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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1910-1919


-Depuis 1910, Mexique : la Croix-Rouge mexicaine est officiellement constituée par un décret présidentiel de février 1910. A l’époque, le CICR n’intervient cependant pas dans un pays qui connaît de nombreux troubles révolutionnaires et insurrectionnels, de Pancho Villa à Emiliano Zapata. Trop occupé par la Première Guerre mondiale, il n’a pas non plus l’occasion de proposer ses services lorsque l’armée américaine occupe la ville de Veracruz en avril 1914 puis mène une expédition punitive en mars 1916. Limité par son mandat, encore, il entretient essentiellement des relations épistolaires avec la Croix-Rouge mexicaine et ignore complètement les soulèvements paysans et catholiques qui déchirent le pays de 1926 à 1929. Il faut attendre plus d’un demi-siècle pour que le CICR intervienne directement au Mexique, en l’occurrence à l’occasion de la première offensive de l’Armée zapatiste de libération nationale, l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional), dans l’Etat du Chiapas en janvier 1994. Avec la Croix-Rouge mexicaine, qui est présidée par le Docteur Fernando Uribe Calderón, Genève propose alors ses bons offices et peut visiter les détenus aux mains du gouvernement dans la prison de Cerro Hueco à Tuxtla Gutiérrez. De son côté, l’EZLN de Rafael Sebastián Guillén Vicente, un homme plus connu sous le nom de « commandant Marcos », se dit prêt à appliquer le droit humanitaire et demande au CICR d’établir des « zones franches » pour échanger les prisonniers, en l’occurrence à San Miguel et Guadalupe Tepeyac à l’entrée de la Selva Lacandona. Chargé de garantir la neutralité des lieux et d’escorter les représentants de la guérilla, qui arrivent et repartent avec leurs armes, le Comité obtient ainsi, dès février 1994, la libération du seul détenu aux mains des rebelles, le propriétaire terrien et général à la retraite Absalón Castellanos Domínguez, ancien gouverneur du Chiapas. Malgré le souhait de l’EZLN, le CICR refuse cependant de superviser les élections locales et accepte seulement d’escorter les fonctionnaires qui organisent le scrutin dans les régions insurgées. Avant de commencer à se désengager en 1995 d’un conflit qui fait très peu de morts, le Comité se préoccupe par ailleurs de fournir des vivres à 20 000 habitants et 5 000 déplacés qui ne peuvent plus aller cultiver leurs champs depuis que l’armée a encerclé les maquis. En vertu d’un accord signé avec le gouvernement le 26 mai 1998, il revient ensuite au Chiapas assurer le transport des délégués de l’EZLN lors des négociations de paix qui démarrent en novembre à San Cristóbal de las Casas. Le CICR continue en effet de jouir de la confiance et de la coopération de tous les belligérants en présence, même si les autorités suspendent ses visites de prison dans les quartiers de haute sécurité entre 1997 et 2000.
 
-1911-1912, Libye : l’Italie, qui envahit la Tripolitaine en septembre 1911, combat les troupes ottomanes en employant l’aviation, ce qui constitue un des premiers usages militaires de l’avion. En novembre 1911 puis mai 1912, le Croissant Rouge ottoman proteste alors en vain contre le bombardement de ses hôpitaux, tandis que Rome nie toute violation du droit humanitaire. En février 1912, deux médecins de la Croix-Rouge allemande, déployés du côté turco-arabe, trouvent également la mort au cours de combats à Garian, au sud de Tripoli. Appuyé par des volontaires du « Croissant Rouge britannique », une association formée par la communauté musulmane de Londres et sans liens avec le CICR, le Croissant Rouge ottoman se heurte par ailleurs au refus des Italiens, qui contrôlent la Méditerranée et la côte libyenne, de laisser passer ses équipes par voie de mer. En janvier 1912, une de ses missions médicales qui voyage sur un navire français, le Manouba, est même interceptée et capturée par la flotte italienne, créant un incident diplomatique avec Paris. D’une manière générale, le CICR donne le sentiment de favoriser les Italiens au détriment des Turcs. Il renvoie par exemple le Croissant Rouge ottoman vers Rome lorsque celui-ci lui demande de faciliter le rapatriement de ses nationaux pris dans un soulèvement au Yémen.
