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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1880-1889


-1880-1938, Autriche : suite à la constitution d’un Empire austro-hongrois en 1867, Vienne décide en 1880 de fusionner toutes les Croix Rouges des territoires sous sa tutelle. La nouvelle organisation est placée sous la responsabilité du baron Karl Wilhelm Tinti, qui présidait la première version de la Croix-Rouge autrichienne depuis la Convention de Genève de 1864. Jusqu’à la création d’une République en 1918, tous ses successeurs appartiennent d’ailleurs à la noblesse, avec le comte Franz de Falkenhayn de 1885 à 1898, le prince Alois Schönburg-Hartenstein de 1899 à 1913 et le comte Rudolf de Abensperg-Traun de 1913 à 1919. En attendant, l’organisation commence à s’impliquer dans les secours de première urgence pour les civils en temps de paix. A Vienne après l’incendie d’un théâtre du Ring qui fait 449 morts en décembre 1881, elle facilite notamment la mobilisation d’équipes de pompiers, chirurgiens et spécialistes des inondations qui se constituent sous l’impulsion du baron Jaromir von Mundy (1822-1894). Etendus à Budapest en 1887, ces corps de volontaires n’excluent pas de travailler en temps de guerre et passent des accords avec l’armée pour s’occuper du transport urbain des soldats blessés et prendre en charge la lutte contre les incendies dans les casernes, les arsenaux et les hôpitaux militaires de la capitale. La Croix-Rouge revient quant à elle sur le devant de la scène lors de la Première Guerre mondiale, qui conduit à la chute de la monarchie et au démantèlement de l’Empire austro-hongrois. Reconstituée sous l’égide du baron Max Wladimir Freiherr von Beck (1854-1943), qui a brièvement présidé le pays en 1906-1908, elle prend le nom d’ÖRK (Österreichisches Rotes Kreuz) et ne couvre désormais plus que le territoire autrichien. Présidée de 1919 à 1938 par le Docteur Max Vladimir Eck, elle doit bientôt faire face aux troubles qui agitent la jeune République et qui amènent Genève à intervenir. En octobre 1934, le délégué du CICR à Vienne, Louis Ferrière, est ainsi autorisé à visiter la prison de Wöllensdorf, où de nombreux suspects nazis ont été incarcérés après l’assassinat du chancelier Engelbert Dollfüss en juillet. Il y trouve les conditions de détention acceptables. En arguant d’un principe de réciprocité, le précédent permettra ensuite au CICR de négocier directement auprès des nazis la visite des camps de concentration sans passer par l’intermédiaire d’une société nationale de la Croix-Rouge. En mars 1938 après l’invasion du pays par les troupes d’Adolf Hitler et la réunification avec l’Allemagne, l’ÖRK est, pour sa part, intégrée à son homologue allemande. Le CICR et la Ligue des Croix Rouges avalisent cet anschluss sans protester.
 
-1881-1919, Hongrie : un an après son équivalent autrichien, une Croix-Rouge hongroise est créée en 1881 sous la présidence du comte Julius Karolyi (1837-1890). Reconnue par le CICR en 1882, la nouvelle organisation enfreint la règle du mouvement selon laquelle il ne peut y avoir qu’une Croix-Rouge par pays. Justifiée par l’exécutif bicéphale de l’Empire austro-hongrois, la dérogation accordée n’a de toutes façons plus lieu d’être après la Première Guerre mondiale, l’effondrement de la monarchie et l’indépendance de la Hongrie. Les troubles qui suivent amènent alors le CICR à intervenir dans le pays et à élargir son mandat en se préoccupant aussi des détenus politiques et pas seulement des prisonniers de guerre. En mars 1919, la démission du comte Michel Károlyi et la proclamation d’une république des Conseils entraînent en effet un bon nombre d’arrestations. Or le délégué du CICR à Budapest, Rodolphe Haccius, a l’opportunité d’assister des opposants d’abord incarcérés par le gouvernement communiste de Béla Kun, puis par les troupes d’occupation roumaines après la chute du régime des soviets le 1er août suivant. Ses visites, qui démarrent le 28 avril 1919 dans la prison de Gyüstöfogház, constituent une première car, à la différence de son homologue Edouard Frick en Russie en mai 1918, elles bénéficient d’une autorisation officielle et visent exclusivement des détenus d’opinion, ressortissants de l’Etat concerné. L’initiative crée un précédent et, en avril 1925, le CICR obtiendra de Belgrade l’autorisation de visiter des indépendantistes monténégrins incarcérés par le gouvernement yougoslave. Autre singularité : à la demande de comités de soutien à l’indépendance du Monténégro en Italie et au Canada, Genève acceptera très rapidement, en juin 1925, de publier son rapport d’inspection, en l’occurrence dans le numéro 78 de la Revue Internationale de la Croix-Rouge.
