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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1920-1929


-1920-1923, Turquie : les Croix Rouges américaine et française aident les Turcs expulsés de Thrace par les troupes grecques, ainsi que les exilés russes fuyant la révolution bolchevique. A Constantinople en novembre 1920, l’ARC organise notamment l’accueil d’une partie des 110 000 réfugiés et soldats du général Petr Nikolaïevitch Wrangel, chassés de Crimée par l’avancée des Soviétiques. Pour sa part, explique Davide Rodogno, le CICR est sollicité par le Croissant Rouge ottoman pour protéger les Turcs des exactions des supplétifs de l’armée grecque. Il envoie ainsi un délégué, Maurice Gehri, enquêter sur « l’extermination systématique » des musulmans de la péninsule de Samanli Dag, dans la mer de Marmara, en avril-mai 1921. En janvier 1922, le CICR commence ensuite à visiter les militaires turcs et grecs faits prisonniers de part et d’autre. En vertu d’un accord signé entre Athènes et Istanbul le 30 janvier 1923, il peut alors organiser l’échange et le rapatriement d’une bonne partie des prisonniers de guerre et des détenus civils. Mais il n’est pas autorisé par le gouvernement républicain de Mustafa Kemal à envoyer des secours aux musulmans d’Anatolie. Faute de financements, il n’est pas non plus en mesure de poursuivre des activités de réhabilitation auprès des populations chrétiennes réfugiées en Grèce et prises en charge par des organisations américaines mieux dotées. Présidée à partir de 1921 par un général, Alexandre Soutzo, la Croix-Rouge grecque, elle, ne se préoccupe que de ses propres ressortissants : très subventionnée par son propre gouvernement, elle compte peu de membres et est essentiellement un appendice des pouvoirs publics. Le Croissant Rouge ottoman (et bientôt turc) n’est guère plus fiable. Pendant le génocide de 1915, explique Keith David Watenpaugh, il a délibérément participé au placement dans des familles musulmanes aisées d’Istanbul d’enfants arméniens épargnés et arrachés à leurs parents au moment des massacres en Anatolie. Ce programme visait aussi à les convertir à l’Islam. Au prétexte que les chrétiens bénéficiaient déjà de l’assistance biaisée d’organisations humanitaires occidentales soupçonnées de chercher à évangéliser les musulmans, le Croissant Rouge ottoman a aussi concentré ses efforts sur les réfugiés musulmans chassés du Caucase et de l’Anatolie orientale par les Russes au début de la Première Guerre mondiale. Proche des Jeunes Turcs, son égérie de l’époque, Halidé Edip, a par exemple décidé de cesser toute coopération avec le foyer d’Istanbul des Américains du Near East Relief (NER), qu’elle a accusés dans ses mémoires publiées en 1928 de menacer ou hypnotiser des oprhelins turcs pour en faire des chrétiens en leur donnant des noms arméniens. Ainsi, le Croissant Rouge ottoman a complètement ignoré les souffrances des déplacés arméniens qui, une fois réfugiés en Syrie ou au Liban, ont été déchus de leur nationalité et interdits de retour par le gouvernement de Mustafa Kemal. Depuis Beyrouth, ceux-ci ont plutôt été aidés par la Croix Rouge américaine (ARC), comme en témoignent les mémoires de sa secrétaire Margaret McGilvary et de son oncle Charles Dana, ancien président de la branche stambouliote de l’organisation, arrêté et interné par les autorités turques au moment de l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne en 1917.
