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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1870-1879


-A partir de 1870, France : la «Société de secours aux blessés militaires des armées de terre et de mer» (SSBM) n’est pas prête à intervenir sur le front au moment où démarre la guerre contre la Prusse en juillet 1870. Dirigée par des aristocrates et présidée par le comte Emmanuel de Flavigny de 1870 à 1873, l’organisation refuse notamment de laisser à des médecins professionnels le soin de mener les opérations sur le terrain. Elle renvoie un chirurgien de guerre réputé, Auguste Nélaton, et le remplace par un docteur proche de la noblesse, Jean-Charles Chenu. Dans un article paru dans la Revue des deux mondes en 1871, le chirurgien Léon Le Fort déplore ainsi l’incompétence de l’institution. Dans son livre, il raconte qu’il a été chargé de constituer les cliniques mobiles de la Société de secours en juillet 1870 avant d’être dessaisi de son poste en août et de devoir capituler à la fin du siège de Metz en octobre. Il explique que « la direction des ambulances a échappé, dès les premiers jours, à l’action du corps médical, et qu’une sorte d’intendance civile volontaire, n’ayant même pas pour elle cette expérience des choses de la guerre que possède du moins l’intendance militaire, a neutralisé les efforts des médecins ». Sur le front, se plaint-il, nombre d’infirmiers et de brancardiers sont des chômeurs recrutés pour l’occasion, des ivrognes, des voleurs, des paresseux, des poltrons, des dames patronnesses sans qualifications et des déserteurs qui tentent de fuir les combats en endossant une tenue médicale. La distribution à profusion des brassards de la Croix-Rouge permet à des paysans de s’en saisir pour aller sur les champs de batailles détrousser les cadavres sans se faire tirer dessus. Profitant des dispositions de la Convention de 1864, dont l’article cinq prévoit d’exempter les habitants des réquisitions de l’armée lorsque ceux-ci contribuent à soigner les blessés, des particuliers plantent également sur le toit de leur maison des drapeaux de la Croix-Rouge pour ne pas avoir à héberger les soldats en campagne. A l’arrière, des particuliers avides de reconnaissance utilisent quant à eux le symbole du mouvement afin de faire croire qu’ils ont la médaille de la légion d’honneur, de couleur rouge. Des municipalités, des capitalistes philanthropes, des francs-maçons et des sociétés religieuses, protestantes ou juives, abusent par ailleurs du logo de la Croix-Rouge pour gagner la bataille des cœurs. Le général Charles Bourbaki se déguise lui-même en infirmier afin de fuir la ville de Metz encerclée par l’ennemi. A l’inverse, des militaires employés à l’évacuation des blessés rechignent à porter le brassard de la Croix-Rouge au prétexte que cela serait un acte de lâcheté pour se protéger du feu de l’ennemi. Beaucoup ignorent la Convention de 1864. Si les Allemands tuent deux infirmiers lors du bombardement d’un hôpital à Sedan le 1er septembre 1870, les Français violent également le droit humanitaire et utilisent des prisonniers comme bouclier humain pour protéger leurs structures hospitalières. Charles Duncker rapporte plusieurs attaques contre des brancardiers allemands à Sémécourt le 7 octobre et Nuits le 30 novembre, à tel point que, pour pouvoir continuer à ramasser les blessés, ceux-ci doivent masquer l’emblème trop visible de la Croix-Rouge, qui sert de cible. Après que des francs-tireurs ont achevé un chirurgien bavarois à Orléans le 10 novembre 1870, l’armée régulière, qui reprend brièvement la ville le jour suivant, déporte pour sa part les infirmiers allemands à Pau et oblige les secouristes américains en la place à évacuer des blessés ennemis dans un état grave. Capturés à Dijon le 27 décembre 1870, des chirurgiens de la Croix-Rouge prussienne sont aussi emprisonnés, tandis que des blessés soignés en Suisse sont réincorporés dans l’armée française en dépit des dispositions prévues par la Convention de Genève. Pendant le siège de la capitale, les Allemands ne se gênent pas non plus pour bombarder des installations sanitaires clairement signalées comme telles. Après la reddition des Français en janvier 1871, la « Société de secours aux blessés militaires », qui a perdu quatre volontaires au cours