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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1940-1949


-1940-1945, France : présidée depuis 1932 par le marquis Edmond de Lillers, la CRF (Croix-Rouge française) est vite dépassée par la tournure des événements après l’entrée en guerre contre l’Allemagne nazie en septembre 1939. Malgré l’aide de son homologue américaine et l’établissement, en 1938, d’un Conseil national censé harmoniser ses rapports avec les ministères de la Santé et de la Défense, elle est débordée par l’afflux de deux millions de réfugiés belges et de trois millions d’évacués lors de l’exode de mai 1940. Après l’armistice de juin 1940, la France est de facto coupée en deux zones, l’une occupée par les Allemands au Nord, l’autre « libre » sous la coupe du régime de Vichy et du maréchal Philippe Pétain au Sud. Dans une perspective de « redressement national », un communiqué du 23 juillet 1940, suivi d’une loi du 7 août 1940 et d’un décret du 1er janvier 1941, entérine alors la fusion de la Société de secours aux blessés militaires, de l’Association des Dames Françaises et de l’Union des Femmes de France. Confirmé ultérieurement par une ordonnance du 25 avril 1945 à la Libération, un tel dispositif prévoit la disparition immédiate des trois précédentes entités, dont les noms ne peuvent plus être utilisés, et provoque d’abord une baisse du nombre d’adhérents, qui chute de 300 000 membres en 1939 à 126 000 en 1940, avant de remonter à 307 000 en 1941, 465 000 en 1942 et environ un million en 1943, essentiellement à cause du recrutement de jeunes et de secouristes de première urgence. La nouvelle Croix-Rouge française n’échappe pas non plus aux pressions de l’occupant. Germanophone, député de centre droit en 1924, ambassadeur à Berlin de 1931 à 1938 puis à Rome de 1939 à 1940, le président de l’organisation, André-François Poncet, est aussitôt récusé car persona non grata auprès des Allemands (arrêté par la Gestapo en 1943 et détenu en Autriche jusqu’à sa libération par l’armée américaine en 1945, il sera ensuite responsable de la zone d’occupation française en Allemagne de 1949 à 1955, ambassadeur à Bonn en 1953-1955 et président de la CRF de 1955 à 1967). Son remplaçant est un petit-fils de Louis Pasteur, le professeur Louis Pasteur Vallery-Radot, qui démissionne au bout de trois mois et qui rejoindra la résistance en lançant dans la clandestinité un Service de santé national à Paris en juin 1942. Le 2 avril 1941 lui succède un médecin, Louis Bazy, qui essaie vainement de sauvegarder l’indépendance de l’organisation après qu’une loi du 4 octobre 1940 confie au Secours National le monopole des appels à la générosité publique. Malgré la signature les 18 septembre 1941 puis 2 février 1942 d’accords qui prévoient une répartition très théorique des recettes entre les principales agences d’aide aux victimes de guerre, la Croix-Rouge française ne peut plus compter que sur les donations de ses membres ou les subventions du gouvernement dans la seule zone Sud. Bien que le régime de Vichy cherche à la marginaliser au profit du Secours National, elle reste indispensable au vu de l’ampleur des besoins et du souhait des Allemands de traiter avec une organisation rattachée au CICR plutôt qu’avec un organe de propagande au service du culte de la personnalité du maréchal Philippe Pétain. Placée sous la tutelle du secrétariat d’Etat à la guerre, la CRF s’occupe surtout d’envoyer des colis aux ressortissants capturés par la Wehrmacht et détenus outre-Rhin : un enjeu majeur pour justifier la politique de collaboration et de marchandage avec les nazis. Dès novembre 1940, le gouvernement de Vichy a en l’occurrence accepté de remplacer les Etats-Unis comme puissance protectrice des prisonniers de guerre français en Allemagne. Mis en « congé de captivité », ces derniers peuvent dorénavant devenir des « travailleurs civils » dans les industries du IIIème Reich, quitte à perdre le bénéfice des secours du CICR et à transgresser les dispositions de la Convention de Genève interdisant l’exploitation des prisonniers de guerre. Autre moyen de satisfaire les besoins de main d’œuvre des usines d’armement allemandes, un Service du travail obligatoire (STO) assure bientôt la « relève » à raison de trois civils en échange de la libération d’un militaire. La Croix-Rouge française est également mise à contribution pour réunifier les familles dispersées au cours de l’exode et ravitailler la zone occupée dans le Nord du pays. Après la rencontre de Montoire entre Philippe Pétain et Adolf Hitler, elle est d’abord autorisée, le 28 octobre 1940, à franchir la ligne de démarcation. Suspendu un an plus tard exactement, l’accord doit être renégocié avec la DRK (Deutsches Rotes Kreuz) et les autorités allemandes, qui délivrent les ausweis au compte-gouttes et renforcent les contrôles frontaliers. Parce que des secouristes de la Croix-Rouge française ont fourni des vêtements, de l’argent et des faux papiers pour aider à passer en zone libre, les nazis et Pierre Laval obtiennent en octobre 1942 la démission du Docteur Louis Bazy, qui est remplacé pendant les deux années à venir par Benoît Joseph Bertrand Marie Gabriel, marquis de Mun. Dans la foulée, relève Jean-Pierre Le Crom, le directeur général de l’organisation, Pierre Gentil, doit partir et céder la place à Jacques de Rohan-Chabot. Suite à l’invasion allemande de la zone Vichy en novembre 1942, le carcan se resserre encore plus. Placée sous le patronage honorifique de la femme du maréchal Philippe Pétain, la Croix-Rouge française cède à l’idéologie de la « révolution nationale ». Dès septembre 1941, elle se retire ainsi d’un comité de coordination où la CIMADE (Comité inter-mouvements auprès des évacués), la YMCA (Young Men’s Christian Alliance), l’AFSC (American Friends Service Committee) et l’ARC (American Red Cross) désapprouvent sa complaisance à l’égard de la politique répressive de Vichy et son impuissance à intervenir dans les camps du Sud de la France. Non contente de facturer aux familles l’envoi de colis aux internés civils, elle fait parvenir aux détenus de la centrale de Fresnes des livres tendancieux, écrits par des auteurs nationalistes. Sachant qu’un de ses responsables régionaux est arrêté pour détournements de fonds et qu’une partie de ses victuailles est revendue au marché noir par des margoulins lors de scandales que relatent Fabrice Grenard et Bernard Chevallier, elle suscite de vives critiques de la part de résistants comme le médecin lyonnais Jean Rousset, membre du réseau Combat, arrêté en novembre 1942, déporté à Buchenwald et cité par l’historien Gérard Chauvy. Dans le même ordre d’idées, la réactivation de la Croix-Rouge de la jeunesse, qui passe de 32 000 membres en 1941 à 200 000 en 1942, répond aux objectifs de