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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1900-1909


-1900-1901, Afrique du Sud : à l’occasion de la guerre des Boers qui démarre en 1899 et oppose les colons britanniques aux paysans afrikaners d’origine hollandaise, le CICR ne peut pas intervenir car Londres s’oppose en 1900 à son projet de monter une Agence internationale à Maputo au Mozambique. Il doit donc se contenter de financer quelques secours, y compris du côté des Boers, dont il ne reconnaît pas officiellement les Croix Rouges montées dans le Transvaal en septembre 1896 et l’Etat d’Orange en mai 1897. A défaut, les initiatives viennent du secteur privé, à l’instar du « Corps d’ambulance des Indiens du Natal » d’octobre 1899 à février 1900, qui est monté depuis Durban par l’avocat Mohandas Karamchand Gandhi et dont les volontaires portent sans autorisation des brassards de la Croix-Rouge. Suivant l’exemple d’un précédent conflit en 1881, pendant lequel la Croix-Rouge hollandaise avait prêté assistance aux Afrikaners du Transvaal, ce sont surtout des volontaires de la Croix-Rouge britannique qui se déploient sur place, en l’occurrence dans un grand désordre. Des caisses sont volées dans les ports où débarquent les vivres et des brassards de la Croix-Rouge sont distribués à des individus peu recommandables. Le gouvernement britannique nomme une commission d’enquête qui ne prouve pas l’existence de détournements de fonds mais souligne l’ampleur des problèmes de coordination. Hostiles aux Anglais du fait de leur origine irlandaise, 56 membres de la Croix-Rouge américaine vont, pour leur part, passer à l’ennemi et combattre aux côtés des Boers. Médecin issu d’une famille irlandaise, le président fondateur de la Croix-Rouge de l’Etat d’Orange, Alfred Ernest William Rambsbottom (1860-1921), est quant à lui capturé par les Britanniques et transféré au Cap. D’une manière générale, ni le CICR ni les sociétés nationales ne parviennent à secourir les Afrikaners victimes des troupes anglaises, qui pratiquent la politique de la terre brûlée et enferment les civils dans des camps de concentration où l’on recensera 42 000 morts, dont 16 000 Noirs et 20 000 enfants de moins de seize ans. En effet, les familles de Boers qui habitaient déjà les provinces britanniques du Cap et du Natal sont suspectées de soutenir les rebelles et considérées comme des traîtres à la Couronne. Paradoxalement, les combattants de l’Etat libre d’Orange et du Transvaal s’en sortent mieux. Bien qu’ils ne portent pas d’uniformes et que leur souveraineté soit contestée, ils sont les seuls à être traités en prisonniers de guerre, même lorsqu’ils poursuivent une action de guérilla après l’intégration formelle de leurs territoires sous la coupe de Londres, respectivement en mai et octobre 1900. Leurs camarades brancardiers, infirmiers et ambulanciers de la Croix-Rouge du Transvaal n’ont pas cet honneur : considérés comme des lâches qui cherchent à échapper au front, ils ne sont pas soutenus par le président Paul Kruger et doivent se contenter d’identifier les pertes au combat pour prévenir les familles.
 
-A partir de 1901, Philippines : suite à la guerre qui a opposé les Etats-Unis au colonisateur espagnol en 1898-1899, Washington impose sa tutelle aux Philippines en 1901 et la Croix-Rouge américaine, l’ARC, s’implante durablement dans le pays. Le CICR, lui, n’avait pas répondu aux demandes formulées par la Croix-Rouge de Madrid en mars 1899 afin d’obtenir la libération des Espagnols faits prisonniers par les indépendantistes. Il n’avait pas non plus reconnu la Croix-Rouge philippine formée en février 1899 par les insurgés qui, une fois débarrassés du joug colonial, s’étaient opposés aux interférences de Washington et avaient proclamé une éphémère république présidée par Emilio Aguinaldo. Inspirée de l’exemple de Henry Dunant et constituée par la femme d’Emilio Aguinaldo, Hilaria del Rosario, et son premier ministre, l’avocat Apolinario Mabini, ladite organisation avait dépêché en Europe un envoyé spécial, Don Felipe Agoncille, qui avait reçu l’appui de la Croix-Rouge espagnole à Madrid en janvier 1900 et rencontré Gustave Moynier à Genève en août suivant. Le CICR avait cependant refusé de répondre favorablement à la demande des Philippins, sous prétexte que leur gouvernement n’était pas reconnu par la communauté internationale et n’avait en conséquence pas pu adhérer formellement à la Convention de Genève. Reflétant l’esprit colonial de l’époque, le Comité avait préféré transmettre le dossier à la « patronne » de l’ARC, Clara Barton, qui, empêtrée dans des problèmes personnels, allait enterrer l’affaire jusqu’à ce que l’association disparaisse de sa belle mort avec la capture d’Emilio Aguinaldo en mars 1901. Résultat, la Convention de Genève n’est jamais appliquée au conflit philippin malgré la bonne volonté des insurgés, dont les derniers éléments capitulent sous la conduite du général Miguel Malvar en avril 1902. Restée seule présente sur le terrain, l’ARC en profite pour lancer officiellement en août 1905 une branche locale qui constitue une de ses quinze sections régionales. Placée sous la supervision de Mabel Boardman et William Howard Taft, le secrétaire d’Etat américain à la guerre et premier gouverneur civil de l’archipel, cette organisation se compose exclusivement d’expatriés qui, bien souvent, restent peu de temps en poste dans le pays. En outre, tous les membres de son conseil d’administration, à l’exception de deux, sont des hauts fonctionnaires, présidés en l’occurrence par le gouverneur général du territoire, d’abord Luke Wright, puis James Smith à partir d’octobre 1906 et William Cameron à partir de novembre 1910. Dans un tel contexte, l’organisation a peu de chances de se développer. Après avoir brièvement aidé les victimes d’un cyclone en octobre 1905, elle devient inactive et manque de peu disparaître quand son conseil d’administration cesse complètement de se réunir. Avec des financements de la Croix-Rouge américaine, on la retrouve certes en train de distribuer des secours après l’éruption du volcan Taal, qui fait 1 335 morts le 30 janvier 1911. Mais l’organisation ne peut pas lever des fonds et aider les victimes de troubles politiques sans l’autorisation expresse du gouvernement. Envisagée comme une simple courroie de transmission, elle n’est pas opérationnelle et ne parvient pas s’affranchir de Washington quand les