des hostilités, ne se comporte pas mieux lors de la Commune de Paris. Loin d’être neutre, elle intervient surtout du côté des forces gouvernementales, les Versaillais, plutôt que des insurgés, les Fédérés, auprès de qui elle déplore deux morts et six infirmiers blessés. Bien vite, les partisans de la Commune prononcent d’ailleurs sa dissolution, confisquent son matériel et arrêtent brièvement le Docteur Jean-Charles Chenu en avril 1871. Avant d’adhérer tardivement à la Convention de Genève le 13 mai suivant, ils tuent en l’occurrence un médecin militaire qui, porteur du brassard de la Croix-Rouge, est la première victime de ce conflit franco-français. Aux yeux des Versaillais, son meurtre justifie alors l’exécution systématique des combattants tombés entre leurs mains, au mépris des dispositions du droit de Genève. Un autre docteur est tué et six infirmiers sont blessés par les Fédérés. Prises au piège dans Paris, les ambulances de la Croix-Rouge servent quant à elles à cacher des prêtres persécutés par les Communards et des armes destinées à la résistance royaliste. Renonçant à toute neutralité, ses responsables préfèrent retourner à la vie civile et abandonner leur brassard à partir du moment où les insurgés adoptent l’emblème du mouvement. Pour les Versaillais, relève le fondateur de la Croix-Rouge britannique John Furley, les derniers volontaires restés à Paris sont d’autant plus suspects qu’ils se réfèrent au Comité « International » de Genève, un nom qui évoque l’Internationale socialiste ! Après la chute du dernier bastion des Fédérés le 27 mai 1871, l’armée exécute des blessés et la « Société de secours aux blessés militaires » confirme son parti pris en finançant en janvier 1872 à la cathédrale Notre Dame de Paris une grande messe pour commémorer les victimes de la guerre contre la Prusse, mais pas de la répression contre la Commune. Dans le même ordre d’idées, l’organisation inaugure aux Invalides un musée de la Croix-Rouge qui honore uniquement les morts tombés sur le champ de bataille face aux Allemands, quitte à occulter complètement les atrocités des Versaillais. Restée très conservatrice, la « Société de secours aux blessés militaires » se compose en effet d’orléanistes. De 1873 à 1886, elle est présidée par le second fils du roi Louis-Philippe, Louis d’Orléans (1814-1896), duc de Nemours, qui a participé à la conquête de l’Algérie et est parti en exil au moment de la Révolution de 1848 avant de revenir en France en 1871 et d’être rayé des cadres de l’armée avec d’autres monarchistes en 1886. De 1886 à 1893 lui succède à ce poste le maréchal Edme Patrice Maurice Mac-Mahon (1808-1898), un légitimiste réactionnaire qui, après avoir fait la guerre de Crimée, a démissionné lors de la chute du roi Charles X en 1830 avant de devenir gouverneur général de l’Algérie entre 1864 et 1870, d’organiser la répression de la Commune de Paris pour le compte des Versaillais en 1871 et de devenir président de la République de 1873 à 1879 grâce au soutien d’une coalition monarchiste à l’Assemblée nationale. Les autres présidents de la « Société de secours aux blessés militaires » sont du même acabit. De 1893 à 1897, on trouve cette fois le quatrième fils du roi Louis-Philippe, Henri Eugène Philippe d’Orléans (1822-1897), duc d'Aumale : gouverneur des possessions françaises d'Afrique en 1847 et député en 1871, il a été proscrit par la République et rayé des cadres de l’armée en 1886 avant de revenir d’exil en 1889. L’organisation est ensuite présidée, de 1897 à 1904, par Léopold Davout (1829-1904), duc d’Auerstaëdt et petit neveu du fameux maréchal de l’Empereur Napoléon Premier, puis, de 1904 à 1916, par Melchior de Vogüé (1829-1916), un marquis ambassadeur de France à Istanbul et Vienne dans les années 1870. Il faudra attendre la Première Guerre mondiale pour voir apparaître à la tête de la Croix-Rouge française, de 1916 à 1918, un professeur qui n’est pas de la noblesse, Louis Renault. En attendant, constate Bertrand Taithe, l’organisation perd ses dernières vélléités d’indépendance à l’égard des pouvoirs publics. Nationalisée par les Communards et les Versaillais tout à la fois, elle annonce à sa manière l’ère des guerres totales où la population civile et les secouristes sont mobilisés au même titre que les combattants.

