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Médecins Sans Frontières
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Historique

Médecins Sans Frontières - Historique




Années 1980


-1980, Belgique : en novembre 1980, Philippe Laurent ouvre à Bruxelles la première section de MSF à l’étranger. Héritière d’un certain esprit scout et catholique, celle-ci est plus axée sur le développement et entre vite en conflit avec son homologue française et urgentiste, dont les fondateurs post-soixante-huitards ont un engagement politique plus marqué, notamment lors de la création contestée de la fondation Libertés sans frontières. En 1985, les deux sections vont jusqu’au procès, perdu par les Français, avant de se réconcilier grâce au départ de Claude Malhuret à Paris en 1986 et de Philippe Laurent, qui est remplacé à Bruxelles par Jean-Pierre Luxen en 1987. Ces tensions retardent la création de branches aux Pays-Bas, en Espagne et au Luxembourg, qui proviennent d’initiatives belges. Des problèmes sont également apparus aux Etats-Unis, où des amis de Bernard Kouchner avaient eu l’intention en 1979 de créer une branche sans l’aval de Paris. Jean-Christophe Rufin, qui relate l’expérience dans son autobiographie, avait alors été chargé d’affirmer l’exclusivité de la marque MSF et avait mis un terme à l’initiative. Par crainte d’être dominé par les Américains, le mouvement préfère consolider ses implantations en Europe. D’autres sections suivent en Suisse en 1981, aux Pays-Bas en 1984 (Artsen Zonder Grenzen), en Espagne (Médicos Sin Fronteras) et au Luxembourg en 1986, en Grèce en 1990, en Grande-Bretagne (Doctors Without Borders), en Australie, aux Etats-Unis, au Canada et en Allemagne (Ärzte Ohne Grenzen) en 1991, au Japon (Kokkyonakiishidan) en 1992, en Italie (Medici Senza Frontiere) en 1993, au Danemark (Læger Unden Grænser) en 1998, ainsi qu'en Norvège (Leger Uten Grenser), en Suède (Läkare Utan Gränser), etc. MSF-France, qui chapeaute New York, Dubaï et Tokyo, ne sera pas seul à superviser le lancement d'organisations sœurs : MSF-Suisse parrainera la section autrichienne ; MSF-Belgique, les sections italienne et scandinave ; MSF-Hollande se chargera d'encadrer les sections britannique, allemande et canadienne, cette dernière devant atteindre son indépendance financière en 2004. En 1991, le mouvement se dotera également d'un bureau de représentation au niveau international (d'abord à Bruxelles, puis à Genève à partir de 2004), tandis qu'un centre de collecte de fonds sera établi à Dubaï aux Emirats Arabes Unis en 1995. Sous l'égide d'un Conseil international établi à à Bruxelles et présidé chaque année à tour de rôle par une section européenne, l’ensemble de l’organisation se construira autour de règles éthiques communes quant à l’impartialité de l’action humanitaire. Vigilant, le bureau international de MSF, notamment, suspendra et remportera son procès à Athènes contre la section grecque, dont le président, Odysseus Boudouris, n’avait pas caché ses sympathies pour les Serbes sous prétexte de dénoncer les bombardements de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) au Kosovo en 1999. Ladite section sera finalement réintégrée au mouvement en 2007.

- Depuis 1980, Tchad : tandis que les combattants de Hissène Habré et de Goukouni Oueddeï se disputent le contrôle de la capitale, MSF utilise un Transall de l’armée française pour se rendre à Ndjaména en collaboration avec les médecins militaires de l’EMMIR (Equipe médicale mobile d’intervention rapide) en avril 1980. L’association travaille également dans les maquis de l’Est tenus par Hissène Habré. Compromise par sa proximité avec l’armée française, elle doit cependant passer le relais à la branche suisse tandis que la section belge entreprend de reconstruire l’ensemble des structures hospitalières du pays avec des fonds de l’Union européenne. Défait en juin 1982, Goukouni Oueddeï s’enfuit dans le Nord du pays, où il forme un Gouvernement d’Unité Nationale Transitoire, le GUNT, avec le soutien de l’armée libyenne. En janvier 1984, deux volontaires belges de MSF dans la localité de Ziguey, Christian Delzenne et Marie-Chantal Roekens, sont alors enlevés et retenus pendant deux mois par les hommes de Goukouni Oueddeï, qui les accusent de travailler pour le gouvernement à Ndjaména. Par la suite, l’association se réinvestit massivement dans la région pour accueillir les réfugiés soudanais qui fuient la crise du Darfour à partir de 2003. La situation continue d’être très dangereuse et, en septembre 2006, des cavaliers armés attaquent et pillent un dispensaire de MSF à Koloy, une centaine de kilomètres au nord-est de Goz Beida. Un collaborateur local de l’association est tué sur le coup et sept autres sont portés disparus. Les belligérants continuent par ailleurs de détourner l’aide : d’après Clea Kahn et Elena Lucchi, ils prélèvent près de 3% d’un budget opérationnel de 3,5 millions d’Euros pour la seule section hollandaise de MSF en 2008