 
-Mars-avril 1921, Suisse : la France et la Belgique refusent de participer à la dixième conférence internationale des Croix Rouges tant que l’Allemagne n’aura pas présenté des excuses publiques pour ses violations de la Convention de 1864 au cours de la Première Guerre mondiale. En attente d’une reconnaissance officielle, la Russie soviétique décide également de ne pas venir à Genève et boycotte les représentants de l’ancienne Croix-Rouge tsariste, qui sont d’abord admis à titre consultatif, puis avec une voix délibérative. Le CICR, pour sa part, doit gérer la contestation de la LCR, en qui il voit une machination anglo-saxonne et avec laquelle il finit par établir en mars 1921 une commission conjointe présidée par Gustave Ador. Un tel arrangement, explique John Hutchinson, permet au Comité de Genève de donner l’impression d’un rassemblement du mouvement, de rassurer ses détracteurs sur ses velléités de coopération, d’entériner la poursuite de ses activités en temps de guerre et de repousser les discussions de fond sur le partage des rôles entre les deux institutions. Malgré de nombreuses dissensions, la dixième conférence internationale des Croix Rouges prévoit ainsi d’étendre le mandat du CICR aux conflits internes. Ce dispositif entérine l’initiative du Comité qui a visité des prisonniers politiques et assisté des civils, notamment des enfants, des femmes et des personnes âgés, à la suite d’affrontements entre la Pologne et l’Allemagne à propos du statut de la Haute Silésie entre juin 1919 et août 1920. Mais la résolution n°14 de la conférence laisse aux sociétés nationales le soin de secourir les blessés et les prisonniers de guerre, ce qui ne permettra pas au Comité de contourner les Croix Rouges contrôlées par des Etats totalitaires, comme en Allemagne, en URSS et en Italie. Avec la concurrence de la LCR, la période est particulièrement difficile pour le CICR. En effet, ses financements et ses activités auprès des prisonniers de guerre sont en train de se tarir, tendance qui explique d’ailleurs pour partie son empressement à élargir son mandat à la protection des civils alors que l’on pense plutôt entrer dans une ère de « paix longue ». La poursuite de certaines opérations est même compromise. En 1920, le Comité a réussi à faire financer en Pologne des secours à des victimes du typhus en soulignant que, sinon, l’épidémie allait gagner le reste du continent. Mais il lui est bien plus difficile de lever des fonds pour rapatrier les militaires détenus en Russie et issus des rangs des pays ennemis. Genève argue que le sujet est explosif et qu’il risque de déstabiliser la région en alimentant des révoltes sociales en Europe centrale. Les puissances occidentales ne vont cependant pas soutenir le CICR plus avant. Les opérations de rapatriement des prisonniers de guerre en Russie seront finalement financées par l’Allemagne, qui prendra aussi à sa charge le retour des soldats autrichiens et hongrois.
 
-Depuis 1922, Irlande : tandis que les Britanniques autorisent la création d’un Etat indépendant dans le sud mais conservent six comtés en Ulster au nord-est, le CICR hésite en juin 1922 à intervenir dans le conflit, faute de Croix-Rouge sur place. La BRCS (British Red Cross Society) se refuse en effet à envoyer des volontaires à Dublin, où sévit une guerre civile et où l’on parle de 12 000 prisonniers aux mains de l’Etat libre d’Irlande, essentiellement des Républicains favorables à Eamon de Valera et opposés à la partition de l’île. A force de persuasion, le CICR obtient néanmoins des autorités sur place le droit de visiter une prison en avril 1923. Dans un communiqué du 7 mai suivant, il en conclut un peu rapidement que les conditions de détention sont satisfaisantes. Paradoxalement, la version gouvernementale du rapport est plus complète et précise que le délégué du Comité, Rodolphe Haccius, n’a pas pu questionner les détenus et recevoir leurs plaintes. Il s’avère que Genève a en réalité tronqué le texte de son compte-rendu, suscitant des protestations de la part des républicains irlandais en exil. Le problème de la publication des rapports du CICR se repose ensuite dans le nord-est, où la minorité catholique finit également par se soulever contre la domination protestante des loyalistes fidèles à la Couronne britannique. Après la suspension de l’Habeas Corpus Act de 1679 et la proclamation d’un état d’exception le 10 août 1971, le Comité de Genève est en l’occurrence autorisé par Londres à visiter les détenus politiques en Irlande du Nord, notamment dans le comté d’Armagh et les prisons de Crumlin Road et Long Kesh à Belfast et dans la banlieue de Lisburn. Or la Grande-Bretagne choisit de publier les comptes-rendus des délégués du CICR dans leur intégralité, contrairement aux pratiques habituelles des gouvernements. Partant, Genève semble accorder son satisfecit aux autorités alors que Londres n’accorde pas le statut de prisonnier de guerre aux insurgés, qui entament bientôt des grèves de la faim pour être reconnus comme des détenus politiques. De fait, la Grande-Bretagne considère que le déploiement de ses troupes en Ulster relève d’une opération de police intérieure et non d’un conflit armé : ses soldats accusés d’abus sont ainsi jugés par des cours civiles et non des tribunaux militaires. Résultat, le CICR, qui doit interrompre ses visites en 1975, a le plus grand mal à avoir accès aux terroristes de l’IRA (Irish Republican Army). Il lui faut attendre 1981 pour être de nouveau autorisé à entrer dans les prisons de Belfast, Armagh et Magilligan, puis Maghaberry et Maze au cours des années suivantes. Ses visites prennent alors un tour plus régulier, par exemple en avril 1983, août 1986, août 1988, mai 1989, juin 1990, février 1992, avril 1994 et novembre 1995.