-1871-1872, Suisse : tandis que la France et la Prusse signent un armistice le 28 janvier 1871, la Croix-Rouge suisse s’occupe d’accueillir et interner une partie des 80 000 soldats de l’armée du général Charles Bourbaki qui ont battu en retraite vers la Confédération helvétique. Pendant les combats, le Comité de Genève a aussi monté à Bâle, sur la frontière, une Agence internationale d’information et d’assistance aux blessés qui a recensé les prisonniers des deux camps et s’est dotée d’un nouveau sigle à cet effet, la croix verte. Un tel travail facilite les opérations de rapatriement que conduisent ensuite les Croix Rouges française et allemande. La guerre ne laisse pas moins un sentiment d’échec à l’approche du dixième anniversaire du Comité International de Secours aux Blessés, en 1873. De nombreuses violations du droit humanitaire ont été constatées et, en janvier 1872, Gustave Moynier rédige une « note sur la création d’une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève ». En attendant la Cour pénale internationale qui verra finalement le jour en 1998, le Comité doit adopter une attitude plus réaliste et renoncer aux utopies de ses débuts, lorsqu’il croyait possible de rapatrier des blessés et même des soldats valides avant la fin des opérations militaires, quitte à faciliter la reconstitution des armées ennemies pendant le déroulement des combats. Rédigés lors d’une conférence diplomatique à Genève en 1868, des articles additionnels à la Convention de 1864 prévoient en principe la libération des prisonniers de guerre blessés. Mais ils leur interdisent évidemment de reprendre les armes et, de crainte qu’ils ne soient achevés plutôt que relâchés, autorisent les puissances détentrices à les garder pour des raisons militaires, notamment s’ils sont porteurs de renseignements stratégiques. Dans un ouvrage paru en 1876, l’Allemand Carl Lueder demande pour sa part que la Convention de 1864 prenne désormais en compte les hôpitaux civils et pas seulement militaires. En vain : à l’époque, le mandat du CICR reste limité aux seuls blessés de guerre.

-1872-1924, Espagne : lors de la deuxième guerre carliste, qui dure jusqu’en 1876, le Comité de Genève intervient pour la première fois dans un conflit interne, en sollicitant l’aide des Croix Rouges nationales. En 1873-1875, les Français de la « Société de secours aux blessés militaires » s’occupent ainsi des Espagnols venus trouver asile dans le Midi de la France. Le CICR finance certaines de ces opérations malgré l’opposition de Madrid, qui voudrait s’occuper des déplacés internes aussi bien que des réfugiés de l’autre côté de la frontière. En Espagne même, le Comité s’en remet surtout à la Cruz Roja et ne dépêche pas de mission, à la différence de la Bosnie-Herzégovine en 1875. Fondée le 6 juillet 1864 par le responsable du corps de santé des armées Nicasio Landa y Alvarez de Carvallo, patronnée par la reine Isabelle et présidée par un grand prieur de l’Ordre des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, l’infant Sebastian Gabriel de Bourbon y Braganza, la Croix-Rouge espagnole a hérité de la « Société de la Sainte Croix », qui s’était constituée le 2 mai 1808 au début de l’insurrection contre l’occupant français et les troupes de Napoléon Bonaparte à Madrid. Elle a pris le nom de « Société espagnole de secours aux blessés en campagne » à l’occasion d’une loi qui, le 20 avril 1870, a exempté ses volontaires des réglementations d’ordre public du 17 avril 1821, qui assimilaient à un insurgé toute personne physiquement présente aux côtés de rebelles. Lorsque démarre la guerre en 1872, la Cruz Roja est en l’occurrence présidée par le comte José Joaquin de Ripalda, marquis de Campos Salinas. Mais une fois la paix revenue, elle se scinde en 1876 avec la création d’un service d’ambulance des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem qui est reconnu par le pape Léon XIII en 1880 et qui se préoccupe surtout de soutenir l’hôpital