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Médecins Sans Frontières
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Historique

Médecins Sans Frontières - Historique




Années 1990


- Depuis 1990, Libéria : alors que le pays s’enfonce dans la guerre et que s’écroule la dictature de Samuel Doe à Monrovia, MSF intervient d’abord depuis la frontière ivoirienne en utilisant les secours envoyés par des avions de l’armée française dépêchés par la Cellule d’urgence du ministère des Affaires étrangères à Paris. Dans les territoires aux mains des guérilleros de Charles Taylor, deux véhicules de MSF sont ensuite bombardés en avril 1993 par des avions nigérians des forces d’interposition de l’Ecomog (Ecomomic Community of West African States’ Monitoring Group), qui ont imposé un blocus contre les rebelles. Les Nigérians reprochent en effet à l'association de ravitailler les rebelles ; à Ganta, par exemple, les entrepôts de MSF sont gardés par des enfants-soldats de Charles Taylor, les small boys. L'association parvient néanmoins à opérer aussi depuis la capitale, Monrovia, qui est tenue par l'Ecomog et où les guérilleros sont finalement autorisés à entrer sans avoir été désarmés après la signature d'accords de paix à Abuja au Nigeria en août 1995. En avril 1996, les installations de MSF à Monrovia sont complètement détruites lors des pillages et des combats qui opposent les diverses factions se disputant le pouvoir. Malgré l'élection de Charles Taylor en 1997 et le départ des troupes de l'Ecomog, la situation ne se stabilise pas vraiment et se dégrade sensiblement à partir de 2002. Après l'assassinat de trois employés d'ADRA en mars 2003, MSF-France évacue temporairement Toe Town dans le comté de Grand Gedeh près de la frontière ivoirienne. En mai, ses équipes du port de Harper, qui vient d'être pris par les rebelles opposés à Charles Taylor, doivent à leur tour quitter les lieux, en l’occurrence en marchant à pied jusqu’à Tabou sur la frontière ivoirienne. A Monrovia, MSF décide cependant de rester après l’évacuation des ressortissants étrangers par l’armée française le 9 juin. Contrairement à d’autres ONG, l’association ne demande pas une intervention militaire de la communauté internationale, notamment des Américains, car Washington soutient déjà les rebelles et n’est pas neutre dans le conflit.

- A partir de mai 1991, Sri Lanka : en mai 1991, une équipe de MSF est délibérément bombardée par l’armée sur une route vers Madhu. Présente dans le pays depuis 1986, l’association, expliquent Caroline Abu Sa’Da & Xavier Crombé, a longtemps travaillé seule et s’est d’abord résignée au silence pour éviter l’expulsion et pouvoir continuer de secourir des victimes à la fois du côté gouvernemental et dans la zone contrôlée par les Tigres tamouls, qui est soumise à un embargo. Mais elle a plus de facilités à protester contre les exactions de l’armée que contre celles des rebelles, qui verrouillent leur enclave et tiennent la population en otage. De ce fait, MSF est régulièrement accusé de collusion avec les Tigres tamouls par les autorités ou la presse de Colombo. Les rebelles, qui plus est, ont subtilisé des radios de l’association et voulu profiter de son ambulance pour avancer vers les positions ennemies : en minant une route, ils ont obligé MSF à changer d’itinéraire au dernier moment et ont éveillé la suspicion de l’armée, provoquant l’attaque de mai 1991. Résultat, l’association rencontre beaucoup de difficultés pour continuer de travailler et doit suspendre ses activités en juin 2003. En octobre 2006, encore, les sections espagnole et française de MSF sont expulsées sous prétexte d’infractions sur les visas d’immigration et la législation d’urgence des militaires. Courant 2009, l’ONG n’est autorisée à revenir sur le terrain qu’en signant une clause de confidentialité qui l’engage à ne pas causer de tort au gouvernement.