 
-1912-1917, Etats-Unis : les délégués réunis à la neuvième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Washington en 1912, autorisent le CICR et les sociétés nationales à s’occuper des prisonniers de guerre, et plus seulement des blessés. L’événement est aussi l’occasion de consacrer l’émergence sur la scène internationale de la Croix-Rouge américaine, dont les interventions outre-mer vont se multipliant. A l’époque, le travail de l’ARC (American Red Cross) à l’étranger consiste surtout à envoyer des vivres et à financer des opérations menées sur place par d’autres organisations sous la supervision des ambassades ou des consulats américains, comme en Italie lors du tremblement de terre de Messine en Sicile le 28 décembre 1908. Sous le parrainage direct du président des Etats-Unis, explique Foster Rhea Dulles, l’ARC « devient un instrument de la politique étrangère » de Washington. Au Mexique après la chute du régime du général Porfirio Díaz en mai 1911, par exemple, l’ARC renonce à sa neutralité sous prétexte qu’il s’agit d’une guerre civile qui ne rentre pas (encore) dans le cadre des Conventions de Genève. Ses équipes se déploient en uniforme aux côtés des troupes américaines, qui débarquent à Vera Cruz en avril 1914, et se heurtent en l’occurrence à l’hostilité des habitants de Mexico, qui refusent leur aide, obligeant à interrompre les programmes de distribution alimentaire en octobre 1915. L’expérience mexicaine de l’ARC en tant que service de santé des armées ne sert pas moins de répétition générale avant la Grande Guerre sur le continent européen. Une réforme administrative de 1914 restructure ainsi les tâches de l’ARC en deux sections civiles et militaires qui regroupent les trois anciens départements des secours en temps de guerre et de l’assistance nationale ou internationale. De 1914 à 1916, l’ARC travaille d’abord auprès des Allemands et des Autrichiens comme des Français, des Britanniques, des Russes et des Serbes. Outre la France et la Belgique, elle intervient notamment en Russie, où les Etats-Unis sont officiellement la puissance protectrice des prisonniers de guerre allemands et austro-hongrois jusqu’à ce que Washington renonce à sa neutralité et entre dans le conflit en 1917. Le problème est que l’ARC n’arrive pas à accéder aux détenus pour leur envoyer des vivres. Moscou accorde en effet les autorisations nécessaires sur la base d’un principe de réciprocité : or les Etats-Unis ont peu de prise sur l’Espagne, qui est la puissance protectrice des prisonniers de guerre russes en Allemagne et en Autriche-Hongrie. De plus, le régime tsariste se méfie de la démocratie américaine. En février 1916, tous les expatriés de l’ARC sont d’ailleurs expulsés de Russie quand un des leurs, le docteur William Warfield, dénonce le traitement des prisonniers de guerre allemands, laissés sans soins lors d’une épidémie de typhus à Stretensk en Sibérie orientale en décembre 1915. En comparaison, la YMCA (Young Men’s Christian Alliance) et les Croix-Rouge du Danemark et de Suède sont beaucoup plus efficaces. Appuyée par des diplomates dynamiques et expérimentés, la Croix-Rouge suédoise, en particulier, connaît mieux le pays et parvient même à remettre aux prisonniers de guerre allemands des mandats d’argent de leur gouvernement. A la différence de l’ARC, ses employés parlent russe et bénéficient des connections de la noblesse au plus haut niveau, surtout à travers les femmes. De fait, les alliances matrimoniales de l’aristocratie transcendent les différences nationales : mère du tsar et patronne de la Croix-Rouge russe, Maria Fedorovna est tout à la fois la tante du président de la Croix-Rouge suédoise (le prince Carl) et la sœur de celui de la Croix-Rouge danoise (le prince Valdemar, un frère du roi Christian X). Par contraste, l’ARC apparaît d’abord comme la tête de pont du gouvernement américain. Lorsque les Etats-Unis entrent en guerre en 1917, elle cesse toute opération de secours en faveur des Allemands, à l’exception des blessés et prisonniers de guerre aux mains des Alliés. Toute référence à une obligation de neutralité disparaît alors de l’en-tête des documents officiels de l’ARC.
 
-1913, Yougoslavie : à l’occasion des guerres balkaniques qui voient l’Empire Ottoman s’affronter au Monténégro, à la Serbie, à la Bulgarie et à la Grèce en octobre-décembre 1912, puis la Bulgarie s’opposer à la Serbie, à la Grèce et à la Roumanie en juin-août 1913, le CICR monte à Belgrade une Agence centrale de renseignements et de secours pour les blessés et les prisonniers de guerre. Celle-ci développe ses programmes sous l’égide d’un délégué envoyé par le Comité de Genève, le médecin Carle de Marval (1872-1939), et du consul suisse en poste dans la ville, Christian Vögeli (1871-1922). Avant de fermer ses portes en novembre 1913, elle recense près de 88 000 détenus sur un total estimé à 250 000 soldats, blessés et malades, essentiellement issus des rangs turcs. Mais elle n’a pas la confiance de toutes les parties au conflit car elle est installée sur le territoire d’un Etat belligérant et non dans un pays neutre, à la différence du précédent de l’Agence de Bâle en 1870. La Bulgarie ne lui remet ainsi la liste de ses prisonniers turcs qu’au sortir de la guerre. Les Croix Rouges russe, allemande, britannique, française, suisse, italienne, hollandaise, suédoise, belge et norvégienne ouvrent pour leur part des missions médicales près des lignes de front.
 