Notre Dame d’Atocha à Madrid avant de sombrer dans l’oubli à la mort de son fondateur, le sénateur et chevalier Eduardo Palou y Flores. De son côté, la Cruz Roja paraît moribonde lorsque le CICR s’inquiète à nouveau de son existence réelle en 1892. Il faut attendre la Première Guerre mondiale pour qu’elle renaisse de ses cendres quand, en 1916, elle abandonne son statut de fondation royale et passe sous la coupe des services sanitaires du ministère de la guerre. S’ensuit alors une période qui voit les militaires étendre leur influence dans la société, plutôt que l’inverse. Le 16 avril 1924, c’est par exemple un décret de la junte du général Miguel Primo de Rivera qui révise les statuts de la Croix-Rouge espagnole en fusionnant ses deux conseils d’administration constitués d’hommes ou de femmes. L’organisation est désormais habilitée à collecter des fonds sur la voie publique, recevoir des subventions du gouvernment et bénéficier d’une partie des revenus de la lotterie nationale ou des combats de tauromachie. A l’international, elle se déploie notamment dans les possessions espagnoles du Maroc qui sont contestées par la France et où Madrid a proclamé un protectorat en 1912, en particulier à Tangers, Ceuta, Mellila.

-1873-1914, Grande-Bretagne : lancée en 1869 avec le colonel Robert Loyd-Lindsay, un député conservateur et un héros de la guerre de Crimée qui entrera au War Office en 1877, l’ancêtre de l’actuelle Croix-Rouge britannique, la NAS (National Society for the Aid to the Sick and Wounded in War), a bien des difficultés à se développer. Elle se scinde en deux après la démission, en 1873, de son fondateur John Furley, un hospitalier de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. Ce dernier s’oppose en l’occurrence à l’amateurisme des aristocrates qui, derrière Robert Loyd-Lindsay, devenu Lord Wantage, refusent de populariser, professionnaliser et bureaucratiser les activités caritatives de la Croix-Rouge sous la coupe du War Office. Lors des guerres balkaniques de 1876, la NAS est en effet très critiquée pour avoir érigé un établissement modèle à Belgrade, l’hôpital Katherine, qui est trop éloigné des lignes de front et qui n’est donc pas en mesure de soigner les soldats blessés au combat. John Furley, lui, aurait préféré monter des cliniques mobiles. De plus, rapporte Rebecca Gill, il s’offusque des prises de position publiques de Robert Loyd-Lindsay, qui dénonce dans la rébellion serbe un complot russe pour prendre la place des Ottomans. Le déséquilibre paraît d’autant plus flagrant que les Russes ont initialement refusé l’aide de la NAS, qui devra patienter avant d’être autorisée à soigner leurs soldats blessés à Bucarest. En revanche, Robert Loyd-Lindsay a rapidement pu monter des hôpitaux pour l’armée ottomane en Serbie (à Nis), en Bulgarie (à Sofia) et en Albanie. En outre, il convoie des vivres dans des bateaux qui sont suspectés de servir à ravitailler les troupes turques. Robert Loyd-Lindsay, relate Louisa Elizabeth MacLaughlin, est lui-même accusé d’espionner pour les Ottomans et le gouvernement britannique. En 1877, John Furley monte en conséquence une Brigade des ambulanciers de Saint-Jean, la Saint John Ambulance Brigade, qui rompt avec la NAS et qui veut pérenniser son mandat en poursuivant des programmes de santé publique en temps de paix. A ce titre, il continue de participer à des réunions du CICR alors qu’il n’entretient plus de lien institutionnel avec la Croix-Rouge de Robert Loyd-Lindsay, qui s’isole du continent. Les divergences entre les deux hommes tiennent aussi à leurs rapports avec le gouvernement car l’armée cherche bientôt à contrôler et militariser une organisation qui, précisément, avait tenu à garder son indépendance en envoyant des secouristes habillés en civil à parité dans les deux camps pendant les combats de 1870 entre la France et la Prusse. Après avoir essayé de rester neutres pendant les guerres balkaniques de 1876-1878, les équipes de