- A partir d’octobre 1991, ex-Yougoslavie : à la différence du CICR, qui refuse de céder aux exigences des belligérants et de négocier un accès au terrain en échange du retrait de l'armée fédérale de casernes situées en Croatie, MSF évacue les blessés de la ville de Vukovar, attaquée par les troupes serbes. De retour d’une mission, deux infirmières et un médecin de l’association sont alors blessés en sautant sur une mine qui a délibérément été placée sous leur convoi le 18 octobre 1991. Lors du siège de Dubrovnik le mois suivant, MSF doit également céder au racket des forces serbes qui, sur 500 tonnes de vivres, en exigent 200 pour autoriser l’acheminement de l’aide aux habitants croates de la ville. Constatant bientôt qu’il n’y a plus de réelle urgence à Dubrovnik après l’évacuation des populations civiles, l’association décide de se tenir à l’écart et de secourir les réfugiés plutôt que d’intervenir au cœur du conflit. En Bosnie, c’est la section hollandaise qui prend le relais et qui, soumise aux bombardements des Serbes, doit temporairement retirer son équipe en juin 1992, tandis que les Belges couvrent la côte dalmate depuis Split. Pour leur part, les Français, qui avaient ouvert une mission à Sarajevo en mai 1991, commencent à travailler sur fonds propres au Kosovo en octobre 1992. A titre personnel, le président de MSF-France, Rony Braumann, dénonce dans les médias l'entreprise de purification ethnique du régime nationaliste serbe de Slobodan Milosevic et demande une intervention militaire de l'Europe en Bosnie, ce qui lui reprochent les sections belge et hollandaise présentes sur place, qui craignent des représailles. MSF-France ne décide pas moins d'intervenir dans le camp croate de Karlovac en mai 1993, puis avec les Belges dans les villes de Goradze, Zepa et Srebrenica en Bosnie orientale en novembre suivant. L'accès à l'enclave bosniaque de Srebrenica se négocie avec les Serbes en échange du montage de programmes humanitaires à Pale, le fief des nationalistes. La guerre se poursuit en 1994 et 1995 malgré le déploiement de casques bleus. Devant l'incapacité de la communauté internationale à forcer le blocus de Goradze, zone déclarée protégée par les Nations Unies et attaquée par les Serbes le 30 mars 1994, MSF demande le 18 avril suivant la démission du représentant spécial de l'ONU en Yougoslavie, Yasushi Akashi. Lors de la chute de Srebrenica en juillet 1995, un employé local de l’organisation, Meho Bosnjakovic, et 21 patients sur 128 sont tués. Parce qu'ils souhaitent préserver leur neutralité, les médecins sans frontières refusent les escortes armées de la FORPRONU (Force de protection des Nations Unies) en Bosnie et les financements directs de pays membres de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord). De même au Kosovo en 1999, ils cherchent à se dissocier des troupes de l'OTAN venues protéger les Albanais victimes de la répression des Serbes. En Macédoine, ils s'offusquent par exemple de trouver à l'intérieur des camps de réfugiés des militaires qui risquent d'attirer les attaquants serbes, notamment à Stenkovic 1 et 2, deux sites qui abritent 40 000 Kosovars et qui ont été construits par la 101ème brigade logistique de l'armée britannique avant d'être confiés à MSF et au CICR le 11 avril 1999. Pour ne pas devenir un sous-traitant des militaires, l'association arrête des financements en cours et ne veut plus recevoir de fonds des institutions des pays membres de l'OTAN, qui sont désormais parties prenantes au conflit. Bien qu'initialement favorable à l'intervention militaire de l'OTAN, MSF condamne ensuite l'incapacité de la communauté internationale à protéger les Serbes de la province, devenus minoritaires face à la majorité albanaise. En 2001, la section belge, qui était d'abord intervenue en Albanie en 1998 en se partageant le travail avec les Français au Monténégro et les Hollandais en Macédoine, se retire ainsi du Kosovo pour ne pas cautionner une politique d'aide jugée discriminante.

- 1992, France : à Mérignac près de l’aéroport de Bordeaux, MSF ouvre une centrale d’achats où sont pré-positionnés des kits prêts à l’emploi et revendus à d’autres ONG avec une marge de 15%. Dès 1979, Jacques Pinel (1942-2015), un pharmacien de retour des camps de réfugiés en Thaïlande, avait proposé de rationaliser les commandes de médicaments et de fournitures grâce à des logisticiens qui allaient devenir la véritable force de frappe de l’organisation et constituer un bon quart des volontaires en mission. Une première centrale d’achats avait ainsi vu le jour en 1986. MSF-Belgique avait, pour sa part, monté une Unité d’intervention rapide capable d’acheminer dans l’urgence du matériel médical, parfois avec le concours des avions C-130 de la Force aérienne belge. Devenu en 1989 une coopérative commerciale appelée Transfer puis MSF Supply, ce département logistique jouera, en Belgique, un rôle équivalent à celui de Mérignac en France, proposant ses services à des ONG comme Handicap International.