- 1980-2009, Afghanistan : MSF est une des premières ONG à engager des missions clandestines auprès des rebelles à partir de Peshawar et de la frontière pakistanaise. Emmenée par Gérard Kohout et Juliette Fournot, l'association envoie d'abord des médecins dans la province de Kunar avec le parti d'Anouar Halakadar, ce qui suscite la jalousie des islamistes du Hezb-e-Islami. Il faut bientôt composer avec les divers groupes qui combattent les troupes d'occupation soviétique ; depuis la vallée du Panchir, par exemple, Ahmed Shah Massoud veut empêcher l'accès au Herat, le fief de son rival Ismael Khan, tandis que les deux factions du Hezb-e-Islami, emmenées par Gulbuddin Hekmatyâr et Yunus Khales, se disputent le contrôle de l'aide. Les équipes de MSF ne peuvent se déplacer que sous la surveillance des moudjahidine. Elles doivent louer des mules au prix fort, engager le personnel imposé par les combattants, pratiquer la séparation des sexes, subir des vols et travailler sous la protection de gardes armés. Elles sont plusieurs fois prises en otage par des seigneurs de guerre qui confisquent les vivres et exigent qu'on soigne leurs hommes en priorité. Dans son autobiographie, une infirmière de MSF, Claire Constant, raconte par exemple comment, en janvier 1981, elle est retenue prisonnière par Hadji Nader, l'homme fort de Turkmen en pays hazara. De même en juillet 1986, dix médecins et infirmières de MSF sont pris en otage pendant un mois dans le Nouristan par des combattants du Hezb-e-Islami de Gulbuddin Hekmatyâr qui tentent de les négocier contre des livraisons d'armes avec le gouvernement pro-soviétique à Kaboul. L'affaire se reproduit le mois suivant, toujours dans le Nouristan avec des moudjahidine de Gulbuddin Hekmatyâr. En outre, après que Juliette Fournot a témoigné de la situation devant le Congrès américain le 4 mars 1985, les Etats-Unis commencent en 1986 à soutenir directement les factions qui combattent Moscou et le déversement de leur aide depuis le Pakistan précipite les détournements. D'après un rapport interne de MSF cité par Anne Vallaeys, 40% de l'aide acheminée à Peshawar sont revendus au profit des seigneurs de guerre afghans et des hauts fonctionnaires pakistanais corrompus. En Afghanistan, la situation ne s'améliore pas non plus. Lors de la prise de la ville de Bamian en 1988, le personnel soignant de MSF est attaqué par les Mustazaffin, un petit parti pro-iranien qui regroupe des sunnites et des chiites. L'organisation décide un retrait général du pays après l'assassinat le 28 avril 1990, par des hommes masqués, d'un de ses logisticiens, Frédéric Galland, sans doute victime de conflits d'intérêts entre les commandants de Yaftal-a-Payin et Yaftal-Bala qui disputent à Basir Khaled le leadership du Badakhshan en avril 1990. Avec la chute du gouvernement pro-soviétique et l'entrée des moudjahidine à Kaboul en avril 1992, MSF revient ensuite en juin 1992 travailler en Afghanistan, soit dans des zones de combat, soit à l'occasion de catastrophes naturelles comme le tremblement de terre de Rostaq, qui fait plus de 2 300 morts dans le nord-est le 4 février 1998. Une fois Kaboul tombée aux mains des intégristes taliban le 26 septembre 1996, le nouveau pouvoir impose une application stricte du droit coranique, la charia. A la différence du CICR, MSF condamne publiquement les châtiments corporels de la loi islamique, assimilés à de la torture. Même si un suivi chirurgical serait préférable pour les condamnés, l'organisation interdit à son personnel de procéder à des amputations, mais elle l'autorise à soigner les victimes, quitte à donner l'impression qu'elle cautionne la charia. Une autre difficulté est que les taliban veulent séparer les hommes des femmes dans les structures médicales. Le 6 septembre 1997, un décret du ministre de la Santé contraint les femmes à être soignées dans le seul hôpital Rabia Balkhi, qui n'est pas encore complètement fonctionnel. Après des négociations menées par le CICR et les ONG, les taliban autorisent certes l'admission des femmes dans d'autres hôpitaux où les sexes sont séparés. Mais en avril 1998, les autorités, qui tentent de contrôler le recrutement du personnel local et de sélectionner les bénéficiaires de l'aide, obligent les ONG à se regrouper dans un quartier plus facile à surveiller. Refusant d'accepter les termes d'un accord qui, signé entre les Nations unies et les taliban le 14 mai, s'avère discriminant pour les femmes, les expatriés de MSF sont finalement expulsés par le régime le 20 juillet 1998. Les bombardements américains contre des camps d'Oussama ben Laden ne facilitent pas les choses et, en août, tous les expatriés des ONG en Afghanistan doivent de toute façon être évacués. Au cours des mois suivants, les travailleurs humanitaires, dont la plupart se sont repliés à Peshawar au Pakistan, essaient de négocier ensemble leur retour dans le pays en essayant de ne pas compromettre leur liberté d'accès aux bénéficiaires et le choix de leurs collaborateurs, notamment en ce qui concerne les femmes. MSF, pour sa part, préfère traiter seul avec les taliban, sans passer par l'intermédiaire des Nations unies. Daniel Byman considère que, ce faisant, les médecins sans frontières se soumettent aux diktats et aux rackets des talibans. Après les bombardements américains d'octobre 2001, qui obligent de nouveau l'association à évacuer ses expatriés, la relative stabilisation de la situation courant 2002 permet alors un redéploiement dans le pays. Mais les personnels expatriés de MSF sont bientôt renvoyés vers Hérat et Kaboul pour des raisons de sécurité, suite à l'assassinat d'un délégué du CICR, froidement abattu par des islamistes à Tirin Khot au nord de Kandahar le 27 mars 2003. L'organisation suspend l'ensemble de ses activités quand, le 2 juin 2004, deux employés locaux, une coordinatrice belge (Hélène de Beir), un logisticien néerlandais (Willem Kwint) et un docteur norvégien (Egyl Tynaes) de MSF-Hollande sont tués dans la province de Badghis, au nord-ouest, lors d’une embuscade revendiquée par les talibans mais vraisemblablement tendue par le chef local de la police, démis de ses fonctions peu auparavant. L’enquête des autorités n’ayant pas abouti, MSF se retire totalement du pays en août. Dans les régions de Mashhad et Zahedan en Iran, l’organisation continue néanmoins de s’occuper des réfugiés afghans, que le HCR et les autorités locales veulent renvoyer chez eux dans le cadre d’un programme de rapatriement pas toujours très volontaire. En 2009, MSF revient finalement en Afghanistan s’occuper de cliniques à Ahmed Shah Baba, à l’est de Kaboul, et Lashkargah, dans la provinde du Helmand. En l’occurrence, la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée et l’organisation doit compter sur les contacts du CICR pour reprendre pied dans les zones rebelles. Sous la houlette de la section belge, qui coordonne ses actions dans le pays, le mouvement justifie néanmoins son retour en arguant que les talibans sont désormais mieux disposés à l’égard de ses opérations médicales. A l’approche d’élections présidentielles, le gouvernement souhaite en outre améliorer son image de marque et assouplit en conséquence les réglementations qui limitaient la capacité d’action des ONG humanitaires. Signé le 30 juin 2009, un protocole d’accord avec le ministère de la Santé autorise MSF à superviser elle-même ses opérations médicales, à soigner gratuitement toutes les victimes et à interdire les armes dans les structures hospitalières où elle travaille.

