>
Comité International de la Croix Rouge
>
Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1930-1939


-1930, Belgique : la quatorzième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Bruxelles, entérine l’adoption du code des prisonniers et des blessés de guerre négocié l’année précédente lors d’une révision de la Convention de Genève. Est également discutée la protection des civils de nationalité ennemie dans un territoire occupé ou dans un Etat belligérant.
 
-1931-1946, Italie : sollicité par les Ligues des droits de l’homme suisse, française et italienne, le CICR demande à la CRI (Croce Rossa Italiana) de venir en aide aux opposants anti-fascistes, assignés à résidence et laissés à eux-mêmes sur les îles de Ponza et Lipari. Il obtient en l’occurrence que la Croix-Rouge italienne puisse s’entretenir sans témoins avec les détenus « confinés ». Mais il ne parvient pas à sauvegarder l’indépendance d’une organisation passée sous le contrôle du régime de Benito Mussolini et présidée depuis 1925 par un sénateur sympathisant des fascistes, Filippo Cremonesi, à la suite de Giovanni Ciraolo. La situation s’aggrave encore davantage le 10 juin 1940 avec l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Allemagne nazie, ralliement qui provoque la démission de Filippo Cremonesi et son remplacement, le 1er mai suivant, par Giuseppe Mormino, un conseiller d’Etat qui fut chef de cabinet du ministre de l’Intérieur. La Croce Rossa se retrouve alors à soutenir l’entreprise militaire des fascistes, à secourir les victimes des bombardements alliés et à négocier la libération des prisonniers de guerre italiens sur les fronts russe et libyen. Avec l’adoption des premières mesures antisémites en 1940, le CICR, lui, est autorisé à visiter les Juifs regroupés dans des camps di concentramento. Interrompues par l’occupation nazie du Nord de l’Italie à partir de septembre 1943, ses interventions auprès des déportés reprennent difficilement dans le cadre d’échanges avec des prisonniers allemands aux mains des Alliés aux derniers jours de la guerre, en avril 1945. Tandis que le Sud du pays prend part aux combats aux côtés des Américains, le Comité de Genève n’est pas non plus autorisé à secourir les internés militaires italiens que, dans le Nord, les autorités allemandes refusent de reconnaître comme des prisonniers de guerre. Il faut attendre le départ des nazis et la victoire du camp allié pour avoir accès à toutes les victimes du conflit et ouvrir à Rome une délégation du CICR qui fermera finalement ses portes en juin 1950. Réorganisée sous l’égide du Docteur Umberto Zanotti Bianco à partir du 3 août 1944, la Croix-Rouge italienne connaît quant à elle une épuration qui dure jusqu’à l’amnistie générale de juin 1946 et qui ne lui permet pas de redevenir pleinement opérationnelle avant les années 1960, sous la présidence du Docteur Giuseppe Potenza.
 
-Août 1932-octobre 1935, Bolivie, Paraguay : suite à des escarmouches frontalières qui dégénèrent sur le territoire du Grand Chaco, le CICR envoie sur place un secrétaire de la Fédération des Unions chrétiennes des jeunes gens (YMCA) à Buenos Aires, Emmanuel Galland, qui est autorisé par les belligérants à visiter leurs prisonniers de guerre en mai puis juillet 1933. Les combats ayant repris et redoublé d’intensité en novembre 1934, les délégués du Comité interviennent finalement auprès de 18 000 détenus au Paraguay et 2 500 en Bolivie alors qu’aucun de ces deux pays n’a signé le code des blessés et des prisonniers de guerre de 1929. Accaparés par les séquelles de la Seconde Guerre mondiale en Europe, le CICR ne saisira cependant pas l’occasion qui lui est offerte d’assister les combattants emprisonnés lors de troubles politiques qui agitent le Paraguay à partir de mars 1947. Sur un terrain latino-américain qu’il ne connaît pas, raconte Daniel Palmieri, le Comité de Genève a en l’occurrence fait preuve « d’amateurisme » et de « dilettantisme » ; faute de moyens et de volonté politique, il a attendu près d’un an pour intervenir dans la région du Grand Chaco, et encore près d’un an pour y revenir. Ses visites de camps, qui se sont heurtées à l’hostilité des sociétés nationales de la Croix-Rouge, étaient annoncées à l’avance et ont donné lieu à des mises en scène destinées à présenter la situation sous un jour favorable. En novembre 1934, le délégué du CICR, Lucien Cramer, parlait ainsi de conditions de détention « satisfaisantes » alors qu’il n’avait pas eu accès aux lignes de front, que les belligérants achevaient les blessés et que les prisonniers étaient victimes de châtiments corporels, contraints de travailler et privés de nourriture, de vêtements ou de soins médicaux, quand ils n’étaient pas tout simplement exécutés. Pire, le Comité de Genève a opéré des distinctions sociales et racistes en privilégiant les officiers blancs au détriment des hommes du rang indiens. Traités en chair à canon, ces derniers constituaient l’essentiel des prisonniers maltraités et ont été considérés comme des « êtres primitifs », voire inférieurs, incultes et toujours prompts « à exagérer leurs plaintes et même à inventer des griefs inexistants », pour reprendre les termes des comptes rendus de l’institution à l’époque.
 
-1933-1945, Allemagne : l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler place le CICR devant une des pires épreuves de son histoire. En vertu d’un accord signé en novembre 1933 et opérationnel jusqu’en mai 1941, le Comité de Genève charge d’abord la Croix-Rouge allemande, la DRK (Deutsches Rotes Kreuz), d’acheminer les demandes d’informations individuelles à propos des civils internés dans des camps de concentration. Soucieux de ne pas heurter les autorités et de ne pas compromettre ses efforts, il s’abstient de trop insister sur certains cas, tel le pasteur allemand Martin Niemöller, arrêté en juillet 1937 pour avoir protesté contre la politique nazie, et classe peu avant sa mort le dossier du journaliste tchèque Carl von Ossietzky, prix Nobel de la paix, décédé du fait de mauvais traitements en mai 1938. A force de ténacité, le CICR, en la personne de Carl-Jacob Burckhardt, est certes autorisé par Heinrich Himmler, le chef des SS (Schutzstaffel), à visiter les camps de concentration de son choix plutôt que ceux sélectionnés par les autorités. Menaçant d’interrompre sa mission à une époque où le gouvernement d’Adolf Hitler tente encore de ménager l’opinion publique occidentale, Carl-Jacob Burckhardt négocie également le droit de parler sans témoins aux détenus. En 1935 et 1936, il visite les camps d’Esterwegen (à proximité de la frontière hollandaise), de Lichtenberg (à Torgau) et de Dachau (près de Munich). Mais ses initiatives ne permettent pas d’améliorer les conditions de détention et ses successeurs sont mystifiés par les nazis, qui leur interdisent l’accès des autres camps. Le 19 août 1938, une nouvelle visite de Dachau n’apporte rien de plus pour le délégué envoyé par le CICR, le colonel Guillaume Favre. Son adjoint Georges Chessex, qui a reçu une instruction militaire en Allemagne, parle