 
-1882-1912, Etats-Unis : au moment où Washington ratifie enfin, en mars 1882, la Convention de Genève d’août 1864, Clarissa « Clara » Harlowe Barton (1821-1912) établit une association américaine de la Croix-Rouge, l’American Association of the Red Cross, qui, officialisée par un amendement fédéral de juin 1900, deviendra l’American National Red Cross, plus connue sous le nom d’ARC (American Red Cross). Pendant la guerre de sécession, une première Commission sanitaire des Etats-Unis, l’United States Sanitary Commission, s’était formée en juin 1861. Dotée d’une branche européenne à partir de novembre 1863, elle était intervenue du côté français de septembre 1870 à mars 1871 pendant le siège de Paris par les troupes prusiennes. Elle n’avait cependant pas réussi à obtenir l’aval du gouvernement américain pour constituer une véritable Croix-Rouge et se voir confier l’exclusivité des secours privés en temps de guerre. Les débuts de l’ARC, qui envoie des vivres lors de la famine russe de 1891-1892, sont assez difficiles. Lors de pogroms contre les Arméniens en 1895-1896, Clara Barton parvient à négocier une intervention avec Tawfik Pacha, le ministre des Affaires étrangères de l’Empire ottoman, qui lui impose une escorte militaire. L’accord prévoit la distribution de secours du côté arménien comme musulman. Mais Clara Barton compromet sa neutralité et manque de peu se faire expulser lorsqu’elle dénonce le massacre de « martyrs chrétiens » et que ses propos sont relayés par la presse aux Etats-Unis (selon Ann Marie Wilson, Clara Barton aurait en réalité cédé aux pressions des missionnaires américains dans la région, qui voulaient exclusivement aider les Arméniens). De même au moment de la guerre américano-espagnole à Cuba en 1898, l’ARC est critiquée pour son inefficacité et Clara Barton est accusée de détournements de fonds. De fait, explique Foster Rhea Dulles, elle rechigne à rendre des comptes et gère la Croix-Rouge américaine de façon très personnelle. Son neveu, Stephen Barton, tient la vice-présidence de l’institution et, en décembre 1902, à l’âge de 82 ans, elle se fait élire présidente à vie de l’ARC pour écarter ses rivaux plus jeunes, notamment Mabel Thorp Boardman (1860-1946), qui est proche du secrétaire d’Etat à la guerre, William Howard Taft, et de la sœur du président Theodore Roosevelt, Anna Cowles. Fille de banquiers, Mabel Thorp Boardman veut en l’occurrence attirer les capitaux des milieux d’affaires, professionnaliser l’organisation et relancer au niveau des Etats fédérés les sections provinciales, délibérément entravées afin d’assurer la prééminence des instances nationales. Bien que les poursuites judiciaires n’aboutissent pas faute de preuves, Clara Barton doit démissionner en avril 1904. A défaut d’être complètement intégrée à l’armée comme le préconise un rapport du Major Walter McCaw, l’organisation est alors reprise en main par des officiers et placée sous la coupe d’un comité central de 18 membres dirigé par des militaires à la retraite : d’abord en 1905 le contre-amiral William Van Reypen (1840-1924), un ancien chirurgien général de la marine, puis en 1906 et de 1907 à 1915, les généraux Robert Maitland O'Reilly (1845-1912), un responsable des services de santé de l’armée de terre, et George Whitefield Davis (1839-1918), un vétéran de la guerre d’indépendance des Philippines en 1898, gouverneur de Puerto Rico en 1899 puis de la Zone du Canal de Panama de 1900 à 1905. Le contrôle des autorités est bientôt avalisé au plus haut niveau. En vertu d’une loi de 1905, la Maison Blanche nomme le président de la Croix-Rouge américaine et choisit les directeurs de son comité central, qui compte obligatoirement cinq représentants des ministères des Affaires étrangères, de la Guerre, des Finances, de la Justice et de la Marine. Sur le terrain, l’ARC est désormais considérée comme un auxiliaire