 
-1923-1985, Chili : la Croix-Rouge chilienne est officiellement légalisée par une loi d’avril 1923, bien après ses homologues péruvienne en 1879, argentine et bolivienne en 1880, salvadorienne en 1885, vénézuelienne en 1895, uruguayenne en 1897, brésilienne en 1908, mexicaine en 1910, colombienne en 1915 et paraguayenne en 1919. Lancée à Punta Arenas par un immigré italien, Vittorio Cuccuini Nannelli, l’organisation s’est d’abord développée en décembre 1903 sous la forme d’une « association d’assistance sociale » (Cuerpo de Asistencia Social) initialement constituée en groupe d’autodéfense, le Cuerpo de Salvavidas y Guardias de Propiedad. Approchée par le CICR en 1909, elle s’est étendue l’année suivante à Tocopilla et Valparaíso avant d’être reconnue par le gouvernement en 1912. Eclatée en plusieurs cellules régionales, elle n’a toutefois pas réussi à monter une structure nationale et a été concurrencée par une Croix-Rouge de femmes montée à Santiago par María Luisa Torres en octobre 1914. La Cruz Roja Chilena a en fait été réunifiée sous la coupe d’un comité central établi dans la capitale par un décret du ministère de la Guerre en date du 14 juin 1920. A l’époque, elle est d’ailleurs présidée par un vice amiral, Jorge Montt. Par la suite, elle a plusieurs fois l’occasion d’intervenir lors des troubles qui déchirent le pays. De coups d’Etats en insurrections, elle est notamment appelée à secourir les victimes de la répression du général Augusto Pinochet après le putsch qui conduit à l’éviction du président socialiste Salvador Allende en septembre 1973. Concrètement, c’est surtout le CICR qui se retrouve en première ligne. Contrairement à de nombreuses dictatures, le général Augusto Pinochet décide en effet de traiter les détenus politiques comme des prisonniers de guerre. A partir de décembre 1973, le CICR est donc autorisé à assister les opposants derrière les barreaux. Bien que soumis au bon vouloir du gouvernement, qui suspend un moment les visites en juin 1974, il tente également de retrouver les desaparecidos enlevés par des escadrons de la mort et fournit des titres de voyage aux ressortissants d’autres pays latino-américains qui, pris par les événements et suspectés d’activités subversives, souhaitent quitter le pays. La position de l’organisation n’est pas facile à tenir. D’un côté, le régime essaie d’instrumentaliser la présence du Comité pour démontrer qu’il respecte les droits de l’homme et le CICR évite de peu que le gouvernement chilien ne diffuse aux Nations Unies une version édulcorée et positive de ses rapports sur les conditions de détention des prisonniers politiques. De l’autre, l’opposition de gauche accuse Genève de servir d’alibi à la junte. En 1974, relate Serge Nessi, une dépêche de l’agence de presse italienne IPS (Inter Press Service) va même jusqu’à prétendre que la police politique du régime utiliserait des médicaments du CICR pour tenter des expériences sur les détenus. La diminution des tensions va cependant permettre au Comité de se désengager progressivement du Chili. Après l’amnistie d’avril 1978, qui bénéficie aussi aux membres de la junte responsables d’exactions, le CICR ferme alors sa délégation de Santiago en octobre et ne laisse fonctionner qu’un bureau de liaison de l’ACR (Agence centrale de recherche) pour essayer de retrouver les personnes disparues au cours du conflit. Il reprend ensuite ses visites en décembre 1981 afin d’élargir son assistance aux détenus arrêtés pour infraction à la loi sur la sécurité de l’Etat et le contrôle des armes. Avec l’instauration d’un état de siège de novembre 1984 à juin 1985, il rouvre un bureau à Santiago, cette fois pour inciter les autorités à signer les protocoles additionnels de juin 1977, et pas seulement pour s’occuper des prisonniers politiques.