d’un « modèle du point de vue des installations et de l’administration ». Il écrit que les détenus, bien traités, sont en bonne santé et note la construction de grands bâtiments prévus pour les « douches » ! L’entrée en guerre de la Grande-Bretagne et de la France en septembre 1939 bouleverse alors la donne et recentre le CICR sur ses activités traditionnelles en faveur des militaires emprisonnés. Genève propose à Berlin de traiter les civils internés en territoire ennemi sur la base du projet de Tokyo de 1934. Avec l’assentiment du gouvernement d’Adolf Hitler, un tel dispositif permet au moins d’éviter la déportation des Israélites anglo-saxons dans des camps de la mort. Après avoir installé une délégation à Berlin en 1940, le CICR n’est cependant pas autorisé à ouvrir des représentations équivalentes dans la plupart des pays occupés par l’armée allemande, notamment la Pologne, la Hollande, la Belgique et la Bohême-Moravie. Ses délégués basés dans la capitale sont censés ne s’occuper que des prisonniers de guerre dans l’ensemble du Reich. Ils doivent tout de suite calmer le jeu car, sur la foi de fausses rumeurs, vite démenties, les nazis menacent, en juin 1940, de tuer dix prisonniers de guerre français pour un allemand prétendument assassiné par les Français. Si les Conventions de Genève protègent une dizaine de milliers de prisonniers de guerre alliés juifs, elles ne permettent pas de secourir convenablement les républicains espagnols qui se sont engagés dans l’armée française en 1939 et qui sont déportés à Mauthausen, un camp dont 5 000 des 8 000 occupants mourront avant la libération en 1945. Après l’attaque de l’Allemagne contre l’URSS en juin 1941, le CICR ne parvient pas non plus à aider les prisonniers de guerre de la Wehrmacht et de l’Armée Rouge, chaque belligérant motivant son refus au nom de la réciprocité. Du côté des Allemands, on estime que, sur cinq millions de détenus soviétiques, entre deux et trois millions disparaissent ou meurent, dont 85 000 prisonniers de guerre exterminés parce que juifs. La situation se détériore également du côté des Alliés, auxquels se joignent les Américains. Lors d’une tentative de débarquement à Dieppe en août 1942, des commandos canadiens passent des menottes à des prisonniers de guerre allemands et Berlin riposte en maltraitant des détenus britanniques. A la différence de la Première Guerre mondiale, les Alliés ne parviennent pas non plus à s’entendre avec les nazis pour rapatrier les militaires capturés au combat. En avril 1918, Français et Allemands avaient conclu un accord pour envoyer en Suisse les officiers détenus depuis plus de dix-huit mois et âgés de plus de quarante-huit ans. Mais pendant la Seconde Guerre mondiale, les seuls échanges concernent en octobre 1943 des militaires blessés et une poignée de civils qui transitent par Lisbonne au Portugal en juillet et août 1944 puis à Gothenburg en Suède en septembre 1944. Les combattants valides et âgés sont condamnés, eux, à rester en détention, entre autres parce que l’Amirauté britannique craint de renvoyer à Berlin des spécialistes dont la marine allemande a cruellement besoin. De représailles en représailles, le CICR craint que les belligérants en viennent à récuser la Convention de Genève. Suite à l’échec du débarquement à Dieppe en août 1942, la crise paraît si importante que, pour ne pas aggraver la situation, les membres du Comité préfèrent éviter de relancer les nazis à propos du traitement des populations civiles. Au cours d’une réunion à Genève le 14 octobre 1942, le CICR décide de ne rien dire des camps de concentrations, du génocide contre les Juifs et de l’extermination des Tsiganes. Cité par Mitchell Bard, le chef du département d’information du Comité, Roger Du Pasquier, se justifie en expliquant qu’une dénonciation n’aurait servi à rien et aurait compromis les actions en faveur des prisonniers de guerre. Au vu de la détermination des nazis, les velléités d’assistance du CICR n’auraient de toute façon pas permis de sauver beaucoup de monde : on estime que sur 5 100 000 Juifs assassinés, 4 300 000 le sont dans les heures qui suivent leur arrivée dans des camps ou leur arrestation à l’arrière du front russe. Mais il n’est pas évident que les Allemands auraient récusé les Convention de Genève, surtout à partir de 1943, quand les revers militaires qu’ils subissent les obligent à se soucier davantage du sort de leurs soldats, de plus en plus nombreux à tomber entre les mains de l’ennemi. En témoigne leur souci de garder le CICR comme interlocuteur privilégié pour négocier un éventuel rapatriement des blessés de guerre, à la différence de Londres, qui préfère passer par le gouvernement suisse. Sous prétexte de ne pas compromettre leur neutralité, de poursuivre leurs opérations de ravitaillement et de ne pas rompre le dialogue avec le régime nazi, les membres du Comité s’enferment ainsi dans un silence coupable, voire « complice » selon l’historien Walter Laqueur, alors que le gouvernement suisse, qui craint une invasion allemande et finance la moitié du budget du CICR, a fermé ses frontières aux réfugiés juifs en août 1942. Carl-Jacob Burckhardt, en particulier, est accusé de germanophilie et d’antisémitisme dans un documentaire intitulé « La Croix-Rouge sous le IIIème Reich », réalisé par Christine Rütten et diffusé par la chaîne de télévision franco-allemande Arte le 26 septembre 2007. De fait, il essaie de maintenir des relations avec les nazis jusqu’au dernier moment et sera ensuite cité comme témoin de la défense lors du procès du Ministre des Affaires étrangères allemand, Joachim von Ribbentrop, à Nuremberg. Selon l’historien suisse Paul Stauffer, il cherche surtout à mettre en avant ses qualités de négociateur quand il laisse croire que Berlin serait sur le point de dénoncer les Conventions de Genève, poussant les autres membres du CICR à mettre de côté la question des déportations de civils pour se préoccuper en priorité du sort des prisonniers de guerre britanniques. Pendant la durée du conflit, Carl-Jacob Burckhardt détruit des archives compromettantes et refuse de passer des informations aux organisations juives susceptibles de révéler l’existence des camps de concentration sans compromettre la neutralité du CICR. Une déclaration des Alliés, qui dénoncent la solution finale le 17 décembre 1942, n’y change rien : le 23 août 1943, Genève se contente d’inviter solennellement les parties au conflit à respecter le code des prisonniers de guerre adopté en 1929. Se retranchant derrière son mandat, le CICR argue que la question juive n’est a priori pas de son ressort. Pire, la DRK exige la mention du caractère aryen des personnes recherchées pour répondre aux demandes d’informations individuelles. Le CICR s’exécute et exclue donc toute possibilité de s’enquérir du sort des déportés juifs. Il s’interdit également d’exploiter à rebours la propagande des nazis sur la « nécessité militaire » d’interner les Juifs, argument qui permettrait de contourner le respect des souverainetés nationales et d’assimiler les