des pouvoirs publics. Lors du tremblement de terre de San Francisco le 18 avril 1906, par exemple, elle est officiellement chargée de convoyer les secours avec l’armée, ce qui suscite d’ailleurs des protestations de la part des riverains et des associations locales, qui sont de facto écartées de la gestion de la crise. Le directeur national de la Croix-Rouge américaine à partir de 1908, Ernest Bicknell, cherche pour sa part à professionnaliser l’organisation et à développer la collecte de fonds d’un budget qui, à l’époque, ne dépasse pas les $20 000 et provient pour un dixième des contributions des membres. Sous l’influence des Républicains de New York, la militarisation de l’ARC se poursuit inexorablement. Les comptes de l’organisation sont supervisés par le département de la Guerre et soumis au Congrès. En 1911, un décret présidentiel soumet les volontaires de l’ARC au code disciplinaire de l’armée. En 1912, un autre décret confirme la situation monopolistique de la Croix-Rouge américaine, seule organisation caritative autorisée par le gouvernement à intervenir auprès des troupes en temps de guerre. Transportés et nourris par l’Etat, les volontaires de l’ARC sont de facto assimilés à des employés civils de l’armée.
 
-1883-1928, Russie : président de la Croix-Rouge russe depuis 1874, le lieutenant général Alexandre Joseph Baumgarten meurt en 1883 et est remplacé l’année suivante par un autre militaire, Michel de Kaufmann, qui a commandé l’armée du tsar lors de sa conquête de l’Asie centrale en 1876. Etablie à Saint-Pétersbourg le 15 mai 1867 sous la forme d’une « Société russe de secours aux blessés et malades de guerre », l’organisation est à l’époque dominée par l’aristocratie et s’inspire du modèle de Nikolai Ivanovitch Pirogov, un médecin héros de la guerre de Crimée en 1854. Largement contrôlée par l’armée, elle est intervenue lors du conflit contre l’Empire ottoman en 1877-1878 et a adopté le nom de Croix-Rouge en 1879. A l’étranger, elle envoie également des volontaires lors des guerres franco-prussienne de 1870-1871, américano-espagnole de 1898 et anglo-boer de 1899. Dotées de nouveaux statuts le 17 avril 1893, elle connaît d’ailleurs un certain retentissement international en accueillant à Saint-Pétersbourg la septième conférence mondiale des Croix Rouges en 1902. Mais, en Russie, elle perd de son prestige après la défaite contre les armées japonaises en Mandchourie en 1905. Tandis que l’agitation révolutionnaire menace le régime tsariste, elle n’échappe pas non plus aux clivages qui déchirent le pays. Ainsi, les assemblées provinciales de la noblesse, d’une part, et les gouvernements élus au niveau local (les zemstvo), d’autre part, créent chacun leurs propres Croix Rouges. Composée de partisans du tsar, l’organisation officielle est quant à elle accusée de malversations par les libéraux et elle ne survit pas à la Première Guerre mondiale. En mars 1917, elle est purgée de ses éléments « réactionnaires » et placée sous la tutelle directe des ministères de la Défense et de la Santé publique. En octobre, ses biens sont ensuite confisqués par les bolcheviques, puis nationalisés par des décrets du 6 janvier et 2 juin 1918. Son siège est transféré à Moscou et nombre de ses dirigeants sont arrêtés. Le 8 septembre suivant, enfin, elle doit fusionner avec la « Croix-Rouge prolétaire » et intégrer des gardes rouges sans qualifications médicales. Tandis que le Soviet des commissaires du peuple dénonce tous les traités politiques, économiques et militaires conclus par le régime impérial, la rupture avec l’ancienne organisation est totale en dépit d’une ordonnance du 7 août 1918 qui, signée par Vladimir Illitch Oulianov « Lénine », proclame le principe de continuité. Sous l’égide du comte Paul Ignatieff, la Croix-Rouge tsariste part en exil à Paris et son successeur à Moscou devient l’interlocuteur obligé