 
-Depuis 1924, Albanie : le CICR et la LCR, qui collaborent régulièrement avec l’Office de Fridjtof Nansen pour les réfugiés, sont chargés en 1924 par la Société des Nations d’administrer la distribution des secours dans un pays qui compte parmi les plus pauvres d’Europe. Indépendante depuis 1912 et constituée en république en 1916, l’Albanie ne peut guère s’appuyer dans ce domaine sur sa propre société nationale de la Croix-Rouge, reconnue par Genève en 1923. Créée le 4 octobre 1921, l’organisation disparaît d’ailleurs avec l’annexion de l’Italie et le débarquement des troupes de Benito Mussolini le 7 avril 1939. Après la Seconde Guerre mondiale et l’arrivée au pouvoir des communistes sous la houlette d’Enver Hodja, le pays s’enfonce alors dans une période d’autarcie qui le coupe complètement du monde extérieur. La Croix-Rouge albanaise, elle, ne peut plus communiquer avec l’étranger et se voit empêchée d’exercer la moindre activité entre 1967 et 1989. Il faut attendre l’introduction du multipartisme et la déstalinisation du régime pour que le CICR reprenne pied dans le pays à l’occasion de troubles politiques qui provoquent des violences, y compris contre ses délégués, molestés à Shkodër en avril 1991 lors de manifestations émeutières contestant les résultats des premières élections législatives organisées depuis 45 ans. En septembre 1998, le Comité de Genève revient ensuite à Tirana pour aider les réfugiés qui fuient la répression serbe au Kosovo. Il peut désormais bénéficier du soutien de la Croix-Rouge albanaise, qui s’occupe depuis juin 1998 de 460 000 Kosovars dans les districts frontaliers de Tropoja, Kukës, Has, Shkodër et Korçë.
 
-17 juin 1925, Suisse : à Genève, le CICR soumet un protocole interdisant l’usage des gaz asphyxiants et des armes bactériologiques ou chimiques. Pour la première fois, le Comité aborde ainsi le domaine de la réglementation des armes, dont les « effets non contrôlés » rendent inapplicables les Conventions de Genève. En prenant position de façon apolitique contre « la » guerre en général et non « une » guerre en particulier, le CICR consacre en fait les avancées du courant pacifiste favorable au désarmement. Relativement à la situation qui prévalait au début du siècle, les Croix Rouges de l’époque tendent en effet à se démilitariser dans la perspective du pacte Briand-Kellog de renonciation à la guerre, signé en 1928. Pour épargner les populations civiles, la société allemande va par exemple jusqu’à demander l’interdiction pure et simple de l’aviation militaire et des bombardements.
 
-1926, Pologne : peu après le coup d’Etat de Józef Pilsudski en mai 1926, le CICR organise en août suivant des échanges de prisonniers avec la Lituanie, qui se considère en état de guerre à cause des velléités d’annexion de Wilno (Vilnius) par les troupes de Varsovie. Le représentant du Comité obtient alors le droit de s’entretenir sans témoins avec les détenus, une règle qui, par la suite, aura force de doctrine à Genève. En juillet 1924, le CICR avait également été invité par les autorités polonaises à visiter des centres pénitentiaires. Mais il avait obligé son délégué sur place à n’inspecter que 19 prisons sur 56 et à ne s’occuper que de la moitié des détenus considérés comme politiques. Le CICR craignait en effet la polémique depuis qu’Edouard Herriot, Léon Blum, Romain Rolland et Paul Painlevé avaient dénoncé « la terreur blanche en Pologne » dans un article de L’Ere Nouvelle publié à Paris le 2 mai 1924. De fait, Genève est intervenu dans un contexte très politisé dès l’épidémie de typhus de 1920. A l’époque, un responsable de la mission de la Ligue des Croix Rouges en Pologne, le colonel américain Hugh Cumming, cité par Daphne Reid et Patrick Gilbo, ne cachait pas son intention d’établir un cordon sanitaire à la fois contre le péril rouge et contre le risque de contagion des maladies. Dans cette perspective, le régime au pouvoir à Varsovie devait servir de rempart pour endiguer l’expansion des communistes russes. Les humanitaires, eux, allaient être mis à contribution en aidant le pays à conforter son indépendance, à commencer par son premier ministre en 1919, Ignacy Paderewski, qui avait fondé en 1914 un « Comité central de secours pour les victimes de guerre en Pologne » lorsqu’il était en exil, d’abord en Suisse, puis aux États-Unis. Officiellement lancée le 27 avril 1919, la société nationale de la Croix-Rouge devait notamment constituer un attribut important de la souveraineté du nouvel Etat, autrefois partagé entre la Russie et l’Allemagne. Ses premiers présidents ont ainsi été des personnalités comme la femme d’Ignacy Paderewski, Helena Paderewska, puis, à partir de 1920, le général Jozef Haller, qui allait suivre à Londres le gouvernement en exil de Wladislaw Sikorski pendant la Seconde Guerre mondiale.