suspects à des étrangers afin de revendiquer un droit de visite au même titre que pour les civils ressortissants d’un pays ennemi. De peur de compromettre son accès officiel aux prisonniers de guerre alliés, le CICR ne s’autorise pas non plus à entreprendre des opérations de sauvetage officieuses ; au contraire, il rabroue et envisage de renvoyer une de ses infirmières qui avait facilité le passage clandestin d’enfants juifs de France vers la Suisse. Enfin, le Comité refuse de violer ses principes humanitaires et d’inciter les Allemands à permettre l’accès aux camps de concentration en les menaçant d’arrêter de s’occuper de leurs soldats aux mains de l’ennemi. Toutes les autres démarches en faveur des Juifs n’aboutissent à rien et restent sans réponses. En conséquence de quoi, Genève décide de recentrer ses interventions sur le ravitaillement des camps de concentration. Au vu du faible nombre de détenus identifiés et localisés, son champ d’action est très réduit, étant donné que seuls les colis nominatifs sont autorisés. Jusqu’en juin 1944, les Alliés eux-mêmes interdisent les envois collectifs car ils craignent que, sans la présence sur place de délégués du CICR, les vivres soient détournés et nourrissent les nazis. Déjà, concernant leurs propres militaires détenus par des Allemands, ils accordent des autorisations au coup par coup, les navicert, et conditionnent les opérations à la possibilité de s’entretenir sans témoins avec les prisonniers. Les Juifs enfermés dans des camps de concentration sont d’autant moins une priorité que les Alliés veulent limiter l’aide humanitaire aux territoires du Troisième Reich afin d’asphyxier l’industrie de guerre nazie. Le gouvernement britannique, notamment, est un des plus vigilants sur l’application du blocus, non sans contradictions puisqu’à partir d’août 1940, il permet l’organisation de secours collectifs pour ses soldats aux mains des Allemands et qu’à partir de juin 1942, il consent à l’expédition de vivres pour les victimes de la famine dans la Grèce occupée par la Wehrmacht, avec un tonnage total supérieur à l’ensemble de l’assistance dispensée aux Juifs dans les camps. Concernant ces derniers, les restrictions des Alliés contraignent le CICR à acheter les vivres sur place faute d’obtenir les certificats indispensables pour importer et réexporter de Suisse des biens en provenance du monde libre. Il est vrai que les réticences des Britanniques ne sont pas complètement infondées. En effet, le Comité n’est pas autorisé par les nazis à vérifier la distribution des colis à l’intérieur des camps de concentration et il doit se contenter de faire signer des accusés de réception. Les quittances paraphées par plusieurs détenus permettent en l’occurrence d’identifier des déportés dont on avait perdu la trace. D’autres, en revanche, sont signées par les SS eux-mêmes. A Mauthausen, tous les colis sont détournés, obligeant le CICR à suspendre l’opération. D’une manière générale, le taux de retour des quittances ne dépasse pas les 15% et augmente seulement à la fin de la guerre, atteignant 38% à Hambourg-Neuengamme en septembre 1944, 45% à Buchenwald et un maximum de 80% à Dachau et Ravensbrück. Selon des enquêtes réalisées après la fin du conflit et citées par le représentant du Congrès juif mondial à Genève, Gerhart Riegner, la plupart des prisonniers nommément identifiés auraient en réalité reçu leur colis. Mais les opérations présentent l’inconvénient de servir la propagande nazie. Le 23 juin 1944 à Theresienstadt, un ghetto juif modèle, puis le 29 septembre à Auschwitz, les Allemands mettent par exemple en scène les visites d’un délégué du CICR, Maurice Rossel, qui n’est pas autorisé à s’entretenir avec les détenus et à sortir des bureaux de la Kommandantur pour accéder au camp lui-même. Relayé sur les ondes des radios nazies, l’événement permet de démentir les allégations de mauvais traitements. Aussi le Comité décide-t-il de ne pas communiquer son rapport aux Allemands et aux Alliés. Encore faut-il attendre le 2 octobre 1944 pour que, par une note adressée au ministre des Affaires étrangères à Berlin, le président du CICR, Max Huber, se décide à entreprendre une démarche officielle en vue de réclamer une amélioration du sort des Juifs internés. Son initiative est suivie, le 12 mars 1945, d’une rencontre sur une route de l’Alberg avec Ernst Kaltenbrunner, le SS responsable des camps de concentration. Le CICR propose que ses camions qui partent depuis la Suisse ravitailler les habitants de Berlin soumis aux bombardements américains ne reviennent pas vides mais chargés de détenus civils. Quelques Juifs sont ainsi échangés contre des Allemands capturés par les Alliés en train de libérer l’Europe du joug nazi. Et les équipes du Comité sont les premières à entrer dans les camps pour aller secourir les survivants, notamment à Mauthausen, à Dachau et dans la forteresse de Theresienstadt quelques jours avant la capitulation de l’Allemagne le 8 mai 1945. Pour l’historien Jean-Claude Favez, plusieurs raisons expliquent finalement la passivité du CICR à propos de la solution finale : le sentiment d’impuissance face aux nazis ; la crainte, en demandant une amélioration du traitement des détenus civils, de voir les belligérants dénoncer les Conventions de Genève ; la réticence des Alliés, qui, pendant longtemps, délivrent des visas au compte-gouttes pour les réfugiés de confession israélite. De l’avis de Marc-André Charguéraud, la faute en revient surtout aux puissances occidentales, qui refusent de soutenir le CICR, de signer le projet de Tokyo de 1934, de relâcher leur blocus contre l’Allemagne, d’accueillir des Juifs en grand nombre et de débloquer des financements longtemps limités au seul profit de leurs ressortissants prisonniers de guerre. Ajoutons à cela l’inertie bureaucratique du Comité à Genève, qui réprimande les initiatives personnelles des délégués sur le terrain pour ne pas compromettre sa neutralité et sa crédibilité : en mars 1944, il relève d’abord Jean de Bavier de son poste à Budapest parce qu’il voulait dénoncer la solution finale, puis accuse Louis Haefliger d’avoir abusé de sa position et le contraint à démissionner en août 1945 car il a enfreint les règles de l’organisation en participant, le 5 mai 1945, à une action militaire de l’armée américaine en vue de désarmer les gardes et libérer le camp de Mauthausen, où il était entré cinq jours plus tôt. Résultat, le CICR ne s’exprime pas sur les chambres à gaz alors qu’il avait publiquement critiqué l’usage des armes chimiques pendant la Première Guerre mondiale. C’est au dernier moment, quand cela ne sert plus à rien, que son nouveau président, Carl-Jacob Burckhardt, essaie de forcer la main des nazis en menaçant de tout révéler à l’opinion publique dans une lettre adressée au responsable SS des camps de concentrations, Ernst Kaltenbrunner, le 1er mai 1945. Au sein même du mouvement de la Croix-Rouge, Genève ne condamne pas non plus les errements de la DRK, complètement nazifiée sous prétexte de « restructuration » (gleichschaltung).