la NAS sont finalement embarquées dans les troupes britanniques lors de la colonisation du Soudan en 1884 puis de l’Afrique du Sud en 1901. En 1899, les autorités s’emparent de la question et établissent un comité central, le CBRCC (Central British Red Cross Committee), qui a vocation à former des volontaires en temps de paix afin de faciliter leur mobilisation en cas de guerre. La Croix-Rouge de Robert Loyd-Lindsay n’y résiste pas. Elle est fusionnée de force avec le CBRCC par un décret royal de juillet 1905 qui attribue à chacun des tâches en temps de guerre et de paix respectivement. Présidée par la Reine et directement parrainée par le Roi, la nouvelle BRCS (British Red Cross Society) est d’abord dirigée par un fameux chirurgien, Sir Frederick Treves (1853-1923), auquel succédera en 1912 Edward Ridsdale (1864-1923), un député libéral de Brighton de 1906 à 1910, puis, à partir de 1917, Arthur Stanley (1869-1947), un représentant conservateur de la circonscription d’Ormskirk de 1898 à 1918. En 1908, une charte royale consacre par ailleurs l’institutionnalisation de l’organisation, qui accueille la huitième conférence internationale des Croix Rouges à Londres en 1907. Sous la présidence du baron Nathan Meyer Rothschild à partir de 1910, la BRCS ne parvient cependant pas à intégrer la Brigade des ambulanciers de Saint-Jean, qui la concurrence pour obtenir des financements et fournir des volontaires en uniforme au ministère de la Guerre. Avec le déclenchement des hostilités contre l’Allemagne en 1914, les deux entités sont placées sur un pied d’égalité, ce qui provoque la démission d’Edward Ridsdale. Elles doivent finalement constituer une organisation commune, notamment sous la pression du journal The Times, qui refuse de publier deux appels différents pour collecter des fonds auprès du public. Pendant la Première Guerre mondiale, la BRCS emploie surtout des infirmières, les FANYs (First Aid Nursing Yeomanry), qui pallient à l’absence d’hommes et qui sont regroupées au sein d’équipes appelées VAD (Voluntary Aid Detachment). Par besoin de reconnaissance autant que par nationalisme et par volonté d’émancipation, jusqu’à 80 000 femmes s’enrôlent à l’époque sous la bannière de la Croix-Rouge britannique, en particulier des dames patronesses qui, pour des raisons de convenance sociale, ne peuvent servir leur pays en travaillant comme ouvrières en usine.
 
-A partir de 1874, Belgique : le président de la Croix-Rouge belge depuis 1868, Auguste Visschers, décède en juin 1874 et est remplacé par le général Bruno-Jean-Baptiste-Joseph Renard jusqu’à la mort de celui-ci en juillet 1879. Née le 4 février 1864 sous l'impulsion du Docteur André Uytterhoeven, chirurgien en chef de l’hôpital d’Anvers, l’organisation est devenue la doyenne de toutes les sociétés nationales de la Croix-Rouge après l'unification de l'Allemagne en 1869 et la disparition des comités de secours créés précédemment dans le Wurtemberg et l'Oltenbourg. Mais elle connaît de fortes dissensions internes entre les médecins, d’une part, et les militaires et l’aristocratie, d’autre part, ceci sans parler des clivages entre Wallons et Flamands. Un docteur, Henri Van Holsbeek (1829-1873), fait ainsi sécession du comité de Bruxelles pour aller fonder sa propre Croix-Rouge à Anvers en 1873. Mais l’aristocratie reprend la main sur l’organisation, dont le président à partir de 1885 est Louis-Eugène-Henri-Marie Lamoral, prince de Ligne (1854-1918). A défaut de développer sa capacité opérationnelle, la CRB (Croix-Rouge belge) se ruine alors en perdant les procès à répétition qui l’opposent à des commerçants accusés d’usurper l’emblème du mouvement. A l’instar des autres monarchies constitutionnelles d’Europe, le gouvernement finit par prendre le contrôle de l’organisation, qu’il reconnaît officiellement par une loi du 30 mars 1891 et à qui il interdit d’envoyer des secours ou des fonds à l’étranger sans l’autorisation expresse du ministre de la Guerre.