régénérescence du maréchal Philippe Pétain, bien que l’initiative ne relève pas à proprement parler du Secours national, l’organe caritatif officiel du régime. La Croix-Rouge française, dont le diplôme de secouriste est reconnu par l’Etat en 1943, n’hésite pas non plus à recourir aux « équipes nationales » fondées en 1942, constituées de jeunes bénévoles et placées sous l’autorité des pouvoirs publics (malgré ses connotations fascisantes et racistes, cette organisation sera d’ailleurs reprise à la Libération sous le nom de Service civique de la jeunesse et intégrée à l’Union de la jeunesse républicaine, d’obédience communiste). Bien qu’elle ait placé et caché à la campagne des enfants juifs pour les soustraire à la déportation ou les évacuer clandestinement vers la Suisse, l’organisation est également contrainte d’appliquer la législation antisémite de Vichy. Après avoir essayé d’arguer d’un statut d’exception, elle doit révoquer trois employés israélites et faire signer à ses collaborateurs des déclarations de non judaïté « au sens des ordonnances allemandes ». Dans un cas signalé par Jean-Pierre Le Crom, elle récupère même une propriété confisquée à une famille juive de Mareille-Guyon, domaine qui restera inutilisé et qui sera restitué après la Libération. Accusé d’espionnage parce qu’il a recherché les lieux de détention des prisonniers en dépit de l’interdiction des Allemands, le directeur général de l’organisation, Jacques de Rohan-Chabot, est quant à lui emprisonné en mars 1944, avant d’être relâché deux mois après sur intervention personnelle de Pierre Laval. Parmi les sept autres personnels de la Croix-Rouge arrêtés à cette occasion, on trouve la directrice des services médico-sociaux pour les prisonniers de guerre depuis août 1940, la baronne Jacqueline Mallet, incarcée pendant cinq mois à la prison de Fresnes, et une assistante sociale, Suzanne Treillis, qui, déportée, mourra dans un camp à Ravensbrück en février 1945. Dès le 3 septembre 1943 dans une lettre citée par Joël Le Bras, les Allemands ont accusé la CRF d’abriter des gaullistes et de convoyer clandestinement des armes au profit de la Résistance. D’une manière générale, les contraintes politiques limitent considérablement les possibilités d’action humanitaire. En vertu d’un accord passé avec le ministère de l’Intérieur du gouvernement de Vichy le 10 décembre 1941, la Croix-Rouge française parvient à se déployer dans les camps du Sud de la France où sont internés des Juifs, des communistes et des Républicains espagnols. A partir de janvier 1942, elle ouvre des permanences à Gurs, Recebedon, Noé, Vernet, Brens, Saint-Sulpice La-Pointe, Rivesaltes, Barcarès, Milles et Fort Barreaux, tandis que ses délégués peuvent visiter Sisteron, Saint-Paul d’Izeaux et Nexon. Dans le Nord de la France, en revanche, beaucoup plus difficile est l’accès aux camps de Drancy et Compiègne où sont regroupés les Juifs attendant d’être déportés. Mise à l’écart en mars 1942, la Croix-Rouge française tente vainement de passer le relais au CICR, qui n’est pas non plus autorisé à intervenir. L’organisation est tout aussi impuissante à aider les Juifs lors de la grande rafle du Vélodrome d’Hiver à Paris en juillet 1942. Elle doit se contenter de secourir les victimes des bombardements alliés, notamment à Nantes, où elle déplore la mort de 12 collaborateurs à l’Hôtel-Dieu le 16 septembre 1943, et à Brest, où 26 infirmières et brancardiers périssent dans l’incendie de l’abri Sadi-Carnot le 9 septembre 1944. Il s’agit là sans doute de l’événement le plus meurtrier qu’ait jamais connu l’organisation. Bien que protégé par l’emblème de la Croix-Rouge, l’abri a été bombardé parce que les Allemands y avaient entreposé des munitions en violation des Conventions de Genève. Au total, 373 personnes y ont laissé leur vie, dont 43 personnels de santé incluant 15 infirmières de la CRF, à savoir Marie-Thérèse Delalande, Marie Michel, Suzanne Février, Marie Nouvel de la Flèche, Marguerie Crespin, Yvonne Martenot, Marie-Antoinette Tardieu de Maleyssie, Anne Niox, Madeleine Savary, Anne Chevillotte, Paule Tessier, Jeanne Fournier, Jeanne Laporte, Marie-Thérèse Martenot et Denise Lefeuvre. De fait, l’Ouest de la France est très touché, y compris dans de petites localités comme Bohars, Telgruc-sur-Mer et Lambézellec, où la Croix-Rouge perd un brancardier, Roger Pellen, et des infirmières, Régine Tanneau, Marie-Rose Le Bloch, Marie-Yvonne Gouzien et Estelle Laru, lors de bombardements les 1er, 3 et 10 septembre 1944 respectivement. La CRF est également active auprès des blessés lors des combats de la libération. A Quimper, elle perd un secouriste, Julien Urvois, porteur d’un brassard de la Croix-Rouge mais exécuté le 7 août 1944 parce qu’il avait ramassé quelques balles dans la rue. A Paris, la CRF déplore la mort d’une vingtaine de jeunes brancardiers dont l’un, Claude Hanriot, est fusillé par les Allemands le 26 août 1944, accusé de soutenir les résistants alors qu’il ne portait pas d’armes. A Lambézellec, le brancardier Olivier Michel est effectivement un agent de liaison des Forces françaises de l’Intérieur, capturé et fusillé avec trois autres camarades le 4 septembre 1944. Au total, soutien Joël Le Bras, la CRF compte 414 tués, dont 314 médecins et infirmières, 9 conductrices d’ambulances et 91 secouristes. La plupart meurent en service pour le compte de la défense passive. D’autres sont déportés et périssent dans des camps de concentration, à l’instar des employées de la direction générale de la Croix-Rouge : Yvonne Baratte, Alice Soulange-Bodin, Hélène Wolkonsky et Mmes Getting, Garfunkel et de Breteville. Certaines femmes échappent cependant à l’arrestation, à l’instar de Simone Bescond, qui, basée à Brest, utilise la couverture de la CRF pour fabriquer de faux papiers et convoyer des documents secrets à Paris. Grâce au dévouement de ses volontaires, la Croix-Rouge a plutôt bonne réputation : 93% de la population connaît ses activités et 77% s’en dit satisfait si l’on en croit les résultats d’un sondage de l’Office Dourdin cité par Jean-Pierre Le Crom et réalisé en janvier 1944, un des tous premiers du genre en France. La défaite du IIIème Reich change de toute façon la donne au profit des gaullistes et des FFL (Forces françaises libres). Dès le 23 août 1941 à Brazzaville, René Cassin avait créé un Comité de secours aux blessés et réfugiés français qui, formellement affilié à la Croix-Rouge de Vichy, avait permis aux partisans du général Charles de Gaulle, en exil à Londres, de se doter d’une branche humanitaire alors que leur gouvernement n’était pas officiellement reconnu. Avec l’accord des Britanniques avait ensuite été établi à Londres le 13 décembre 1943 un comité temporaire de la Croix-Rouge française dirigé par Adolphe Sicé, un ancien directeur