- Février 1981, Iran : après une entrevue avec l’ayatollah Ruhollâh Khomeyni, qui tente de renouer un dialogue diplomatique avec la France par le biais de l’association, MSF refuse de monter une mission incorporée à l’armée iranienne et exclusivement destinée à soigner les soldats en guerre contre l’Irak.

- Avril-décembre 1981, Turquie : deux volontaires de MSF-France, Luc Devineau et Manaïck Lanternier, sont accusés de soutenir les rebelles kurdes par la junte du général Kenan Evren au pouvoir à Ankara. Ils sont détenus pendant huit mois avant d’être libérés suite à des pressions diplomatiques.

- 1982-1994, France : MSF est présidé par Rony Brauman. Celui-ci est né en 1950 à Jérusalem dans une famille juive originaire de Pologne dont la mère et le père, exilés en France, durent se cacher pendant la guerre ; ce dernier a combattu pour la Résistance, a été blessé à Toulouse à la Libération puis a rejoint en 1948 la Haganah, embryon de la future armée israélienne. Rony Brauman est aussi un ancien militant maoïste de la " gauche prolétarienne " en mai 1968. De par sa vocation humanitaire, l'association transcende cependant les clivages politiques. Le vice-président de MSF-France est Alain Dubos, un royaliste libéral, pied-noir expulsé de Tunisie en 1961 et ancien de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète, opposée à l’indépendance de l’Algérie en 1962). Secrétaire général du bureau international de MSF à partir de 1991, Alain Destexhe, pour sa part, milite au parti libéral (PRL) et ralliera le Mouvement réformateur (MR) après avoir été élu sénateur au parlement belge en 1995. Président de MSF-Hollande en 1994, Jacques de Milliano, enfin, entrera au Parlement sous la bannière du parti chrétien démocrate en 1998.

- A partir de 1983, Angola : après avoir essuyé un refus du gouvernement MPLA (Mouvement pour la libération de l’Angola), qui ne veut pas de MSF dans les zones sous son contrôle, l’association démarre des opérations clandestines dans les maquis de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), rébellion qui a l’appui de Washington et du régime raciste de Pretoria. L’hostilité des autorités, soutenues par l’URSS, vient sans doute de la présence de MSF aux côtés des moudjahidine en lutte contre l’Armée rouge en Afghanistan. Qualifiée d’agence humanitaire de la Nouvelle Droite par des chercheurs comme David Sogge, l’association est d’autant plus suspecte de sympathies pour la guérilla que, dans une interview à l’Economist Development Report de juillet 1984, son président, Rony Brauman, vante les mérites de l’UNITA en matière de santé publique. Pendant plusieurs années, les relations entre MSF et le gouvernement à Luanda vont rester très tendues, y compris lorsque l’organisation est autorisée à travailler depuis la capitale. La mort d’un logisticien de MSF-Belgique, tué lors d’un cambriolage le 13 novembre 1992, n’arrange rien. En juin 2002, deux mois après la signature d’un cessez-le-feu avec les rebelles de l’UNITA, MSF dénonce la stratégie de guerre du MPLA, qui a interdit l’accès des humanitaires dans les zones affamées, tenues par la rébellion, et qui songe à expulser l’association. Vilipendée à cause de l’indifférence de la communauté internationale et de la lenteur de réaction du Programme alimentaire mondial, l’ONU se plaint quant à elle de "l’arrogance" de MSF. L'association lui reproche en effet d'avoir bloqué et utilisé l'aide comme un instrument politique pour obliger le MPLA à organiser des élections et respecter les droits de l'homme. L'ONU demande alors aux bailleurs de ne plus financer MSF, coupable de s'être désolidarisée des autres ONG unies pour faire front contre les obstructions du gouvernement angolais. L'insécurité continue par ailleurs de gêner les opérations humanitaires. Le 29 novembre 2002, par exemple, un enfant, deux employés du ministère de la Santé et quatre collaborateurs angolais de MSF sont tués par l’explosion d’une mine sur la route entre Cunjamba et Mavinga dans le sud-est du pays. Le 9 mars 2003, encore, un chauffeur de l’association, Aderito Augusto, est lynché par des villageois sur la route de Luanda à Malange après avoir écrasé et tué une jeune fille.