 
-1875-1876, Monténégro : l’adhésion du Monténégro à la Convention de Genève le 29 novembre 1875 permet au CICR d’organiser des secours pour une partie des 40 000 habitants qui ont fui les guerres balkaniques de la Bosnie, de l’Herzégovine et de la Bulgarie contre l’Empire Ottoman. Avec le soutien matériel de son homologue russe, une Croix-Rouge monténégrine est alors constituée par un envoyé de Genève en janvier 1876, suivie de structures similaires en Roumanie et en Serbie. Une telle démarche permet de suppléer aux carences de la Croix-Rouge autrichienne, qui veut uniquement soigner les soldats de son pays, et non les réfugiés. Le problème est que le Monténégro et la Serbie ne sont pas reconnus par l’Empire Ottoman. En principe, seuls des Etats souverains peuvent adhérer à la Convention de Genève. L’Empire Ottoman, relève Gustave Rolin-Jaequemyns, proteste d’ailleurs contre cette infraction à sa suzeraineté. De fait, sur des territoires qui luttent pour leur indépendance, le CICR contourne le droit international en suscitant la création de nouvelles Croix Rouges dont il subordonne la reconnaissance à l’adhésion ultérieure de leur pays à la Convention de Genève. Soucieux de respecter les souverainetés étatiques, le Comité de Genève évite cependant d’intervenir à l’étranger sans avoir été formellement sollicité par la Croix-Rouge locale. Ayant désavoué les démarches individuelles de Louis Appia en Allemagne en 1866 et de Henry Dunant en France en 1870, il n’exerce son droit d’initiative qu’en l’absence de correspondant sur place. En général, il n’envoie ainsi pas de délégués sur le terrain et opère plutôt par l’intermédiaire des sociétés nationales.
 
-1876-1896, Yougoslavie, Bulgarie : deux ans avant que le Congrès de Berlin reconnaisse l’indépendance de la Serbie en mars 1878, le CICR facilite la constitution en juin 1876 d’une Croix-Rouge locale qui compte 1 500 membres et qui est présidée par le métropolite de Belgrade, Mihailo Jovanovic. L’organisation connaît tout de suite l’épreuve du feu lors de combats contre l’Empire Ottoman et déplore la mort d’un de ses secrétaires, Luka Popovitch, massacré par la cavalerie turque à Aleksinac (Alexinatz) en septembre 1876. Le CICR est également gêné par les déclarations du responsable de la Croix-Rouge britannique, le colonel Robert Loyd-Lindsay, qui a ouvertement pris parti en faveur des Serbes. Pour coordonner l’action des Croix Rouges dans la région, Genève établit alors à Trieste en juin 1877 une agence internationale qui est placée sous la responsabilité d’Alexis Paris, le consul suisse en poste dans la ville de 1875 à 1889. Mais le droit humanitaire est très largement violé de part et d’autre. Le CICR intervient de nouveau dans la région pour financer des secours lors d’une guerre qui oppose brièvement la Serbie et la Bulgarie en novembre 1885. Cette fois, les deux Croix Rouges parviennent effectivement à coopérer, sans doute parce que la communication est plus facile à établir entre pays de même culture orthodoxe. Montée pour l’occasion en juillet 1885, la Croix-Rouge bulgare est ainsi présidée par le métropolite « Clément » de Veliko Târnovo, Basile Drumev. Après la fin des hostilités, son homologue du côté serbe est ensuite reprise en main par les militaires et présidée de 1888 jusqu’à sa mort par un chef d’état-major et ministre de la Guerre en 1873 et 1880, le général Milojko Leschianin (1833-1896).