-1914-1918, Suisse : la Première Guerre mondiale consacre l’importance du CICR et lui permet d’affirmer son rôle auprès des militaires capturés au combat, et plus seulement des blessés. Sous l’égide d’Edouard Naville et de son président Gustave Ador, successeur et neveu de Gustave Moynier, l’institution crée ainsi en août 1914 une Agence Centrale des Prisonniers de Guerre, aujourd’hui connue sous le nom d’ACR (Agence Centrale de Recherches). L’objectif est de localiser les détenus, de les identifier, de transmettre leur courrier et, éventuellement, de réunifier les familles en fournissant des titres de voyage aux soldats sans papiers. Le Comité de Genève, qui acquiert la personnalité civile en Suisse le 15 novembre 1915, organise par ailleurs la distribution de secours, essentiellement sur le front franco-allemand et non austro-italien, laissant à la Croix-Rouge danoise le soin de travailler en Europe de l’Est. S’il peut inspecter les prisonniers de guerre à l’arrière du front, il n’a en revanche pas accès aux camps d’internement dans les zones des armées, là où précisément les mauvais traitements sont les plus criants. Il n’est pas non plus autorisé à visiter les civils déportés, réquisitionnés ou pris en otages dans les territoires occupés par l’Allemagne. Au mieux, il a accès à une centaine de camps où les prisonniers de guerre sont bien ravitaillés par Berlin afin de leurrer le CICR. Concrètement, le Comité ne peut donc s’enquérir du sort de la majorité des combattants détenus, qui restent théoriquement affectés à un camp mais dont les deux tiers sont envoyés travailler dans des détachements, les Arbeits-Kommando, en usine, dans des mines ou aux champs. Les prisonniers de guerre roumains, en particulier, sont très maltraités. Le CICR dénonce en conséquence les abus. Accusé par Berlin d’avoir pris parti pour Londres en condamnant publiquement le torpillage d’un navire-hôpital britannique qui transportait des troupes et des armes en contravention avec les dispositions du droit de Genève et de La Haye, le Comité réplique dans son Bulletin international de juin 1917 qu’il lui revient de dénoncer les violations des conventions humanitaires et de récuser « l’attitude veule » d’une « pseudo-neutralité » silencieuse. Dans un document interne cité par Annette Becker, il sort même de sa neutralité en approuvant les actes de résistance politique qui ont valu aux populations occupées d’être déportées en Allemagne. Malgré la censure qu’il exerce sur les lettres destinées aux prisonniers de guerre aux mains de l’ennemi, sa politique de communication est en l’occurrence une des plus libérales qui soit de toute son histoire puisque, fait exceptionnel, il publie et met en vente ses rapports d’enquête pour rassurer les familles et empêcher les actes de vengeance contre les détenus. Dans un communiqué du 12 juillet 1916, il condamne notamment les représailles des belligérants contre les blessés prisonniers de guerre, en contravention des dispositions de la Convention de 1864. Les 8 février et 6 décembre 1918, d’autres communiqués réprouvent l’usage de gaz mortels. De part et d’autre, on a bombardé des hôpitaux et torpillé des bateaux clairement marqués de l’emblème de la Croix-Rouge. Est plus particulièrement blâmée l’Allemagne, qui pratique la guerre sous-marine à outrance, tire sur les équipages sans coups de semonce, coule des bateaux civils, détruit des cargos marchands, attaque des navires hôpitaux et emploie des armes chimiques aux conséquences catastrophiques pour les populations alentours. La Croix-Rouge allemande refuse parfois d’alimenter et de soigner les prisonniers de guerre britanniques ; des blessés ennemis sont délibérément opérés sans anesthésie ; des docteurs de la Croix-Rouge britannique sont emprisonnés. La Croix-Rouge russe, il est vrai, ne traite pas mieux les prisonniers de guerre allemands, qui sont forcés de s’atteler à la construction d’une ligne de chemin de fer entre Mourmansk et l’Océan Arctique : un chantier qui, estime-t-on, provoque la mort de 25 000 personnes. Les civils ne sont pas non plus épargnés par la monarchie tsariste. Surpris en Russie au début de la guerre, quelque 330 000 ressortissants allemands et autrichiens sont également astreints à des travaux forcés et pénibles dans des mines, des zones marécageuses ou des usines d’armements. Au final, les affrontements sur le continent européen s’avèrent meurtriers non seulement pour les combattants, mais aussi pour les civils et le personnel humanitaire. Sur 68 000 infirmières et secouristes engagés pendant le conflit par les sociétés nationales de la Croix-Rouge, 108 meurent sur le front et 165 décèdent des suites de maladies contractées auprès des soldats. Récompensé d’un prix Nobel de la Paix en 1917, le CICR a certes réussi à organiser des échanges de blessés de guerre via la Suisse à partir d’octobre 1915. Suite à des négociations directes entre Allemands et Français, une première, des accords ont également été signés à Berne le 26 avril 1918 afin d’échanger des prisonniers de guerre tête par tête et grade par grade en dépit des réticences initiales de Paris, qui avait moins de détenus que Berlin. Trop tardives pour être vraiment appliquées, les concessions des belligérants ont surtout reflété leur lassitude, leur sentiment d’inefficacité quant à l’usage des représailles, leur souhait de ressouder les opinions publiques nationales en réunifiant des familles et, du côté de Berlin, la volonté de se débarrasser de captifs qui n’étaient plus aptes à travailler et dont le ravitaillement revenait trop cher au moment où se resserrait le blocus de l’économie allemande. Après l’armistice du 11 novembre 1918, le CICR essaiera ensuite de faciliter le rapatriement de quelque 800 000 prisonniers de guerre alliés, essentiellement des Français et des Belges, avec une poignée d’Italiens et d’Américains. Le sort des militaires allemands, lui, restera suspendu à la négociation du traité de Versailles, finalement signé par la République de Weimar le 28 juin 1919.
 
-A partir de 1915, Belgique : présidée de 1914 à 1924 par Antoine Depage (1862-1925), la CRB (Croix-Rouge belge) tente de continuer à travailler dans les régions envahies par les Allemands. Mais elle est bientôt fermée par les troupes d’occupation au prétexte qu’elle refuse de combattre la prostitution, en réalité parce qu’une de ses infirmières d’origine britannique, Edith Cavell, a monté une filière d’évasion qui permet à 170 soldats alliés de se cacher dans des hôpitaux et de franchir les lignes de front pour regagner leur armée d’origine. Le CICR, qui proteste en avril 1915, obtient le rétablissement de l’organisation mais n’empêche pas l’exécution d’Edith Cavell, qui est fusillée le lendemain de sa condamnation à mort en octobre. Une Croix-Rouge en exil continue pour sa part de travailler dans la région d’Ypres, la dernière à rester sous le contrôle du gouvernement belge établi à Sainte Adresse dans la banlieue du Havre en France. Dans un hôtel réquisitionné à la Panne