- A partir de 1984, Guatemala : MSF-France est expulsé en 1984, officiellement pour des « raisons de sécurité ». L'association, qui revient dans le pays un an après, essaie ensuite d'accompagner le retour des réfugiés à partir de 1993 mais continue de se heurter aux intérêts locaux. Dans les bidonvilles de la capitale, par exemple, ses projets d'adduction font concurrence aux propriétaires des citernes de distribution d'eau. Dans les centres de santé, le coordinateur de MSF-Suisse met par ailleurs à jour le détournement de matériaux de construction fournis par l'Etat et, menacé de mort, il doit précipitamment quitter le Guatemala.

- 1984-1995, Mozambique : MSF-France se déploie dans un pays ravagé par la guerre civile depuis son indépendance en 1975. D’inspiration marxiste, le Frelimo (Frente de Libertação de Mozambique), au pouvoir à Maputo, interdit d’intervenir dans les zones tenues par les rebelles de la Renamo, qui sont soutenus par le régime de l’apartheid à Pretoria. En parlant de guerre civile alors que les autorités dénoncent l’agression extérieure de l’Afrique du Sud, MSF suscite alors l’hostilité des autorités et est perçu comme une organisation de droite. Les relations sont d’autant plus tendues que, dans un article du Lancet, un docteur de MSF, Bernard Pécoul, dénonce le blocage des vivres dans le port de Maputo, et ce au moment où l’ambassade américaine déclare que la moitié de l’aide alimentaire n’arrive pas à destination. Dans un rapport publié en mars 1991, qui plus est, l’association accuse l’armée mozambicaine de détourner l’aide et de regrouper de force les populations civiles, prises en otage à proximité des garnisons pour servir de bouclier humain contre la guérilla. Après la signature d'accords de paix à Rome en décembre 1992, l'organisation peut certes se déployer plus facilement dans l'arrière-pays mais suspend ses opérations quand un docteur expatrié est blessé dans l'explosion d'une mine en février 1993. Constatant une nette amélioration de la situation sanitaire et nutritionnelle, MSF-France quitte ensuite le Mozambique en 1995.

- A partir d’avril 1984, Ethiopie : sachant son travail clandestin dans les maquis indépendantistes érythréens, MSF-France a des difficultés à obtenir du gouvernement à Addis-Abeba les autorisations nécessaires pour venir au secours des victimes de la famine en mars 1984. L'organisation, qui plus est, dénonce les déportations que la junte du colonel Mengistu Hailé Mariam entreprend en vue de vider le Nord du pays et de priver les guérillas du soutien de la paysannerie. L'association s'indigne en particulier de l'incendie criminel, en mars 1985, du camp d'Ibnet, qui contenait 50 000 déplacés, et des évacuations manu militari de Korem en décembre 1984 puis en octobre 1985. MSF-France condamne également l'utilisation de la logistique humanitaire pour opérer les transferts forcés de populations vers le Sud : au lieu de transporter de la nourriture à destination des zones affamées, les camions sont réquisitionnés par l'armée en vue de déporter les paysans du Nord. Désavoué par MSF-Belgique, qui travaille au Tigré et n’a donc pas été témoin de ces événements, MSF-France est expulsé en décembre 1985. Ses biens sont confisqués au profit de la dictature ou remis aux équipes de Save the Children. La section belge, elle, décide de rester sur place et signe en janvier 1986 un accord de plus d’un million de dollars avec le gouvernement éthiopien. Le scandale conduit cependant les bailleurs de fonds européens et américains à menacer la junte d'arrêter leur aide, tandis que les déportations cessent après 1986. La chute du régime en 1991 permet à l'association de revenir dans le pays, en particulier au moment où démarre une guerre frontalière contre l'Erythrée en 1999. Les conditions de travail restent difficiles et l'organisation suspend ses activités dans la région somali de l'Ogaden quand un chauffeur est tué et un expatrié, Stéphane Courteheuse, blessé lors d'une attaque à main armée sur la route de Jijiga à Degah Bur le 7 février 2000. En juillet 2000, MSF refuse alors de lancer une campagne de collecte de fonds à propos d'une famine qui est très médiatisée par le nouveau régime et dont l'impact en termes de malnutrition est sciemment exagéré. En mai 2003, le mouvement critique cette fois le gouvernement pour avoir réinstallé sans aucune préparation 15 000 personnes qui avaient fui la sécheresse et qui, délogées du camp de Shewe, ont été laissées à elles-mêmes à Bidre dans la région de Bale. L’affaire coïncide en l’occurrence avec une controverse opposant l’organisation au gouvernement éthiopien à propos de l’introduction de nouveaux médicaments antipaludéens, plus onéreux mais plus efficaces. Lors d’une conférence de presse le 23 décembre 2003, le ministère de la Santé, Kebede Tadesse, dénonce ainsi "les charlatans de MSF qui prétendent être les seuls détenteurs de la connaissance médicale et scientifique". En juillet 2004, le gouvernement éthiopien se résout finalement à acheter avec l’aide des Nations Unies les traitements préconisés par l’association. Les problèmes ne sont pas terminés pour autant. Après l’expulsion du CICR d’Ogaden en juillet 2007, MSF se heurte de nouveau à des blocages de la part des autorités, qui lui refusent l’accès à la région et qui entreprennent d’affamer la population pour isoler les groupes rebelles. C’est la branche suisse du mouvement qui prend le relais en novembre suivant… et qui décide de se retirer de la localité de Fiiq en juillet 2008, toujours à cause d’entraves administratives. Les autres sections de MSF poursuivent cependant leurs programmes dans la région, au risque de contredire la position de leurs collègues helvétiques.