Philippins, une fois autorisés à élire leurs propres députés et sénateurs, essaient de créer une société nationale par une loi qui est votée le 4 février 1916 et presque aussitôt annulée par les autorités de tutelle. En effet, la Constitution de l’ARC interdit à d’autres associations d’utiliser l’emblème de la Croix-Rouge sur le territoire américain. Or les Philippines sont de facto considérées comme partie intégrante des Etats-Unis. Présidée et reprise en main par le gouverneur Francis Burton Harrison en 1916 et 1917, la Croix-Rouge de Manille est donc réorganisée sous la forme d’une section à part entière de l’ARC. La différence est que son conseil d’administration ne comprend désormais plus qu’un représentant du pouvoir. Pour la première fois en octobre 1918, la Croix-Rouge philippine est présidée par un civil qui n’est pas membre du gouvernement, l’homme d’affaires Horace Pond. L’organisation commence alors à gagner la sympathie de la population. Elle s’étend progressivement en province et compte jusqu’à 200 000 donateurs en 1918, dont 7 000 résidents américains. Dirigée à partir de 1918 par Francis Garrett puis de 1923 à 1943 par Charles Hancock Forster, elle développe notamment des programmes de santé publique et une section jeunesse qui rencontre un vif succès avec, selon ses propres chiffres, 750 000 inscrits en 1922 et 1 025 000 sept ans plus tard (contre, respectivement, 67 000 et 75 000 membres adultes). Présidée par Charles Mason Cotterman à partir de 1919 et Thomas Wolff de 1936 à 1942, elle demeure toutefois une dépendance de l’ARC. A meilleure preuve, son règlement interne est révisé en 1920 de manière à correspondre parfaitement au modèle de la maison mère. De façon significative, son directeur tout au long des années 1920 et 1930, Charles Hancock Forster (1878-1946), est un ancien responsable des sections outre-mer de la Croix-Rouge américaine. Quant au gouverneur général de l’archipel de 1929 à 1932, Dwight Davis, il s’arroge en 1930 le droit de nommer quatre membres du comité exécutif de l’organisation philippine, à qui il attribue un terrain pour construire un siège administratif à Manille. En 1923 puis 1931, les autorités font échouer toutes les tentatives visant à établir une Croix-Rouge réellement indépendante de son mentor américain. En 1936, un an après l’installation d’un gouvernement philippin présidé par Manuel Quezon, l’organisation obtient seulement le droit de changer de nom et de placer entre parenthèses son appartenance à l’ARC. La montée du sentiment nationaliste accroît les tensions. Le président Manuel Quezon n’accepte pas que l’argent perçu au nom de la Croix-Rouge philippine soit géré par l’ARC. Il crée d’abord en janvier 1938 un office chargé de coordonner les efforts des secteurs public et privé en matière de secours humanitaires. Puis il menace de précipiter l’organisation vers la banqueroute en arrêtant à la Noël 1939 de soutenir ses campagnes de collecte de fonds si elle n’augmente pas le nombre de Philippins dans son conseil d’administration. C’est finalement la Seconde Guerre mondiale qui change irrémédiablement la donne. Devant la poussée des Japonais, les Américains s’en vont et le gouvernement se saisit de l’occasion pour créer le 15 avril 1942 une société de la Croix-Rouge indépendante. Présidée par Jose Paez et dirigée par Don Alejandro Roces puis Vicente Madrigal, celle-ci conserve le personnel et s’approprie les biens de la précédente organisation sans l’accord de l’ARC, qui ne peut plus envoyer des fonds et travailler dans l’archipel. Avec trois Japonais dans son conseil d’administration, elle reçoit un peu d’argent des Etats-Unis via l’ambassade de Suisse à Tokyo et tente de ravitailler les ressortissants américains internés par les troupes d’occupation. Le camp de Santo Tomas lui est cependant interdit d’accès en juin 1942 et la Croix-Rouge philippine connaît ses heures les plus douloureuses au moment de la retraite japonaise. Le 10 février 1945 lors des combats pour la prise de Manille, par exemple, le siège de l’organisation est assailli par la soldatesque nippone, qui veut s’y réfugier et qui y abat sur le champ le concierge, Marcelino Guevara, et un chirurgien en train d’opérer, le Docteur German de Venecia. Des trente-neuf enfants placés sous la responsabilité d’une volontaire de la Croix-Rouge philippine, Teresa Nava, seulement vingt-six survivent pour leur part aux bombes et aux incendies qui ravagent la capitale. Détenus à Santo Tomas, des collaborateurs américains de l’organisation, Alfred Duggleby et Carroll Grinnell, sont par ailleurs tués avant la libération du camp le 3 février 1945. La Croix-Rouge philippine compte quinze autres victimes dans ses rangs avec Antonio Alberto, Antonio Barbeyto, Juan Miguel Elizalde, Antonio Escoda, Josefa Llanes Escoda, Natti Perez Rubio Fox, Jose Miranda Gonzales, Guillermo Manalang, Angustias Vaca de Mencarini, Joaquin Mencarini, Sue Noell, Maria Orosa, Enrico Pirovano, Rafael Santo Domingo et Carmen de Vera. Une fois le territoire libéré de l’occupant japonais, l’organisation est aussitôt reconstituée sous la forme d’une succursale de l’ARC, d’abord sous la présidence de Thomas Wolff en juillet 1945 puis du général Basilio Valdes en juillet 1946. Provisoirement appelée PhilCross, elle est même intégrée au département des affaires civiles de l’armée américaine. Malgré l’indépendance assez formelle des Philippines, accordée le 12 juillet 1946, elle continue ensuite d’être pendant un temps encadrée par l’ARC, qui subventionne entièrement les salaires des employés expatriés et qui lui fournit des directeurs avec Leo Whilhelm à partir de juin 1945 et Glen Whisler à partir de janvier 1946. Il faut attendre une loi du 22 février 1947 pour que la PNRC (Philippines National Red Cross) soit enfin établie comme une entité indépendante et reconnue comme telle par le CICR, quatre jours après l’adhésion et la ratification par Manille de la Convention de Genève. Pour la première fois, l’organisation est dirigée et présidée par des Philippins, respectivement Horacio Yanzon (un dentiste) depuis décembre 1946 et Aurora Aragon-Quezon (la femme de l’ancien président du pays) depuis septembre 1946. Elle n’échappe alors pas aux tensions politiques qui déchirent l’archipel. Ainsi, sa présidente, Aurora Aragon-Quezon, est tuée le 28 avril 1949 dans une embuscade des insurgés communistes, les Huks, et remplacée par le colonel Manuel Lim, un ministre qui