sur le littoral, le Docteur Antoine Depage met notamment sur pied l'hôpital de l'Océan, avec une capacité d’accueil de 2 000 lits. A partir d’avril 1917, cependant, c’est surtout l’ARC (American Red Cross) qui prend en charge les 90 000 civils restés dans cette petite bande de terre, sans oublier les réfugiés belges en France, Hollande, Suisse et Grande-Bretagne. Avant de se retirer en avril 1919, la Croix-Rouge américaine en Belgique est dirigée de septembre 1917 à octobre 1918 par un colonel, Ernest Bicknell, et consacre aux affaires militaires 27% d’un budget de 4,3 millions de dollars entre juin 1917 et juin 1919 selon John Van Schaick. Après la guerre et le départ d’Antoine Depage, qui est nommé sénateur libéral en 1920, la Croix-Rouge belge se reconstitue avec pour secrétaire général René Sand (1877-1953), un promoteur de la médecine du travail, et pour président, de 1925 à 1945, Pierre Nolf (1873-1953), maître de la faculté de médecine à l'Université de Liège, ministre des Sciences et fondateur du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS). Sous l’égide des autorités, l’organisation recentre alors ses activités sur le domaine de la santé publique, notamment la formation des infirmières en vertu d’un décret du 3 septembre 1921. Elle développe également son implantation dans le pays et comptera 480 sections locales et 280 000 membres en 1959, contre respectivement 28 et 5 000 en 1920. Elle agira notamment lors des inondations de Grembergen en 1930, de Flandre orientale en 1936, du Hainaut en 1947, de Liège et de Namur en 1961, sans oublier les catastrophes minières de la Bouverie en 1937 et de Marcinelle en 1956…
 
-1916-1948, Suède : à la différence de la neutralité passive de Berne, qui restreint les possibilités d’action de la Croix-Rouge suisse à l’étranger, la neutralité active de Stockholm permet à la SRK (Svenska Röda Korset) de développer ses opérations internationales tout au long des deux guerres mondiales. En avril 1916, la Suède organise ainsi une conférence russo-allemande qui, suite à une première rencontre l’année d’avant, vise à enrayer le cycle des représailles contre les prisonniers de guerre des deux belligérants. Dans un premier temps, la réunion manque de peu capoter car la Croix-Rouge allemande refuse de présenter des excuses pour le torpillage, le 30 mars 1916, d’un navire-hôpital de son homologue russe, le Portugal, qui mouillait dans la mer Noire et que Berlin considère comme une cible légitime au prétexte que son emblème n’était pas clairement visible. Mais la conférence a finalement lieu comme prévu et permet quelques avancées. A défaut d’obtenir une concession équivalente pour les prisonniers de guerre austro-hongrois, la Croix-Rouge suédoise parvient par exemple à convaincre le tsar d’arrêter de forcer les détenus allemands à travailler au très meurtrier chantier de construction d’une ligne de chemin de fer entre Mourmansk et l’Océan Arctique. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, surtout, les sociétés nationales des deux pays belligérants restent en contact pendant toute la durée du conflit. La Croix-Rouge russe est autorisée à visiter les soldats de l’armée tsariste détenus en Allemagne et en Autriche-Hongrie. Inversement, Moscou permet aux infirmières des Croix Rouges allemande et austro-hongroise de venir soigner leurs ressortissants prisonniers de guerre. Par la suite, l’une d’entre elles, Erika von Passow, disparaît d’ailleurs dans la tourmente de la révolution bolchevique en essayant de fuir la Russie et de regagner l’Allemagne depuis le Turkestan et la Perse. D’autres connaissent de pareilles mésaventures. Après la fin de sa mission officielle pour la Croix-Rouge allemande, la comtesse Nora Kinsky, qui est originaire de Bohême, reste en Russie pour, entre autres, soigner son frère cadet et elle doit se déguiser pour fuir la guerre civile ; fille de l’ambassadeur de Suède à Petrograd, Elsa Brändström attrape pour sa part le typhus et est détenue pendant plusieurs mois par les armées blanches de la Légion tchèque, accusée d’espionnage. Forte de l’expérience acquise pendant la Première Guerre mondiale, la Croix-Rouge suédoise, qui date de 1865, ne sort pas moins renforcée du conflit. Présidée par le prince Carl (1861-1951) de 1906 jusqu’en 1945, elle devient une des sociétés nationales les plus actives en matière d’aide internationale. Tandis que le nombre de ses adhérents passe de 4 500 à 500 000 pendant l’entre-deux-guerres, elle commence d’abord par distribuer des vivres en Autriche, en Hongrie, en Pologne et en Russie après 1918. Puis, à partir de 1939, elle aide les ressortissants étrangers surpris en Suède par l’occupation de la Norvège, du Danemark et des pays baltes. Elle envoie également des secours aux populations des territoires envahis par les Allemands ou les Soviétiques en Finlande, en France, en Norvège, en Pologne, en Belgique et en Grèce. Vice-président en septembre 1943 puis président de la Croix-Rouge suédoise en novembre 1945, le comte Folke Bernadotte (1895-1948) parvient notamment à se rendre en Allemagne en avril 1945 et à rencontrer le chef des SS (Schutzstaffel), Heinrich Himmler, qui lui propose de négocier la reddition du IIIè Reich auprès des Alliés et qui, en guise d’ouverture, autorise la libération des ressortissants scandinaves et de quelques femmes françaises dans les camps de concentration nazis. Après la capitulation de Berlin en mai 1945, la Croix-Rouge suédoise facilite ensuite le rapatriement des prisonniers de guerre américains, britanniques et allemands internés en Suède, dont certains avaient pu être échangés au cours des hostilités. Malgré les réticences des Alliés et de l’opinion publique, hostile à l’idée de nourrir une « nation ennemie », elle organise aussi, de janvier 1946 à juin 1948, le ravitaillement de 121 000 enfants en Allemagne. Le programme débute dans la zone d’occupation britannique et s’étend bientôt à tous les secteurs de Berlin, y compris, donc, du côté soviétique. Hormis l’Autriche et la Grèce, la Croix-Rouge suédoise doit cependant cesser assez vite de travailler dans les pays d’Europe centrale et orientale où les communistes s’emparent du pouvoir, à savoir la Hongrie, la Pologne et la Roumanie.