-A partir de 1985, Mali : intervenue au moment de la sécheresse qui frappe le Sahel, MSF-Belgique refuse en janvier 1985 d’accéder à une demande du ministère de l’Intérieur qui veut organiser des distributions alimentaires dans les districts frontaliers de Bankass et Koro pour retenir la population dans le pays alors que se profile une courte guerre avec le Burkina Faso. Le mouvement revient ensuite au Mali quand les djihadistes s’emparent des principales villes du Nord en 2012. Il faut composer avec les islamistes, qui obligent le personnel médical masculin à porter la barbe, et l’armée, qui demande aux collaborateurs de l’ONG de se raser pour éviter d’être assimilés aux insurgés ! La situation, relate Michiel Hofman, devient si inextricable que certains envisagent de porter des postiches !

- 1985-1994, Salvador : MSF-France est brièvement expulsé en mars 1985 et revient peu après dans le pays. L’association est très surveillée par l’armée. Quatre de ses volontaires sont arrêtés le 3 mars 1986, interrogés les yeux bandés et maintenus au secret avant d’être relâchés trois jours plus tard. En novembre 1989, encore, les autorités interdisent à MSF-France l’accès des régions tenues par la guérilla, qui vient de mener une grande offensive contre les troupes gouvernementales. En 1994, l’association décide finalement de fermer sa mission au Salvador, les négociations de paix étant bien engagées.

- 1985-1989, France : reconnue comme une association d'utilité publique en juin 1985, MSF s'institutionnalise et, en juillet 1988, déménage son siège du boulevard Saint-Marcel dans le 13è arrondissement de Paris, où les locaux étaient devenus trop exigus, vers le quartier de la Bastille sur le terrain d'une ancienne menuiserie achetée et reconstruite pour 33 millions de francs. En 1985, l'association crée également avec le professeur Emmanuel Le Roy Ladurie et l’essayiste Jean-François Revel une Fondation « Libertés sans frontières » d’inspiration libérale et anti-tiers-mondiste sur le modèle de la Heritage Foundation, qui a financé la campagne électorale de Ronald Reagan. L’initiative, marquée à droite, est condamnée par la base et MSF-Belgique qui, en procès contre la maison mère à Paris, obtient le droit de garder son sigle (son fondateur, Philippe Laurent, rejoint Médecins du Monde en 1986). Présidée par Claude Malhuret, la Fondation " Libertés sans frontières " est finalement dissoute en avril 1989. Elle est alors remplacée par une Fondation plus neutre, qui porte le nom de " Médecins sans frontières " et qui, reconnue d’utilité publique en 1991, se dotera d’un centre de recherches en 1995.

- Mars 1986, France : membre du PR (Parti Républicain), Claude Malhuret démissionne de MSF pour devenir secrétaire d’État aux droits de l’homme du gouvernement Jacques Chirac. Il prend Jean-Christophe Rufin comme conseiller et obtient le départ de l’ambassadeur de France à Addis-Abeba, José Paoli, qui avait dénigré MSF lors de son expulsion par la junte éthiopienne fin 1985. D’après Olivier Weber, un journaliste du Point, Claude Malhuret hésite à quitter le gouvernement à cause de son désaccord avec la politique musclée du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, dont les « policiers voltigeurs » ont provoqué la mort de l’étudiant Malik Oussekine lors d’une manifestation à Paris en décembre 1986. Claude Malhuret deviendra ensuite député-maire de Vichy.

- A partir de 1987, France : un an après MDM, MSF ouvre une mission médicale dans l'Hexagone. La décennie suivante, l'association va de plus en plus s'investir sur le terrain français, même si certains de ses membres critiquent l'initiative de son ancien président Xavier Emmanuelli, qui entérine l'existence d'une médecine à deux vitesses en créant en 1993 un SAMU social (Service d'Action Médicale d'Urgence) en faveur des indigents. En 1999, MSF participe ensuite avec MDM à la mise en application de la loi sur la Couverture Maladie Universelle. Le nouveau dispositif garantit la prise en charge par le service public des personnes en situation précaire, y compris les étrangers sans titre de séjour, et permet à l'association de fermer son centre médico-social à Marseille en juin 2001. Mais cette aide médicale de l'Etat est menacée par des réformes en décembre 2002. Avec MDM, MSF lance alors une pétition contre l'exclusion des soins.

