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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1890-1899


-A partir de 1890, Pays-Bas : le baron Karl Jan Gijsbert Van Hardenbroek Van Bergambacht (1830-1908) prend en 1890 la présidence de la Croix-Rouge hollandaise à la suite de Cornelius Theodorus Van Meurs (1799-1894), en poste depuis 1882, de François Vincent Henri Antoine Van Stuers (1792-1881), en poste depuis 1872, et de Joanes Bosscha (1797-1874), en poste depuis 1869. Etablie le 19 juillet 1867 par un chirurgien major de l’armée, Jan Hendrik Christiaan Basting, qui avait traduit le livre de Henry Dunant sur un souvenir à Solférino, l’organisation est à l’époque dominée par l’aristocratie et les militaires. Ses deux présidents avant 1890 sont ainsi un ancien ministre de la guerre, Cornelius Theodorus Van Meurs, et un lieutenant général à la retraite, François Vincent Henri Antoine Van Stuers. Reconnue par le CICR en 1868, la Croix-Rouge hollandaise bénéficie également du soutien de la monarchie, qui édicte des décrets en 1909 et 1913 afin d’élargir ses activités à l’assistance sociale et aux premiers secours en cas de catastrophe naturelle. A partir de 1913, la Nederlandse Rode Kruis est même présidée par le prince consort Henri (1876-1934), duc de Mecklembourg-Schwerin et époux de la reine Wilhelmine.
 
-A partir de 1891, Norvège : constituée le 22 septembre 1865 pour assister les blessés militaires, la Croix-Rouge norvégienne décide en 1891 de collecter des fonds pour des programmes de santé publique en temps de paix et pas seulement de guerre. Sous la présidence du général Johan Fredrik Thaulow (1840-1912) de 1889 à 1905, elle se préoccupe notamment de former des infirmières à partir de 1895. Sa nouvelle orientation tranche avec les débuts d’une organisation qui a d’abord été présidée de 1865 à 1880 par le chef du gouvernement, Frederik Stang (1808-1884), puis de 1880 à 1889 par un ministre de la défense très conservateur, Christian August Selmer (1816-1889), favorable au droit de veto du roi et à l’usage abusif de législations d’urgence. Officiellement autorisée en 1895 à proposer ses services médicaux aux soldats en temps de guerre, la NRK (Norges Røde Kors) garde certes une spécificité militaire et confirme sa relation privilégiée avec l’armée en vertu d’un décret passé en 1907, deux ans après que le pays a proclamé son indépendance en se séparant de la Suède. D’abord cantonnée à la collecte de fonds, l’organisation devient alors opérationnelle et envoie sa première ambulance à l’étranger pendant la guerre des Balkans en 1912. A l’exception d’un avocat, Andreas Martin Seip, de 1908 à 1912, elle reste dirigée par des membres du gouvernement. Outre Hieronymus Heyerdahl (1867-1959) de 1917 à 1922, qui a été maire d’Oslo en 1912-1914, ses présidents sont ainsi d’anciens ministres conservateurs ou libéraux, qui de la Justice en 1894-1895 pour Ernst Motzfeldt (1843-1915) de 1905 à 1908, qui de la Défense en 1893-1898 puis 1905-1907 pour le général Kristian Wilhelm Engel Bredal Olssøn (1844-1915) de 1912 à 1913, qui du Travail en 1910-1912 pour Hans Jørgen Darre-Jenssen (1864-1950) de 1913 à 1917, qui de l’Industrie en 1917-1918 pour Torolf Prytz (1858-1938) de 1922 à 1930. Dirigée de 1930 à 1940 par un colonel, Jens Meinich, elle développe des services de premiers secours à partir de 1932 et se scinde en deux lorsque le pays est envahi par les troupes allemandes. Une partie part en exil en Angleterre, tandis que l’autre essaie de poursuivre ses activités en Norvège de 1940 à 1945 sous l’égide d’un ingénieur responsable de la succursale locale de la compagnie Siemens, Fridtjof Heyerdahl (1879-1949). Noyautée à partir de 1942 par le parti pronazi de Vidkun Quisling, la Croix-Rouge norvégienne collabore ainsi avec l’occupant avant d’être reconstituée à la Libération par un chirurgien célèbre, Nikolai Nissen Paus (1877-1956), qui la préside jusqu’en 1947. Par la suite, l’organisation continue d’entretenir des liens étroits avec l’armée. Dans le contexte de la guerre froide, l’appartenance de la Norvège à l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) détermine en grande partie ses interventions à l’étranger. Sous la présidence d’Erling Steen de 1947 à 1957, elle envoie par exemple des équipes aux côtés des troupes américaines pendant la guerre de Corée. A l’exception d’Ulf Styren de 1957 à 1966, de Hans Høegh de 1975 à 1981 et d’Astrid Nøklebye Heiberg de 1993 à 1998, tous ses présidents sont liés à l’appareil militaire, en l’occurrence avec un responsable des services de santé de l’armée, Torstein Dale (1907-1975), de 1966 à 1975, un général des services de renseignement, Bjørn Egge (1918-2007), de 1981 à 1987, un amiral, Bjørn Bruland, de 1987 à 1993, et un ministre de la Défense, Thorvald Stoltenberg, depuis 1998.
 