décide de dépêcher une équipe de volontaires intégrée au corps expéditionnaire de l’armée philippine envoyé en Corée soutenir les Américains en guerre contre les Chinois. Dans le même ordre d’idées, les présidents de l’organisation changent en fonction des gouvernements, qui y nomment leurs fidèles. A la tête de la PNRC depuis 1951, le ministre de la santé Juan Salcedo Junior est en l’occurrence remplacé en 1954 par son successeur au ministère de la santé, Paulino Garcia, peu après les élections qui amènent Ramon Magsaysay au pouvoir en 1953. Par la suite, les présidents de l’organisation ont certes des profils un peu plus technocratiques avec Geronima Pecson à partir de 1961, Emilio Abello à partir de 1964 et Fernando Sison à partir de 1969. Dans le contexte de la guerre froide et de l’alliance aux Etats-Unis, la PNRC n’en reste pas moins un instrument aux mains du pouvoir. A l’étranger, elle sert clairement les intérêts de Manille et de Washington en envoyant des secours aux réfugiés qui fuient des régimes communistes au Vietnam du Nord en 1954 et en Hongrie en 1956. En témoigne sa proximité avec l’armée philippine, qui s’est déployée aux côtés des Américains au Vietnam du Sud et qui lui confie un avion C47 pour transporter des vivres à Saigon et Vientiane dans le cadre de l’Opération « Fraternité » (Brotherhood). A l’intérieur de l’archipel, la Croix-Rouge collabore tout aussi étroitement avec les militaires et une de ses infirmières, Rosario Sotto, est tuée au combat lors d’une attaque des Huks contre la garnison de Makabulos à Tarlac le 25 août 1950. Un décret du 18 novembre 1952 précise le partage des tâches et lui attribue la responsabilité de distribuer des secours en cas de catastrophe naturelle, laissant aux pouvoirs publics le soin de gérer l’assistance aux victimes de troubles politiques. Pareil dispositif ne remet absolument pas en cause la relation privilégiée et exclusive que la PNRC entretient avec l’armée et que réaffirmera un décret présidentiel en date du 1er octobre 1979. Dans le cadre d’un service créé en juin 1920 et réorganisé en août 1945, l’organisation se préoccupe en particulier d’aider les soldats blessés et les familles de militaires. De 1956 à 1969, elle est également chargée de redistribuer aux anciens prisonniers de guerre philippins les compensations versées par Tokyo en vertu du traité de paix signé entre les Etats-Unis et le Japon en septembre 1951. Cantonnée à un rôle d’auxiliaire civil sous le contrôle direct des autorités politiques, l’organisation connaît par ailleurs des problèmes de gouvernance interne. Tandis qu’une loi du 11 juin 1953 rend ses conventions biennales et non plus annuelles, son conseil d’administration s’arroge beaucoup de pouvoirs. La direction de la PNRC n’y résiste pas : le Docteur Feliciano Cruz, qui avait pris la relève de Horacio Yanzon en avril 1954, démissionne et est remplacé par Telesforo Calasanz en décembre 1957. Le durcissement du régime de Ferdinand Edralin Marcos, élu en novembre 1965, ne facilite pas non plus les tentatives de démocratisation de l’organisation, qui se dote en 1964 d’un poste de secrétaire général d’abord occupé par Telesforo Calasanz, puis par Loreto Paras Sulit à partir de 1968, Vicente Galvez à partir de 1976 et Generoso Caridad à partir de 1982. Malgré la loi n°6373 de 1971, qui élargit son conseil d’administration et réduit le nombre de membres cooptés, la PNRC se militarise avec l’imposition de la loi martiale en 1972. En vertu du décret n°1643 de 1979, le chef de l’Etat nomme désormais six des trente membres de son conseil d’administration, qui compte obligatoirement entre un et trois représentants de l’armée. Présidée à partir de 1973 par Antonio Quirino, un juge apparenté à un ancien chef de l’Etat, puis à partir de 1976 par le général Romeo Espino, chef d’état major de l’armée de terre, la PNRC se retrouve bientôt au service de la dictature. Après avoir perdu un de ses responsables en mission, Faustino Mercado, dans un accident d’avion en 1967, elle est notamment amenée à travailler dans les zones rebelles où se multiplient les foyers insurrectionnels, essentiellement musulmans dans le sud et communistes dans le nord. En l’espèce, elle ravitaille les hameaux « stratégiques » où les paysans sont regroupés afin de priver les rebelles du soutien de la population et de permettre aux caciques locaux de s’approprier les terres laissées vacantes. L’intensification du conflit conduit le CICR à renforcer sa présence dans le pays et à ouvrir une délégation régionale à Manille en janvier 1982. Venu brièvement assister des Huks incarcérés dans la prison de Makati à Manille en 1959, le Comité de Genève entame une coopération plus durable avec la PNRC et développe ses activités dans trois directions : les visites de détenus politiques, l’aide aux personnes déplacées par  le conflit et l’accueil de boat people vietnamiens à Morong dans la province de Bataan près de la base militaire américaine de Subic Bay. Autorisés à inspecter régulièrement les lieux de détentions dans l’ensemble du pays après l’instauration de la loi martiale en 1972, des délégués du CICR reviennent chaque année (à l’exception de 1975 et 1979) visiter les prisonniers d’opinion, un travail qu’ils poursuivront après la chute de la dictature en 1986. A partir de décembre 1980, ils sont même autorisés à assister les détenus dans des camps militaires, et pas seulement des prisons civiles. Concernant les familles déplacées par les combats, le Comité de Genève charge la PNRC de leur distribuer des secours à partir de 1978, essentiellement à Mindanao, où l’organisation ravitaille jusqu’à 700 000 personnes cette année-là. Ponctuellement, les opérations touchent aussi l’archipel des Visayas, avec Samar en 1980 et Negros en 1989, ainsi que le nord de Luzon en 1986. Les affrontements compliquent l’accès au terrain, notamment sur les îles de Mindanao. Le 5 mai 1987 dans la province de Lanao del Sur, une équipe de deux délégués du CICR et de cinq infirmières de la Croix-Rouge philippine est enlevée et presque aussitôt relâchée. Trois ans plus tard à Buldon, toujours dans l’île de Mindanao, un délégué du CICR, Walter Berweger, et un collaborateur de la Croix-Rouge philippine, Juanito Patong, sont assassinés. Les blocages ne viennent pas que des sécessionnistes du MNLF (Moro National Liberation Front), mais aussi des guérilleros communistes de la NPA (New People’s Army), qui refusent