 
-1917-1918, Etats-Unis : l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne en avril 1917 donne à l’ARC (American Red Cross) les moyens de sa nouvelle puissance et provoque un afflux de dons, avec une collecte record de cent millions de dollars au moment où les premiers soldats américains s’embarquent pour l’Europe. Dirigé par Henry Davison et établi spécialement en mai 1917 pour solliciter les financements des milieux d’affaires, un « Conseil de guerre » supplante l’administration normale de la Croix-Rouge américaine. Les effectifs de l’organisation passent de 3 000 membres en 1905 à 220 000 en 1915, 286 000 en 1916, 18,6 millions en 1917 et 28 millions en 1918, plus encore si l’on inclut les cinquante millions d’Américains qui versent leur obole lors de deux campagnes qui rapportent chacune un total de $115 millions en 1917 et de $181 millions en 1918. Dotée en 1917 d’un nouveau siège bâti sur un terrain donné par le gouvernement à Washington en 1915, l’ARC voit parallèlement son budget opérationnel augmenter de $488 590 en 1916 à $2 000 000 en 1918. Avec 2 279 sections régionales (chapters) en août 1917, contre 267 six mois auparavant, son quartier général gère désormais 8 millions de femmes volontaires et 9 000 employés, contre 167 début 1917 et moins de 100 en 1914. Très soutenue par le gouvernement, l’organisation se révèle d’autant plus proche de la Maison Blanche que son secrétaire national de 1917 à 1919, le Docteur Stockton Axson, est un beau-frère de Woodrow Wilson, qui a été élu en 1913 et qui est le premier président américain en exercice à parrainer directement l’ARC. L’objectif, explique Henry Davison dans son livre, n’est pas seulement d’assister les populations civiles, mais aussi et surtout d’aider l’armée américaine. Au front, les volontaires secourent les blessés et suppléent les services de santé de l’armée, notamment à Château Thierry en France. Ils s’occupent également du ravitaillement des combattants, dont ils gèrent les cantines et où ils appliquent la ségrégation raciale avec des départements spécifiques pour soigner exclusivement les soldats de couleur. Accusée de servir les intérêts de l’industrie du tabac, l’ARC est d’ailleurs critiquée par la presse de son pays car elle fait payer les repas et les cigarettes qu’elle distribue. Passée sous la supervision directe du commandement américain et non plus français à partir d&r squo;avril 1917, elle compte bientôt jusqu’à 6 000 employés dans l’Hexagone en janvier 1919. Elle tarde en revanche à se déployer en Italie et n’y intervient pas avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, alors que le pays combat aux côtés des Alliés depuis mai 1915. Il est vrai que l’on compte fort peu de troupes américaines sur la péninsule. De ce fait, l’ARC consacre aux affaires militaires une part réduite de ses activités dans le pays : 10% seulement de son budget de novembre 1917 jusqu’à son départ en juin 1919, plus si l’on inclut l’aide aux familles des soldats italiens, qui accapare près d’un quart de l’assistance aux civils. Comme en France, l’ARC gère des cantines sur le front et secourt les blessés de guerre. Un de ses employés, Edward McKey, est tué par un mortier autrichien le 16 juin 1918 et un de ses volontaires devenu fameux, l’écrivain Ernest Hemingway, relatera dans son « adieu aux armes » la défaite de Caporetto dont il est le témoin en octobre 1917. Pour les civils, essentiellement les habitants déplacés par les combats en Vénétie, l’ARC établit deux hôpitaux, l’un à Rimini sur la côte Adriatique, l’autre à Canicattini Bagni en Sicile. Encadrée par les consuls en poste en Italie et commandée par des officiers américains, l’organisation sert directement les intérêts de Washington. Dans son livre, Charles Bakewell rapporte par exemple qu’elle est chargée de la propagande alliée lorsque des « défaitistes » accusent les Etats-Unis de profiter de la guerre et de vouloir la prolonger. Sur le front oriental, l’ARC joue par ailleurs un rôle diplomatique et financier en Russie, où elle ouvre d’abord un bureau à Petrograd en août 1917 puis à Moscou après la révolution bolchevik en mars 1918. En guise d’aide humanitaire, explique Antony Sutton, l’organisation cherche à trouver des débouchés commerciaux pour les hommes d’affaires de Wall Street. Entièrement financée par William Boyce Thompson, le directeur de la Federal Reserve Bank à New York, la mission de Petrograd ne rend pas de comptes au siège de l’ARC à Washington et est quasi-exclusivement composée de militaires qui se comparent eux-mêmes à une « armée haïtienne » car ils ne comptent dans leurs rangs que des officiers et pas de soldats. La dimension politique du projet est tel que, dégoûtés, les sept docteurs envoyés sur place démissionnent bien vite, à commencer par leur responsable, Frank Billings, un professeur de médecine de l’université de Chicago qui est remplacé par des « diplomates », Raymond Robins puis Allen Wardwell. Après avoir financé les partisans d’Alexandre Fedorovitch Kerenski, les hommes de William Boyce Thompson forment en l’occurrence un lobby pour convaincre Washington de commercer avec les Bolcheviques et donc de reconnaître leur gouvernement révolutionnaire pour leur accorder des prêts. A Moscou en novembre 1917, Raymond Robins essaie notamment de négocier avec Vladimir Illitch Oulianov « Lénine » et Léon Trotski la poursuite des opérations militaires de la Russie contre l’Allemagne en échange de la promesse d’une reprise de l’aide américaine. A l’époque, la Croix-Rouge est ainsi un instrument direct de la politique étrangère des Etats-Unis. Placée sous la coupe de l’armée et de la censure militaire, elle relaie la propagande patriotique du gouvernement et ne peut plus être critiquée sans risquer la prison pour atteinte à la sécurité de l’Etat ! Le cas de Louis Nagler, un assistant du secrétaire d’Etat du Wisconsin, est significatif à cet égard. En juillet 1918, il est condamné à trente mois de pénitencier à Leavenworth, au Kansas, car il a invité ses concitoyens à refuser de donner de l’argent à l’ARC et à la YMCA (Young Men’s Christian Alliance). D’origine allemande et admirateur déclaré du sénateur pacifiste Robert La Follette, opposé à l’intervention de l’armée américaine en Europe, Louis Nagler tombe sous le coup de la loi contre l’espionnage. Bien que l’ARC et la YMCA ne relèvent pas officiellement du secret défense, le juge argue que leurs volontaires sont parties intégrantes des troupes et confirme la militarisation des deux organisations. Après 1918, la Croix-Rouge américaine continuera ensuite de travailler avec l’armée américaine, dont elle soignera les vétérans et formera les infirmières.