-1987-2012, Somalie : alors que le président Siyad Barre est de plus en plus menacé par les mouvements d’opposition armée, dix employés de MSF sont kidnappés par des rebelles en janvier 1987 à Tuj Walaje, dans le nord du pays, et emmenés en Ethiopie avant d’être relâchés deux semaines plus tard. Lors du départ du dictateur en janvier 1991, la plupart des agences d’aide évacuent ensuite Mogadiscio. Avec le CICR, MSF est désormais une des seules organisations humanitaires présente dans la capitale, où elle répond à une demande de secours des rebelles de l’USC (United Somali Congress) tout en essayant de rouvrir un hôpital en zone gouvernementale. Les conditions de sécurité ne cessent de se dégrader. A Mogadiscio, où elle a repris la clinique de l’ONG SOS Villages d’Enfants, l’association se fait régulièrement voler du matériel et doit réintégrer sous la menace un Somalien peu scrupuleux. Après l’assassinat d’un autre employé local, tué à bout portant par des bandits qui voulaient s’emparer de son véhicule en août 1991, MSF-France se résout à payer des escortes armées et recrute des jeunes qui ne sont pas toujours majeurs. Au cours de l’année 1991, l’association verse ainsi l’équivalent de $400 000 à Osman Ali « Ato », le bras droit du général Mohamed Farah Hassan « Aidid », un des principaux seigneurs de guerre de la capitale. Identifiée au clan des Habr Gedir, MSF-France, qui travaille dans l’hôpital du quartier de Medina, ne peut pas soigner les Abgal d’Ali Mahdi, le grand rival de Mohamed Farah Hassan « Aidid ». En dehors de la capitale, les autres sections du mouvement ne sont pas non plus épargnées. Epicentre de la famine, Baidoa, notamment, connaît une situation de grande violence. MSF-Hollande, qui avait rechigné à y démarrer un programme médical d’urgence en septembre 1992, est régulièrement attaquée et finit par laisser une dizaine de soldats australiens s’installer de façon permanente dans l’enceinte de ses bureaux. L’association se fait néanmoins voler $35 000 par ses propres employés le 27 février 1993 et elle déplore la mort d’une infirmière somalienne et d’un de ses gardes armés, Mohamed Adan Ali, abattu par erreur par des casques bleus australiens le 26 mars suivant. A Kisimayo, où elle est arrivée en mars 1992, MSF-Belgique perd quant à elle un chauffeur somalien, tué le 22 février 1993 par des soldats belges embusqués sur le toit de sa maison. En avril 1993, MSF-France décide donc de se retirer de Mogadiscio alors que l’opération de la paix menée par la Mission des Nations Unies en Somalie (UNOSOM) bat son plein. Cette année-là, MSF-Hollande annonce également son retrait de Baidoa le 3 mai, tandis que MSF-Belgique doit évacuer Kisimayo le 30 mars. Critiquée pour ne pas avoir consulté les autres ONG, l’association explique sa démarche dans un opuscule publié quatre mois plus tard par Rony Brauman : outre la question du racket de protection exercé par les combattants, la famine d’août 1992 à Baidoa était révolue, la militarisation de l’aide devenait problématique et le débarquement des GI’s américains avait provoqué une réaction xénophobe dangereuse pour les travailleurs humanitaires. Le 27 juillet 1993, MSF-France introduit d’ailleurs un recours juridique auprès des Nations Unies pour protester contre les violations du droit commises par les casques bleus : la plainte est rejetée au motif que l’ONU ne reconnaît pas ces abus, a respecté sa charte et ne serait pas tenue d’appliquer les conventions de Genève dans un pays qui n’est pas officiellement en guerre. L’association continue cependant ses programmes dans d’autres régions de Somalie et un de ses docteurs, portugais, est assassiné à Baidoa le 20 juin 1997 par un compagnon d’armes d’un milicien décédé la veille. Dans l’entité autonome du Puntland au Nord-est du pays en mai 2002, MSF-France est même la seule ONG à rester au milieu des combats à Bosaso, lorsque le colonel Abdullahi Yussuf s’empare de la ville. Malgré une certaine stabilisation politique, la région continue d’être ravagée par le banditisme. En témoigne l’enlèvement à Bosaso, le 26 décembre 2007, d’une médecin espagnole de MSF, Mercedes Garcia, et d’une infirmière argentine, Pilar Bauza, qui sont libérées le 3 janvier 2008. Dans la région de la Basse Juba, au Sud, l’association travaille également dans des conditions difficiles. Outre l’insécurité, il faut négocier en permanence avec le Kenya, qui craint une extension du conflit et qui, pour cette raison, interdit tous les vols à destination de la Somalie le 20 juin 2003, mobilisant MSF en vue d’obtenir deux semaines après une levée partielle de l’embargo. Le 9 juillet suivant, l’association doit par exemple interrompre ses activités dans la clinique de Mandera, sur la frontière du Kenya et de la Somalie, quand une attaque à la grenade fait un mort et quatre blessés parmi le personnel médical, dont un docteur hollandais. En septembre 2007, l’intensité des combats, qui opposent désormais les troupes éthiopiennes à des groupes islamistes, justifie néanmoins la reprise de programmes de chirurgie de guerre à Mogadiscio et Kisimayo. Des expatriés de MSF France et Hollande, respectivement, sont ainsi renvoyés sur le terrain à Dayniile, dans les quartiers nord de la capitale, et à Kisimayo dans un hôpital évacué à deux reprises par la section belge, en 1993 puis 2001. L’insécurité reste forte. Le 28 janvier 2008, un chirurgien kenyan, Victor Okumu, un logisticien français, Damien Lehalle, et un chauffeur somalien, Mohammed Bidhaan, sont tués avec un journaliste local, Hassankaafi Hared Ahmed, lors de l’explosion d’un engin piégé dans le village de Siyad au nord de Kisimayo. L’attentat suscite des manifestations populaires en faveur des victimes et conduit MSF à évacuer tous ses expatriés, quitte à continuer de travailler à distance depuis le Kenya. Plus au nord près de Rabdhure dans la région de Bakol, encore, trois employés belge, danois et somalien de l’organisation sont enlevés par des inconnus le 19 avril 2009. Le 13 octobre 2011 dans le camp de réfugiés somaliens d’Ifo à Dadaab au Kenya, deux expatriées de MSF-Espagne, Montserrat Serra et Blanca Thiebaut, sont kidnappées par un groupe armé et détenues jusqu’au 18 juillet 2013. Le 29 décembre 2011, un coordinateur belge, Philippe Havet, et un médecin indonésien, Andrias Karel Keiluhu, sont tués par un employé somalien récemment licencié. Appréhendé, ce dernier sera relâché par les autorités, qui n’expriment aucun regret au sujet de l’incident. L’ONG décide en conséquence de se retirer du pays. Au total, relate Marie-Noëlle Rodrigue, la directrice des opérations de MSF dans un entretien accordé au journal Le Monde du 16 août 2013, l’ensemble des sections du mouvement auront perdu seize collaborateurs depuis leur implantation en Somalie en 1991.