jusqu’en 1990 de laisser le CICR visiter les détenus entre leurs mains. Il faut attendre la chute de la dictature et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement élu en 1986 pour que les négociations de paix avancent et que la situation se calme un peu. Dans une déclaration datée du 15 août 1991, le vice-président des affaires internationales du NDF (National Democratic Front), Luis Jalandoni, exprime alors la volonté de la NPA de respecter les Conventions de Genève. Pour sa part, le gouvernement accepte officiellement en août 1998 d’accorder le statut de belligérant aux combattants communistes. Avec le MILF (Moro Islamic Liberation Front), en revanche, les négociations de paix démarrées en octobre 1996 butent précisément sur l’application des Conventions de Genève aux rebelles. En avril 2000, le gouvernement reprend les hostilités et part à l’attaque contre les foyers de résistance islamique qui, à la différence du MNLF, ont refusé de déposer les armes. En conséquence de quoi, le CICR, qui s’était désengagé et avait transféré ses activités d’assistance à la Croix-Rouge philippine en 1991, revient dans la région et s’implante à Davao. Le 15 janvier 2009, trois de ses employés, le Suisse Andreas Notter, l’Italien Eugene Vagni et la Philippine Mary Jean Lacaba, sont kidnappés par des militants islamistes du groupe Abu Sayyaf alors qu’ils s’en revenaient de la prison de Patikul à Jolo dans la région de Sulu. La PNRC a entre-temps connu une évolution notable. Dotée d’une direction des opérations créée en 1977 et d’un nouveau siège administratif à l’occasion de la vingt-quatrième conférence internationale des Croix Rouges à Manille en 1981, elle s’est en fait professionnalisée dès avant la chute de la dictature. En 1985 puis 1989, par exemple, elle entreprenait d’évaluer ses plans quinquennaux, constatant des défaillances en matière de santé publique, de formation aux premiers secours et d’éducation sanitaire. Surtout, elle a changé d’orientation. De l’urgence vers le développement, elle s’est ouverte à des programmes d’aide psychosociale et non plus seulement d’assistance matérielle. Après un tremblement de terre qui a fait 1 050 morts dans l’île de Luzon le 16 juillet 1990, en particulier, la PNRC a pour la première fois cherché à travailler sur le long terme et à réhabiliter les populations sinistrées en construisant des écoles primaires, des systèmes d’adduction d’eau et des abris pour reloger les rescapés à Baguio et Caranglan. Par la même occasion, l’organisation s’est démilitarisée et démocratisée. Dans les années 1980, des civils, notamment des enfants de la rue et des familles en difficulté, ont commencé à bénéficier de son assistance sociale, autrefois réservée aux seuls militaires. Soucieuse de démontrer son impartialité, la PNRC a aussi aidé les manifestants qui, en février 1986 à Manille, devaient obtenir la chute de la dictature de Ferdinand Edralin Marcos. Par la suite, trois de ses volontaires allaient d’ailleurs être blessés en essayant de porter secours aux victimes de tentatives de coups d’Etat en janvier 1987 puis décembre 1989. Sur le plan institutionnel, la PNRC a renouvelé ses effectifs et raccourci le mandat effectif de ses dirigeants. Présidée pendant vingt ans par Romeo Espino, elle a ensuite vu se succéder des personnalités à un rythme plus rapide : un activiste, Mario Nery, à partir de 1996, une juge, Leonorines Luciano, à partir de 1998, un général, Jaime Canatoy, à partir de 2002, et un ancien maire d’Olongapo (ville ravagée par une éruption du volcan Pinatubo en 1991), Richard Gordon, à partir de 2004. Ses secrétaires généraux ont connu une évolution similaire avec Gloria Balbin Senador à partir de 1990, Celso Samson à partir de 1993, Lourdes Reinoso Loyala à partir de 1996, Victor Liozo à partir de 2004 et Corazon Alma de Leon à partir de 2006. Dans un pays qui a déjà compté plusieurs femmes à la tête de l’Etat, l’exécutif de la PNRC s’est avéré assez équilibré de ce point de vue. L’organisation s’est en l’occurrence choisie des présidentes en la personne de Geronima Pecson dès 1961 et Leonorines Luciano en 1998. A plusieurs reprises, elle a également été dirigée par des femmes au poste névralgique de secrétaire général, avec une infirmière, Gloria Balbin Senador, une assistante sociale, Lourdes Reinoso Loyala, et une fonctionnaire, Corazon Alma de Leon. Parallèlement, la PNRC s’est davantage enracinée dans la société civile. Avec 94 branches régionales en 2007, contre 85 en 1999, 83 en 1989, 78 en 1979 et 59 en 1969, elle couvre mieux le territoire national et peut compter sur un volant de 700 employés au lieu de 500 lors de la crise financière de 1997, qui avait provoqué un gel des recrutements. Au milieu des années 2000, l’organisation revendique plus d’une centaine de milliers de volontaires et vise à en mobiliser plus d’un million d’ici 2009, des chiffres sans doute exagérés puisqu’ils incluent les simples donneurs de sang et les membres devenus inactifs. Parallèlement, la PNRC s’est un peu affranchie de la tutelle des pouvoirs publics, qui finançaient encore la moitié de son budget au milieu des années 1980, contre un tiers au cours de la décennie suivante, voire un quart certaines années. Contrairement à d’autres Croix Rouges en Asie, qui demeurent très dépendantes des subsides de leur gouvernement, l’organisation a su solliciter la générosité du secteur privé en développant sa politique de communication et de collecte de fonds à partir de 1998. Grâce également à la rationalisation de ses coûts, avec un ratio de mission sociale qui oscille entre  80% et 85% depuis la fin des années 1990, son budget est passé de 17,8 millions de pesos en 1983 à 28,5 en 1984, 28,4 en 1987, 37,8 en 1988, 117,7 en 1996, 167,9 en 1997, 188,8 en 1998, 231,4 en 1999, 243,5 en 2000, 308,4 en 2001, 312,3 en 2002, 319,7 en 2003, 440,7 en 2004 et 526,9 en 2005. Statutairement, la PNRC reste certes proche des pouvoirs publics. Quelque soit le régime en place, l’institution a toujours été parrainée par le chef de l’Etat et elle est souvent présidée par des caciques comme Richard Gordon, un leader de l’opposition nationaliste devenu sénateur et rallié à la formation au pouvoir en 2004. Le gouvernement continue quant à lui de nommer six des trente membres du conseil d’administration de la PNRC, les autres étant cooptés ou élus pour quatre ans par des délégués régionaux réunis aux cours de conventions biennales.