du CICR, qui la reconnaît le 15 octobre 1921. Apparues au moment de la révolution de 1905 et coordonnées à partir de 1919 par une Union reconstituée des zemstvo et des villes, dite « Vozgor » (Vozrozhdennyi Soyuz zemstv i gorodov), les Croix Rouges municipales disparaissent pour leur part avec la défaite des armées tsaristes en Sibérie et en Ukraine. Sur le territoire de l’ancien Empire, seuls les Etats qui accèdent à l’indépendance et échappent à l’emprise des bolcheviques parviennent à se doter de leurs propres sociétés nationales, en l’occurrence en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, en Finlande et, plus brièvement, en Géorgie. Pour le reste, la formation d’une Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) le 30 décembre 1922 aboutit au lancement, en mai 1923, d’une coalition qui fédère les Croix Rouges communistes sous l’égide d’un organisme unique et qui met fin aux accords bilatéraux passés précédemment entre les associations russe, biélorusse et ukrainienne. Formellement créée après l’adoption d’une Constitution pour le pays le 31 janvier 1924, l’Alliance des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge de l’Union des Républiques socialistes soviétiques est reconnue par le CICR comme héritière de l’organisation russe le 3 janvier 1928. Elle regroupe bientôt les Croix Rouges de Russie (1918), d’Ukraine (1918), d’Arménie (1920), de Biélorussie (1921) et de Géorgie (1923), ainsi que les Croissants Rouges d’Azerbaïdjan (1923), d’Ouzbékistan (1925), du Turkménistan (1926), du Tadjikistan (1929) et du Kazakhstan (1937), avant d’incorporer les Croix Rouges de Lituanie, d’Estonie, de Lettonie et de Moldavie sur les territoires occupés par les troupes soviétiques à partir de 1940. En vertu du principe selon lequel il ne peut y avoir qu’une société nationale par pays signataire des Conventions de Genève, le CICR refuse cependant de reconnaître individuellement les organisations membres de l’Alliance des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, arguant que les Républiques soviétiques fédérées ne sont pas des Etats politiquement indépendants.
 
-1884, Suisse : après quinze années d’interruption, la troisième conférence internationale des Croix Rouges, qui réunit vingt sociétés à Genève, consacre le triomphe du nationalisme et des souverainetés étatiques. Subordonnées au bon vouloir des militaires, les Croix Rouges ont recentré leurs activités sur leur propre pays et ont, pour la plupart, renoncé à envoyer des volontaires dans les conflits qui ne les concernaient pas directement. Bénéficiant de facilités douanières et commerciales qui les autorisent à passer des contrats, elles jouissent d’une position monopolistique sur le continent européen. Dirigés par des hauts fonctionnaires et des militaires à la retraite, leurs volontaires portent des uniformes et participent régulièrement à des exercices d’entraînement avec la troupe. L’historien John Hutchinson parle d’un échec et constate une militarisation de la charité au lieu d’une civilisation de la guerre. De fait, les délégués des Croix Rouges réunis à Genève ne prévoient aucune sanction contre les Etats ou les sociétés nationales qui enfreignent les dispositions de la Convention de 1864. Faute de confier au Comité de Genève un rôle de coordination supranational, l’idée de constituer une Fédération internationale, évoquée dès 1876 à Bruxelles, n’aboutit pas. Gustave Moynier retarde même de deux ans la circulation d’une proposition russe en vue d’affermir le caractère obligatoire des secours, de donner force de loi au CICR et de le remplacer par un Comité où chaque société nationale aurait son représentant. Ce dernier point est le plus gênant pour les Genevois, qui parviennent à faire enterrer le projet lors de la quatrième conférence internationale des Croix Rouges à Karlsruhe en Allemagne le 21 septembre 1887.