 

-1877-1878, Turquie : le Croissant Rouge devient le symbole du mouvement de la Croix-Rouge en pays musulman. En 1868, une Société ottomane de secours aux blessés de guerre avait été lancée par un docteur hongrois, Karl Edward Hammerschmidt, qui avait fui la monarchie des Habsbourg au moment de la révolution de 1848, qui s’était converti à l’islam sous le nom d’Abdullah Bey et qui, promu colonel, était devenu le responsable médical de la garde impériale d’Istanbul après la guerre de Crimée en 1853-1856. Cette première tentative, qui avait sombré à la mort de son initiateur en 1874, renaît de ses cendres trois ans plus tard sous la présidence de Hadj Harif Bey et les auspices de Marco Pasha, l’inspecteur général des services médicaux des armées du sultan à Constantinople. La nouvelle société nationale, qui prendra le nom de Croissant Rouge ottoman en avril 1911, s’engage en juin 1877 à ne pas tirer sur les emblèmes de la Croix-Rouge mais refuse de souscrire à un symbole qui est identifié aux croisades. Les débuts de l’organisation, en l’occurrence, ne sont pas brillants lors de la guerre qui oppose bientôt la Turquie à la Russie et à la SerbieSes chirurgiens, raconte R.B. MacPherson, meurent souvent de maladies contractées au cours de leur service, à l’instar du Dr. John Pinkerton du fait du typhus à Erzeroum le 8 janvier 1878. De leur côté, les troupes turques continuent d’achever les blessés du camp ennemi, de mutiler leurs corps et de tuer les secouristes porteurs de la Croix. En Roumanie, par exemple, elles attaquent un hôpital à Giurgiu (Giurgewo) et massacrent deux « officiers sanitaires » à Plevna en juillet 1877. Le camp adverse, il est vrai, est également responsable d’atrocités. A Vidin (Widdin) en Bulgarie, les Roumains, qui viennent aussi de se doter d’une Croix-Rouge, bombardent en l’occurrence un hôpital turc qu’ils accusent d’abriter des canons. Sous prétexte que le Croissant Rouge n’est pas un emblème reconnu et neutre, les Russes et les Cosaques, pour leur part, ne se gênent pas pour tirer sur des installations médicales ottomanes à Roustchouk (Ruse) et Guildiz-Tabiassi (Telis) au sud-ouest de Pleven en Bulgarie en janvier et février 1878 ; ils vont jusqu’à piller un hôpital à Kars en Arménie. En sa qualité de juriste et non de membre du CICR, Gustave Moynier lance alors un appel aux belligérants et condamne publiquement les exactions ottomanes, transgressant la règle habituelle selon laquelle les abus observés sur le terrain sont seulement transmis aux sociétés nationales concernées. Après la défaite et le retrait des armées turques en janvier 1878, le CICR élargit ensuite son champ d’action en relayant les demandes du Croissant Rouge ottoman pour aider les civils qui se sont réfugiés autour de Constantinople : une première dans l’histoire d’une organisation dont le mandat intial ne se préoccupe que des blessés de guerre.

 
-A partir de 1878, Suisse : miné par les profondes divisions qui déchirent le mouvement de la Croix-Rouge depuis la guerre franco-prussienne de 1870, le CICR entre dans une phase de récession. A une époque où l’inflation est faible, l’évolution du budget effectif de l’organisation est significatif à cet égard, puisqu’il passe de 8 280 francs suisses en 1880 à 3 005 en 1881, 5 032 en 1898, 4 633 en 1901, 3 403 en 1903, 5 852 en 1905, 5 914 en 1906, 5 872 en 1907, 5 977 en 1908, 6 376 en 1909, 7 447 en 1910, 6 999 en 1911, 11 871 en 1912, 8 771 en 1913 et 6 903 en 1914. A en croire les comptes-rendus des réunions du CICR, les actifs du Comité suivent aussi une tendance à la baisse dans les années 1880, à raison de 86 000 francs suisses en 1879, 68 000 en 1880, 136 000 en 1881, 118 000 en 1884 et 80 000 en 1889, contre 105 000 en 1894, 129 000 en 1898, 173 000 en 1899, 179 000 en 1901, 177 000 en 1902, 179 000 en 1904, 180 000 en 1905, 179 000 en 1906, 171 000 en 1907, 172 000 en 1908, 174 000 en 1909, 176 000 en 1910, 177 000 en 1911, 159 000 en 1912, 159 000 en 1913 et 143 000 en 1914.