- A partir de 1993, Afrique du Sud : MSF-France poursuit d’abord à Johannesburg des programmes qui ne répondent pas vraiment à des besoins d’urgence mais qui justifient le maintien d’une mission servant de plate-forme logistique pour ravitailler le Mozambique et l’Angola en guerre, sans parler d’une présence symbolique au moment de l’élection de Nelson Mandela et de l’arrivée au pouvoir de l’ANC (African National Congress) en avril 1994. Après être parti en 1995, MSF-France revient dans le pays pour aider à lutter contre le sida. Implantée au Cap dans une région aux mains de l’opposition, qui critique la politique de santé de l’ANC, elle travaille notamment à la clinique de Khayelitsha et est autorisée à importer de Thaïlande des médicaments génériques. L’association soutient alors la TAC (Treatment Action Campaign), une ONG sud-africaine lancée par Zackie Achmat et d’autres victimes du sida le 10 décembre 1998, jour des droits de l’homme. Dans le cadre de sa campagne internationale pour l’accès aux médicaments essentiels, MSF contribue ainsi à faire reculer dix-huit grandes firmes pharmaceutiques qui voulaient intenter un procès au gouvernement sud-africain pour empêcher la fabrication à meilleur prix de traitements du sida encore sous licence. Le 19 avril 2001, trente-neuf laboratoires retirent finalement leur plainte à propos d’une loi de 1997 qui autorisait l’utilisation de médicaments génériques sans payer les brevets les plus onéreux. Réunie à Cancún au Mexique, la cinquième conférence ministérielle de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) imposera ensuite en août 2003 un moratoire sur les licences qui sera pérennisé à Hongkong en décembre 2005 et qui accordera la priorité aux questions de santé publique par rapport au droit de la propriété intellectuelle. Concrètement, les accords bilatéraux ou régionaux des Etats-Unis permettront cependant de contourner ces dispositions. De plus, les demandes de dérogation pour exporter des médicaments génériques s’avèreront si complexes qu’elles seront pratiquement impossibles à mettre en œuvre, au grand dam de MSF.

- 1994, France : Philippe Biberson est élu président de MSF avant d’être remplacé en 2000 par Jean-Hervé Bradol, un ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire. Ancien vice-président de MSF entre 1990 et 1993, Jean-Christophe Rufin, pour sa part, démissionne du cabinet de Lucette Michaud-Chevry, ministre délégué à l’Action humanitaire et aux Droits de l’homme, et entre au cabinet du ministre de la Défense François Léotard. Nommé ambassadeur de France au Sénégal par le président Nicolas Sarkozy en août 2007, il intègrera ensuite en juillet 2011 l'équipe de campagne de la candidate socialiste Martine Aubry pour les élections présidentielles. Xavier Emmanuelli, quant à lui, deviendra Secrétaire d’État à l’Action humanitaire d’Urgence du président Jacques Chirac en mai 1995, poste qu’il occupera jusqu’en juin 1997.