 
-1918-1950, Russie : après la chute de la monarchie et la révolution bolchevique d’octobre 1917, Edouard Odier, vice-président du CICR et ambassadeur de Suisse à Petrograd, nomme en mai 1918 un délégué, Edouard Frick, qui va pouvoir démarrer des activités de secours en profitant de la très brève ouverture d’un gouvernement soucieux d’être reconnu à l’international. Dès juin 1918, pour commencer, les communistes adhèrent aux Conventions de Genève tout en répudiant les autres traités signés par le régime tsariste. Après une entrevue avec Vladimir Lénine, Edouard Frick est même autorisé, assez exceptionnellement, à s’occuper pendant un moment de détenus politiques, et pas seulement de prisonniers de guerre. Cette initiative, une première dans l’histoire de l’organisation, est officiellement limitée aux étrangers. Les détenus politiques russes, eux, sont censés être pris en charge par la « Croix-Rouge politique » d’Ekaterina Pavlovna Peshkova, première femme de Maxime Gorky. Dans tous les cas, les portes du pays se referment bientôt, à mesure que le régime bolchevique ouvre des ambassades à l’étranger et a moins besoin de la reconnaissance de la Croix-Rouge soviétique par le CICR pour conforter sa légitimité à l’international. La situation se dégrade vite et le remplaçant d’Edouard Frick en octobre 1918, Eugene Nussbaum, est arrêté le 2 juin 1919 puis chassé de Russie lors de la mise à sac de Petrograd. Il faut dire qu’à l’époque, le président du CICR, Gustave Ador, est également à la tête du gouvernement suisse et que, le 11 novembre 1918, il ordonne l’expulsion de la mission bolchevique, qui avait occupé les locaux de l’ambassade du Tsar à Berne. Autre motif de dissension, le CICR organise le rapatriement des prisonniers de guerre russes vers le Sud et Odessa dans des régions tenues par les Alliés et non les Soviets, au motif que les désordres révolutionnaires ont perturbé le ravitaillement dans les zones du Nord aux mains de l’Armée Rouge. Certains membres du Comité, qui ne cachent pas leur anticommunisme, s’inquiètent en effet de renforcer les rangs des bolcheviques au moment où un million de soldats sont en train de revenir dans leur pays. Les prisonniers russes restés en Allemagne font néanmoins l’objet d’un accord entre Berlin et Moscou le 19 avril 1920. Avec le soutien des Croix Rouges suédoise, norvégienne et danoise, d’une part, et de la Société des Nations et de son Haut Commissaire pour le rapatriement des prisonniers russes, Fridjtof Nansen, d’autre part, les convois passent alors par des camps de transit dans les pays baltes et le premier échange de prisonniers de guerre russes et allemands se fait à Narva le 12 mai 1920. Le CICR est également présent du côté des « Blancs », qui combattent les « Rouges » et de qui il obtient, non sans difficultés, la libération des prisonniers de guerre hongrois et autrichiens en décembre 1919. Les relations avec les tsaristes ne sont pas toujours bonnes, loin de là : en juillet 1918 à Khabarovsk, un délégué suédois du CICR et son secrétaire norvégien sont volés et pendus par les Cosaques. A Moscou, le successeur d’Eugene Nussbaum en octobre 1921, Voldemar Wehrlin, doit quant à lui traiter avec l’inflexible président de la Croix-Rouge soviétique, Zenoby Petrovich Soloviev, qui a remplacé Yakov Mikhaylovich Sverdlov en juillet 1919. S’il arrive encore à secourir quelques détenus étrangers, il a interdiction de visiter le goulag, au prétexte qu’on y trouverait seulement des prisonniers de droit commun. Voldemar Wehrlin est également contraint d’arrêter de collaborer avec les mencheviks et les sociaux-démocrates de la « Croix-Rouge politique » d’Ekaterina Pavlovna Peshkova, qui essaie d’aider les prisonniers de nationalité polonaise et russe. En vertu d’un accord signé par Fridjtof Nansen avec les autorités communistes le 27 août 1921, le CICR doit recentrer ses activités sur les seuls secours aux victimes de la famine en Russie puis en Ukraine, quitte à consolider l’économie de guerre de la dictature bolchevique à un moment particulièrement critique. Outre les vols et le détournement de l’aide alimentaire au profit de la nomenklatura, la difficulté est de distribuer équitablement les vivres. Les envois ciblés des organisations caritatives juives américaines présentent par exemple le risque d’attiser l’antisémitisme ambiant et un délégué du CICR en Ukraine, Georges Dessonaz, prend la liberté d’en faire bénéficier des enfants catholiques. Le Comité de Genève n’est de toutes façons pas seul sur le terrain. Sous l’égide de Herbert Hoover, futur président des Etats-Unis, l’ARA (American Relief Administration) distribue des surplus de l’armée américaine inutilisés pendant la Première Guerre mondiale. En outre, certaines sociétés nationales interviennent ponctuellement, à l’instar de la CRF (Croix-Rouge française) en juillet 1922 ; d’autres, massivement, à l’instar de l’ARC (American Red Cross), qui, chassée de Moscou par les Bolcheviks en octobre 1918, avait d’abord participé à l’évacuation des troupes tchèques par le Transsibérien puis approvisionné les hommes de l’amiral Alexandre Koltchak contre les « Rouges » avant la défaite des « Blancs » à Omsk en novembre 1919 et l’évacuation complète du contingent américain depuis le port de Vladivostok en avril 1920. Bien que la République de Weimar connaisse aussi une situation proche de la famine, il n’est pas jusqu’à la Croix-Rouge allemande qui, à défaut de rations alimentaires, envoie des médicaments à bord d’un navire-hôpital, le Triton, en septembre 1921. L’idée, relate Wolfgang