 
-A partir de 1902, Canada : après être intervenue lors de la guerre des Boers en Afrique du Sud en 1900 et 1901, la CRCS (Canadian Red Cross Society) retombe dans sa léthargie. Sous l’impulsion d’un chirurgien militaire, George Sterling Ryerson (1855-1925), la Croix-Rouge canadienne a en l’occurrence été fondée en 1885 pour secourir les blessés lors de la rébellion du Manitoba menée par Louis Ri el dans le Nord-Ouest. Ses premiers membres comptaient des médecins comme Norman Bethune (1822-1892), qui avait aidé Henry Dunant à soigner les rescapés de la bataille de Solferino en Italie en 1859. Mais l’expérience n’avait pas duré et George Sterling Ryerson avait préféré se lancer dans la politique en devenant député conservateur, anti-catholique et probritannique de Toronto à l’Assemblée de l’Ontario entre 1893 et 1898. Reconstituée sous la forme d’une section de la Croix-Rouge britannique en 1896 et la présidence de John Morrison Gibson jusqu’en 1914, l’organisation devait rester inactive jusqu’en 1899, malgré des velléités d’action à l’étranger lors du conflit américano-espagnol de 1898. Après sa reconnaissance officielle par le gouvernement du Canada en 1909, c’est en fait la Première Guerre mondiale qui lui donne l’occasion de se développer. Sous la direction du lieutenant-colonel Noel Marshall jusqu’en 1920, elle est en effet chargée d’assister les troupes envoyées sur le front européen en 1914, notamment à Boulogne sur Mer en France. Elle voit alors ses ressources budgétaires passer de £141 000 en 1915 à £257 000 en 1916, £386 000 en 1917 et £388 000 en 1918, ceci sans compter les donations en nature. Basée à Toronto, la CRCS peine certes à s’affranchir de la tutelle du colonisateur britannique. Malgré la création d’une branche au Québec francophone en 1912, elle reste une organisation majoritairement anglo-saxonne sous la présidence du docteur George Sterling Ryerson de janvier 1914 à janvier 1916, de la princesse Louise Margaret de Prusse (la femme du gouverneur du Canada, devenue duchesse de Connaught) de février 1916 à juillet 1917, puis du colonel Noel Marshall à partir de septembre 1920. Dirigée après la guerre par James Robertson, il lui faut attendre 1927 pour être reconnue comme une société autonome par le CICR et 1929 pour être acceptée à la Ligue des Croix Rouges. La CRCS achève finalement de gagner ses galons pendant la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle un quart de la population canadienne rejoint les rangs de ses membres actifs.
 
-1903, Macédoine : le CICR ne répond pas aux appels des insurgés qui, avec l’appui de Sofia et sous la conduite de Gotse Delchev, se battent contre les Turcs pour obtenir l’indépendance. Il préfère financer des secours par l’intermédiaire des sociétés de secours déjà constituées, en l’occurrence la Croix-Rouge bulgare et non le Croissant Rouge ottoman, qui est présidé par le général Faik Pacha Della Sudda à partir de 1906. Il faudra attendre près d’un siècle pour qu’une Croix-Rouge macédonienne, devenue indépendante en 1992, soit finalement reconnue par le CICR en 1995, sur les décombres de la Croix-Rouge yougoslave constituée en 1945.
 
-1904-1924, Chine : sous l’égide d’un aristocrate de la dynastie des Qing qui a fait ses études à l’Université de Cambridge et qui s’est spécialisé dans le commerce du thé à Shanghai, Shen Dunhe, une société nationale de la Croix-Rouge (Tchoung-kano-loung-tsou-shitz-homi) est constituée le 29 mai 1904 pour venir en aide aux victimes du conflit russo-japonais en Mandchourie, où elle gère une vingtaine d’hôpitaux, se préoccupe d’enterrer les cadavres et organise l’évacuation de 130 000 civils en train ou en bateau. Composée pour beaucoup de missionnaires et de médecins étrangers, elle n’est d’abord pas reconnue par le CICR car elle n’a ni caractère national ni soutien officiel des autorités. Après avoir été invité à la conférence de La Haye en mai-juillet 1899, le gouvernement impérial cherche cependant à s’insérer dans le concert des nations dites « civilisées ». Déconsidéré par la révolte des Boxers, qui se conclut par un traité de paix avec les Occidentaux en septembre 1901, il souhaite en outre s’affirmer face à la montée en puissance du Japon, qui a déjà sa propre Croix-Rouge depuis 1877. En 1906, il signe donc les Conventions de Genève malgré quelques réticences à propos de l’emblème du CICR, auquel il aurait préféré une swastika ou un idéogramme symbolisant l’Empire du Milieu. Son adhésion au droit international humanitaire ouvre ainsi la voie à une reconnaissance de la Croix-Rouge chinoise par le CICR en 1912, peu après la chute de la monarchie et la proclamation d’une République par Sun Yat-sen. Depuis Shanghai, où elle a d’abord établi son siège dans la chambre de commerce des marchands de soie, l’organisation se développe bientôt en province. Elle permet notamment d’affirmer la souveraineté chinoise sur la concession allemande de Qingdao que l’armée japonaise décide d’envahir peu après avoir déclaré la guerre à la Prusse en août 1914. Basée à Yantai, un port de la péninsule de Shandong, sa branche provinciale de Chefoo (Tchefou) avait en l’occurrence été créée dix ans plus tôt pour, initialement, faciliter le transfert ou le rapatriement des populations déplacées par le conflit russo-japonais en Mandchourie. Par la suite, elle a assisté les victimes d’inondations sous l’égide de Lao Yuchu, un membre de la noblesse locale, et de Richard Wilhelm, un pasteur allemand. Quand éclate la Première guerre mondiale, la Croix-Rouge chinoise utilise ce relais pour ouvrir une antenne à Qingdao avant que les Japonais ne prennent le contrôle de la ville en novembre 1914. Au début, la coopération avec l’occupant est relativement bonne. Les conflits de compétences avec la Croix-Rouge nippone se focalisent plutôt sur le port de Longkou (Lung-kow), à l’extrémité nord de la péninsule de Shandong, qui est sous souveraineté chinoise et où l’armée japonaise débarque en septembre 1914 pour ne repartir qu’en décembre 1922. En effet, les secouristes venus de l’Empire du Soleil Levant essaient en septembre 1916 d’y ouvrir leur propre délégation pour y gérer un hôpital. La tentative échoue grâce au soutien, entre autres, d’expatriés occidentaux comme John Ferguson, conseiller du gouvernement et directeur américain de la Croix-Rouge chinoise. Mais Shen Dunhe doit protester publiquement quand, deux ans plus tard, l’ARC (American Red Cross) veut à son tour établir une branche à Shanghai en y recrutant 50 000 collaborateurs sur place. S’il parvient à empêcher le projet, il est poussé à la démission en avril 1919 car ses positions nationalistes ont heurté la sensibilité des Alliés aux côtés de qui la Chine est entrée en guerre contre l’Allemagne en août 1917. Accusé de corruption, il est remplacé par Cai Tinggan, un amiral formé aux Etats-Unis et l’ancien président d’une Commission tarifaire chargée de réviser à la baisse les droits de douane du pays. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Croix-Rouge chinoise s’étend alors à l’étranger pour assister et rapatrier les coolies déployés sur le front européen et parfois faits prisonniers en Allemagne ou en Autriche-Hongrie. En Chine, cependant, les relations entretenues avec l’ARC se révèlent être particulièrement asymétriques. En témoigne le traitement différencié dont bénéficient les otages enlevés en mai 1923 par des bandits dans la province de Shandong sur le trajet du train de luxe Blue Express entre Tianjin and Nanjing. A l’époque, relate Caroline Reeves, un membre du conseil d’administration de la branche de l’ARC en Chine, le journaliste américain Carl Crow, est chargé d’aller négocier la libération des seuls ressortissants de pays occidentaux. Celui-ci considère que les captifs chinois sont de la responsabilité de leur gouvernement, quand bien même ils seraient ignorés des autorités et davantage maltraités par leur geoliers. L’ARC a aussi la priorité pour accéder aux ravisseurs. Laissé à l’écart, son homologue sur place doit attendre la libération des Occidentaux pour être autorisé à intervenir et à ravitailler les otages chinois, qui sont relâchés deux semaines après. Suite au départ de l’ARC, qui décide de se retirer en avril 1924, le gouvernement à Pékin a en revanche plus de facilités à interdire à la Croix-Rouge soviétique d’établir une antenne à Harbin, refuge de Russes blancs en Mandchourie. Malgré les troubles qui agitent le pays, la Croix-Rouge chinoise peut enfin se développer pleinement sur le territoire national. En 1924, elle compte 40 000 membres et 286 branches à travers le pays, jusqu’à 120 000 et 500 dix ans plus tard.