 
-Depuis 1927, Chine : le CICR n’intervient guère au milieu des combats qui, à partir d’août 1927, opposent les nationalistes du général Tchang Kaï-Shek et les communistes de Mao Tsé-Toung. Arrivé au moment d’une inondation du Fleuve Jaune dans la province du Henan en août 1925, son délégué sur place, Henri Cuenod, s’occupe plutôt d’organiser l’accueil de 86 000 réfugiés européens qui ont fui la Russie soviétique et qui sont soit évacués vers l’Amérique latine, soit installés dans des « colonies » dont les occupants devront à leur tour partir via Hongkong ou Macao après la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, Genève doit certes répondre au défi de l’invasion de la Mandchourie par le Japon dans le nord du pays en septembre 1931. En visite à Shanghai en décembre 1934 et janvier 1935, son délégué Sidney Brown pousse à l’étatisation de la Croix-Rouge chinoise, qui perd son autonomie et passe sous la coupe du gouvernement de Tchang Kaï-Shek dans le cadre d’une loi adoptée en 1933. Affaiblie par ses compromissions avec des officiels corrompus et des barons de la drogue comme Du Yuesheng, celle-ci est débordée quand Tokyo poursuit son œuvre de conquête vers le sud. Après que les forces d’occupation ont détruit sept de ses hôpitaux lors de combats en juillet 1937, la Croix-Rouge chinoise perd le contact avec ses branches provinciales et se replie sur Shanghai en formant en septembre suivant un comité international qui dépend essentiellement des fonds envoyés par les sociétés sœurs. Le CICR, lui, ne peut intervenir que d’un côté car le Japon refuse ses secours et ne respecte pas le droit humanitaire. Peu soucieuses de distinguer les civils des combattants, les troupes de Tokyo massacrent la population de Nankin en 1937, lancent des bombes incendiaires sur Canton en 1938 et ne cherchent guère à épargner les secouristes. Le 23 août 1937, par exemple, ses soldats exécutent froidement 43 volontaires chinois avec un brassard de la Croix-Rouge à Lotien, puis bombardent l’hôpital de Tchen-You six jours plus tard. En décembre 1937, le nouveau délégué du CICR à Shanghai, le Docteur Louis Calame, organise alors l’accueil de réfugiés dans une zone démilitarisée qu’il a créée à Nantuo avec des missionnaires, notamment le père Jacquinot de Besange. A la demande du président Franklin Roosevelt, l’ARC (American Red Cross) intervient également du côté chinois malgré la réticence des volontaires aux Etats-Unis à lever des fonds pour une opération éminemment politique, sans grand succès d’ailleurs. De fait, un tel engagement permet à Washington de désapprouver discrètement la politique d’expansion japonaise sans avoir à envisager une intervention militaire ou la mise en place de sanctions économiques. Bientôt, la mainmise nippone sur le pays met cependant un terme aux opérations de secours. Après la chute de Nankin et de Canton, la Croix-Rouge chinoise doit déménager à Hongkong et finit par s’exiler à Haiphong au Vietnam. La Seconde Guerre mondiale, jusqu’au départ des Japonais en 1945, puis l’arrivée au pouvoir des communistes, en 1949, l’empêchent de reconstituer une structure administrative d’envergure nationale. Faute de financements, le CICR, lui, ne peut maintenir qu’un délégué bénévole et honoraire à Shanghai, où il reste jusqu’en septembre 1950 mais ne parvient pas à créer de zone démilitarisée lorsque les communistes s’emparent de la ville en mai 1949. Dans la tourmente des événements, Genève perd également le contact avec la Croix-Rouge chinoise, qui se scinde en deux. Une partie suit les nationalistes sur l’île de Formose, à Taiwan, tandis que l’autre reste sur le continent et passe sous le contrôle absolu du régime de Mao Tsé-Toung, qui tarde à rapatrier les civils et libérer les derniers prisonniers de guerre japonais avant d’adhérer aux quatre Conventions de Genève le 28 décembre 1956. Reconnue par le CICR en octobre 1950 et présidée pendant près de deux décennies par une ministre de la Santé, Li Te-ch’üan, la Croix-Rouge de la Chine communiste n’a pas d’activités humanitaires connues et se rapproche des autorités en transférant son siège du port commerçant de Shanghai vers la capitale Pékin. Organe politique, elle participe à des