Eckart, est de relancer les échanges commerciaux avec la Russie et d’aider les minorités germanophones qui vivent dans les régions de Moscou, Minsk et Kazan afin d’éviter qu’elles ne soient tentées d’aller trouver refuger en Allemagne. L’opération, qui dure jusqu’en 1924, est d’ailleurs financée par le Ministère de l’Intérieur et tenue secrète afin de ne pas heurter l’opinion publique des Allemands, eux-mêmes en proie à la disette. De son côté, le délégué du CICR en Ukraine profite des programmes de secours auprès des victimes de la famine pour visiter en septembre 1922 et avril 1923 des camps de travaux forcés qui comptent surtout des prisonniers de droit commun, à Dopr et Kharkov. Mais la fin de la crise alimentaire restreint bientôt les possibilités d’action et le Comité se replie sur Moscou. A partir d’avril 1923, la Croix-Rouge soviétique cesse complètement de convoyer les colis du CICR pour les occupants du goulag. Bien qu’il n’ait pas dénoncé les camps de concentration, le Comité en est réduit à assumer des fonctions purement honorifiques, administratives et consulaires en faveur des ressortissants suisses en Russie. Dans l’ambiance de paranoïa et de xénophobie qui caractérise le régime à l’époque, il ne peut plus communiquer avec la Croix-Rouge soviétique et décide finalement de fermer sa mission à Moscou le 23 juin 1938. Constituée en 1924 sous la forme d’une Alliance des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, la société nationale ne résiste pas non plus aux purges de Josef Staline. Révolutionnaire professionnel et membre du comité central du parti communiste, son directeur, Abel Sofronovitch Enoukidzé, a été exécuté le 16 décembre 1937 et remplacé par des subordonnés, Pauline Sazonova puis Pierre Glebov. Dans le même ordre d’idées, l’organisation a dû cesser d’avoir des contacts à l’étranger et mis un terme à ses relations internationales avec la Ligue des Croix Rouges, à laquelle elle avait adhéré en 1934, à un moment où Moscou songeait encore à se rapprocher des démocraties occidentales et à y monter des fronts populaires afin de contenir la menace nazie. A la veille de la guerre, l’Alliance n’est plus qu’une courroie de transmission du régime à l’intérieur du pays. Selon une brochure citée par Jiri Toman, ses brigades doivent ainsi contribuer à « réaliser les décisions importantes du Parti et du gouvernement ». Au même titre que les syndicats, les jeunesses communistes (komsomol), les coopératives (kolkhoz) et les associations professionnelles, avec qui elle est tenue de coopérer, l’Alliance est d’abord et avant tout conçue comme une « organisation de masse », pour reprendre la terminologie des statuts adoptés à son cinquième Congrès le 16 mai 1963. Dans cette perspective, elle revendique plus de quatre millions de membres lors de son premier Congrès, qui se déroule à Moscou en octobre 1932, et jusqu’à 7,9 millions en juillet 1941, date à laquelle elle reprend ses cotisations à la Ligue des Croix Rouges en vue de mobiliser les Alliés contre l’attaque des Allemands. Au final, elle sert surtout à recruter des volontaires et à relayer les campagnes de propagande du gouvernement, qui lui fournit 86 avions sanitaires en 1935 pour pénétrer l’arrière-pays. Sinon, ses autres activités passent aux mains de l’Etat, notamment les services médicaux, sanitaires et financiers, qui sont repris par le ministère de la santé le 3 décembre 1938. Rédigés le 22 février 1941, peu avant l’invasion allemande, ses nouveaux statuts lui assignent très clairement une fonction de mobilisation et de défense civile dans un cadre militaire. Son personnel est essentiellement destiné à l’armée, qui accapare 30% de ses infirmières en 1943, plus de 40% en 1942. De même, ce sont des militaires qui réceptionnent les vivres donnés par les Croix Rouges américaine et britannique de septembre 1941 à mars 1945, en l’occurrence dans les ports de Mourmansk et Vladivostok faute de pouvoir acheminer des secours par voie terrestre à travers l’Europe occupée par les Allemands. Après l’effondrement du IIIème Reich, enfin, l’armée et le parti continuent de superviser toute la gestion des questions humanitaires. La Croix-Rouge s’avère bien incapable de faire respecter les Conventions de Genève. Sur un million et demi de prisonniers de guerre soviétiques rapatriés entre mai 1945 et février 1946, plus d’un tiers sont renvoyés dans des bataillons disciplinaires de l’armée, affectés à des travaux de reconstruction ou déportés au goulag, accusés de « trahison de la patrie ». En vertu d’accords conclus à Yalta en février 1945 puis à Moscou en juin suivant, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France se sont en l’occurrence engagés à renvoyer dans leur pays toutes les personnes qui avaient la citoyenneté soviétique avant septembre 1939, indépendamment de leurs désirs individuels. Résultat, les Alliés rapatrient, de gré ou de force, un total de 4,2 millions de ressortissants vers l’URSS sans que le CICR puisse intervenir. Alors qu’on lui reproche son laxisme à l’égard de l’Allemagne hitlérienne, le Comité se garde cependant de dénoncer les violations staliniennes du droit humanitaire, de crainte d’être associé à la propagande anticommuniste qui dresse un parallèle entre l’entreprise d’extermination nazie et les camps de concentration en Union soviétique. En visite officielle à Moscou en novembre 1950, sa délégation préfère ne pas aborder le sujet et Genève se soustrait à l’appel lancé à Paris en novembre 1949 par David Rousset en vue d’établir une commission d’enquête sur le goulag.