des services de santé à Brazzaville. Celui-ci fournit le personnel qui, à la Libération de la France, va réorganiser le mouvement pendant que la Croix-Rouge suédoise et le CICR ravitaillent les habitants des dernières poches de résistance allemande à La Rochelle, Dunkerque, Lorient et Saint-Nazaire. Présidée par des fidèles du général Charles de Gaulle, à savoir le comte Jacques de Bourbon Busset à partir d’août 1944 puis Louis-Eugène Justin-Besançon à partir de décembre suivant, la Croix-Rouge française est alors menacée d’étatisation au moment où la nationalisation des grandes entreprises est à l’ordre du jour. L’ordonnance du 25 avril 1945 fixe délibérément les cotisations des adgérents à un niveau très bas afin de démocratiser une organisation qui a longtemps été aristocratique et où le gouvernement impose pour la première fois des syndicalistes au conseil d’administration. Des abus sont observés sur le plan humanitaire. En Afrique du Nord à partir de mars 1944, les FFL emploient en effet des prisonniers de guerre allemands à de dangereuses opérations de déminage et certains y laissent leur vie. Après la capitulation du IIIè Reich à Berlin en mai 1945, encore, la Croix-Rouge française ne se préoccupe pas seulement de faciliter le retour des déportés, des prisonniers de guerre et des jeunes du STO. D’août à octobre 1945, il faut toute la persuasion du CICR pour enrayer puis stopper le transfert de 400 000 prisonniers de guerre allemands détenus par les Américains, inaptes au travail et envoyés de force en France participer à la reconstruction et au déminage du pays. Si Genève arrive à fournir une assistance juridique et à négocier une protection sociale pour les soldats de la Wehrmacht qui choisissent de devenir des travailleurs civils sous contrat, l’organisation ne parvient pas à empêcher les « accidents ». Des 55 000 prisonniers de guerre allemands employés à déminer le pays, 3 000 meurent et 6 000 sont grièvement blessés au cours des dix-huit mois suivants. Epurée des collaborateurs compromis avec le régime de Vichy, la Croix-Rouge française, quant à elle, se réorganise et doit de nouveau négocier âprement son indépendance budgétaire lorsque le gouvernement réduit drastiquement sa subvention de 230 millions de francs en 1946 à 61 en 1947. Elle se développe néanmoins sous la présidence d’Adolphe Sicé en 1946, puis du Docteur Georges Brouardel en 1947, de l’ambassadeur André-François Poncet en 1955, du directeur du Service de Santé des Armées Raymond Debenedetti en 1967, de l’avocat Marcellin Carraud en 1969, des ambassadeurs Jean-Marie Soutou en 1979 et Louis Dauge en 1984, de la ministre Georgina Dufoix en 1989, puis des professeurs de médecine André Delaude en 1992, Marc Gentilini en 1997 et Jean-François Mattéi en 2005. Parallèlement, elle se civilise car le service de santé des armées a moins besoin d’elle. Dans les années 1980, elle abandonne son découpage territorial basé sur les régions militaires et adapte son réseau à une administration publique décentralisée afin de mieux se coordonner avec les autorités départementales et locales. Avec sa revue Vie et Bonté de 1948 à 1971, Présence Croix-Rouge de 1972 à 1998, Le Fil Croix-Rouge de 1996 à 2001 et Agir Ensemble depuis 2001, elle se démocratise et essaie de toucher le public le plus large possible. Mais elle voit sa base sociale s’éroder et ne compte plus qu’un million d’adhérents en 1986, contre 1,2 au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
 
-1941-1947, Croatie : parallèlement à la création d’un nouvel Etat croate sur les décombres de la Yougoslavie en avril 1941 se constitue une société nationale de la Croix-Rouge aux ordres des oustachis d’Ante Pavelíc. En décembre 1942, les autorités reconnaissent alors la Convention de Genève et autorisent l’installation d’un délégué du CICR à Zagreb, en l’occurrence Julius Schmidlin, fils du premier consul suisse de la ville. En janvier 1944, les internés civils bénéficient enfin du statut de prisonniers de guerre mais il est trop tard : la plupart ont déjà été déportés ou sont morts. Menacé, Julius Schmidlin, lui, doit fuir le pays le 5 mars 1945. Après guerre, la Croix-Rouge yougoslave qui se reconstitue sous l’égide des communistes va être une des plus virulentes contre le CICR. Elle lui reproche d’avoir confié à des criminels de guerre les secours destinés au camp de Jasenovac, où des centaines de milliers de personnes ont été exterminées, et d’avoir trompé l’opinion publique en qualifiant de satisfaisante la situation du Stalag VIII B à Lamsdorf, où l’institution n’a pu avoir accès qu’aux prisonniers de guerre alliés, et non soviétiques ou yougoslaves, condamnés à disparaître. Concrètement, l’unique délégué du CICR sur place, François Jaeggy, ne peut plus faire grand chose. Il a d’ailleurs été désigné par la Croix-Rouge yougoslave parce qu’il était membre de la Centrale sanitaire suisse, un organisme de gauche lié au parti du travail et proche des partisans communistes, à qui il a envoyé des secours en 1944 et 1945. Face au blocage des autorités, Genève ferme finalement sa délégation de Belgrade en avril 1947.
 
-1942-1974, Grèce : à l’instar d’Oxfam, le CICR fait pression sur Londres pour obtenir en mars 1942 l’autorisation de rompre le blocus des Alliés et de ravitailler depuis Istanbul un pays affamé depuis qu’il a été occupé par l’Allemagne et l’Italie. Quelques bateaux affrétés par le Croissant Rouge turc ou la Croix-Rouge suédoise peuvent alors débarquer des vivres dans le port du Pirée. Non sans risques : opérationnel dès août 1941, le Kurtulus s’échoue au pied d’une falaise et sombre devant l’île de Marmara le 19 janvier 1942 avant d’être remplacé par un autre navire turc, le Dumlupinar, jusqu’en août suivant. Le 9 juin 1942 au sud-ouest de Chypre, le Stureborg, lui, est coulé par l’aviation italienne et déplore la disparition de la quasi-totalité de l’équipage, soit vingt hommes dont le délégué suisse (Richard Heider), un radiotélégraphiste égyptien (Ahmad Abbas Fareei), deux chauffeurs portugais (Alfredo Martins et Francisco Teodoro) et seize marins suédois (John Persson, Axel Martensson, Torsten Bengtsson, Herbert Hedenborg, Arne Persson, Markus Malmkvist, Gustav De Vahl, Assar Peterson, Georg Waegele, Ake Mattson, Stig Johannson, Teodor Alfonso Hammar, Knut Erik Isakson, Axel Peterson, Hilding Jonsson et Carl Olsson). Sur place, en Grèce, la situation n’est pas plus facile lorsqu’il s’agit de s’occuper des prisonniers de guerre et des résistants détenus sur le continent. Au forcing, le délégué du CICR à Athènes, André Lambert, parvient brièvement à approvisionner des Juifs en train d’être déportés depuis le camp de Hardari. A partir de la Turquie, qui est restée neutre dans le conflit, le Comité supervise également quelques échanges de