 
-1934-1945, Japon : la quinzième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Tokyo en octobre 1934, prévoit des dispositions pour protéger les populations civiles en cas de guerre. La conférence est un succès diplomatique pour le Japon, qui s’est retiré de la Société des Nations après avoir envahi la Mandchourie en septembre 1931. Complaisants, les délégués évitent de questionner Tokyo, dont les troupes d’occupation en Chine bombardent des villes et massacrent des civils. Militarisé à l’extrême, le Japon, qui signe la Convention de Genève de 1929 sur les blessés —et non les prisonniers— de guerre, se montre intransigeant. Après son attaque contre Pearl Harbour et l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, il n’autorise officiellement que trois délégués du CICR à Shanghai, Hongkong et Tokyo. En mai et novembre 1943, le Comité peut visiter sous surveillance quelques prisonniers de guerre alliés dans la « zone japonaise », qui comprend la Corée, la Mandchourie et Formose. Mais il n’est pas autorisé à les ravitailler et à leur parler librement sans la présence de leurs geôliers. Malgré sa maîtrise de la langue japonaise et la confiance du gouvernement, le délégué du CICR à Tokyo, le Docteur Fritz Paravicini, est contraint de produire des rapports élogieux à la suite de visites dûment encadrées par les autorités dans les préfectures d’Osaka, Hyogo, Hiroshima et Fukuoka en mars 1943. Son assistant, Max Pestalozzi, n’est guère mieux loti lorsqu’il parvient à accéder aux camps de Kiraoka dans la région de Nagano en juin 1943, Hakodate sur l’île de Hokkaido et Ishinomaki près de la ville de Sendai en août 1943, puis Zentsuji sur l’île de Shikoku en décembre 1943. Présidée par le prince Kuniyuki Tokugawa, la JCRS (Japan Red Cross Society), en particulier, ne leur est d’aucune utilité. Forte de 15 210 000 membres en 1945, contre 5 840 000 en 1942, 4 010 000 en 1940, 2 930 000 en 1937 et 2 700 000 en 1934, elle est complètement militarisée et invite les autorités à refuser de ratifier le code des prisonniers de guerre de 1929. De plus, elle considère que les prisonniers philippins, malais, indiens ou chinois ne relèvent pas de la compétence de Genève car ils sont asiatiques et appartiennent à la « sphère de coprospérité » sous l’influence du Japon. Les négociations qui démarrent en avril 1942 ne permettent pas non plus de progresser et se heurtent à la fois à la mauvaise volonté de Tokyo et aux réticences de Londres, qui voudrait pouvoir faire superviser les distributions par le CICR. Dans le cadre d’échanges qui permettent en contrepartie à l’Empire du Soleil Levant d’envoyer des secours à ses ressortissants aux mains des Alliés, seuls deux bateaux japonais peuvent embarquer quelques vivres depuis Lourenço Marques au Mozambique en septembre 1942 et Marmagoa dans l’enclave portugaise de Goa en Inde en octobre 1943. L’expérience est interrompue suite au bombardement par l’aviation américaine d’un navire-hôpital japonais, le Buenos Aires, le 27 novembre 1943. Bloqué pendant un an à Nakhodka près de Vladivostok, le Hakusan Maru n’est autorisé qu’en octobre 1944 à débarquer ses vivres à Kobe. Le torpillage d’un deuxième navire japonais, l’Awa Maru, par la flotte américaine au large de Singapour, en avril 1945, met un terme aux dernières tentatives de ravitaillement des prisonniers de guerre alliés pendant la durée des hostilités. En dehors du territoire japonais, l’action du CICR est encore plus restreinte, notamment dans le Sud de la Chine, voire interdite dans les territoires occupés du Sud-est asiatique, où l’armée lui impose des taux de change défavorables et détourne ses secours. Pour continuer de distribuer des colis qui sont régulièrement fouillés et subtilisés par les geôliers, Genève doit par exemple autocensurer ses rapports sur les prisonniers de guerre britanniques à Hongkong, qui sont lus par les autorités d’occupation et ne reflètent pas la réalité. La situation n’est pas meilleure dans le reste de l’Empire du Soleil Levant . A Singapour après la chute de la ville aux mains des troupes de Tokyo, le CICR nomme en février 1942 un délégué qui n’est pas autorisé à secourir les Britanniques détenus dans la centrale de Changi et victimes de mauvais traitements, de tortures ou d’exécutions. Aux Philippines, dont les Japonais décrètent l’indépendance en novembre 1943, le Comité envoie aux prisonniers de guerre alliés des secours dont il ne peut contrôler la distribution faute d’avoir accès aux lieux de détention ; l’opération doit de toutes façons cesser après octobre 1944. En Indonésie le 20 décembre 1943, les troupes d’occupation vont jusqu’à décapiter le délégué du CICR à Bornéo, le Docteur Matthaeus Vischer, et sa femme, accusés d’espionnage. Pour engager Tokyo à respecter les Conventions de Genève et à ne pas forcer les détenus à travailler, l’argument de la réciprocité joue peu car les militaires au service de l’Empereur préfèrent se suicider plutôt que de se rendre. En cas de capture, ils falsifient leur nom afin que la honte de la reddition ne rejaillisse pas sur leur famille. L’état-major, qui craint leur endoctrinement et leur rééducation par les communistes en Chine, les incite quant à lui à se battre jusqu’au bout et à rejetter les valeurs chrétiennes, occidentales et « anti-asiatiques » à l’origine des Conventions de Genève. En octobre 1944, les Alliés ne détiennent ainsi que 6 400 prisonniers de guerre japonais, contre 103 000 militaires occidentaux aux mains de Tokyo. C’est en fait l’avancée des troupes américaines qui oblige les autorités à composer. Peu avant la capitulation du Japon le 15 août 1945, le nouveau délégué du CICR, Marcel Junod, qui a officiellement remplacé le Docteur Harry Angst en mars 1944, parvient alors à visiter des Alliés détenus en Mandchourie à Moukden, un centre minier qui porte aujourd’hui le nom de Chenyang. Il distribue ensuite des médicaments fournis et transportés par l’armée américaine aux victimes de la bombe atomique à Hiroshima le 8 septembre 1945. Le Comité participe par ailleurs à l’évacuation de 103 camps qui contiennent 34 000 prisonniers de guerre au Japon. Après 1945, il se préoccupera également du rapatriement des militaires japonais détenus par les Alliés.
 
-1935-1936, Ethiopie : tandis que les troupes de Benito Mussolini envahissent le royaume de l’Empereur Haile Selassie et progressent vers Addis-Abeba à partir d’octobre 1935, le gouvernement italien refuse l’assistance du CICR et de sa propre Croix-Rouge. Genève ne peut donc pas visiter les prisonniers de guerre du côté des fascistes et n’intervient qu’auprès des Ethiopiens. Sur place, la première mission opérationnelle du CICR en Afrique subsaharienne se heurte à de nombreuses difficultés logistiques et sécuritaires, avec des programmes d’assistance déficitaires et financés grâce aux réserves accumulées pendant la Première Guerre mondiale. Le personnel expatrié déployé sous la bannière de la Croix-Rouge, d’abord, est soumis à rude épreuve. Outre les victimes de l’armée de l’air fasciste, Robert Hokman meurt par exemple en essayant de désamorcer une bombe italienne en décembre 1935. En janvier 1936, encore, un major britannique en charge de la logistique, Gerald Achilles Burgoyne, est retrouvé mort sans qu’on sache trop s’il a été tué par les avions de Rome ou par des Oromo lors de la retraite des troupes du Ras Igazu Mulugeta, quelque part entre Maychew et le lac Ashenge. Après le décès d’un docteur égyptien, Mohamed Al Saoui Gomaah, des suites d’une maladie à Jijiga en mars 1936, le reponsable de l’ambulance britannique, André John Mesnard Melly, est quant à lui assassiné par un malade mental éthiopien le 3 mai 1936. Lors de la mise à sac d’Addis-Abeba en mai 1936, enfin, six expatriés sont blessés et une infirmière, Elfrida Stadim, est tuée. Entre-temps, le CICR doit renoncer à transporter des vivres par la route, un périple trop long et accidenté qui cause la mort d’un chauffeur de camion grec sur une piste de montagne entre Addis-Abeba et Dessie début 1936. Le Comité décide en conséquence d’innover en convoyant des secours dans le petit avion d’un Suédois, le comte Carl Gustav von Rosen, qui ira ensuite ravitailler pour le compte des services secrets britanniques les derniers îlots de résistance en Ethiopie occidentale en 1936 et qui sera chargé de monter l’armée de l’air de l’Empereur