 
-1885-1921, Thaïlande : menées par Thanpuying Plien Pasakornravongs, les femmes de la cour de Siam convainquent le roi Chulalongkorn (Phra Chula Chomklao Chaoyuhua), Rama V, d’établir une société de secours pour les soldats blessés, la Sapa Unalom Daeng, qui constitue l’ancêtre de la Croix-Rouge thaïlandaise. Formellement établie en avril 1893 à l’occasion d’une guerre frontalière avec l’Indochine française, l’organisation est parrainée et présidée par les reines Sawang Wadhana et Saovabha Bhongsri, deux des quatre femmes du roi Rama V. Appelée Sapa Unalom Daeng jusqu’en 1910 et dotée d’une charte royale en 1918, la Croix-Rouge siamoise sera finalement reconnue par le CICR en mai 1920 et la FICR en avril 1921, sous le nom de TRCS (Thai Red Cross Society).
 
-1886-1918, Japon : appelée Nippon Sekijuji Sha, la société nationale de la Croix-Rouge est reconnue par le gouvernement puis le CICR lorsque l’Empereur adhère en 1886 à la Convention de Genève de 1864. L’organisation hérite en l’occurrence d’une association, Hakuai Sha, créée par Ito Hirobumi et Iwakura Tomomi au moment de la révolte du clan Satsuma en 1877 et dirigée par le comte Tsunetami Sano (1822-1902), un ministre des finances en 1880 puis de l’agriculture en 1892. Contrairement à l’Empire ottoman et au royaume de Siam, les autorités ne soulèvent pas trop de difficultés pour adopter l’emblème de la Croix-Rouge plutôt que le symbole initialement utilisé en référence à l’horizon du soleil levant : deux rectangles parallèles et horizontaux. La société japonaise est ainsi la première d’Asie à être reconnue par le CICR en 1887. Représentée en Europe par Ariga Nagao, un professeur de droit international du collège de guerre de Tokyo qui écrit des ouvrages spécialisés en français, elle est d’autant plus appréciée qu’elle symbolise l’entrée du Japon dans le concert des « nations civilisées » et qu’elle met en œuvre des principes humanitaires lors de son intervention en Chine en 1894. Les autorités prennent vite le contrôle de l’organisation. A l’occasion de la promulgation d’un nouveau code civil en 1898, la JRCS (Japanese Red Cross Society) devient un auxiliaire officiel de l’armée. En temps de paix, elle ne peut désormais intervenir qu’à la demande expresse de l’impératrice pour aider les victimes de catastrophes naturelles. Bientôt présidée par un inspecteur du corps de santé des armées, Tadanori Ishiguro, elle est d’abord et avant tout destinée à une fonction militaire. Après avoir fait ses preuves pendant la guerre de 1894 contre la Chine et la Corée, elle connaît d’ailleurs un succès grandissant sous la houlette de son nouveau président le comte Masayoshi Matsukata, un ancien ministre des finances qui est chargé de développer ses collectes de fonds et qui remplace Tsunetami Sano à sa mort en 1902. Les volontaires de la JRCS reçoivent des salaires fixes, obéissent au code disciplinaire de l’armée et sont mobilisables comme des réservistes. Record mondial, la Croix-Rouge japonaise compte plus d’un million d’adhérents quand éclate la guerre avec la Russie tsariste à propos de la Mandchourie en 1905, contre 900 000 en 1903, 160 000 en 1895 et 37 000 en 1893. Située dans le camp victorieux, elle ressort alors grandie du conflit, pendant lequel elle perd 68 collaborateurs et soigne des blessés ennemis, notamment les marins du croiseur Variag. Aux côtés des bâtiments sanitaires de la marine japonaise, elle déploie en l’occurrence ses propres navires hôpitaux, le Hakuai Maru et le Kosai Maru, qui avaient déjà été utilisés lors de la rébellion des Boxers en Chine en 1900. De plus, elle traite correctement les prisonniers de guerre russes et renvoie vite les invalides vers leur pays d’origine via la ville chinoise de Chefoo (actuel Yantai). A la bataille de Tsoushima le 27 mai 1905, la Croix-Rouge tsariste se plaint certes de l’arraisonnement de ses deux navires-hôpitaux, l’Oral et le Kostroma, qui sont détournés par la marine japonaise vers la base navale de Sasebo. A l’époque, l’Empire du Soleil Levant n’en est pas moins soucieux de respecter les Conventions de Genève pour s’insérer dans le concert des nations dites « civilisées » et prévenir une possible alliance entre les puissances occidentales et la Russie dans le conflit de Mandchourie. Sous l’égide de l’impératrice Shôken, née Masako Ichij? (1849-1914), sa Croix-Rouge sert ainsi de canal de représentation diplomatique et envoie par exemple des fonds aux victimes du séisme de San Francisco aux Etats-Unis le 18 avril 1906. Dans le même ordre d’idées, la JRCS dépêche des équipes médicales auprès des troupes alliées sur le front européen pendant la Première Guerre mondiale. De plus, elle ravitaille convenablement les quelque 4 300 militaires et civils allemands capturés par le Japon en Chine. Résident suisse à Tokyo et délégué du CICR jusqu’à sa mort en février 1944, le Docteur Fritz Paravicini en témoigne à sa manière à l’occasion d’une visite financée et encadrée par la JRCS et ses interprètes en juillet 1918.