prisonniers de guerre italiens et britanniques à bord de navires-hôpitaux dans la rade d’Izmir le 7 avril 1942 puis les 9, 18 et 19 avril 1943. Il se heurte par ailleurs à de nombreuses difficultés pour ravitailler les îles grecques de la Mer Egée, où l’agriculture ne suffit pas à nourrir la population et où les forces de l’Axe ont interdit aux habitants de pêcher afin de les empêcher de fuir. De juin à novembre 1942 et de nouveau en juillet 1943, des délégués itinérants comme Raymond Courvoisier et Robert Brunel organisent des convois à bord de petites embarcations turques vers Chios, Furni, Nicaria, Samos et Mytilène. Bien que des vivres soient détournés par les douaniers à Mytilène, les opérations sont ensuite étendues en février 1945 aux îles de Leros, Cos, Calimnos, Calchi, Pserimo et Rhodes dans le Dodécanèse. Malgré le départ des troupes italiennes et allemandes, le CICR est alors amené à rester en Grèce à cause des combats qui opposent bientôt les « royalistes » et l’armée britannique aux insurgés communistes repliés dans l’arrière pays près de la frontière albanaise. Après avoir obtenu de l’Armée populaire de libération nationale ELAS (Ellinikós Laikós Apelevtherotikós Stratós) l’engagement de respecter le code des prisonniers de guerre de juillet 1929, les délégués du Comité supervisent en mars 1945 la libération d’otages civils et des échanges de combattants détenus par la guérilla ou les troupes de Londres. Mais les autorités à Athènes, qui nient l’existence d’une guerre civile, refusent bientôt les offres de service de Genève et ne permettent qu’une assistance matérielle par l’intermédiaire de la Croix-Rouge hellénique. N’ayant pas accès aux zones communistes, qui reçoivent une aide de la Croix-Rouge roumaine, le CICR parvient certes à s’entretenir sans témoins avec les prisonniers du côté gouvernemental à partir de mai 1947 et, surtout, de juin 1948, lorsque son délégué bénévole, Adrien Lambert, est déchargé de certaines fonctions concernant l’assistance aux populations déplacées par le conflit. Après l’écrasement de la rébellion en 1949, Genève se préoccupe ensuite de réunifier les familles dispersées par le conflit, notamment les enfants emmenés dans les pays voisins du bloc soviétique, essentiellement la Yougoslavie et l’Albanie, pour leur épargner les souffrances de la guerre selon les combattants de l’ELAS… ou pour mieux les endoctriner selon le gouvernement à Athènes. En Grèce, les visites de prisonniers politiques se poursuivent par ailleurs à un rythme soutenu, à raison de 260 dans 89 lieux de détention entre 1947 et 1957, puis de 297 dans 60 lieux de détention entre 1958 et 1970. Si Genève ferme sa délégation d’Athènes en 1955 et si les derniers insurgés communistes sont libérés en 1963, le coup d’Etat des colonels à Athènes en 1967 relance en effet les activités du CICR avec l’arrestation de 6 500 suspects. Aussitôt à l’œuvre, le Comité parle assez rapidement d’une amélioration des conditions de détention dans un communiqué de presse en date du 20 novembre 1967. Pour ne pas compromettre la poursuite de ses opérations, il reste très vague quant à l’état réel des lieux visités. Arguant qu’il a déjà décliné des demandes de renseignements de la Société des Nations et de l’Organisation des Nations Unies à propos de l’invasion italienne de l’Ethiopie en 1936 ou de l’apartheid en Afrique du Sud après 1960, il refuse en janvier 1968 de divulguer des informations de première main au Conseil de l’Europe, où les Etats scandinaves demandent une enquête sur la situation des droits de l’homme en Grèce. Sa prudence, constate James David Armstrong, permet aux Etats-Unis de maintenir de bonnes relations avec la junte, au prétexte que le CICR n’a pas confirmé l’usage de la torture. Pire encore, la presse nationaliste d’Athènes cite les extraits d’un rapport confidentiel du Comité selon lequel les conditions de détention sont satisfaisantes. Accusé par l’opposition de complicité avec la junte et le très conservateur président de la Croix-Rouge hellénique, le CICR proteste en vain contre des fuites savamment orchestrées par les colonels. Moins conciliant que son prédécesseur Germain Colladon, un nouveau délégué arrivé à Athènes en janvier 1968, Laurent Marti, parvient alors à faire libérer les prisonniers âgés ou mal ades en menaçant le gouvernement de se retirer du pays. Tandis que les colonels grecs essaient de ménager l’opinion publique occidentale et la commission des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le CICR obtient par écrit le droit de distribuer des colis et de visiter à sa guise tous les lieux de détention sans annoncer à l’avance sa venue. L’autorisation, signée le 4 novembre 1969, vaut pour les commissariats de police, et pas seulement les établissements pénitentiaires. Mais cet accord est rompu le 3 novembre 1970 quand la junte préfère se retirer d’elle-même du Conseil de l’Europe plutôt que d’en être expulsée. Constatant que les menaces de sanction de la communauté internationale ont échoué à libéraliser le régime, le CICR décide en conséquence de quitter la Grèce en février 1971 car sa présence ne permet plus d’améliorer les conditions de détention des opposants. Au contraire, sa discrétion sur le sort des prisonniers politiques a contribué à promouvoir l’image de marque du régime, ainsi que l’explique un officiel de la junte dans le New York Times du 9 novembre 1970. Le CICR ne revient en Grèce qu’en 1973, au cours de troubles estudiantins, puis en 1974, au moment de la crise de Chypre.
 
-1943-1947, Roumanie : dans un pays allié à l’Allemagne nazie, le CICR, qui s’était un peu occupé de réfugiés polonais en septembre 1939, envoie un délégué, Karl Kolb, à Bucarest en août 1943. Soucieux de ne pas compromettre sa neutralité et de ne pas privilégier une minorité plus qu’une autre, il lui interdit d’émettre des certificats d’émigration pour les Israélites et l’autorise seulement à leur distribuer des fonds du Joint, une organisation de la diaspora juive aux Etats-Unis. Jusqu’à l’entrée de l’Armée rouge à Bucarest en août 1944, les autorités roumaines coopèrent cependant avec Genève car elles n’excluent pas de négocier avec les Alliés une armistice séparée. Paradoxalement, la prise du pouvoir par les communistes contribue alors à restreindre les possibilités d’action humanitaire. A Bucarest, raconte le comte Folke Bernadotte, la Croix-Rouge suédoise a bien des difficultés à échapper à la mainmise du nouveau régime. Les communistes veulent en effet contrôler les distributions alimentaires, ne ravitailler que leurs partisans et empêcher les humanitaires occidentaux d’employer les membres de la Croix-Rouge roumaine proches de l’ancien régime, notamment les officiers de l’armée à la retraite, qui sont de toute façon obligés d’en démissionner en 1947.