Haile Selassie en 1946 (outre le parachutage de vivres au-dessus du ghetto juif de Varsovie en 1944, on le retrouvera luttant aux côtés des Finlandais contre les Russes en Carélie en 1940 et des sécessionnistes biafrais au Nigeria en 1968, avant de mourir assassiné pendant la guerre d’Ogaden en 1977). Sur le terrain, l’intervention du CICR s’avère d’autant plus difficile que les Italiens ne respectent pas le droit humanitaire et n’hésitent pas à bombarder des hôpitaux, comme à Dessie le 6 décembre 1935, à Degeh Bur le 4 janvier 1936, à Amba Aradam le 16 janvier ou à Korem le 17 mars suivant. Pour venger la disparition d’un de leurs pilotes qui avait été tué par des Somali après avoir dû se poser en catastrophe près de la frontière, les aviateurs fascistes blessent ainsi une cinquantaine de personnes et provoquent la mort d’un infirmier suédois, Gunnar Lundstroem, et de vingt-huit Ethiopiens à Melka Dida dans la région de Sidamo le long de la rivière Ganale le 30 décembre 1935. D’autres bombardements détruisent par ailleurs un hôpital britannique à Korem le 4 mars 1936, faisant cinq morts et quatre blessés parmi les malades. A Addis-Abeba, le siège de la Croix-Rouge éthiopienne est quant à lui mis à sac en mai 1936. Bien qu’ayant ratifié en 1928 le protocole de 1925 qui interdit l’usage d’armes chimiques, Rome envoie aussi des gaz mortels sur les positions ennemies, au prétexte que les Ethiopiens ont achevé des prisonniers de guerre italiens. Soucieux de ne pas compromettre sa neutralité politique et ses relations avec les fascistes, le CICR refuse pourtant de transmettre des renseignements et de participer à une enquête de la Société des Nations sur les abus constatés. Il se contente de protester discrètement par la voie diplomatique et l’intermédiaire de la Croix-Rouge italienne, sans dénoncer publiquement l’attitude de Benito Mussolini. Victime d’un chantage sur son homosexualité présumée, l’envoyé du Comité à Addis-Abeba, Sydney Brown, est même empêché de témoigner sur les atrocités italiennes et poussé à démissionner une fois de retour à Genève, où l’institution lui reproche d’avoir divulgué des informations confidentielles, pris parti pour le Négus, refusé de repondre aux demandes d’enquêtes sur les abus éthiopiens et transgressé son devoir de réserve en signant un télégramme de protestation de la Croix-Rouge locale. De fait, explique Rainer Baudendistel, le CICR n’est pas impartial dans cette affaire. Ses membres croient à l’œuvre civilisatrice des fascistes en Afrique et ne font guère confiance aux Ethiopiens, considérés comme des sauvages. De plus, ils souhaitent préserver de bonnes relations économiques et politiques avec l’Italie alors que la Suisse n’a pas d’intérêts en Abyssinie. Résultat, ils sont tellement convaincus de la bonne foi des fascistes qu’ils omettent dans un premier temps d’avertir leurs délégués et les expatriés des Croix Rouges de se munir de masques à gaz. Autre biais, ils transmettent les demandes d’informations de Rome sur les prisonniers de guerre italiens entre les mains éthiopiennes, mais n’en font rien pour Addis-Abeba, qui réitère en vain ses requêtes. Surtout, ils reprennent à leur compte les explications des fascistes sur les bombardements d’hôpitaux. Ceux-ci affirment qu’il s’agit de dégâts collatéraux dus à une mauvaise visibilité ou à des abus de l’emblème de la Croix-Rouge par les Ethiopiens. Par erreur, l’aviation fasciste bombarde d’ailleurs un de ses propres hôpitaux lors d’une attaque qui fait 18 morts et 81 blessés. En outre, le gouvernement éthiopien se distingue des Croix Rouges européennes déployées sur le terrain en refusant de notifier aux Italiens la localisation de ses installations sanitaires, de crainte d’informer l’ennemi sur ses positions militaires. L’aviation fasciste justifie donc ses « erreurs » en prétendant ne pas savoir où se trouvent les équipes de la Croix-Rouge. L’hypothèse paraît peu vraisemblable puisqu’il n’y a aucun objectif militaire à proximité et que les bombardements en question répondent à des actes de vengeance après l’assassinat d’un pilote près de Melka Dida le 30 décembre 1935, ou après avoir essuyé des tirs en provenance d’une colline voisine quelques jours avant l’établissement de l’ambulance britannique à Korem le 4 mars 1936. Mais les Italiens n’en démordent pas et affirment que les hôpitaux éthiopiens cachent des installations militaires. Plusieurs cas attestent effectivement d’abus de l’emblème. En septembre 1935, pour commencer, le gouverneur de Harar, Dajjazmach Nasibu Zamanuel, fait aposer une Croix-Rouge sur un hôpital qui abrite également une radio militaire. Lors de la retraite des troupes du Ras Desta Damtew en janvier 1936, encore, les Italiens découvrent des caisses de munitions dans un camion de la Croix-Rouge suédoise laissé à l’abandon dans la forêt de Wadara. De là à imaginer que les Ethiopiens abuseraient systématiquement de l’emblème, il y a cependant un pas qu’on ne saurait franchir puisque, justement, le symbole de la Croix-Rouge ne protège nullement des attaques de l’ennemi. En réalité, les plaintes de Rome rentrent dans le cadre d’une véritable guerre de propagande contre la sauvagerie des Abyssins, qui sont accusés d’avoir tiré sur des brancardiers italiens le 20 janvier 1936 et fait trois morts lors d’une attaque sur un hôpital de campagne près de Maychew le 31 mars suivant. Si les déclarations sur l’exécution, l’émasculation ou la torture de prisonniers de guerre entre les mains éthiopiennes sont corroborées par du personnel humanitaire ou des mercenaires qui ont quitté l’armée du Négus, il est également possible que les récits recueillis soient tout simplement achetés et fabriqués de toutes pièces, notamment par des membres de la Croix-Rouge égyptienne déployés dans la région somali de l’Ogaden. A meilleure preuve, les Italiens ne se gênent pas pour faire pression sur les témoins de leurs bombardements : afin de les obliger à se rétracter, ils menacent d’exécuter deux collaborateurs polonais de la Croix-Rouge éthiopienne capturés à Amba Aradam le 16 février 1936. D’une manière générale, les fascistes violent les dispositions des Conventions de Genève en traitant en prisonniers de guerre les expatriés de la Croix-Rouge éthiopienne qui tombent entre leurs mains en avril 1936, à savoir le docteur grec Georges Dassios à Weldiya et l’infirmier français Albert Gingold Duprey à Dessie. Dans un tel contexte, les silences du CICR n’en sont que plus compromettants. D’une part, ils mettent à mal la cohérence du mouvement car les expatriés des Croix Rouges sur le terrain ne se privent pas, eux, de raconter ce qu’ils voient. D’autre part, ils font le jeu de Benito Mussolini, qui veut éviter une condamnation de la communauté internationale et un renforcement des sanctions économiques de la Société des Nations. Finalement décidé à court-circuiter la Croix-Rouge italienne, le CICR se résout en l’occurrence à communiquer directement avec le Duce et à demander une commission d’enquête après le bombardement de l’ambulance suédoise à Melka Dika en décembre 1935. Or sa proposition permet aux fascistes d’échapper à une intervention de la Société des Nations en chargeant le Comité de mener sa propre investigation. Pour gagner du temps, Benito Mussolini ordonne à ses troupes d’épargner les installations de la Croix-Rouge pendant un moment et il retarde sciemment l’enquête de Genève jusqu’à ce que la défaite du Négus mette un terme à l’affaire. Faute de mieux, le CICR se contente de rédiger a posteriori un Livre Blanc qui entérine la version italienne des événements. Le bilan n’est pas fameux. Selon John Spencer, qui était à l’époque conseiller américain auprès du Ministère des affaires étrangères éthiopien, le président du CICR, Max Huber a littéralement « prostitué sa propre réputation et celle du droit international ». Par la suite, il parviendra encore à éliminer la question controversée de l’usage de gaz toxiques par Rome lors de la conférence internationale des Croix Rouges en 1938. Paradoxalement, la Croix-Rouge italienne, elle, sera plus attentive au respect du droit humanitaire lorsqu’elle enverra trois hôpitaux de campagne du côté franquiste pendant la guerre d’Espagne en 1937, demandant au CICR de condamner des bombardements républicains qui causent la mort d’un chauffeur dans les rangs de ses équipes méciales à Sigüenza.