 
-A partir de 1887, Portugal : le CICR reconnaît tardivement, en 1887, l’existence d’une Croix-Rouge créée en 1865 par un chirurgien des armées qui avait participé à la signature de la première Convention de Genève en 1864, le Docteur José António Marques (1822-1884). Initialement connue sous le nom de Comissão Portuguesa de Socorros a Feridos e Doentes Militares em Tempo de Guerra, la CVP (Cruz Vermelha Portuguesa) ne paraît pas très active aux yeux de Genève. Etroitement liée aux milieux militaires et coloniaux, elle ne se développe pas moins en temps de paix et compte par exemple dans ses rangs un ancien gouverneur du Mozambique, Joaquim José Machado. A l’exception d’un juriste, le professeur Manuel António Moreira Júnior de janvier 1909 à janvier 1911, la CVP est en l’occurrence présidée pendant près d’un siècle par des officiers supérieurs : un amiral avec Domingos Tasso de Figueiredo, de janvier 1911 à mai 1916, et des généraux avec José Maria Baldy d’août 1866 à septembre 1870, Augusto Xavier Palmeirim d’octobre 1870 à mai 1887, António Florêncio de Sousa Pinto de juin 1887 à février 1890, António de Sampaio e Pina Freire de Brederode (duc de Palmela) d’octobre 1890 à novembre 1905, Francisco Maria da Cunha de novembre 1905 à janvier 1909, Joaquim José Machado de mai 1916 à juillet 1924 et Tomaz António Garcia Rosado d’août 1924 à janvier 1930. Elle intervient certes dans tous les camps en lice au milieu des divers coups d’Etat et soulèvements qui accompagnent l’établissement d’une République d’octobre 1910 jusqu’à la restauration de la monarchie dans le nord du pays en février 1919. Mais elle est bientôt reprise en mains par la dictature d’António de Oliveira Salazar, qui arrive au pouvoir en juillet 1932. La CVP est alors présidée par des notables du régime : Henrique José Monteiro Mendonça de janvier 1930 à novembre 1942, l’amiral Guilherme Ivens Ferraz de novembre 1942 à octobre 1948, le général Fernando Pereira Coutinho d’octobre 1948 à juin 1956, le professeur Leonardo de Sousa Costa Freire d’octobre 1956 à août 1965, le général Carlos Mario Sanches de Castro da Costa Macedo d’avril 1966 à mars 1969 et un responsable du service de santé des armées, Ricardo Horta Júnior, de mars 1969 à mai 1974. Après la chute de la dictature et la révolution des Œillets en avril 1974, la Croix-Rouge portugaise continue en fait d’être dirigée par des officiers supérieurs malgré la démocratisation du pays. Elle est ainsi présidée par un brigadier, Armando José Marques Girão, de juin 1974 à octobre 1974, un médecin militaire, António Fernandes Tender, de janvier 1975 à août 1981, un colonel, Raúl Duarte Cabarrão, de septembre 1981 à janvier 1986, un contre-amiral, le Docteur Luiz Gonzaga Pinto Canedo Soares Ribeiro, de janvier 1986 à avril 1993, et un responsable du service de santé des armées, le Professeur José Manuel Carrilho Ribeiro, de juillet 1993 à juillet 1997. C’est très tardivement que des civils prennent la tête de l’institution, avec pour la première fois une femme, Maria de Jesus Simões Barroso Soares, de juillet 1997 à juillet 2003. Aujourd’hui, la CVP est désormais présidée par des gens au profil de manager, à savoir Luís Nogueira de Brito de juillet 2003 à mars 2005 et Luís Eduardo da Silva Barbosa depuis juin 2005.