 
-1944-1945, Hongrie : nommé à Budapest en octobre 1943, le délégué du CICR, Jean de Bavier, pressent l’imminence de la solution finale alors que les nazis envahissent le pays magyar en mars 1944. Frère du chargé d’affaires suisse à Athènes, il tente d’explorer les possibilités d’émigration pour les Juifs, en particulier les Israélites de nationalité étrangère, notamment polonais. Mais il se heurte aux réticences de sa hiérarchie, qui ne veut pas être accusée d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays et qui, débordée, a beaucoup tardé à répondre aux nombreuses sollicitations de la Croix-Rouge magyare à partir de décembre 1941. Jean de Bavier est rappelé à Genève, officiellement parce qu’il ne parle pas allemand, en réalité parce qu’il veut dénoncer publiquement la politique d’extermination des nazis. Il est remplacé en mai par un germanophone, Friedrich Born, qui presse tout autant le CICR de demander officiellement au gouvernement de Miklós Horthy d’épargner les Juifs. Parce que les troupes allemandes perdent du terrain et que la Hongrie est le dernier pays à mettre en œuvre la solution finale, les déportations sont très visibles et leur dénonciation est désormais possible. Suite à l’intervention de la Croix-Rouge suédoise et aux déclarations des Alliés, qui tiennent l’amiral Miklós Horthy comme personnellement responsable des massacres antisémites, le président du CICR, Max Huber, se résout à rompre son silence et à adresser une lettre officielle au gouvernement de Budapest le 5 juillet 1944. Mais les déportations reprennent après le coup d’Etat du 15 octobre suivant, qui destitue Miklós Horthy et amène Ferenc Szalasi au pouvoir. De son propre chef, Friedrich Born décide alors de délivrer des saufs conduits aux Juifs, de corrompre les « autorités » pour racheter les victimes et de rassembler les survivants dans des bâtiments protégés par l’emblème de la Croix-Rouge. En représailles, son assistant, Otto Komoly, est assassiné le 1er janvier 1945 par les Croix Fléchées, la milice nazie qui échappe à tout contrôle depuis que le gouvernement est parti en exil au début des bombardements soviétiques le 14 décembre 1944. Des ambulances du CICR sont confisquées ; des employés, arrêtés ; des établissements de la Croix-Rouge, arbitrairement fermés. Il faut attendre l’entrée de l’Armée rouge dans Budapest, le 18 janvier 1945, pour que s’arrête la mise à sac du ghetto juif. Remplacé par Hans Weyerman, Friedrich Born, lui, est critiqué par Genève, qui lui reproche d’avoir galvaudé l’emblème de la Croix-Rouge, versé des bakchichs et émis de faux papiers. Les quelque 1 500 saufs conduits remis à des Juifs n’ont pas empêché la poursuite des rafles, tandis que les tentatives de corruption des Croix Fléchées ont suscité la méfiance des Soviétiques, qui croient que le CICR a protégé la fuite de collaborateurs des nazis. A son tour, Hans Weyerman sera d’ailleurs accusé de détournements de fonds par les organisations caritatives juives américaines et le CICR, qui retireront leur plainte après avoir trouvé un arrangement à l’amiable. Secrétaire général de la Croix-Rouge hongroise et journaliste correspondant sur le front russe, Aron Gabor, lui, sera déporté au goulag à cause de ses articles critiques ; il ne pourra revenir dans son pays qu’en 1960.
 
-1945-1955, Allemagne : la victoire des Etats-Unis et la capitulation du IIIème Reich le 8 mai 1945 consacrent la toute puissance de l’ARC (American Red Cross) et suscitent des tensions avec le CICR à propos de la direction du mouvement de la Croix-Rouge, comme en 1918. Financée par un budget qui dépasse les 420 millions de dollars, l’organisation américaine emploie près de 40 000 personnes à l’étranger, contre moins de 5 000 en 1941. Avec 36 645 000 adhérents en 1945, soit le quart de la population des Etats-Unis, elle se targue d’avoir un « électorat » supérieur à celui de n’importe quel parti au pouvoir à Washington. L’ARC, qui établit un comité consultatif en 1946, procède d’ailleurs à une révision de sa charte et se démocratise en abolissant la procédure de suffrage censitaire selon laquelle le montant de la contribution conditionnait l’adhésion à l’organisation. Par rapport au précédent système, qui datait de 1904 et ne comptait qu’un tiers de membres élus, la réforme du 8 mai 1947 met en place un conseil d’administration renouvelable tous les trois ans et composé de 50 personnes dont 8 nommées par le président des Etats-Unis, 12 cooptées au mérite et 30 désignées en convention nationale par les sections locales. L’après-guerre et la retombée de la fièvre patriotique se traduisent cependant par un ralentissement des activités et une diminution des ressources financières de l’ARC, qui, sous la pression des conservateurs anticommunistes, doit renoncer aux collectes de fonds des syndicats américains. Tandis que son budget tombe à 50 millions de dollars en 1947, l’organisation connaît une sérieuse baisse de popularité au moment où des soldats sur le retour commencent à se plaindre publiquement de ses services auprès des GI (General Infantery). Selon un sondage réalisé en 1947 et cité par Foster Rhea Dulles, seulement 20% des Américains disent que l’ARC est la première institution à qui ils donnent de l’argent, contre 60% en 1944. Les témoignages en provenance d’Europe n’améliorent pas la situation. En Allemagne, notamment, les centres de loisirs que l’ARC gère pour les GI provoquent une augmentation du nombre d’enfants illégitimes, nés de pères américains et abandonnés dans des orphelinats. Les problèmes proviennent également des autorités d’occupation. Prétextant que leur Etat a capitulé et que les hostilités sont terminées, les Américains n’accordent pas le statut de prisonnier de guerre aux militaires allemands et japonais. Dans leur zone d’occupation, ils interdisent au CICR de secourir les détenus civils et les combattants accusés de crimes contre l’humanité. De même, ils refusent de lui communiquer les noms des soldats entre leurs mains. Le CICR, il est vrai, n’est pas non plus autorisé à visiter les prisonniers de guerre du côté soviétique, qui finissent d’être rapatriés en 1956 et dont un bon nombre manque à l’appel : tout juste peut-il continuer jusqu’en 1950 à acheminer des vivres pour des enfants et des orphelins en Allemagne de l’Est, où un de ses délégués, Herbert Beckh, est ponctuellement autorisé à visiter des lieux de détention en 1957 et 1958. Aussi doit-il recentrer ses activités sur les civils en facilitant la réinstallation des réfugiés et des déplacés internes. Il s’occupe, entre autres, d’améliorer les conditions de vie des minorités germaniques, plus de onze millions de personnes qui, en vertu des dispositions de la Conférence interalliée de Postdam en juillet 1945, doivent être installées en Allemagne et qui sont internées à titre provisoire en attendant leur expulsion de Tchécoslovaquie, de Pologne ou de Roumanie. Officiellement entérinée sur une base pérenne en 1949, l’ACR (Agence Centrale de Recherches) du CICR essaie quant à elle de retrouver la trace des prisonniers de guerre et des civils dispersés par le conflit, en soutien d’un programme de regroupement des familles qui concerne jusqu’à 700 000 individus à partir de 1947. Pour le gouvernement ouest-allemand, le Comité de Genève accepte par ailleurs de verser des compensations aux détenus victimes des expérimentations médicales des nazis, essentiellement des Tchécoslovaques et des Polonais. Peu avant de supprimer le statut d’occupation de l’Allemagne, les puissances occidentales lui confient finalement, en 1955, la gestion du SIR (Service International de Recherches), une institution d’abord chargée de subvenir aux premiers besoins des détenus et déportés libérés, puis de rapatrier et réunifier les familles dispersées par le conflit. Etabli en janvier 1946 à Arolsen, une ville située au centre géographique des quatre zones américaine, britannique, française et russe, cet organisme joue un rôle assez équivalent à l’ACR. Placé sous la coupe de la Haute Commission Alliée pour l’Allemagne en avril 1951, il n’a guère la confiance des Soviétiques, qui ne lui ouvriront leurs archives qu’en 1989 ! De fait, à mesure que la guerre froide prend de l’ampleur, le Comité de Genève se retrouve au service du camp « impérialiste ». Ainsi, un mémorandum secret inspiré des Américains met abruptement fin en 1948 au programme de recherche et de rapatriement des 200 000 enfants polonais enlevés par les nazis et transplantés en Allemagne, dont 30 000 ont été retrouvés par le CICR. En effet, les Etats-Unis ne souhaitent pas renforcer the biological military strength of the enemy, c’est-à-dire « la capacité militaire de l’ennemi » soviétique. Les pays du pacte de Varsovie n’agissent pas autrement et freinent les efforts de réunification familiale lorsqu’il s’agit de laisser partir leurs habitants de l’autre côté du rideau de fer. Complètement reprise en mains par les communistes et expurgée des éléments favorables au gouvernement exilé à Londres pendant la guerre, la Croix-Rouge polonaise, par exemple, veut uniquement rapatrier ses ressortissants et arrête dès 1947 d’envoyer des enfants rejoindre leurs parents en Europe de l’Ouest. Dans un tel contexte, le CICR a bien du mal à résister aux polémiques politiques. Soucieux de préserver sa neutralité, il refuse certes de participer, en 1951, à la nomination d’une Commission des Nations Unies en vue de régler le problème du rapatriement des prisonniers de guerre. Mais son agence de recherches, l’ACR, n’échappe pas non plus aux controverses et s’avère incapable d’identifier les criminels de guerre parmi les réfugiés allemands recommandés par l’Eglise catholique à Rome et assistés juridiquement par une section autonome de la Croix-Rouge italienne, l’AGIUS (Assistenza Giuridica agli Stranieri). Avec des noms d’emprunt, des nazis obtiennent en l’occurrence des titres de voyages du CICR afin de fuir à l’étranger : en 1949 vers le Paraguay pour Josef Mengele, le médecin-chef d’Auschwitz ; en 1950 vers l’Argentine pour Adolph Eichmann, le SS responsable des camps de concentration ; en 1951 vers la Bolivie pour Klaus Barbie, le chef de la Gestapo en France, etc. En juillet 2003, l’ouverture des archives de Buenos Aires et les travaux de l’historien Uki Goñi dévoileront le cas d’autres criminels de guerre ayant bénéficié d’un passeport de la Croix-Rouge par l’intermédiaire du Vatican, tels Ivo Heinrich, conseiller financier du gouvernement oustachi d’Ante Pavelic en Croatie, et Friedrich Rauch, colonel SS chargé de cacher l’or de la Banque centrale de Berlin en 1945. L’enquête publiée le 31 juillet 2003 par le quotidien italien Il Secolo XIX confirmera l’existence de la filière en citant le témoignage de l’écrivain serbe Branko Bokun, qui travaillait à l’époque au bureau du CICR à Rome…
 
-1946-1948, Suisse : Basil O’Connor, qui succède en 1946 à un docteur suisse, Jean de Muralt, à la tête de la LCR, veut réorganiser les sociétés nationales de la Croix-Rouge sur des bases plus démocratiques, avec des professionnels rémunérés normalement, et plus seulement des bénévoles amateurs. Il obtient le démantèlement de la commission mixte de secours, qui avait consacré le monopole de facto du CICR à partir de 1940, et reçoit paradoxalement le soutien des communistes, qui en veulent au Comité pour ses silences complices et son incapacité à protéger les partisans ou les prisonniers de guerre soviétiques aux mains des nazis. Moscou, qui vient de rétablir avec Berne des relations diplomatiques interrompues de 1918 à 1946, reproche en l’occurrence à la Suisse d’avoir commercé avec le IIIème Reich pendant toute la durée des hostilités et d’avoir interné des Russes qui étaient parvenus à s’évader d’Allemagne. Interdit d’activités en URSS, le CICR, en particulier, est perçu avec beaucoup de méfiance et délibérément écarté des procédures de libération des prisonniers de guerre. Lors de la capitulation de l’Allemagne en mai 1945, ses deux derniers délégués à Berlin, Otto Lehner et Albert de Cocatrix, ont littéralement été pris en otage par l’Armée Rouge et emmenés avec deux collaborateurs locaux, la secrétaire Ursula Rauch et le chauffeur André Frütschy, dans les camps n°27 à Krasnogorsk et n°20B à Planernaya près de Moscou. Avant d’être libérés à Vienne en octobre suivant, ils ont servi de monnaie d’échange pour hâter le rapatriement de 9 000 Soviétiques évadés des geôles nazies, susceptibles de passer à l’Ouest et « retenus » en Suisse. Outre la méfiance de Josef Staline, qui a dès l’origine boudé les dispositions de la Convention de Genève, les préventions du régime ont aussi été alimentées par les prises de position du CICR. L’appel lancé aux belligérants par Genève le 30 décembre 1943, qui condamnait les représailles contre des prisonniers de guerre et visait à empêcher les Japonais de condamner à mort des aviateurs américains capturés et accusés d’avoir bombardé des villes nippones, a ainsi été compris par le président de l’Alliance des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge d’URSS, le professeur Sergei Alexandrovich Kolesnikoff, comme une attaque contre les premiers procès de criminels de guerre allemands conduits par des Soviétiques à Kharkov. Selon Drago Arsenijevic, de nombreux renseignements ont de surcroît conduit Moscou à penser que Genève craignait davantage le péril rouge que la menace nazie. D’après une lettre communiquée aux Soviétiques et adressée le 23 juillet 1941 au Foreign Office par l’ambassadeur de Grande-Bretagne en Turquie Geoffrey Harrington Thompson, le délégué du CICR à Ankara, Marcel Junod, aurait par exemple été favorable à une paix séparée entre Londres et Berlin pour contrer l’avancée communiste. De fait, les membres du Comité de Genève n’éprouvent aucune inclination pour l’idéologie marxiste-léniniste. Selon l’universitaire Oran Young, ils sont plus anticommunistes que les Américains eux-mêmes ! Dès la fin de la Première Guerre mondiale, ils ont activement contribué à essayer d’endiguer « le péril rouge » en Pologne et jusque dans le Caucase. En 1926, ils ont délibérément saboté le plan du célèbre Fridtjof Nansen, qui prévoyait de recréer un foyer national arménien avec l’appui des Soviétiques autour d’Erevan, et ont préféré faciliter la réinstallation définitive des survivants du génocide turc dans des territoires sous mandat de la France, à savoir la Syrie et le Liban. Président du CICR de 1945 à 1947, Carl-Jacob Burckhardt, en particulier, est suspecté d’avoir appartenu à un club de réflexion hostile à la Troisième Internationale, le « Comité Théodore-Aubert ». Résultat, l’institution a bien du mal à sauvegarder son image de neutralité au moment où la guerre froide prend de l’ampleur. Les critiques, il est vrai, fusent de toutes parts et ne viennent pas que du camp soviétique. En août 1948, tant l’URSS que la Belgique, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie refusent de participer à la dix-septième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Stockholm. Ils reprochent au Comité son échec devant la question juive, ses compromissions avec l’Allemagne nazie et son incapacité à sanctionner, voire expulser les sociétés nationales des régimes totalitaires. Certains veulent même supprimer le CICR pour en faire une agence des Nations Unies ou une organisation réellement internationale et démocratique avec des représentants des Croix Rouges de tous les pays. Forts de leur neutralité et de leur activisme humanitaire pendant la Seconde Guerre mondiale, les Suédois se retrouvent aux côtés des Soviétiques pour demander une profonde réforme du Comité de Genève. Dans son autobiographie, le prestigieux président de la Croix-Rouge suédoise, le comte Folke Bernadotte, nie certes avoir jamais eu l’intention de dissoudre le CICR. Il explique avoir tenté de renforcer le Comité de Genève avec les membres d’autres nations qui, en cas de guerre dans leur pays, auraient dû être remplacés par des ressortissants d’Etats neutres. Bientôt convaincu des mérites de la Suisse et de la partialité des communistes, qu’il a vus à l’œuvre en train de noyauter les Croix Rouges d’Europe de l’Est, le comte Folke Bernadotte renonce vite à son projet et admet qu’il n’existe pas assez d’Etats neutres pour élargir la composition du CICR. Il préfère soutenir la proposition du président de la Croix-Rouge belge, Pierre Depage, en vue d’accroître les pouvoirs de la Commission permanente qui se réunit entre deux conférences internationales des Croix Rouges et qui serait amenée à superviser le CICR et la Ligue. Aucun de ces projets n’aboutit mais l’historienne Caroline Moorehead note que, face aux critiques, le Comité de Genève tend à se hiérarchiser, à se bureaucratiser et à développer un culte excessif du secret sous la houlette de son nouveau président depuis mars 1948, Paul Ruegger, un catholique et un ancien ambassadeur de Suisse persona non grata dans l’Italie mussolinienne. Paradoxalement, remarque Catherine Rey-Schyrr, la virulence des attaques communistes finit par sauver l’institution de la disparition pure et simple. La montée en puissance de la guerre froide, qui souligne la nécessité de conserver un intermédiaire neutre, préserve en effet le CICR d’une internationalisation où s’opposeraient les deux blocs américain et soviétique.