- Avril 1994-décembre 1995, Rwanda : après avoir brièvement évacué sa mission à Kigali entre le 11 et le 13 avril, cinq jours après l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, MSF-France revient travailler au milieu des massacres, quitte à devoir aussi soigner des blessés militaires. D’après les estimations de Jean-Hervé Bradol, environ deux centaines de ses employés sont tués parce qu’ils sont suspectés d’aider les rebelles ou d’être eux-mêmes tutsi, notamment le 20 avril au centre hospitalier universitaire de Kigali, où une infirmière enceinte est découpée à la machette, puis, le 22 avril, à l’hôpital de Butare, où cinq autres collaborateurs locaux sont exécutés par les miliciens hutu. A la frontière de la Tanzanie, relève James Orbinski, un convoi d’expatriés autorisé à quitter le pays doit abandonner sur place le personnel rwandais qui l’accompagnait : 17 sont aussitôt massacrés, les 23 restant disparaissent à jamais. A Bruxelles dans le journal De Morgen du 24 avril, le président de MSF-Belgique, Réginal Moreels, est un des premiers à qualifier les événements de génocide. En dépit des risques qu'une telle dénonciation fait peser sur les équipes à Kigali, l'association démarre une grande campagne publique et demande une intervention militaire de la communauté internationale pour mettre fin aux atrocités. A Paris dans les journaux Le Monde du 18 mai puis du 23 juin, MSF-France affirme que l’on n’arrête pas un génocide avec des médecins. Lorsque des réfugiés commencent à affluer vers le Zaïre, l’association utilise ainsi des avions de l’armée française pour transporter depuis Bangui (Centrafrique) et Nairobi (Kenya) des expatriés et des vivres vers les camps de Goma et Bukavu. Un des commandants déployés sur le terrain dans le cadre de l'Opération Turquoise, le colonel Patrice Sartre, fournit des équipements et des équipes du génie pour construire des cliniques. A Kigali, MSF utilise par ailleurs les véhicules et les abris des casques bleus des Nations Unies pour pouvoir se déplacer et se loger dans la capitale, où les combats font rage depuis que certains quartiers sont tombés entre les mains des rebelles du FPR (Front patriotique rwandais). Le problème est que l’organisation est prise entre deux feux. D’un côté, elle est perçue comme pro-tutsi par l’armée gouvernementale car elle a dénoncé le génocide en cours ; de l’autre, elle n’a pas meilleure réputation auprès du FPR du fait des liaisons dangereuses que la France entretient avec les partisans hutu du président Juvénal Habyarimana. Une telle situation oblige le personnel de MSF à adopter un profil bas, à abandonner son logo et à revêtir l’insigne de la Croix-Rouge. Pour ne pas compromettre sa neutralité, l’organisation refuse alors de laisser l’ancien ministre de l’Action humanitaire, Bernard Kouchner, se faire photographier à ses côtés lors d’une visite impromptu à Kigali en mai 1994. Au vu du rôle ambigu de la France, qui a continué d’armer les tueurs hutu et facilité leur exfiltration vers le Zaïre, MSF condamne bientôt l’ensemble de l’Opération Turquoise et obtiendra par la suite la mise en place d’une mission d’enquête parlementaire sous l’égide du député socialiste Paul Quilès en 1998 : nombre d’auditions se feront en l’occurrence à huis clos, sans permettre d’impliquer le gouvernement Edouard Balladur, au pouvoir à l’époque des faits. En attendant, l’association continue de soigner les survivants du génocide après l’arrivée au pouvoir du FPR à Kigali en juillet 1994. Mais ses relations avec le nouveau régime se détériorent rapidement. En avril 1995, MSF-France doit évacuer l’hôpital du camp de Kibeho, dont les habitants hutu sont exterminés par les troupes tutsi du FPR. Avec 29 morts et 48 disparus, l’association déplore à cette occasion un bilan très lourd au sein de son personnel local : 60% seulement sont identifiés comme survivants. Sous prétexte d’inefficacité et d’espionnage, les sections française et suisse de MSF sont alors expulsées en décembre 1995 après avoir dénoncé les conditions de détention des suspects du génocide de 1994 et le massacre de Kibeho. Le matériel de l’association est confisqué et récupéré par les autorités.

- Décembre 1994-novembre 1996, Zaïre, Tanzanie : témoin dans ses cliniques de l’exécution de patients soupçonnés de sympathies tutsi, MSF-France demande en vain l’arrestation des criminels de guerre et des « génocideurs » hutu qui ont infiltré les camps de réfugiés en vue de préparer la reconquête du Rwanda après la chute du régime de Juvénal Habyarimana. Un fractionnement des camps en entités plus petites faciliterait le contrôle de la situation. Et l’intervention d’une force de police internationale permettrait peut-être de mettre fin au règne de la terreur des miliciens. Pour ne pas soutenir ces derniers, MSF-France préfère se retirer à partir de novembre 1994. Les sections hollandaise, belge, suisse et espagnole du mouvement décident, elles, de rester au Zaïre, arguant que leur présence permettra d’améliorer les conditions d’accès aux populations dans le besoin. Elles n’en sont pas moins soumises au même dilemme, qui consiste à ravitailler des criminels de guerre pour soigner le reste de la population. D’après Linda Polman, notamment, la section belge doit verser $11 000 de taxes mensuelles aux extrémistes hutu dans les camps. Avec les Hollandais, les Suisses et les Espagnols, elle partira donc à son tour en août 1995, tout en continuant ses activités dans les camps de réfugiés au Burundi, où la situation est très différente. Dans un communique du 4 novembre 1996, le mouvement demande alors une intervention militaire de la communauté internationale pour protéger les réfugiés maltraités par les génocideurs et pourchassés par les forces de Laurent Kabila et leurs alliés du FPR (Front patriotique rwandais). En septembre 1997, il proteste également contre les rapatriements forcés vers le Rwanda. Mais la politique de communication à propos des « disparitions » de réfugiés hutu massacrés au Zaïre suscite aussi des tensions au sein du mouvement après la parution d’un article accusateur dans le journal Libération en date du 20 mai 1997. Pendant plusieurs mois, les sections belge et hollandaise ne veulent plus communiquer leurs informations de terrain à leurs homologues français, considérant que ceux-ci ont compromis leurs activités dans la zone.

