people vietnamiens en Mer de Chine. Selon Rony Brauman dans un entretien accordé à Aymeric Mantoux, le départ du fondateur le plus connu de l’ONG traduit l’affrontement de deux visions : l’une qui reste attachée à l’amateurisme militant des réseaux informels des débuts ; l’autre qui veut professionnaliser l’association en la dotant d’une véritable organisation. Après que la Malaisie a refusé de laisser accoster 2 564 boat people vietnamiens à Hai Kong le 15 novembre 1978, Bernard Kouchner a en l’occurrence formé en octobre 1979 un Comité dénommé « Un bateau pour le Vietnam » avec les intellectuels les plus en vue de la place parisienne, dont Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, réconciliés pour l’occasion. Mais, dans un article intitulé « Un bateau pour Saint Germain des Prés », publié par le Quotidien du Médecin le 4 décembre 1979, Xavier Emmanuelli lui reproche de se donner en spectacle et de politiser la question face à un drame que l’intelligentsia française a trop longtemps refusé d’admettre et qui dure en fait depuis la prise du pouvoir par les communistes au Vietnam en 1975. L’opération risque en outre d’être instrumentalisée pour dénoncer les régimes totalitaires de l’Union soviétique et de ses alliés dans le tiers-monde. Sur le plan humanitaire, elle présente surtout l’inconvénient d’inciter d’autres boat people à prendre la mer, au risque de périr au cours d’un naufrage, d’une attaque de pirates ou par épuisement de leurs vivres. De plus, les camps de réfugiés sont déjà saturés, notamment celui de Songkhla dans le Sud de la Thaïlande. Un bateau, enfin, a peu de chances de repérer les frêles embarcations des Vietnamiens au milieu de tout un océan. L’Île de Lumière y renonce d’ailleurs assez vite pour se transformer en navire-hôpital, à l’instar de son équivalent allemand, le Port de Lumière, dont les consultations à bord nécessitent de pénibles va-et-vient depuis la terre ferme car le bâtiment est trop gros pour s’amarrer à l’archipel des Anambas.