 
-1947-1957, Vietnam : alors que démarre la guerre d’indépendance sous l’égide des communistes du Viet Minh dans le Nord, le CICR est assez vite autorisé par le colonisateur français à visiter les rebelles et les suspects emprisonnés dans le Sud, quelque 65 000 personnes au début des années 1950. Nommé en juin 1946 et installé à Hanoi en janvier 1947, son délégué dans la région, Charles Aeschlimann, prend en l’occurrence la suite de Henri Hurlimann, qui était arrivé à Saigon en août 1945 pour ravitailler et faciliter le rapatriement des prisonniers de guerre alliés et japonais. Lors d’un cessez-le-feu négocié le 28 février 1947, le Comité de Genève obtient également des insurgés communistes la libération de 29 civils qui lui sont remis par l’intermédiaire de la Croix-Rouge « vietnamienne » du Dr. Ton That Tung. Isolé diplomatiquement, le Viet Minh a en effet besoin d’une reconnaissance internationale et il croit encore possible la conclusion d’un accord de paix avec la France. Mais il refuse bientôt de laisser le CICR avoir accès aux camps où sont détenus ses prisonniers et où le taux de mortalité s’élève jusqu’à 75% selon les témoignages de rescapés. Excédé, un délégué du Comité, le Docteur Pierre Descoeudres, lance un ultimatum aux insurgés en août 1947, ce qui contribue à bloquer la situation et lui vaut d’être rappelé à Genève. Dès lors, les échanges de prisonniers et les évacuations de blessés, comme en février 1951 ou en octobre 1950 à Cao Bang, vont directement se négocier entre le Viet Minh et le colonisateur via la Croix-Rouge française, qui ne coordonne ses interventions avec le CICR qu’à partir de 1952. Occupé par l’affaire palestinienne en 1948, le Comité met en veilleuse ses activités au Vietnam du Nord, dont la « république démocratique » est reconnue par l’URSS et la Chine communiste en 1950. A la demande de Paris et de Washington, soucieux de contrer la poussée des « Rouges » dans la région, il y revient seulement pour s’occuper de 25 000 soldats de l’armée de Chiang Kaï-Chek réfugiés en Indochine et détenus par les autorités coloniales sur l’île de Phu Qhoc après la défaite des nationalistes chinois en 1949. Il faut dire que, sur le terrain, le Comité se heurte aux réticences des militaires français, qui refusent d’accorder un statut de prisonniers de guerre aux rebelles du Viet Minh. Dans le Sud, le CICR fait montre d’une certaine timidité et ne visite que deux fois la prison de Con Son entre 1947 et 1954. Il doit plusieurs fois rappeler son personnel à Genève et finit par interdire à son délégué André Durand, en poste à Saigon à partir de février 1952, d’essayer de rentrer en contact avec la République démocratique du Vietnam, qu’il tente plutôt d’approcher par le biais diplomatique de New Delhi, Moscou et Pékin. Au Nord, l’institution ne proteste pas non plus contre les réquisitions de main d’œuvre et l’emploi de civils pour des travaux dangereux, transport de munitions ou construction de fortifications, à l’instar de ces 2 500 internés militaires qui se retrouvent pris dans la cuvette de Dien Bien Phu. Le CICR s’abstient par ailleurs de communiquer des rapports de visite aux parties intéressées car Paris considère qu’il n’y a pas d’état de béligérance et que les événements relèvent du droit interne du fait que la République démocratique du Vietnam n’est pas reconnue par la communauté internationale et n’est pas partie au code des prisonniers de guerre de 1929. Le Comité attend l’entrée en vigueur, en décembre 1951, de la Convention de Genève d’août 1949 et la fin de la guerre, avec la défaite des troupes françaises à Dien Bien Phu en mai 1954, pour hausser le ton, se plaindre des obstructions du colonisateur et aborder la question du travail forcé. Concrètement, c’est surtout la nomination, en 1952, d’un nouveau Haut Commissaire de l’Indochine, Jean Letourneau (1907-1986), qui permet des avancées sur le plan humanitaire en assouplissant la position des militaires et en autorisant la fourniture de médicaments à la partie adverse sans garantie quant à leur distribution exclusive aux prisonniers de guerre, et non aux combattants communistes. Jusqu’alors, le CICR avait essayé de négocier auprès du Viet Minh une aide en échange d’un accès aux détenus. Une telle attitude explique en partie la méfiance des communistes, qui avaient vainement attendu du CICR la livraison de médicaments donnés par la Croix-Rouge indienne, saisis par les autorités à Saigon et renvoyés à l’expéditeur en 1947. Au cours des hostilités, le Comité de Genève est d’autant plus perçu comme un allié du « camp impérialiste » qu’il dépend complètement de la logistique et des escortes de l’armée française pour circuler dans le pays et visiter les camps de prisonniers. Les militaires ont notamment mis à profit une rencontre du CICR avec les insurgés pour localiser et pilonner les positions du Viet Minh en 1947. De même, les 26 juillet et 15 octobre 1951 à Hung Hoa, une cinquantaine de k ilomètres au nord-ouest de Hanoi, d’ultimes contacts entre le Comité de Genève et le Viet Minh sont torpillés par le Haut Commissaire en Indochine, le général Jean-Marie de Lattre de Tassigny (1889-1952), qui, doté des pleins pouvoirs, veut écraser la rébellion et laisser croire que les communistes refusent de relâcher leurs prisonniers. La CRF (Croix-Rouge française), quant à elle, a délibérément pris le parti du colonisateur et participé de près à l’effort de reconquête. Débarquée à Hanoi avec le corps expéditionnaire dès octobre 1945, elle a travaillé dans les hôpitaux militaires, ouvert des foyers du soldat et est intervenue directement sur le front pour soigner les combattants en opération. Après une première mission d’octobre 1945 à février 1947, des IPSA (Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air) ont également été intégrées dans l’armée pour soigner les soldats en vol et récupérer les blessés sur les champs de bataille : trois d’entre elles sont d’ailleurs tuées en pleine action. Dans un tel contexte, le CICR ne parvient pas à négocier l’évacuation des blessés et des morts pendant la bataille