manifestations contre « l’agression » impérialiste des Etats-Unis en Corée ou la répression britannique contre les communistes en Malaisie. Surtout, elle sert à engager une bataille de légitimité avec le gouvernement de Tchang Kaï-Shek qui, parti en exil à Taïwan, revendique la continuité territoriale de son autorité sur le continent mais dont la société nationale est déclassée. La situation provoque un imbroglio diplomatique car les autorités au pouvoir à Taipeh ont signé les Conventions de Genève dès le 12 août 1949. Aux conférences internationales des Croix Rouges, le CICR invite donc deux gouvernements et une seule société nationale. Résultat, le délégué de Taïwan se retire pour protester contre l’admission d’un représentant de Chine populaire en 1952, tandis que Pékin boycotte les rencontres après 1957 et ne cache pas sa mauvaise volonté à l’égard de Genève. Malgré la visite officielle du président du CICR, Paul Ruegger, en mars 1951, la Croix-Rouge communiste refuse par exemple de transmettre des secours en Corée du Nord, où, pour contourner les réticences de Pyongyang, le Comité lui avait demandé de distribuer des vivres à parts égales entre les combattants blessés ou malades, les prisonniers de guerre et les civils victimes des affrontements. Parce que Pékin conteste l’application des Conventions de Genève dans un territoire occupé, Genève n’est pas non plus autorisé à intervenir au Tibet, envahi par la Chine populaire depuis 1949, et doit se contenter d’aller au Népal aider les réfugiés regroupés dans des camps en montagne et ravitaillés à partir de 1959 grâce à un DC-3 prêté par l’Ordre de Malte. De même lors de combats frontaliers entre l’Armée Rouge et les troupes de New Delhi en octobre 1962, Genève peut visiter les prisonniers du côté indien mais pas chinois. Pékin, qui finit de son propre chef par relâcher et rapatrier ses détenus en juin 1963, argue que ses représentants devraient pouvoir accéder à leurs ressortissants sans l’intermédiaire de la Croix-Rouge car les deux pays n’ont pas rompu leurs relations diplomatiques. En mai et juin 1979, encore, le CICR est seulement autorisé à assister au rapatriement des prisonniers de guerre vietnamiens capturés à l’occasion d’un conflit frontalier avec Hanoi. Censée être une organisation de masse, la Croix-Rouge chinoise est quant à elle laminée par la Révolution culturelle ; elle ne compte plus que 1,9 million de membres en 1984, contre 5 en 1964. La mort de Mao Tsé-Toung puis l’assouplissement du régime communiste permettent certes quelques avancées. Le dialogue passe notamment par le territoire britannique de Hongkong, où la Croix-Rouge locale s’occupe de réfugiés chinois à partir de 1962 puis vietnamiens à partir de 1975. En octobre 1987, le CICR y ouvre en l’occurrence une délégation avec un double objectif : diffuser le droit humanitaire sur le continent et faciliter l’identification des membres des familles séparées par le repli des forces nationalistes sur Taiwan en 1949. A défaut d’avoir accès aux détenus politiques, notamment les victimes de la répression de la place Tienanmen en juin 1989, Genève commence par obtenir la permission de visiter quelques prisonniers de guerre vietnamiens capturés lors du conflit frontalier de février 1979 et des affrontements de mars 1988 autour des îles Spratley. De pair avec la fin de la guerre froide, les coopérations qui se nouent entre les Croix Rouges de la région contribuent également à apaiser le climat. Officiellement invitée à Pékin en 1980, la société de Hongkong fournit des secours pour les victimes d’inondations sur le continent en 1991, tandis que les Croix Rouges de Chine populaire et de Taiwan reprennent des contacts directs en décembre 1990. Alors que le régime cherche à améliorer son image de marque dans l’espoir d’accueillir des Jeux Olympiques à Pékin en 2000, des négociations se poursuivent en vue d’autoriser le CICR à visiter les prisons. Le Comité de Genève, qui ouvre une délégation régionale à Pékin en juillet 2005, devra attendre plusieurs années pour avoir accès aux détenus politiques… En attendant, il essaie de démarrer avec la Croix-Rouge chinoise des programmes en faveur de réfugiés nord-coréens dans la province de Yunan.