-1892, Italie : la cinquième conférence internationale des Croix Rouges se déroule à Rome. L’événement consacre le développement de la CRI (Croce Rossa Italiana) depuis la constitution à Milan d’un « Comité de secours aux blessés de guerre », le Comitato dell'Associazione Italiana per il soccorso ai feriti ed ai malati in guerra, sous l’égide du Docteur Cesare Castiglioni en 1864. Désormais soutenue par les autorités, l’organisation jouit ainsi d’un statut quasi-gouvernemental en vertu d’une loi datant du 30 mai 1882. Complètement intégrée à l’armée sous la supervision des ministres de la Guerre et de la Marine, elle est autorisée à utiliser librement la poste, le télégraphe et le chemin de fer en cas de conflit. A l’instar de ses homologues française ou belge, elle est dominée par l’aristocratie et gérée comme une affaire de famille, avec une présidence qui se transmet de père en fils à la mort des titulaires du poste. Députés, sénateurs et généraux dirigent en l’occurrence l’organisation au détriment des médecins. En témoignent le statut social de ses présidents, tous des comtes avec Gian Luca Cavazzi Della Somaglia (1841-1896) à partir de 1886, Rinaldo de Taverna (1839-1913) à partir de 1896 et Gian Giacomo Cavazzi Della Somaglia (1869-1918) à partir de 1913… Pendant la Première Guerre mondiale, relate Giovanna Procacci, la CRI (Croce Rossa Italiana) jouera cependant un rôle moindre que celui de ses homologues française, britannique, belge ou allemande : pour dissuader les redditions et les désertions, le gouvernement lui interdit en effet d’envoyer des colis et des vivres aux prisonniers de guerre italiens entre les mains des puissances d’Europe centrale.
 
-1893, Autriche : le CICR boycotte un congrès qui se tient en septembre 1893 à Vienne en vue de former une association internationale regroupant toutes les organisations laïques ou religieuses qui secourent les victimes de catastrophes naturelles. L’initiative de ce projet, qui prévoit de consacrer la suprématie du Comité de Genève en période de guerre, revient en l’occurrence à deux médecins membres du mouvement, l’Allemand Theodor Billroth (1829-1894), de la Croix-Rouge autrichienne, et le Suisse Auguste Socin (1837-1899), de l’Agence internationale de Bâle. Mais il se heurte à l’opposition farouche d’un CICR jaloux de ses prérogatives. Dans le même ordre d’idées, le Comité de Genève s’abstiendra ainsi de participer à une autre coalition, la Société internationale de la Croix Blanche, qui veut combattre « tout ce qui nuit à la santé morale et physique des peuples » et qui est lancée à Genève en 1907 par un avocat suisse, Charles Vuille (1856-1920), et un député français des Basses-Alpes, François Deloncle (1856-1922).
 
-1895-1915, Suède : la reine consort Sofia Wilhelmina Mariana Henrietta de Nassau (1836-1912) parvient en 1895 à empêcher une intervention militaire contre les Norvégiens, qui sont à l’époque gouvernés par Stockholm et qui deviendront indépendants en 1905. Couronnée en 1873, cette forte personnalité de la monarchie suédoise s’est inspirée de Florence Nightingale pour ouvrir une première école d’infirmières en 1884 et ses initiatives philanthropiques concurrencent directement la Croix-Rouge locale, qui date de 1865. En 1900 est ainsi créée une « Société de la reine Sofia pour l’assistance aux services sanitaires de l’armée et de la marine en temps de guerre ». Pour sa part, la SRK (Svenska Röda Korset) ne se développe guère et compte bientôt moins de membres que sa rivale. Aussi est-elle réorganisée en vertu d’un décret de 1906 qui l’oblige à réunifier sous une même tutelle sa branche féminine, les infirmières de la Croix-Rouge et son service sanitaire des volontaires en campagne. Un autre décret de 1913 consacre finalement la fusion de la SRK et de la « Société de la reine Sofia ».
 