 
-1936-1941, Espagne : le CICR, qui se déploie avec bien des difficultés au milieu des affrontements entre les Républicains et les Franquistes en juillet 1936, crée un précédent juridique pour justifier ses actions humanitaires dans le contexte de guerres civiles et pas seulement internationales. Contrairement à une idée répandue, il ne s’agit cependant pas de la première opération du Comité dans un conflit interne, ainsi qu’en témoigne la mobilisation de Genève lors de la guerre carliste de 1872-1876, également en Espagne. Dans son Manuel chronologique pour l’histoire générale de la Croix-Rouge, Gustave Moynier avait décompté 11 interventions du CICR dans des conflits internes entre 1863 et 1899, contre 14 dans des guerres internationales et 11 dans des expéditions de type colonial. La guerre civile espagnole de 1936-1939 marque certes une étape importante. Faute d’avoir obtenu un accord général avec les belligérants, le Comité doit saisir au coup par coup les opportunités qui se présentent. Il facilite l’évacuation de civils dans les villes assiégées, assure la correspondance des familles dispersées par les combats, visite des détenus et organise quelques échanges de prisonniers civils et militaires. Le 20 mai 1937, un de ses délégués, Marcel Junod, parvient par exemple à négocier la libération du journaliste hongrois Arthur Koestler en échange de l’épouse d’un commandant franquiste, Carlos Haya. Avec l’abolition de la monarchie et l’instauration de la république, la CRE (Cruz Roja Española), elle, s’est scindée en deux. Passée de la tutelle du ministère de la Guerre à celle de la Direction générale de la Santé au ministère de l’Intérieur en vertu d’un décret du 20 avril 1931, elle avait été présidée, à partir de 1933, par Ricardo Burguette, un général connu pour avoir dirigé l’armée d’Afrique et réprimé des grèves de mineurs dans les Asturies en 1917. Quelques jours après le coup de force de Francisco Franco, celui-ci a été forcé de démissionner sous la menace des fusils des miliciens républicains. Il est remplacé, le 29 juillet 1936, par le Docteur Aurelio Romeo Lozano, qui appartient à une petite formation, le parti national républicain de l’avocat Sanchez Roman. Les autres composantes du Front populaire, au pouvoir à Madrid, sont également représentées à la Croix-Rouge espagnole, des communistes aux socialistes en passant par la Gauche républicaine et les anarchistes de la Confédération nationale du travail. Implantés à Burgos, les franquistes se dotent, pour leur part, d’une Croix-Rouge nationaliste qui est présidée par le comte de Vallelano, Fernando Suarez de Tangil y Angulo. Proche du général Emilio Mola, un des cerveaux de la rébellion militaire, cet avocat a, en l’occurrence, été maire de Madrid du temps de la dictature de Primo de Rivera. Sympathisant des idées conservatrices d’Antonio Maura, il autorise, non sans réticences, le CICR à superviser des échanges de prisonniers, quinze jours après un accord similaire signé avec le Docteur Aurelio Romeo le 1er septembre 1936. Mais aucun des deux camps ne respecte le droit humanitaire. Côté républicain, des véhicules marqués de l’emblème de la Croix-Rouge sont d’abord utilisés par des combattants pour partir à l’assaut de l’ennemi. Côté franquiste, on n’hésite pas à bombarder les populations civiles, notamment dans les localités basque de Guernica le 26 avril 1937 et catalane de Granollers le 2 juin 1938. De part et d’autre, on exerce des représailles sur les captifs, on prend des otages, on exécute des prisonniers, on tue du personnel sanitaire et on attaque des hôpitaux. Lorsque la défaite républicaine s’avère inéluctable en février 1939, la Croix-Rouge française organise alors l’accueil de quelque 400 000 réfugiés espagnols ; en même temps, elle envoie des camions de ravitaillement vers Madrid, qui est tombée aux mains des franquistes. La Croix-Rouge républicaine disparaît au profit de son pendant nationaliste tandis que le comte de Vallelano, remplacé en décembre 1940 par un pédiatre aussitôt décédé, cède finalement la place en juin 1941 à un docteur en droit de l’Université de Madrid, Manuel Martinez de Tena. Marqué par son anticommunisme, le CICR va de son côté visiter les miliciens franquistes internés dans l’Hexagone : mais, explique Daniel Palmieri, il ne se préoccupe pas des militaires républicains réfugiés en France.
 
-1937-1950, Tchéquie, Slovaquie : le CICR n’est d’abord pas appelé à intervenir dans le conflit qui oppose Berlin et Prague à propos du territoire germanophone des Sudètes. Il se contente de rester en contact avec la Croix-Rouge tchécoslovaque, fondée en 1919 et dirigée depuis lors par la Docteur Alice Masarykova, une députée, fille du président Tomás Masaryk. Mais l’organisation ne résiste pas à l’annexion allemande du territoire des Sudètes en 1938 puis à la proclamation d’un Etat slovaque et à l’instauration d’un protectorat de Bohême-Moravie en 1939. Epurée de ses éléments juifs, elle est de facto dissoute et remplacée par une Croix-Rouge de Bohême-Moravie aux ordres des nazis tandis que son directeur, le Docteur Vladimir Haering, finit par mourir en captivité. En mai 1940 en Slovaquie se constitue également une société nationale de la Croix-Rouge qui paraît moins inféodée au gouvernement de Monseigneur Josef Tiso à Bratislava. A la suite d’une première loi antisémite le 15 mai 1942, elle essaie ainsi d’alléger les souffrances des Juifs cachés en ville, dans des planques appelées « bunkers », ou déportés vers l’Allemagne, par exemple à destination de Sered le 20 novembre 1944. Le problème est qu’elle n’est pas aidée par le CICR, dont elle demande le soutien à partir de juillet 1942 afin d’assister les Juifs regroupés dans des camps à travers le pays. C’est seulement en octobre 1944 que Genève dépêche à Bratislava un délégué, Georges Dunand. Son installation officielle suscite d’ailleurs les récriminations du gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres, qui y voit une forme de reconnaissance internationale du régime de Mgr Josef Tiso. Une fois sur place, Georges Dunand héberge néanmoins des Israélites, leur fournit des lettres de protection du CICR et leur distribue des fonds du Joint (une organisation de la diaspora juive aux Etats-Unis) en jouant un rôle d’agent de change car il ne peut pas officiellement vendre des devises à la banque d’Etat. Après avoir envoyé, en février 1945, des secours aux partisans slovaques emprisonnés par les Allemands et favorables aux Russes, il parvient, le mois suivant, à évacuer vers la Suisse quelques Juifs « vendus » par la Gestapo, alors que les routes de ravitaillement ont été coupées et que l’Armée Rouge s’approche de Bratislava en avançant le long du Danube. La situation s’avère fort différente dans le protectorat allemand de Bohême-Moravie. Longtemps empêché d’intervenir, le CICR doit attendre avril 1945 pour être autorisé à envoyer à Prague un délégué, Paul Dunant. Ce dernier se voit confier une mission d’ordre politique plutôt qu’humanitaire. Il est en l’occurrence chargé de convoyer aux Alliés un message du gauleiter de Bohême-Moravie qui propose de contrer les Soviétiques en permettant aux Américains d’occuper la Tchéquie sans combats. Embarrassés, les membres du Comité à Genève s’empressent d’étouffer l’affaire et refusent de jouer les intermédiaires pour une tractation militaire. Après la défaite allemande et le rétablissement d’une République tchécoslovaque réunifiée, le CICR commence en décembre 1945 à visiter et à faciliter le rapatriement des prisonniers de guerre laissés sur place par les Soviétiques. Soucieux de ne pas sembler prêter la main à l’expulsion des minorités allemandes, décidée par un décret du 2 août 1945, il hésite cependant à assister le transfert forcé des Sudètes. A la différence de la Slovaquie, où il a accès de façon permanente à l’ensemble des lieux de détention et où il entreprend dès juin 1945 de visiter un premier camp à Patronka près de Bratislava, il n’est d’ailleurs pas autorisé formellement à secourir les civils internés en Bohême-Moravie. A Prague, ses délégués Walter Menzel et Otto Lehner, qui ont pris la relève de Georges Dunand à partir d’août 1945 et d’août 1946 respectivement, doivent négocier leur assistance au coup par coup. S’ils obtiennent que 10% de leurs envois soient distribués aux minorités allemandes et placés sous leur supervision, ils sont bientôt contraints de réduire leurs activités. Les communistes, qui s’emparent du pouvoir en février 1948, ferment la délégation du CICR à Prague en juin 1950. Avec l’instauration d’un rideau de fer, Genève n’est plus en mesure de passer le relais à la société nationale de la Croix-Rouge, reconstituée sous l’égide d’Alice Masarykova en 1946 et reprise en mains par les Soviétiques.