 
-A partir de 1905, Namibie, Maroc : à l’instar de Gustave Moynier, qui n’a jamais protesté contre les exactions des Belges au Congo, le CICR ne dit rien du génocide commis contre les Herero en 1904 dans la colonie allemande du « Sud-Ouest africain ». Au contraire, il félicite les secouristes de la DRK (Deutsches Rotes Kreuz) qui se sont déployés aux côtés des troupes de Berlin et n’ont nullement aidé la population locale. Dans le même ordre d’idées, il ne cherche pas à vérifier les accusations allemandes sur des atrocités prétendument commises par les troupes coloniales britaniques et françaises pendant la Première Guerre mondiale. Reflétant les vues racistes de son temps, il reprend ces allégations à son compte en les comparant dans son Bulletin international de juin 1916 aux pogroms génocidaires des turcs musulmans contre les arméniens chrétiens. Il est vrai qu’à l’époque, le Comité de Genève ne se soucie guère des massacres commis au nom de l’œuvre « civilisatrice » des puissances impérialistes sur le continent noir. Lors de la répression britannique de la révolte mahdiste du Soudan, relate par exemple Daniel Palmieri, il devait légitimer « l’achèvement des blessés » de la bataille d’Omdurman en septembre 1898. Dans une livraison de son Bulletin d’octobre 1903, encore, il allait justifier les abus de la colonisation belge du Congo en soulignant « la sauvagerie excessive et invétérée des nègres ». Au Maroc de juillet 1921 à mai 1926, la guerre du Rif est particulièrement significative à cet égard. Aussi tard qu’en juillet 1924, remarque Pablo La Porte, le CICR continue de nier l’existence du conflit. Sous prétexte qu’il n’a pas assez d’informations du terrain et qu’il s’agit d’une affaire « interne » opposant les rebelles d'Abdelkrim El Khattabi aux colonisateurs espagnol et français, le Comité se contente d’envoyer en novembre 1924 un délégué, Raymond Schlemmer, qui n’est pas autorisé à aller au-delà de la zone internationale de Tanger, où la Croix Rouge britannique soigne déjà des blessés. Uniquement préoccupé par la diplomatie de Madrid ou Paris, le CICR court-circuite complètement le sultan du Maroc, qui reste pourtant souverain, et ignore les demandes de secours d'Abdelkrim El Khattabi, qui sont transmises en mai 1925 par un capitaine britannique du nom de Gordon Canning. Malgré la pression grandissante de l’opinion publique en Occident, et à la différence de l’Irlande en avril 1923, le Comité ne cherche pas non plus à forcer la main des sociétés nationales qui, déployées sur place, refusent obstinément de le laisser intervenir. Approchée à trois reprises, la Croix-Rouge espagnole, explique Francisco Javier Martínez-Antonio, argue à chaque fois qu’il s’agit d’une opération de police interne qui ne concerne pas Genève. Elle nie l’existence de victimes civiles et l’usage de gaz asphyxiant. Selon elle, reconnaître le statut de belligérant aux rebelles reviendrait à prolonger le conflit. De plus, les insurgés, non contents de maltraiter leurs prisonniers, seraient incapables d’apprécier les bienfaits de la médecine moderne et de comprendre les subtilités du droit international humanitaire. Ils auraient refusé l’assistance des docteurs de la Croix-Rouge espagnole et n’auraient pas officiellement demandé d’aide au CICR. En réallité, la Croix-Rouge espagnole n’a même pas essayé de négocier l’envoi d’une mission médicale avec les rebelles d’Abdelkrim El Khattabi, qui s’est bien adressé à Genève par le biais de la communauté musulmane de Londres. Dans le numéro de novembre 1925 du Bulletin international de la Croix Rouge, le CICR prétend n’avoir jamais reçu de demandes de secours de la part des rebelles. Bientôt éventé par un journaliste suédois du Dagens Nyheter, Hans Alexander Langlet, le mensonge oblige l’institution à réagir en envoyant en mai 1926 son délégué dans la zone française du Rif, où le conflit s’est étendu en avril 1925 et d’où l’envoyé de Genève est aussitôt expulsé. Mais il est de toute façon trop tard. Le conflit se termine sans que le CICR ait dénoncé l’usage de gaz moutarde par les troupes coloniales et tenté la moindre action de secours en faveur de rebelles qui, d’un point de vue strictement juridique, disaient défendre un territoire indépendant contre une tentative d’invasion.. C’est seulement avec la guerre du Biafra au Nigeria, en 1968, que le Comité va effectivement commencer à s’émouvoir du sort des Africains victimes d’atrocités. En attendant, ses indignations sont sélectives, notamment en faveur des chrétiens arméniens en 1915, à un moment où la Turquie musulmane est alliée de l’Allemagne et où le président de l’institution, Gustave Moynier, penche en faveur de la France. Le CICR sera beaucoup plus discret sur les Juifs d’Allemagne en 1944 ou les Tutsi du Rwanda en 1994. Ses protestations, remarquent Irène Hermann et Daniel Palmieri, sont surtout motivées par les initiatives individuelles de délégués en empathie avec les souffrances des victimes. Concernant l’Afrique subsaharienne, son analyse de la situation est pendant longtemps empreinte de préjugés racistes. En témoigne la tournée que son président, Samuel Gonard, effectue en février-avril 1962 en discutant avec les autorités coloniales sans jamais chercher à rentrer en contact avec les populations locales.
 
-1906-1907, Suisse : la Convention de 1864 est révisée en supprimant l’article cinq, qui prévoyait d’exempter les habitants des réquisitions de l’armée lorsque ceux-ci contribuaient à soigner les blessés. Renonçant à l’idée d’une neutralité protectrice, les secouristes sont désormais placés sous l’autorité des militaires et de leurs gouvernements, qui veulent écarter du champ de bataille le personnel non accrédité. Spécialiste du droit de la guerre, Geoffroy Best note ainsi que les sociétés nationales de la Croix-Rouge deviennent officiellement complémentaires des forces armées et emploient « ceux qui, par leur âge, leur condition sociale ou leur sexe, ne peuvent pas directement se battre pour leur pays mais le servent aussi bien en soignant ses soldats ». L’année suivante, la Convention de 1864 est également modifiée afin d’incorporer le droit de la guerre maritime tel qu’il a été développé à partir de 1899 dans les troisième puis dixième Conventions de la Haye.