-A partir de 1896, Allemagne : le baron Boro von dem Knesebeck (1851-1911) prend la présidence de la Croix-Rouge allemande, titre qu’il conserve jusqu’à sa mort. Secrétaire du cabinet de l’impératrice Augusta-Victoria de Schleswig-Holstein (1858-1921), il use de son influence pour consolider l’emprise du mouvement. Très investie dans les œuvres de charité pour, entre autres, échapper à l’emprise de sa belle famille, l’épouse du Kaiser Guillaume II, au pouvoir depuis 1888, parraine en effet la Croix-Rouge allemande, qui a été placée sous commandement militaire en 1878. Elle finance également le CICR par le biais d’une fondation à son nom qui, créée en 1890, rapporte jusqu’à 99 000 francs suisses en 1902, contre 71 000 en 1901 et 11 000 en 1914. Résultat, l’Allemagne peut s’enorgueillir de développer la Croix-Rouge la plus puissante d’Europe. Pendant la Première Guerre mondiale, elle est capable de mobiliser un total cumulé de 133 000 hommes et 118 000 femmes, contre 63 000 secouristes du côté français et 20 000 du côté britannique. Interdite de contact avec les milieux militaires en vertu du traité de Versailles du 28 juin 1919, elle assistera ensuite les victimes de la crise économiques des années 1920. La période de la République de Weimar sera aussi l’occasion de fusionner tous les comités régionaux de la Croix-Rouge à travers le pays.
 
-1897-1985, Uruguay : fondée par une femme, Aurelia Ramos de Segarra, à l’occasion d’une guerre civile qui déchire le pays en 1897, la CRU (Cruz Roja Uruguaya) est bientôt reconnue par les autorités de Montevideo, qui signent la Convention de Genève en 1900. Ses volontaires, essentiellement féminins, ont vite l’occasion de soigner des blessés lors d’une révolution en 1898, d’un conflit frontalier avec l’Argentine à Carmelo en 1899, d’une insurrection en 1903 et de troubles politiques en 1904. A l’époque, cependant, le CICR n’entretient quasiment pas de relations avec les organismes de secours d’Amérique latine. En 1904, par exemple, il rejette la demande d’un éphémère Etat libre de Counani qui, dans le sud de l’actuelle Guyane française, prétend vouloir adhérer à la Convention de Genève à seule fin de légitimer son indépendance. De 1865 à 1870, Genève n’est non plus intervenu lors de la terrible guerre menée par l’Uruguay avec l’Argentine et le Brésil contre le Paraguay, qui a perdu la moitié de ses habitants, dont 80% de sa population masculine. Il faut attendre l’insurrection des Tupamaros, dans les années 1960, pour que le CICR se préoccupe de la situation dans le pays et commence à visiter des prisonniers politiques à Montevideo. Le Comité est notamment sollicité pour négocier avec les rebelles la libération d’un employé de la coopération américaine USAID (United States Agency for International Development), le Docteur Claude Fry, enlevé le 7 août 1970 et accusé de travailler pour les services secrets de la CIA (Central Intelligence Agency). Mais les Tupamaros ignorent les propositions de Genève. En mars 1971, ils relâchent en fait leur prisonnier pour améliorer leur image de marque suite à la mort d’un autre otage américain, Dan Mitrione, en août 1970. Après la dissolution du Parlement en juin 1973, le renforcement du pouvoir des militaires ne facilite pas non plus la tâche du CICR, qui doit interrompre ses visites de prisons en avril 1976 mais qui négocie avec les autorités un droit d’accès aux détenus d’opinion en décembre 1979. En 1980 à la suite d’une fuite sans doute organisée par la Croix-Rouge uruguayenne, le rapport d’un délégué du Comité, Jean-François Labarthe, révèle au public les conditions de détention dans la centrale pénitentiaire de la « Libertad ». Le CICR doit alors interrompre ses visites auprès des prisonniers politiques et ne peut revenir dans le pays qu’en 1983. Désireuse d’améliorer son image de marque, la junte livre à la presse une version édulcorée d’un rapport du Comité sur les conditions de détention dans la centrale pénitentiaire de la « Libertad ». Pour ne pas donner l’impression de prendre parti en faveur du régime, explique Serge Nessi, Genève décide en conséquence de publier l’intégralité du document original. Sa réaction conduit les autorités militaires à restreindre l’accès aux détenus entre les mains du ministère de la Justice et non plus de la Défense, puis à suspendre toutes les visites de prisons en avril 1976. Les relations avec la junte sont pour le moins erratiques. En décembre 1979, le CICR parvient à obtenir un droit d’accès aux détenus d’opinion. Mais il doit de nouveau interrompre ses visites à la suite de la fuite du rapport d’un de ses délégués, Jean-François Labarthe, qui a sans doute été organisée par la Croix-Rouge uruguayenne et qui révèle au public les mauvaises conditions de détention à la « Libertad » en 1980. Le Comité ne peut revenir dans le pays qu’en 1983. Il met fin à ses opérations lorsque le gouvernement décrète une amnistie générale en mars 1985.
 