 
-1938-1947, Grande-Bretagne : à la seizième conférence internationale des Croix Rouges, qui réunit 54 sociétés nationales et se déroule à Londres en juillet 1938, les délégués se préoccupent surtout des ravages des bombardements aériens pour les civils, notamment en Espagne. Ils ne réagissent pas aux exactions du Japon en Chine et aux atrocités nazies en Allemagne, officiellement par manque d’informations. Les lois de Nuremberg ayant déchu les Juifs allemands de leurs droits civiques en 1935, le CICR argue qu’il n’a pas de mandat juridique pour intervenir. Les autres composantes du mouvement de la Croix-Rouge ne sont pas plus combatives à cet égard. A la LCR, un démocrate proche du président américain Franklin Roosevelt, Norman Davis, prend la tête du Conseil des gouverneurs malgré des déboires financiers à Cuba qui lui ont valu d’être écarté des responsabilités ministérielles et d’être accusé par la Cour suprême d’indélicatesse, de bénéfices illicites et d’escroqueries. La Croix-Rouge britannique, elle, se prépare à la guerre sous la coupe du ministère de la Défense et d’un diplomate, Arthur Stanley, qui est rentré en 1905 à la BRCS (British Red Cross Society) et qui est chargé jusqu’en 1943 de diriger la défense passive de Londres sous les bombes. Comme en août 1914, l’organisation doit en l’occurrence fusionner avec l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem lors du déclenchement des hostilités contre l’Allemagne en septembre 1939, et ce jusqu’en mai 1947. Initié dès 1935 sous la coupe du ministère de l’Intérieur pour préparer la défense civile du pays, un tel rapprochement institutionnel permet par exemple à la BRCS d’assister les troupes britanniques en Egypte en intervenant sous un nom différent pour ne pas concurrencer officiellement le Croissant Rouge local, créé en 1912 et reconnu par le CICR en 1924. Autre avantage, l’organisation décuple sa capacité opérationnel. Forte du patriotisme de la population, qui lui verse trois millions de livres sterling de dons dès 1940, la Croix-Rouge britannique renonce alors à toute neutralité et se militarise à un moment où, remarque Dermot Morrah, la guerre est justifiée comme un moindre mal face aux nazis. L’organisation a ainsi la confiance absolue des autorités et le gouvernement n’éprouve bientôt plus le besoin de faire vérifier par des censeurs le contenu des colis qu’elle envoie aux prisonniers de guerre en Allemagne. De fait, ses activités à l’étranger suivent les besoins de Londres et répondent à des considérations géopolitiques. Après avoir dû se retirer de France au moment de la défaite de juin 1940, elle donne des vivres aux alliés russes et accompagne la reconquête de l’Europe occupée par les troupes britanniques et américaines via Syracuse en Sicile puis Taranto et Bari sur la péninsule italienne à partir d’août 1943. Regroupées au sein d’équipes auxiliaires appelées VAD (Voluntary Aid Detachment), les infirmières de la BRCS, explique Penny Starns, portent un uniforme kaki et manquent de peu être complètement intégrées à l’armée en juin 1943. Mal préparées à l’épreuve de la guerre, pas toujours qualifiées, elles contribuent à la militarisation de la profession en soignant prioritairement les soldats plutôt que les civils. Les femmes jouent en effet un rôle important. Rien qu’en Angleterre et au Pays de Galles, elles constituent 28 000 des 37 000 volontaires de la BRCS employés à la défense anti-aérienne du pays fin 1940…

 -1939-1949, Pologne : le CICR est invité par l’armée d’Adolf Hitler, qui a envahi le pays en septembre 1939, à constater de visu des assassinats de civils allemands commis lors de la retraite des troupes de Varsovie. Le dél& eacute;gué envoyé sur place, Marcel Junod, a le sentiment d’être instrumentalisé par la presse nazie mais parvient à visiter quelques militaires détenus avec des civils. Bientôt, le CICR ne peut cependant plus avoir accès aux 500 000 prisonniers de guerre polonais, qui ne bénéficient pas de la protection de la Suède neutre ou de leur Etat, annexé par les nazis. Corvéables à merci, ils sont réduits au rang de simples détenus administratifs et 65 000 d’entre eux sont exterminés parce que juifs. Les Soviétiques, qui se sont partagés le pays avec les Allemands et qui n’ont pas signé le code des prisonniers de guerre de 1929, ne respectent pas plus les Conventions de Genève et contraignent 25 000 soldats tombés entre leurs mains à construire une route entre Lvov et Novograd. Pire encore, sur ordre de Josef Staline en mars 1940, l’Armée Rouge exécute de sang froid les gradés de l’armée polonaise. Convié par les Allemands à exhumer les cadavres de ces officiers, découverts dans la forêt de Katyn près de Smolensk en février 1943, le Comité s’abstient alors de conduire une enquête que refuse Moscou et qui ferait le jeu de Berlin. Depuis Londres, où elle a suivi son gouvernement en exil, la Croix-Rouge polonaise, quant à elle, rend compte de la multiplication des camps de concenration, notamment dans un rapport assez précis en date du 8 mars 1943. En France, elle ne peut plus travailler dans la zone Nord, occupée par les Allemands à partir de juin 1940, et y confie le soin de secourir les prisonniers de guerre polonais à un organisme français créé en 1921, le Service social d’aide aux émigrants. Dans la zone Sud gouvernée par le régime de Vichy, la Croix-Rouge polonaise est finalement dissoute le 1er novembre 1941 et remplacée par un bureau rattaché au ministère des Affaires étrangères, le Groupement d’aide et d’assistance aux Polonais en France. En Pologne, son trésorier resté à Varsovie, Waclaw Lachert, tente de résister aux tentatives d’intégrations de la Croix-Rouge allemande, la DRK (Deutsches Rotes Kreuz). Refusant de participer à l’œuvre de propagande des nazis, qui proposent de reverser à la Croix-Rouge polonaise les bénéfices d’un livre de photos sur le massacre de Katyn, il distribue aux secouristes des cartes d’identité qui évitent la déportation dans des camps de travail. Mais il ne peut empêcher que certains d’entre eux soient emprisonnés, à l’instar d’Eugeniusz Sztomberek qui, accusé de collaborer avec la résistance, est arrêté par la Gestapo en février 1944 et manque de peu finir ses jours à Buchenwald. L’insurrection de Varsovie en juillet 1944 met fin à toute possibilité de compromis lorsque le siège de la Croix-Rouge polonaise est incendié par les Allemands. Désormais dirigée, administrée et représentée par la DRK, l’organisation est placée sous la tutelle d’un Comité central d’entraide, le RGO (Rada Glowna Opiekuncza). Revenu dans le pays après la défaite nazie et la victoire soviétique en août 1945, le CICR, qui ouvre une délégation à Varsovie en avril 1946, entreprend pour sa part de visiter les prisonniers de guerre laissés sur place par l’Armée Rouge et obtient en janvier de 1947 l’autorisation de s’occuper des civils et des minorités allemandes renvoyées dans leur pays. Il poursuit ses activités en Pologne jusqu’à la fermeture de sa délégation par les communistes en octobre 1949. Entre-temps, il incite également les exilés londoniens de la Croix-Rouge polonaise à fermer leurs bureaux de Genève en juin 1946 puis de Paris en mars 1947 afin de rejoindre l’organisation reconstituée à Varsovie par les Soviétiques dès janvier 1945.