- A partir de juillet 1995, ex-Yougoslavie : le déploiement des humanitaires dans l’enclave de Srebrenica inquiète MSF car il entretient l’illusion d’une protection des Nations Unies, qui laissent finalement les forces serbes massacrer les Bosniaques encerclés. MSF demande alors une enquête sur la passivité des casques bleus au moment du drame (basé à Potocari, le bataillon hollandais, notamment, avait refusé de prêter assistance aux médecins surchargés dans la ville assiégée). En 1999, l'ONU " dégage en touche " et recommande aux États membres de mener leurs propres investigations. La mission d'enquête parlementaire française, qui commence ses auditions en décembre 2000 et rend ses conclusions en novembre 2001, fait reposer sur le bataillon néerlandais la responsabilité de ne pas avoir déclenché de frappes aériennes pour protéger les civils. En janvier 2003 aux Pays-Bas, une semblable commission d’enquête parlementaire ne dédouane pas totalement le gouvernement à La Haye mais renvoie la balle en accusant le général français Bernard Janvier, à l’époque commandant des forces de l’ONU en Bosnie, de ne pas avoir autorisé à temps les frappes aériennes contre les Serbes.

- A partir de 1996, Burundi : alors que les Etats voisins imposent un embargo contre le régime du major Pierre Buyoya, arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en juillet 1996, MSF négocie dès août son ravitaillement aérien depuis le Kenya sans coordonner ses efforts avec les Nations Unies, qui essaient de trouver une solution pour l'ensemble des agences humanitaires et ne parviennent à leurs fins qu'en avril 1997. L'organisation hésite à se retirer du pays car, depuis février 1996, l'armée à dominante tutsi parque les paysans hutu dans des sites insalubres. L'association ne veut pas être complice d'une politique de regroupement forcé et refuse de participer à la création des camps en construisant des infrastructures sanitaires. Les diverses sections du mouvement fournissent seulement une assistance médicale et sont de toutes façons chassées de ces camps, dont elles demandent la fermeture. En 1999, c'est cette fois de leur propre chef que MSF-France et Belgique interrompent leurs programmes dans la province de Bujumbura-Rural, dénonçant la tactique de la terre brûlée des militaires burundais. Le positionnement géographique des médecins sans frontières est un autre problème. En septembre 2000 puis novembre 2002, rapporte la presse locale, des habitants de la province de Makamba se plaignent par exemple que l'association emploie des Burundais venus de la capitale et ait déménagé ses bureaux dans la localité de Rutovu, à l'écart des populations sinistrées et des zones à risques. MSF-Belgique, notamment, privilégie la province de Karusi, devenue une place forte hutu après les pogroms de 1993, plutôt que Bururi, un fief tutsi où il n'est guère politiquement correct d'intervenir. L'insécurité oblige de toutes façons à interrompre fréquemment les programmes. Après avoir été attaqué et volé à Ngozi le 10 mai 2001, MSF-France rapatrie pour un temps son personnel à Bujumbura. En novembre 2001, encore, les activités de MSF-France sont suspendues pendant deux mois, en l'occurrence dans la province de Kayanza. En voulant introduire de nouveaux traitements anti-paludéens qui n'ont pas encore été avalisés par le gouvernement, l'organisation s'oppose en effet au ministre de la Santé Jean Kamana, qui souhaite d'abord écouler des stocks devenus obsolètes, et aux " mafias du médicament ", qui importent plus que nécessaire pour revendre les surplus en contrebande dans les pays voisins. A Nairobi, l'organisation publie par ailleurs un rapport dont l'intitulé (" Burundi, un pays sans soins ") suscite l'ire des autorités à Bujumbura, qui expulsent le chef de la mission MSF-France. Autre sujet de litige, MSF est favorable à la gratuité des soins et contrevient à la politique gouvernementale de recouvrement des coûts, qui vise à assurer l'autonomie financière des services de santé. Tandis que le ministère de la Santé veut standardiser les prix, les sections française, belge, suisse et hollandaise de MSF souhaitent appliquer des forfaits adaptés à la capacité de paiement des patients (entre 50 et 100 francs burundais par consultation en 2003). La négociation est d'autant plus difficile que les structures médicales fournies en médicaments par les ONG n'échappent pas à la corruption : selon la presse locale en 2003, les intrants que MSF-Belgique distribue gratuitement aux dispensaires de la province de Karusi sont ainsi revendus aux déplacés…