- Novembre 1988, Honduras : présent dans le pays depuis 1980, MSF-France se retire des camps de réfugiés salvadoriens, qui servent de bases arrières aux guérilleros du FMLN (Front Farabundo Marti de Libération Nationale). Les occupants des camps avaient entamé une grève de la faim pour exiger davantage d’aide en dépit de conditions de vie supérieures à celles des autochtones des environs : les surplus étaient en réalité envoyés au FMLN au Salvador. La direction de MSF-France avait également eu quelques difficultés à préserver sa neutralité politique. Un de ses docteurs, une Espagnole, avait été tué par les troupes gouvernementales au Salvador, où elle était entrée clandestinement pour aller assister le FMLN. A l’inverse, MSF-France avait dû prêter ses véhicules aux autorités sanitaires du Honduras, qui s’en étaient servis pour aller endoctriner les réfugiés nicaraguayens contre les Sandinistes.

- Décembre 1988, Arménie : pour la première fois, MSF obtient l’accord de l’URSS afin de venir au secours des victimes d’un tremblement de terre qui a fait 20 000 morts. Malgré un esprit de compétition persistant avec MDM, qui arrive plus rapidement sur les lieux, le déploiement de l'association dans un pays du camp "socialiste" n'annonce pas seulement la fin de la guerre froide, mais aussi un bouleversement de l'action humanitaire sur des terrains où, jusqu'à présent, les médecins sans frontières étaient relativement isolés, en l'absence d'Etats et d'agences des Nations Unies.

- Mars 1989, Yémen : MSF intervient brièvement après des inondations en utilisant les secours envoyés par un avion de l’armée française dépêché par la Cellule d’urgence du ministère des Affaires étrangères à Paris.

- A partir de juin 1989, Chine : devant le refus des autorités de Pékin, MSF ne peut démarrer une opération de secours pour venir en aide aux victimes de la répression de la manifestation de Tien-an-men en juin 1989. En juillet 1991, l’organisation est en revanche autorisée à envoyer des équipes de secours à l’occasion d’inondations dans les provinces de Jiangsu, Hubei, Henan et Anhui. Mais elle se retire en janvier 2003 du Tibet faute de parvenir à s’entendre avec le ministère de la Santé, laissant à Save the Children le soin de poursuivre ses programmes sanitaires.