 
-1888, Suisse : le CICR adopte officiellement la devise inter arma caritas, « la charité entre les armes ». Au vu des profondes inimitiés qui divisent le mouvement depuis la guerre de 1870, il a cependant le plus grand mal à rétablir le dialogue entre les sociétés nationales et, jusqu’en 1884, il doit ajourner à plusieurs reprises la tenue d’une conférence internationale des Croix Rouges de peur que les Etats reviennent sur les acquis des Conventions de 1864 et 1868. De fait, les comités français et allemands ne communiquent quasiment plus entre eux, tandis que les britanniques et les américains font bande à part et répondent à peine aux courriers de Genève. Pour remédier à la paralysie du mouvement, le président du CICR, Gustave Moynier, monte alors une Commission permanente qui réunit des représentants des sociétés nationales et prend ses décisions à la majorité. A partir de 1928, cette structure accueillera aussi un représentant du conseil d’administration de la Ligue des Croix Rouges, où le CICR n’a aucun délégué. Aujourd’hui connue sous le nom de Conseil des Délégués, elle a surtout pour fonction de régler les problèmes internes au mouvement, par exemple les questions d’emblème et de standardisation des modes opératoires.
 
-1889-1909, Congo-Kinshasa : ardent partisan du roi belge Léopold II et de son « Etat indépendant du Congo », dont il est le consul à Genève, Gustave Moynier reconnaît au nom du CICR l’existence d’une « Association congolaise et africaine de la Croix-Rouge » en 1889. La nouvelle organisation suscite aussitôt les protestations du colonisateur portugais, qui conteste son appellation « africaine » et dénonce une ambition hégémonique à l’échelle du continent. Composée d’Européens, ladite association est de toutes façons dissoute en 1909 au moment du rattachement de l’Etat du Congo à la Belgique, avant que ne se constitue en 1923 une section locale de la Croix-Rouge belge. A partir de 1901, le CICR autorise en l’occurrence l’établissement dans les colonies de sociétés « autonomes » qui ont rang de « correspondants » du Comité de Genève. Une Croix-Rouge sud-africaine naît ainsi dans la ville du Cap en 1913, mais elle ne parvient pas à se développer sous l’égide d’un comité central pour réunifier les diverses branches provinciales qui continuent d’exister de façon indépendante, avec leurs propres budgets. Il faudra ensuite attendre 1919 pour voir apparaître sur le continent noir une autre Croix-Rouge, la LNRCS (Liberian National Red Cross Society). A l’instar de la Croix-Rouge monténégrine en janvier 1876, la Croix-Rouge éthiopienne, elle, sera une simple émanation de Genève, constituée pour la circonstance par des expatriés en juin 1935 au moment où le Négus adhère à la Convention de Genève. Appelée Kay Mascal en amharique, elle ne disposera que de médecins occidentaux et son conseil d’administration de quinze membres, dont sept Européens, sera de facto dirigé par quatre d’entre eux sous l’égide d’un missionnaire protestant, Thomas Lambie, et la présidence du ministre des Affaires étrangères du Négus, Blatten Geta Hervy Woldeselassie. Officiellement créée par un décret du 8 juillet 1935 et reconnue par le CICR dès le 26 septembre suivant, l’organisation aura une durée de vie assez courte et servira essentiellement à soigner les soldats d’une armée qui, à l’époque, n’a pas de services sanitaires et compte seulement un docteur pour environ 5 000 soldats, contre un pour 200 du côté italien. De fait, la Croix-Rouge éthiopienne disparaîtra lors de l’entrée des troupes mussoliniennes dans Addis-Abeba en juin 1936. Thomas Lambie ne lui fera pas honneur. Forcé par les Italiens de renier publiquement ses déclarations sur les abus des troupes fascistes, il mettra les violations du droit humanitaire sur le compte de l’inexpérience de la Croix-Rouge éthiopienne.