- A partir de janvier 1997, Congo-Kinshasa : dans la région de Bukavu et Shabunda, MSF-France arrête de rechercher et secourir les Rwandais pourchassés par l’APR (Armée patriotique rwandaise) de Paul Kagamé et l’AFDL (Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre) de Laurent-Désiré Kabila. Partis à l’attaque de Kinshasa, ceux-ci utilisent en effet la présence des organisations humanitaires pour attirer, localiser et massacrer les réfugiés cachés dans la forêt. Soucieux de ne pas voir se reproduire à rebours le génocide de 1994, l'association demande en vain une intervention militaire de la communauté internationale. MSF-Hollande, pour sa part, finit par évacuer ses expatriés de Bukavu lorsque la guerre reprend en septembre 1998. L'association, raconte Zoë Marriage, doit négocier son retour en payant $85 000 de « compensations », officiellement à ses seize employés locaux, en réalité aux autorités rebelles du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), qui contrôle la province et taxe les ONG. En 1999, le mouvement entreprend ensuite de travailler en Ituri dans la région de Bunia où les armées d’occupation rwandaise et ougandaise enflamment bientôt le conflit entre les milices locales des Hema et des Lendu. Malgré le déploiement de l'ONU, l'insécurité oblige l'organisation à évacuer son personnel à plusieurs reprises, en 1999, 2000, 2001, 2003, 2005 et 2006 . Début 2000, raconte par exemple Johan Pottier, MSF-Hollande est attaquée et doit quitter la région, accusée par la rumeur d'avoir fourni des armes aux Lendu et introduit le choléra pour tuer les Hema ! En juin 2003, encore, le mouvement critique l'Opération Artémis qui, sous la coupe de l'Union européenne et des militaires français, ne sécurise que la ville de Bunia, laissant sans protection les populations civiles des alentours. Deux employés de MSF-France (un chauffeur et un expatrié, Marc Gallinier) sont par ailleurs enlevés le 2 juin 2005, battus et retenus pendant dix jours par des miliciens près de Gina. Et en août 2006, c'est un dispensaire à Geti, près de la frontière ougandaise, qui est attaqué et pillé par les Lendu du FRPI (Forces de résistance patriotique en Ituri). Depuis la clinique d'Anuarite à Kitenge dans le Nord du Katanga en mars 2004, les médecins sans frontières, qui sont témoins de l'assassinat d'une femme venue leur demander de l'aide, dénoncent également les exactions des milices Mai-Mai et des Forces armées congolaises. Dans le Nord du Kivu, l'association doit par ailleurs interrompre ses programmes à Kabati, où ses bureaux sont attaqués et pillés par des hommes en uniforme le 18 janvier 2005. Alors que les combats dans la région reprennent en janvier 2006, MSF est plusieurs fois contraint d'évacuer, fermer et déménager ses cliniques à Kanyabayonga, Kibiridzi, Katwiguru et Rutshuru. En octobre 2008, l’organisation parvient certes à maintenir une équipe à l’hôpital de Rutshuru près de Kiwandja au moment où toutes les autres ONG préfèrent se replier pour fuir les rebelles de Laurent Nkunda qui se sont emparés de la localité. Mais en octobre 2009 dans la région de Masisi, ses équipes de vaccination servent d’appât aux forces gouvernementales pour attaquer les familles des combattants rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda. En juillet 2013, une infirmière de MSF, Chantal Kaghoma, est par ailleurs enlevée par des rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF), avant d’être libérée en août 2014.