- Depuis décembre 1989, Soudan : à la suite de MSF-Hollande, expulsé de Wau en décembre 1987 après avoir assisté au massacre de déplacés dinka, MSF-France quitte le pays après la mort, le 21 décembre 1989, de deux volontaires (Jean-Paul Bescond et Laurent Fernet) dans un appareil d'Aviation sans frontières abattu en cours de vol par les rebelles ou les troupes gouvernementales, qui se combattent dans le Sud et veulent se débarrasser de témoins gênants. Revenu au Soudan, MSF-France est ensuite chassé en novembre 1994 des zones tenues par les guérilleros de la SPLA (Sudan People's Liberation Army), furieux d'apprendre que les photographies de leurs positions ont peut être été négociées avec la junte de Khartoum par le ministre de l'Intérieur à Paris, Charles Pasqua, en échange de l'extradition du terroriste Illitch Ramirez Sanchez, dit Carlos. De fait, raconte Marc Vachon, la compagnie aérienne utilisée par l'association, la Southern Air Transport, était la seule à survoler la région à basse altitude pour pouvoir photographier le terrain avec une meilleure résolution que par satellite. Résultat, trois employés de MSF-France sont retenus prisonniers par la SPLA de John Garang pendant trois semaines avant la fermeture de la mission. En juillet 1998 dans le Haut Nil occidental, MSF-Hollande doit également évacuer un hôpital ouvert à Ler en 1989 et attaqué et pillé par le SSUM (South Sudan United Movement), la milice pro-Khartoum du commandant Paulino Matiep. En janvier 1999, un autre hôpital de MSF-Hollande, à Kajo-Keijii dans l'Equatoria, est cette fois bombardé par les troupes gouvernementales. Le 21 août 2001, encore, le SSUM envahit la clinique de MSF-France à Bentiu et y kidnappe des combattants blessés qui s'étaient évadés après avoir été recrutés de force. Le 9 février 2002, enfin, un infirmier de MSF-Hollande, James Koang Mar, est tué lors d'un bombardement de l'armée qui fait cinq morts à Nimne, un centre d'accueil de personnes déplacées dans le Haut Nil occidental. D'une manière générale, les combats obligent à interrompre fréquemment les programmes humanitaires, à l'instar des équipes de la section hollandaise de MSF à Thonyor et Dablual au sud de Ler dans le Western Upper Nile en janvier 2003. Les détournements de l'aide sont organisés de manière systématique dans le cadre de l'Opération Lifeline Sudan (OLS), qui régule les interventions humanitaires sous la supervision du gouvernement de Khartoum et dont MSF-France a préféré se retirer après la famine de 1998, lorsque les secours ne sont jamais parvenus aux victimes. La SPLA n'est pas en reste et exerce de nombreuses pressions pour capter et contrôler l'aide humanitaire. En mars 2000, la rébellion va jusqu'à expulser les ONG qui, comme MSF-Hollande, refusent de signer un accord destiné à officialiser les « prélèvements » des combattants de John Garang. A partir de 2003, l'extension du conflit vers l'Ouest du Soudan, dans la région du Darfour, amène alors le mouvement MSF à organiser la plus grande intervention d'urgence de son histoire, avec un budget approchant les 40 millions d'Euros et le déploiement de 170 expatriés et 2 000 volontaires répartis sur 26 sites en 2004. Le problème est que les belligérants continuent de détourner l’aide : d’après Clea Kahn et Elena Lucchi, ils prélèvent plus de 4% d’un budget opérationnel de 2,7 millions d’Euros pour la seule section hollandaise de MSF en 2008. L’obstruction des autorités et les combats entre les rebelles, l’armée et les milices pro-gouvernementales Janjawid ne facilitent pas non plus la tâche. MSF-Espagne, par exemple, doit plusieurs fois évacuer ses équipes à cause d’affrontements ou de vols à main armée dans le Jebel Marra en novembre 2004 puis à Tawila et Shangil Tobay en juillet 2008. Le mouvement déplore également le meurtre d'un employé soudanais lors d'une attaque des troupes gouvernementales à Labado le 22 décembre 2004. En mai 2005, encore, le responsable de MSF-Hollande, Paul Foreman, et le coordinateur des opérations dans le Darfour, Vincent Hoedt, sont brièvement arrêtés et interrogés par les autorités après la publication d'un rapport dans lequel les militaires et les miliciens alliés au gouvernement sont désignés comme responsables de 80% des violences sexuelles contre les femmes. En pratique, l’organisation travaille plus facilement en zone rebelle si l’on en croit le témoignage d’une volontaire sur le terrain, Lisa French Blaker. Après de nombreuses attaques, le mouvement doit finalement suspendre en juillet 2006 la plupart de ses activités et constater l'impossibilité d'accéder aux victimes dans la région. Suite au mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) contre le chef de l’Etat soudanais Omar el-Béchir le 5 février 2009, les sections hollandaise et française de MSF, en particulier, sont expulsées du Darfour. Restées sur place, les sections suisse, espagnole et belge ne sont pas épargnées par les tensions. Une semaine plus tard, l’infirmière canadienne Laura Archer, le médecin italien Mauro D’Ascanio, le coordinateur français Raphaël Méonier et un gardien soudanais, qui travaillaient tous pour MSF-Belgique, sont brièvement kidnappés par des hommes armés à Sherif Umra, une localité à l’ouest d’El-Fasher. Dans le Sud, la situation continue par ailleurs d’être très instable malgré la signature d’un accord de paix en janvier 2005. Conjuguées à un programme de désarmement controversé des milices hostiles à la SPLA, des combats entre deux clans nuer, les Lou et les Jikany, ensanglantent les Etats du Haut-Nil et du Jonglei en avril et mai 2006. Après une attaque qui contraint les équipes médicales et les patients de MSF à évacuer le village d’Ulang le 10 avril, la clinique de Pieri, gérée par la section hollandaise, est pillée et complètement détruite. Le 15 mai, l’organisation décide en conséquence de suspendre ses programmes et de rapatrier une partie du personnel dans les régions de Nasir, Pieri et Lankien.