-1898, Cuba : la Croix-Rouge américaine, l’ARC, tente d’assister les reconcentrados que le colonisateur espagnol a regroupé de force dans des camps de fortune pour étouffer une rébellion indépendantiste en milieu rural à partir de 1895. Mais la dirigeante de l’organisation, Clara Barton, est accusée de favoriser les insurgés et expulsée tandis que démarre une guerre américano-espagnole après l’explosion du croiseur Maine dans la rade de La Havane le 15 février 1898. L’ARC envoie alors à la rescousse un navire-hôpital baptisé Le Moynier, en l’honneur du président du CICR. Son initiative est en l’occurrence la première occasion d’appliquer concrètement les articles additionnels que les diplomates de Genève avaient rédigés en 1868 afin d’inclure la guerre maritime dans les dispositions de la Convention de 1864. Le problème est que Le Moynier sert moins à secourir des victimes qu’à ouvrir un chenal miné en précédant les bâtiments de la marine dépêchés par Washington. Retardé par le déroulement des combats, le bateau de l’ARC est ensuite dérouté de La Havane à Santiago, où il ne peut débarquer ses vivres qu’en juin 1898. Son équipage se heurte à la fois aux entraves des autorités espagnoles, qui nient l’existence de besoins alimentaires pour lui imposer le paiement de droits de douane, et aux réticences de l’armée américaine, qui se plaint des interférences de volontaires civils, particulièrement les auxiliaires féminins. L’organisation déplore par ailleurs la mort d’un volontaire lors d’une livraison de médicaments à El Caney en 1899.
 
-1899, Pays-Bas : les délégués de la conférence de La Haye pour la paix conviennent d’établir une Cour internationale de justice qui prévoit d’arbitrer les disputes entre Etats autrement que par la guerre. Cette avancée légitime la position du CICR, qui avait abandonné toute prétention au désarmement et recentré ses activités sur les secours aux blessés lors de la sixième conférence internationale des Croix Rouges en 1897 à Vienne en Autriche. Autre point positif, la dynamique de La Haye s’étend au droit maritime avec des dispositions que n’avaient pas réussi à faire entériner les articles additionnels de 1868 à la Convention de Genève de 1864. Elle permet notamment de neutraliser et protéger de la capture les navires-hôpitaux des belligérants ou de la Croix-Rouge, d’une part, et le personnel médical embarqué à bord de bâtiments de guerre, d’autre part. D’une manière générale, c’est ainsi le droit de La Haye et non de Genève qui, pendant la Première Guerre mondiale, va permettre au CICR d’élargir concrètement son mandat à la protection des prisonniers de guerre et pas seulement des militaires blessés au combat. Dans une optique pacifiste, cependant, les délégués réunis dans la capitale hollandaise s’intéressent moins aux victimes qu’aux moyens de limiter la guerre. Représentant de la Suisse et secrétaire général du CICR, Edouard Odier obtient ainsi que le traitement des blessés, des malades et des prisonniers de guerre reste du seul ressort de la Convention de Genève, quitte à en figer les acquis sans en permettre l’amélioration. Motivé par la crainte de voir les Etats détruire l’édifice de 1864, le conservatisme du Comité de Genève provient aussi d’une revendication d’exclusivité par rapport à Henry Dunant qui, en exil à Paris, n’est pas étranger aux débats de La Haye. Le CICR est d’autant plus méfiant que la Convention de Genève avait déjà semblé être concurrencée par une initiative de Henry Dunant et de la Russie tsariste, la « Déclaration de Bruxelles concernant les lois et coutumes de la guerre », signée le 27 août 1874 et ratifiée par aucun Etat. Or les délégués de La Haye se réfèrent à de vagues « sociétés de secours » pour apporter des soins aux combattants capturés par l’ennemi. Ils ne mentionnent pas expressément la Croix-Rouge et laissent donc la voie ouverte à Henry Dunant, dont la Société pour l’amélioration du sort des prisonniers de guerre n’existe pourtant que sur le papier.