 
-Depuis 1879, Pérou : alors que démarre la guerre du Pacifique avec la Bolivie contre le Chili en avril 1879, une société de secours est constituée sous le nom de Croix Bleue. Présidée par un religieux, José Antonio Roca, elle soigne les blessés évacués dans la province côtière de Lima et reçoit quelques subsides du CICR, qui la reconnaît officiellement l’année suivante. José Antonio Roca doit cependant partir en exil après la prise de Lima par les troupes d’occupation chiliennes en janvier 1881. Un libraire de la capitale, Emile Henriod, prend alors le relais et tente vaille que vaille de maintenir une société de secours qui tient lieu de Croix-Rouge et qui est décrétée d’utilité publique en 1883. Inactive pendant de longues années, cette dernière n’admet d’abord que les hommes et n’est rejointe par les femmes qu’en 1911, huit ans avant son adhésion à la Ligue des Croix Rouges en 1919. Après une guerre éclair contre l’Equateur en 1941, les troubles internes qui agitent régulièrement le Pérou lui donnent maintes fois l’occasion de monter des opérations de secours. D’inspiration maoïste et paysanne, l’insurrection du Sentier Lumineux constitue un véritable défi à cet égard. En effet, elle provoque une répression féroce de l’armée et des déplacements importants de population qui amènent le CICR à intervenir sur le terrain à partir de 1984. Faute de parvenir à établir de contacts avec les rebelles, qui lui refuseront toujours l’accès à leurs détenus, le Comité doit en l’occurrence se contenter de travailler en zone gouvernementale. Les relations avec les autorités ne sont pas non plus faciles. Jusqu’en janvier et avril 1986, respectivement, le CICR n’a pas la permission de visiter les détenus aux mains de la police secrète et d’entrer dans les régions régies par un état d’urgence, où il peut seulement ravitailler les enfants défavorisés de la ville d’Ayacucho. Les autorisations obtenues sont d’ailleurs remises en cause dès l’année suivante, malgré quelques visites épisodiques à des prisonniers politiques en 1988. Il faut attendre la signature d’un accord de siège en juin 1989 pour que le CICR puisse se déployer pleinement. Mais une fuite dans la presse ébranle la confiance du gouvernement dans une institution censée garantir une discrétion absolue. Genève suspend alors son assistance aux détenus pendant un mois après la publication dans un magazine de Lima, en février 1993, d’un entretien avec le chef du Sentier Lumineux, Abimael Guzmán, arrêté en septembre 1992 et enregistré en prison à l’insu de ses geôliers lors d’une visite des délégués du CICR. Le Comité, qui intervient ponctuellement à l’occasion d’un bref conflit frontalier avec l’Equateur en janvier 1995, rencontre également des difficultés dans ses actions de secours auprès de la population civile. Il déplore d’abord la mort de deux collaboratrices dont l’avion s’écrase peu après avoir quitté Tingo María le 25 février 1994. Puis son chef de délégation à Lima, Michel Minnig, est pris en otage parmi 650 invités à l’ambassade du Japon, attaquée par un commando du groupe Túpac Amaru le 17 décembre 1996. Grâce à ses contacts en prison avec les combattants de cette organisation détenus par les autorités, le CICR peut aussitôt proposer ses bons offices pour faciliter les négociations entre les terroristes et le président Alberto Fujimori. Retenu à l’ambassade du Japon, Michel Minnig sert en l’occurrence de médiateur et devient vite un héros national. Le problème est que le gouvernement veut faire pression sur les preneurs d’otages en suspendant le droit du CICR de visiter les détenus politiques. Après la violente libération de l’ambassade japonaise par l’armée péruvienne en avril 1997, il faut plusieurs mois de négociations pour obtenir, en décembre, l’autorisation de retourner dans les prisons assister les militants de Túpac Amaru et du Sentier lumineux. Malgré une brève suspension des visites à cause d’émeutes en milieu carcéral, la situation s’améliore ensuite avec le déclin des mouvements de guérilla et le départ du président Alberto Fujimori, qui fuit le pays après des scandales de corruption et des élections frauduleuses en avril 2000. Soucieux d’avancer dans la recherche des personnes disparues au cours du conflit, le CICR soutient alors la Commission Vérité qui est établie en juin 2001 pour enquêter sur les violations des droits de l’homme des deux décennies précédentes.