 
-1919-1922, France : avec le soutien du président Woodrow Wilson, les surplus de l’armée américaine et une « cagnotte » qui avoisine les quatre cents millions de dollars en 1919, l’ARC (American Red Cross) s’implique dans la reconstruction du vieux continent. Suite aux ravages d’une épidémie de grippe espagnole qui a fait plus de morts que la Première Guerre mondiale, elle veut notamment lutter contre la tuberculose et élargir à la santé publique le domaine d’action des Croix Rouges. Porté par une très forte aspiration à la paix après les horreurs de 1914-1918, un tel désir de réforme se heurte au conservatisme du CICR, qui redoute la concurrence. Lors d’une conférence qui se déroule à Cannes en avril 1919, les Croix Rouges américaine, britannique, française, italienne et japonaise décident en l’occurrence de créer une Ligue qui, établie à Paris le 5 mai suivant, s’inspire du modèle de la SDN (Société des Nations). Présidée par Henry Davison, la nouvelle organisation est dirigée par un Conseil des Gouverneurs composé de quinze membres dont un tiers désignés par les cinq sociétés fondatrices. Le projet, auquel n’ont pas été conviées les Croix Rouges des pays vaincus, n’a pas l’assentiment du CICR, qui condamne une initiative isolée des Alliés, en rupture avec les principes d’universalité et de neutralité du mouvement. Implicitement, la création d’une Ligue des Croix Rouges (LCR) revient en effet à critiquer la composition unilatérale et non démocratique du Comité de Genève, où les sociétés nationales n’ont aucun représentant. Résultat, le CICR tente de torpiller l’initiative américaine en lançant un projet rival et avorté d’Union des Croix Rouges avec Rome, Athènes et Sofia. Placé devant le fait accompli, il doit certes se résoudre à accepter de composer avec une LCR qui, passée de 5 membres en 1919 à 35 en 1921 et 50 en 1924, attire notamment les pays européens nouvellement indépendants et les dominions britanniques désireux de s’affirmer sur la scène internationale : Finlande, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Inde et Afrique du Sud. Avec le temps, la Ligue parvient bientôt à rallier à sa cause les nations vaincues, à savoir l’Autriche, la Bulgarie et la Hongrie en 1921, puis l’Allemagne en 1922 et la Turquie en 1930. Elle rencontre toutefois quelques difficultés à se mettre en place alors qu’aux Etats-Unis, les Républicains remportent les élections de 1921 et adoptent une politique isolationniste. Outre qu’elle n’entretient pas de relations institutionnelles avec la SDN, qui monte sa propre organisation mondiale de la santé en 1921, la LCR est vite confrontée à des problèmes budgétaires. Pour commencer, elle n’obtient pas les subventions qu’elle espérait de la Fondation Rockefeller ou de l’agence de coopération ARA (American Relief Administration), qui veut conserver ses prérogatives humanitaires, sans même parler du Foreign Office britannique, qui, selon Bridget Towers, trouve « absurde » l’idée de mutualiser des fonds pour la santé publique dans le monde. De plus, la Ligue se heurte aux réticences grandissantes des isolationnistes de l’ARC après le décès de Henry Davison. Les Américains se plaignent en particulier de la faiblesse des contributions financières des sociétés nationales européennes, appauvries en temps de paix par un moindre engouement patriotique en faveur des blessés de guerre. Tandis que la Croix-Rouge britannique veut continuer de contrôler elle-même ses opérations à l’étranger, ses homologues française et italienne se disent entièrement accaparées, qui par l’effort de reconstruction d’un pays ruiné par les combats, qui par les secours distribués aux victimes de tremblements de terre dans les régions de Mugello puis Sienne en juin et septembre 1919. En août 1922, la LCR doit alors revoir ses ambitions à la baisse, s’éloigner de la SDN et affirmer son indépendance du CICR en déménageant à Paris, où l’immobilier est moins onéreux qu’à Genève. Décédé de maladie, son président, Henry Davison, est remplacé en 1922 par un autre Américain, également membre du comité central de l’ARC, le juge John Barton Payne, auxquels succèderont deux autres compatriotes, Cary Grayson en 1935 puis Norman Davis en 1938. Certes, la LCR finira par monter ses propres programmes de formation des infirmières. A Londres en 1934, elle participera ainsi à l’établissement de la Florence Nightingale Foundation avec le Conseil international des infirmières, fondé en 1899. Mais elle ne jouera jamais le rôle officiel du CICR qui, en 1935, est par exemple chargé par la SDN d’organiser le secrétariat de l’Union internationale de secours pour faire face aux calamités naturelles. Elle ne réussira pas non plus à s’imposer comme le seul intermédiaire auprès des sociétés nationales de la Croix-Rouge. Gravement touchée par la crise économique de 1929, qui la privera d’une grande partie des fonds de l’ARC, elle devra licencier une dizaine d’employés, réduire ses coûts administratifs et se soumettre au contrôle d’une commission financière après la démission de son secrétaire général Tracey Kittredge en 1930. Sous l’égide d’Ernest Bicknell puis d’Ernest Swift, qui remplacera au pied levé Gordon Berry, suicidé peu avant son entrée en fonctions en 1931, elle sera également contrainte de déménager son siège de l’avenue Velasquez, dans le huitième arrondissement, vers des locaux mis à disposition par le gouvernement français rue Newton dans le seizième arrondissement en décembre 1934.