 
-1907-1932, France : des décrets de 1878, 1884 et 1889 ayant fait de la Croix-Rouge l’unique auxiliaire du service de santé des armées, un Comité central est créé le 21 janvier 1907 afin de préparer la fusion de la Société de secours aux blessés militaires et des organisations qui, en temps de paix, préparent des infirmières à intervenir sur les champs de bataille. En vertu d’une convention signée le 20 janvier 1913, celles-ci sont désormais censées se coordonner en cas de conflit et se partager les recettes tirées des collectes de fonds auprès du public, dont la moitié revient de droit à la Société de secours aux blessés militaires. Pour le CICR, la France ne constitue pas moins une hérésie au regard du principe selon lequel il ne peut y avoir qu’une Croix-Rouge par pays. Trois organisations se concurrencent : la Société de secours aux blessés militaires, qui est constituée d’aristocrates royalistes ; l’Association des Dames Françaises, qui est plus républicaine, laïque et bourgeoise ; et l’Union des Femmes de France, qui est une scission de la précédente et qui prétend s’ouvrir davantage aux couches populaires. Respectivement fondées en 1879 et 1881, ces deux dernières ne sont pas reconnues par le CICR, qui ne les invite pas aux conférences internationales de la Croix-Rouge. Féministes, elles comptent un bon nombre d’intégristes catholiques et nationalistes qui veulent démontrer la capacité du « sexe faible » à jouer un rôle dans les affaires militaires. Sous le signe de Jeanne d’Arc, les brochures de la Croix-Rouge de l’époque invitent également les femmes à soutenir l’effort de guerre, comparent le patriotisme à un « devoir sacré » et exaltent le sens du sacrifice sur fond de mortification chrétienne. Lors de leur recrutement, les infirmières doivent notamment signer un engagement pour servir comme auxiliaires du service de santé des armées en cas de conflit. Vêtues d’un uniforme, elles accompagnent en conséquence les expéditions coloniales de la France au Maroc d’avril 1911 à octobre 1913, où deux d’entre elles meurent de maladie. D’une manière générale, la Croix-Rouge contribue à l’expansion de l’Empire, dont elle forme les infirmières dans des instituts ouverts en 1894 à Oran et 1932 à Saigon. La Société de secours aux blessés militaires, en particulier, a suivi la conquête de la Tunisie en 1881, du Tonkin en 1882-1886, du Dahomey en 1890, de Madagascar en 1895 et du Maroc et de l’Algérie en 1904-1907. Lors de la répression de la révolte des Boxers en Chine en 1900, par exemple, elle a offert au ministère de la Marine deux cliniques mobiles qui, à la fin des hostilités en 1901, ont officiellement été remises aux autorités coloniales pour établir l’hôpital français de Pékin. La connivence entre la Croix-Rouge et l’armée prend évidemment tout son sens au cours de la Première Guerre mondiale, pendant laquelle l’organisation perd un total de 212 collaborateurs selon Bernard Chevallier. La Société de secours aux blessés militaires, en particulier, déplore 31 infirmières blessés, 118 mortes de maladie et 13 tuées au front, tandis que l’Union des Femmes de France perd 60 volontaires. Si l’on en croit les chiffres de Frédéric Pineau, les trois composantes de la Croix-Rouge française perdent, au total, 351 des 63 850 infirmières employées entre 1914 et 1919, dont 105 tuées par des bombardements et 246 mortes de maladies contagieuses contractées en service. Le conflit met en évidence l’importance des auxiliaires féminins. De fait, la Croix-Rouge française ne se contente pas de soigner les troupes : avec ses homologues belge, américaine et britannique, elle organise des garderies d’enfants pendant que les mères vont travailler dans les fabriques de munitions sur le front arrière. Dans un livre publié pour son centième anniversaire, la CRF (Croix-Rouge française) est ainsi décrite comme « l’Amie du Soldat ». Elle continuera ensuite de participer à des expéditions militaires avec l’occupation de la Ruhr allemande en 1923 ou la répression de la révolte du Rif marocain en 1925. Son président de 1918 à 1932 est d’ailleurs un général connu pour avoir perdu une main lors de la guerre contre la Prusse en 1870, Paul Marie César Gérald Pau (1848-1932). Signe de la militarisation de l’organisation, il a en l’occurrence succédé à un juriste et prix Nobel de la paix en 1907, Louis Renault, qui avait beaucoup contribué à la rédaction de la convention de Genève de 1906.
 
-1908-1939, Italie : l’ARC (American Red Cross) intervient pour aider les victimes du tremblement de terre de Messina et Reggio, qui fait plus de 75 000 morts et un demi million de sans abris en Sicile et en Calabre le 28 décembre 1908. Forts de leur expérience lors du séisme de San Francisco le 18 avril 1906, les Américains déplorent la lenteur et le manque de coordination des secours. Mais leur volonté de professionnaliser l’assistance aux victimes de catastrophes naturelles s’atténue à mesure qu’approche la Première Guerre mondiale, que les Etats-Unis envoient leur armée au Mexique en 1912 et que l’organisation recentre ses activités sur le terrain militaire. Malgré le tremblement de terre qui ravage Tokyo le 1er septembre 1923 et démontre toute l’actualité du problème, c’est le président de la Croix-Rouge italienne depuis 1919, le sénateur Giovanni Ciraolo, qui reprend la question à bras le corps. Lui-même très affecté par le séisme de Messina, où il a perdu plusieurs membres de sa famille, il propose dès 1915, en pleine guerre, de monter une Union internationale de secours pour les victimes de catastrophes, y compris les conflits armés, les troubles politiques et les révolutions. Mais le projet se heurte rapidement à l’opposition du CICR, de la Ligue des Croix Rouges, de l’ARC et de la BRCS (British Red Cross Society). Favorable à l’initiative privée, la Croix-Rouge américaine désapprouve d’abord la création d’une organisation qui consacre la prééminence des Etats et prend à rebours l’isolationnisme grandissant de Washington après guerre, même si l’institution qui voit finalement le jour n’est pas une agence de la SDN (Société des Nations). La Ligue des Croix Rouges, qui se dote en 1923 d’un bureau pour traiter des calamités naturelles, craint pour sa part la concurrence et cesse bientôt de fournir un secrétariat gratuit à l’Union internationale de secours. Le CICR, quant à lui, redoute qu’un tel projet nécessite une révision des Conventions de Genève et consacre la suprématie des Croix Rouges. Pour contrebalancer l’influence de la Ligue et des sociétés nationales, il obtient que l’Union internationale de secours s’ouvre à d’autres ONG comme Save the Children et l’Ordre de Malte. Soucieux de préserver ses prérogatives et son domaine d’exclusivité, il torpille également le premier projet du