 
-1928, Pays-bas : plus conciliant que son prédécesseur Gustave Ador, le nouveau président du CICR, Max Huber, parvient à négocier un accord avec la LCR, enterrant les projets de fusion débattus aux onzième et douzièmes conférences internationales des Croix Rouges à Genève en 1923 et 1926. Lors de sa treizième conférence internationale, qui se déroule à La Haye en 1928, le mouvement adopte alors les statuts de la Croix-Rouge internationale, qui comprend les sociétés nationales, le CICR et la LCR. Les débats sont l’occasion de remettre à plat les relations entre les uns et les autres. Une sorte de partage des tâches assigne au CICR les opérations de secours en temps de guerre et à la LCR les activités en temps de paix. Au vu du manque de dialogue qui a suivi la fin de la Première Guerre mondiale, une Commission permanente est par ailleurs créée pour assurer le lien entre deux conférences internationales des Croix Rouges. Arbitre des éventuels désaccords survenants entre le CICR et la LCR ou les sociétés nationales, elle est censée jouer un rôle d’appel mais les conférences internationales demeurent la plus haute autorité délibérante du mouvement, une sorte de Cour suprême. Dépourvue de pouvoirs et vidée de sa substance par rapport aux projets discutés en 1926, elle ne menace finalement ni la fonction directrice de la LCR ni l’indépendance politique du CICR, qui préserve son rôle de gardien moral des Conventions de Genève et des conférences internationales. Résultat, les Croix Rouges d’Europe du Nord (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) protestent et se retirent de la Ligue jusqu’en 1930.
 
-1929-1945, Etats-Unis : la crise économique consacre le désengagement européen et le repli isolationniste de l’ARC (American Red Cross), dont le nombre d’adhérents est tombé de 20 386 000 en 1919 à 8 988 000 en 1920, 3 506 000 en 1922 et 3 012 000 en 1925. Depuis la dissolution de son « Conseil de Guerre » en février 1919 et la démission en octobre 1921 de son président Livingston Farrand, nommé à la tête de l’Université Cornell, l’organisation est présidée par John Barton Payne, un ancien juge et ministre de l’Intérieur de l’administration Woodrow Wilson. Après avoir joué le rôle d’une agence paragouvernementale de coopération internationale au sortir de la guerre, elle n’a plus les moyens de mener des opérations d’envergure à l’étranger. En 1930, son budget plafonne à trois millions de dollars, à peine un tiers du niveau atteint en 1920, année où une grande campagne de collecte de fonds n’avait pourtant pas donné les résultats escomptés. Les difficultés financières de l’ARC se conjuguent en l’occurrence à de sévères critiques formulées dès février 1920 par le sénateur républicain de l’Illinois, Lawrence Yates Sherman, à propos d’une bureaucratie hypertrophiée et de coûts administratifs excessifs, évalués à 40% des dépenses. Relayées par le représentant républicain de New York, Lester David Volk, qui demande l’ouverture d’une commission d’enquête en 1921, de telles accusations ne sont pas démenties par le trésorier national de la Croix-Rouge américaine, John Skelton Williams, et l’ancien directeur des opérations de secours auprès des civils pendant la guerre de 1914-1918, Frank Persons, qui, démissionnaire, rédige un rapport préconisant une réduction des activités de l’organisation et une reconversion vers des programmes de santé publique aux Etats-Unis. L’ARC n’échappe pas non plus aux controverses politiques. Lors d’inondations au Mississippi en avril 1927, explique John Barry, on lui reproche de nourrir en priorité les Blancs et d’enfermer les Noirs dans des camps d’où ceux-ci ne peuvent pas sortir sans l’autorisation écrite de leurs employeurs, qui s’empressent de les renvoyer travailler dans des plantations encore recouvertes d’eau ! Lors de diverses manifestations à travers le pays en 1928, on critique également le refus de l’ARC d’alimenter les grévistes sous prétexte de ne pas se mêler d’un conflit du travail ; en conséquence de quoi, les syndicats vont d’ailleurs demander à leurs membres de ne plus donner d’argent à la Croix-Rouge et de cotiser plutôt aux œuvres sociales du mouvement ouvrier. Dans le même ordre d’idées, la Croix-Rouge américaine est accusée en 1932 de contrer une marche de protestation des vétérans de la Première Guerre mondiale venus réclamer l’augmentation de leurs pensions, ceci en proposant à leurs femmes et enfants un transport gratuit pour revenir chez eux avant d’atteindre Washington. Alors que la dépression économique aggrave le chô mage, le débat