- A partir de 1997, Etats-Unis : sur les recommandations de Juan Somavia, l'ambassadeur du Chili en poste auprès de l'ONU à New York, MSF fait partie, le 12 février 1997, des premières ONG consultées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, avec le CICR, Oxfam et CARE. L'association en profite pour déplorer l'utilisation de l'aide humanitaire comme un substitut à l'action politique dans l'Afrique des Grands Lacs au moment du génocide rwandais de 1994. Rejointe par SCF, une deuxième entrevue de ce type aura lieu en octobre 1998 à propos du Soudan plus spécifiquement. En octobre 2001, encore, MSF, Oxfam, Global Witness et Amnesty International présenteront au Conseil de sécurité une analyse de la situation humanitaire au Libéria. De même, le 24 mai 2004, le coordinateur de MSF au Soudan, Ton Koene, est invité à témoigner de la crise au Darfour.

- A partir de 1997, Congo-Brazzaville : arrivé dans le pays au moment où la guerre civile fait rage, MSF-France intervient à l'hôpital Makelekele dans les quartiers sud de la capitale, que l'association est obligée d'évacuer en avril 1998. Refusant des financements de l'ambassade de France à Brazzaville, l'organisation revient sur les lieux en mars 1999 et s'interroge sur les risques que présente son programme médical en attirant les civils pendant que les milices continuent de piller les environs. A la suite du CICR en janvier 2006, MSF-Hollande doit également suspendre ses activités dans la région du Pool, en l'occurrence dans les districts de Kindamba, Mindouli et Vindza, après avoir été victime de plusieurs attaques à main armée.

- 1998, Timor-Est : MSF est expulsé par les autorités indonésiennes, qui occupent cette ancienne colonie portugaise indépendante depuis 1975.

- A partir de 1998, Sierra Leone : contrairement à ses habitudes, MSF refuse de se retirer de la ville de Bo alors que les Nations Unies décident, pour une fois, d’un retrait collectif afin de faire pression sur les guérilleros du RUF (Revolutionary United Front), responsables de nombreuses exactions contre les civils. La position de MSF, qui est présent dans le pays depuis 1986, contrecarre les tentatives de coordination. En décembre 1999, plusieurs volontaires de MSF sont alors détenus par le RUF, qui les accuse de soutenir un programme de démobilisation auquel les rebelles sont hostiles. Dans un communiqué, MSF affirme pourtant ne jouer aucun rôle dans le processus de désarmement, quitte à se désolidariser des efforts dans ce domaine. L’organisation accuse au contraire les Nations Unies de négocier avec les chefs du RUF la livraison d’aide en échange de leur démobilisation. Pour ne pas compromettre sa neutralité, MSF refuse également d'utiliser les véhicules militaires de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone, l'UNAMSIL, qui commence à se déployer en dehors de la capitale en 2000. L'association se plaint notamment des pressions de la communauté internationale, qui, pour des raisons financières, veut hâter le processus de rapatriement des réfugiés et des déplacés sierra léonais en les obligeant à quitter les camps.

- Octobre 1998, Corée du Nord : faute d’avoir librement accès à la population, MSF se retire d’un pays où l’organisation était présente depuis 1995. Contrairement à d’autres ONG qui considèrent que leur présence contribue à consolider la paix en prévenant un effondrement du régime, l’association se refuse en effet à participer au processus de sélection des populations dignes de vivre ou condamnées à mourir d’inanition. Après s’être retirée, elle dénonce les distributions du Programme alimentaire mondial sur lesquelles l’ONU n’a aucun contrôle, au risque de se rendre complice du système d’oppression de Pyongyang. MSF essaie aussi de secourir les réfugiés nord-coréens arrivés clandestinement en Chine.

- Octobre 1999, Norvège : MSF, qui avait déjà reçu du Conseil de l’Europe le prix des droits de l’homme en 1992, est récompensé du prix Nobel de la paix, qui est remis à son président international James Orbinski lors d’une cérémonie à Oslo au cours de laquelle le mouvement vilipende les abus de la Russie en Tchétchénie. Fort de sa notoriété, l’association lance une campagne internationale pour l’accès aux médicaments essentiels dans les pays en développement.