-1939-1945, Suisse : avec l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne en septembre 1939, la LCR doit quitter ses bureaux de Paris et se replier sur Genève sous la conduite de Jean de Muralt, le responsable de la Croix-Rouge suisse devenu par la force des choses président par intérim de la Ligue. Le CICR, pour sa part, décide de surseoir à la reconnaissance des nouvelles Croix-Rouge qui se créent au gré des événements et avec qui il entretient des relations de facto mais pas de jure. Nombre de sociétés suivent leur gouvernement en exil à Londres, à l’instar de la Norvège à partir du 20 mai 1940, de la Hollande à partir du 29 mai, de la Pologne à partir du 31 octobre et de la Tchécoslovaquie à partir du 14 novembre. Dans les territoires occupés par les nazis, le CICR doit alors composer avec des sociétés plus ou moins fantoches, tandis que d’autres disparaissent dans la tourmente, telles la Croix-Rouge de la Ville libre de Dantzig, établie en 1938 et dissoute un an plus tard lors de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande. En Belgique, par exemple, la Croix-Rouge maintient une indépendance factice après 1940 : sa correspondance doit passer par la DRK (Deutsches Rotes Kreuz) et son directeur général, Edmond Dronsart (1892-1965), est brièvement arrêté en 1942 puis définitivement écarté en 1943, après 37 ans de service. Les sociétés nationales paient un lourd tribut à la guerre. La CRF (Croix-Rouge française) déplore 414 décès, dont 242 infirmières tuées sous les bombes ; laCRI (Croce Rossa Italiana) recense 275 victimes, dont 3 infirmières qui périssent lors du naufrage du navire-hôpital suite à une attaque aérienne le 14 mars 1941. Du côté du CICR, on dénombre trente-sept morts : douze délégués, dont deux agents convoyeurs, et vingt-cinq membres des équipages des bateaux chargés de transporter des vivres. Sur terre, Ernest Baer meurt d’une insolation lors de la visite d’un camp de prisonniers de guerre en Inde ; en Allemagne, Charles Hubert succombe à un accident d’auto et Johann Jovanovitz est victime de la bavure d’un gendarme français à la Libération ; Matthaeus Vischer et sa femme sont décapités par les troupes japonaises en Indonésie, Georges Morel, William Schmid-Koechlin et Robert Brunel ne résistent pas à des problèmes de santé en Australie, Belgique et Grèce respectivement. En mer, Richard Heider et Marcel Reuter disparaissent au cours de naufrages. Les transports maritimes de vivres sont en effet très dangereux. Des 43 navires au service de la Croix-Rouge et répertoriés par Philippe Eberlin au cours des six années de guerre, six sont coulés et/ou mitraillés : le Stureborg et le Kurtulus en 1942, le Padua en 1943, l’Embla et le Cristina en 1944 et le Zurich en 1946. Le 27 octobre 1943 au large du cap Faraman près de Marseille, le navire portugais Padua saute ainsi sur une mine allemande et perd six membres de l’équipage, Manuel Francisco dos Santos, Manuel Soares Canelas, José dos Reis, Agostino Pereira, Antonio Feliciano Oliveria et Manuel Francisco Carrapichano. Les bombardements sont encore plus meurtriers. Tandis que le Stureborg est coulé par des appareils italiens et sombre avec vingt personnes le 9 juin 1942 au sud-ouest de Chypre, le navire suédois Embla et le cargo espagnol Cristina sont attaqués par l’aviation britannique le long des côtes françaises, le premier le 6 avril 1944 au large de Port-Vendres, le second le 6 mai 1944 dans la rade de Sète, où l’on déplore la mort d’un mécanicien, Feliz Maranon. L’emblème de la Croix-Rouge, en l’occurrence, ne protège guère les secouristes du CICR, qui, les 12 mars et 12 mai 1940, appelle en vain les belligérants à épargner les populations civiles et à cesser les bombardements aériens contre des villes. Dès le début du conflit, Genève s’emploie toutefois à réactiver son Agence Centrale de Recherches, qui s’était chargée de localiser les prisonniers de guerre en 1914-1918. Avec son comité de secours issu de la guerre d’Espagne, le CICR entreprend aussi très vite de distribuer des vivres dans toute l’Europe occupée et il prend la direction des affaires, au grand dam de la Croix-Rouge américaine. Au total, la commission mixte qu’il crée avec la LCR en novembre 1940 envoie aux prisonniers de guerre 470 000 tonnes de nourriture ou médicaments, convoie 24 millions de colis, transmet 120 millions de messages et fait suivre 9 millions de lettres pendant la durée des hostilités. Pour la première fois, le CICR se dote également, le 15 avril 1942, d’une Fondation pour les transports de la Croix-Rouge qui, via le Portugal ou la Suède, affrète des cargos battant pavillon suisse et des navires-hôpitaux théoriquement protégés par la Convention de La Haye de 1907. Il transporte alors les vivres sur des bateaux à vapeur autrement plus puissants que les voiliers espagnols et portugais affrétés et mis à disposition par la Croix-Rouge britannique à partir de novembre 1940 pour ravitailler depuis Marseille les prisonniers de guerre en France. Outre les navires propriétés du gouvernement helvétique, à savoir le Lugano, le Calanda et le Zurich, le Comité loue à des armateurs de Stockholm des bateaux comme le Sven Salen ou le Rosa Smith et gère des bâtiments qui, souvent bloqués par la guerre, ne peuvent plus être utilisés par leur propriétaire, à qui ils seront restitués après 1945 : les vapeurs belge Frédéric et américain Oriente, respectivement rebaptisés Caritas I et Henri Dunant ; les diesels suédois Mangalore, Saivo et Travancore ; ainsi que le cargo danois Frédéric, saisi par les Américains, rebaptisé Spokane et passé au service du CICR sous le nom de Caritas II. Parallèlement, l’organisation connaît une forte progression de ses effectifs, qui passent de 57 personnes en 1939 à 1 454 à Genève, 814 dans le reste de la Suisse et 179 à l’étranger en 1945. Récompensé de ses efforts, le CICR obtient finalement son deuxième prix Nobel de la Paix le 10 décembre 1944. La LCR, quant à elle, décide de rester à Genève et refuse de revenir sur Paris, où le gouvernement lui propose de s’installer au Palais Royal dans des locaux que les membres de la Ligue trouvent « sombres et sales », quitte à demander des travaux de restauration jusqu’en mars 1947, puis à renoncer définitivement au projet de déménagement en avril 1949.