oppose bientôt les Républicains du président Herbert Hoover, favorables à une économie libérale et hostiles à une intervention des pouvoirs publics, et les Démocrates de Franklin Roosevelt, partisans de l’Etat providence et d’une relance de la consommation par la politique de New Deal. Le conseil d’administration de l’ARC, lui, s’avère soucieux de préserver son indépendance en continuant à collecter des fonds auprès des particuliers. En janvier 1932, il refuse donc une proposition des députés démocrates de subventionner l’organisation à hauteur de $25 millions pour aider les victimes de la sécheresse. Mais il accepte l’offre du gouvernement républicain de distribuer des surplus de blé et de coton. Après l’élection de Franklin Roosevelt, il craint surtout que les programmes sociaux mis en place par les Démocrates empiètent sur les prérogatives de l’ARC. Aussi l’organisation concentre-t-elle ses efforts sur le territoire des Etats-Unis et délaisse-t-elle les activités outre-mer ; en 1937, l’échec de ses campagnes de collecte de fonds en faveur de la Chine et de l’Espagne confirme de toutes façons les positions isolationnistes du peuple américain, sans parler de l’hostilité des donateurs catholiques à des opérations de secours du côté des Républicains et des « Rouges » à Madrid. La déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France contre l’Allemagne en septembre 1939 vient certes bouleverser la donne. Aux Etats-Unis, l’ARC commence par préparer la défense civile en formant une centaine de milliers de secouristes et aide infirmières. A l’étranger, l’organisation ne cherche pas à rompre le blocus contre les territoires aux mains des nazis et ne peut travailler qu’auprès des Alliés car la Croix-Rouge allemande refuse son aide. Dès mars 1941, l’ARC reconstitue un Conseil d’urgence qui, à l’image de son prédécesseur pendant la Première Guerre mondiale, va diriger l’ensemble des opérations outre-mer sous la présidence d’un banquier proche des établissements de John Pierpont Morgan, Thomas Lamont. La suite des événements confirme la militarisation de l’organisation après l’attaque japonaise contre Pearl Harbour en décembre 1941, lorsque les Etats-Unis entrent à leur tour en guerre contre le Japon et l’Allemagne. L’ARC, qui se réconcilie avec les syndicats américains et signe avec eux un accord de coopération, se range clairement du côté de Washington et suit l’avancée des troupes de son pays à travers le monde, de l’Asie à l’Europe. Incorporés à l’armée, ses volontaires sont déployés sur les lignes de front et certains meurent en pleine action, notamment lors de la bataille de Guadalcanal, en août 1942, et du débarquement de Sicile, en juillet 1943. D’autres sont victimes des bombardements nazis contre des établissements en principe protégés par l’emblème de la Croix-Rouge. En Sicile, une infirmière de San Francisco est ainsi tuée le 7 février 1944 lors d’une attaque aérienne contre un centre de soins à Anzio, tandis que trois navires-hôpitaux sont touchés par l’aviation allemande. En quatre ans de 1941 à 1945, rapporte Charles Hurd, l’ARC déplore au total la mort de 86 volontaires dont 52 femmes. A la différence de la Première Guerre mondiale, les activités médicales de l’ARC sont cependant moins importantes car les services de santé de l’armée se sont beaucoup développés entre-temps et refusent désormais les interférences de volontaires, notamment dans le Pacifique, où l’on assiste à quelques tensions. La Croix-Rouge se préoccupe plutôt du sort des prisonniers de guerre américains et du moral des troupes. Pour réconforter les soldats, elle ouvre des clubs de divertissement où l’alcool et les jeux d’argent sont interdits et où les entraîneuses sont contrôlées par la police militaire en vue d’éviter les « filles de mauvaise vie ». Les repas y sont payants à la demande de l’armée, qui ne veut pas inciter les soldats à abuser de leur permission. Alors que les troupes américaines débarquent en Europe, l’ARC, qui applique la ségrégation raciale et refuse les dons du sang des populations de couleur, est bientôt accusée par la presse britannique de discriminations au profit des Blancs et des officiers. En janvier 1942, elle se décide à créer deux banques du sang, l’une pour les Noirs, l’autre pour les Blancs, sur la base d’un système qui perdurera dans le Sud des Etats-Unis jusqu’à la déségrégation des années 1960. La reconquête de l’Europe occupée met alors en évidence une certaine compétition avec la Croix-Rouge britannique, qui cherche à être la première à débarquer en France ou en Italie.