sénateur Giovanni Ciraolo, qui prévoyait d’aider aussi les victimes de conflit armé, quitte à confier à la Ligue des Croix Rouges la gestion des opérations sur le terrain. Si le CICR soutient officiellement l’Union internationale de secours, il prend soin de l’émasculer et s’oppose par exemple à ce qu’elle intervienne au moment de la guerre d’Espagne en 1936. Les réticences des Etats font le reste, à commencer par Washington, qui refuse d’adhérer à la SDN : tandis que Paris doute de la faisabilité d’une indemnisation des victimes sur la base d’un système de réassurance mutuelle, Londres suspecte une manœuvre des fascistes italiens et ne se sent pas concerné par les catastrophes naturelles, notamment les tremblements de terre. Résultat, le projet de Giovanni Ciraolo est complètement vidé de sa substance. Il ne concerne plus que les secours de première urgence et non la reconstruction. Pire encore, il exclut des calamités naturelles les famines et les inondations à cause de leur caractère récurrent. Il ne retient que les événements d’une « exceptionnelle gravité », considérés comme des cas de « force majeure ». A force d’amendements, la convention fondatrice de l’Union internationale de secours (International Relief Union), en juillet 1927, délaisse toute référence humanitaire à la notion d’entraide et d’assurance mutuelle entre les Etats. Opérationnelle à partir de décembre 1932 seulement, à cause de la lenteur des ratifications, l’organisation reste sous-financée et largement inefficace jusqu’à sa disparition avec la SDN en septembre 1939. En effet, elle est censée vivre de la charité du public, au coup par coup, car les gouvernements signataires refusent de lui verser préventivement des contributions obligatoires. De plus, elle ne peut intervenir sans l’assentiment des Etats concernés par une catastrophe « exceptionnelle ». Ainsi, elle n’est pas sollicitée à l’occasion d’inondations en Chine ou en Pologne et de tremblements de terre en Grèce ou en Italie. Même l’Inde considère qu’elle n’a pas besoin de l’Union internationale de secours pour secourir les victimes du séisme du Bihar et de l’Orissa le 15 janvier 1934. D’une manière générale, les gouvernements refusent en fait de laisser une Union internationale coordonner les secours car ils préfèrent continuer à mener leur propre diplomatie humanitaire. En guise de prévention, conclut l’historien John Hutchinson, ils se préparent plutôt à la guerre en finançant à l’avance des départements de santé pour leurs soldats. Le CICR et la Ligue des Croix Rouges, eux, se retireront formellement de l’Union internationale de secours en 1948, deux ans avant sa dissolution par l’ONU et le transfert à l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation) de son département de recherches, le seul à avoir vraiment fonctionné.
 
-A partir de 1909, Suisse : suite à de nombreuses pressions du CICR, une loi fédérale de 1909 consolide l’exclusivité de la société nationale agréée par le Comité de Genève. A l’époque, protestants et catholiques tentent en effet de s’emparer du mouvement et de monter leurs propres Croix Rouges. La concurrence est rude. En témoignent l’existence de « Sœurs de la Croix-Rouge » à Zurich ou la création en 1877 par le pasteur Louis-Lucien Rochat (1849-1919) d’une Croix-Bleue qui prône l’abstinence et la foi pour combattre l’alcoolisme. Dans les années 1880 et 1890, le CICR se plaint régulièrement à la police de pharmacies ou d’organisations frauduleuses qui usurpent l’emblème, les premières pour attirer la clientèle, les secondes pour collecter des dons. L’initiative la plus intéressante vient d’un pasteur de Zurich, Walter Kempin Spyri, qui lance en 1882 une Croix-Rouge rivale de l’organisation officielle établie à Berne et présidée de 1866 jusqu’à sa mort par un conseiller fédéral, Karl Schenk (1823-1895). Constituée sous le nom d’Association de secours aux militaires suisses et à leurs familles, cette dernière n’a en fait été active qu’au moment de la retraite des troupes du général Charles Bourbaki à la fin de la guerre franco-prussienne en 1871. Depuis lors, elle n’existe plus que sur le papier car ses comités cantonaux ont disparu les uns après les autres. En Suisse, c’est donc le pasteur Walter Kempin Spyri qui relance le mouvement de la Croix-Rouge en essayant de développer ses activités en temps de paix et pas seulement de guerre. S’il doit démissionner en décembre 1885 de l’organisation de Zurich, qu’il préside depuis décembre 1881, ses idées font leur chemin. A partir de 1893, la CRS (Croix-Rouge suisse) élargit son mandat à la santé publique, notamment en matière de formation des infirmières, un domaine autrefois réservé aux sœurs catholiques et aux diaconesses protestantes. Dans le même ordre d’idées, elle est rejointe par la Société suisse des troupes sanitaires et l’Alliance suisse des Samaritains, deux organisations créées par le sergent-major Ernst Möckli en 1881 et 1888 respectivement. Officiellement reconnue par un décret gouvernemental de juin 1903 qui sera amendé en janvier 1942 puis juin 1951, la CRS connaît ensuite la même évolution militaire que ses consœurs européennes. A la veille de la Première Guerre mondiale, elle se dote de nouveaux statuts qui en font un auxiliaire de l’armée sous l’autorité d’un officier supérieur en cas de mobilisation. L’organisation participe alors à des manœuvres militaires pour entraîner ses infirmières et ses logisticiens. Après avoir été présidée par des maires de Zurich, à savoir Heinrich Haggenmacher de 1902 à 1905 puis Hans Konrad Pestalozzi, qui meurt en cours de mandat et cède brièvement la place à un pasteur, Edmund von Steiger, en 1909, la CRS passe finalement sous la coupe d’officiers supérieurs, en l’occurrence des colonels. A partir de 1910 et pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale, elle est ainsi dirigée par un conseiller d’Etat, Isaak Iselin, qui sera remplacé en 1919 par le médecin-chef de l’organisation, Karl Bohny, puis un Lausannois en 1929, le Docteur Alfred Kohler, et un Zurichois, Anton von Schulthess, de 1930 à 1939. Paradoxalement, c’est la Seconde Guerre mondiale qui conduit à démilitariser l’institution. Bien que présidée par un colonel divisionnaire, Johannes von Muralt, de 1939 à 1946, la CRS doit en effet réviser sa charte en 1942 et transférer sa direction à des organes civils pour satisfaire les demandes du gouvernement, qui s’est retiré de la Société des Nations en 1938 afin de restaurer la neutralité intégrale de la Suisse et de se préserver de la menace d’une invasion allemande. Après guerre, l’institution est ensuite dirigée par des professeurs issus du monde universitaire : Gustav Adolf Bohny à partir de 1946, Ambrosius von Albertini à partir de 1954 et Hans Haug de 1968 à 1982.