de Dien Bien Phu de mars à mai 1954. Chacun des belligérants accuse l’autre de violer le droit international humanitaire en attaquant des hôpitaux ou des convois sanitaires. Selon le général de division Nguyen Chuong, capturé par les Français et cité par Le Monde du 23 avril 2004, les soldats africains du contingent colonial achèvent les blessés vietnamiens. Faute d’aviation, le Viet Minh, lui, n’a aucun intérêt à autoriser des évacuations aériennes et il suspecte les hélicoptères des services de santé de l’armée française de vouloir bombarder ses positions et ravitailler les troupes coloniales. Négocié sans le CICR, le principe d’une évacuation n’est admis qu’au cours des pourparlers de paix qui aboutissent à la signature d’un armistice et des accords de Genève en juillet 1954. Après le départ du colonisateur, le Comité, qui essaie de passer par l’intermédiaire de la Croix-Rouge indienne, n’a toujours pas la confiance des communistes, désormais au pouvoir dans le Nord du Vietnam. Installé dans le consulat britannique à Hanoi, son délégué de janvier 1955 à janvier 1957, Jacques de Reynier, n’est pas autorisé à retrouver les civils ou combattants disparus au cours du conflit. Il peut seulement distribuer quelques secours et superviser le transfert de légionnaires qui avaient déserté pour rejoindre le Viet Minh et qui ne veulent évidemment pas rentrer en France. Au Sud, il coordonne ses activités avec la LCR, à qui il laisse le soin de venir en aide aux 800 000 Vietnamiens (essentiellement catholiques) en train de fuir le Nord.
 
-1948-1956, Israël/Palestine : tandis que les Juifs de Palestine se battent pour créer un Etat d’Israël et s’affranchir de la tutelle du colonisateur britannique, le CICR, arrivé sur place en janvier 1948, travaille de part et d’autre des lignes de front. Intermédiaire neutre, il ne veut pas se cantonner à un rôle médical et décline l’offre de Londres, qui souhaite lui confier la gestion de tous les hôpitaux publics. Soucieux de préserver son indépendance politique, il refuse également la protection des blindés de l’armée britannique, qui quitte le pays le 15 mai. Il tente plutôt de coopérer avec les belligérants, même si leurs sociétés de secours ne sont pas officiellement reconnues par Genève, notamment à cause de leur emblème : l’étoile de David Rouge pour les Juifs et un mélange de Croix Rouge et de Croissant Rouge tout à la fois pour les Arabes de Transjordanie. Le 3 avril, l’Agence juive à Jérusalem s’engage à respecter la Convention de Genève, suivie, deux jours plus tard, par la partie adverse après négociation au Caire avec le chef du Haut Comité arabe de Palestine, Hadj Amin al-Husseini, ancien grand mufti de Jérusalem et personnage très controversé à cause de sa visite à Adolf Hitler en 1941 et de ses appels à soutenir les nazis. Sur place, le CICR constate de nombreux abus. Du côté juif, l’armée sioniste, la Haganah, tire sur des ambulances et des hôpitaux arabes, tandis que ses formations militaires avancent en utilisant l’emblème de la Croix-Rouge. Le 9 avril 1948, les extrémistes de l’Irgoun, eux, massacrent les villageois de Deir Yassin, d’où un délégué du CICR, Jacques de Reynier, n’extraie que 3 survivants sur 400 habitants. Du côté arabe le 12 avril 1948, les combattants attaquent un convoi de la société du Bouclier de David Rouge (Maguen David Adom) qui, sous la protection des soldats de la Haganah, se rendait à l’hôpital de Hadassah, une enclave juive sur le Mont Scopus à Jérusalem. Le CICR négocie alors le droit d’évacuer les habitants israélites et d’escorter sans armes leur ravitaillement. Pour protéger la population civile de Jérusalem, il établit également en mai 1948 des zones sécurisées à l’hôtel King David, dans les bâtiments de la YMCA (Young Men’s Christian Alliance), au couvent de Terra Santa et au palais du Gouvernement. Certaines ne voient en fait jamais le jour ou accueillent seulement quelques diplomates et employés de l’ONU. Les autres se retrouvent vite sur les lignes de front et sont partiellement occupées par les forces israéliennes en juillet 1948. Pour accéder à ces espaces théoriquement protégés par le drapeau de la Croix-Rouge, les déplacés doivent s’engager à ne pas revendre les vivres au marché noir et à participer aux frais s’ils en ont les moyens. De crainte qu’ils ne compromettent la neutralité des lieux et communiquent des renseignements à l’ennemi, ils ne peuvent pas non plus en sortir sans autorisation. Le Comité, dont deux chauffeurs de la délégation de Jérusalem ont été accusés d’espionnage par les Juifs, cherche en effet à garder la confiance de toutes les parties en présence depuis que, le 12 juin, le médiateur des Nations Unies, le comte Folke Bernadotte, est arrivé à Jérusalem dans un avion de la Croix-Rouge pour proposer un plan de partage auquel les Palestiniens sont hostiles. Afin de ne pas alimenter les combattants, qui se fondent parmi les habitants, et de ne pas irriter davantage les Arabes, qui ont l’intention d’affamer les Juifs retranchés dans Jérusalem, le CICR préfère ainsi n’approvisionner que les hôpitaux et non l’ensemble de la population, charge que voulait lui confier l’article 8 d’une trêve conclue le 9 juillet 1948 sous les auspices des Nations Unies. Une accalmie permet ensuite de commencer à réunifier les familles dispersées par les événements et de s’occuper des prisonniers de guerre que les belligérants voulaient obliger à travailler de force. La difficulté est que les autorités israéliennes ont, à contre-courant des pratiques habituelles, décidé d’accorder le statut de prisonnier de guerre à tous les civils non combattants qu’elles ont internés et qui sont en âge de porter une arme. Concrètement, un tel procédé permet de « rapatrier » les détenus, c’est-à-dire de les expulser pour vider les zones juives de leurs habitants arabes. Dans un rapport de juillet 1948 cité par Catherine Rey-Schyrr, Jacques de Reynier s’avère d’ailleurs conscient que ses interventions dans les lieux de détentions aux mains des forces israéliennes sont « rendues peut-être plus faciles par le désir des Juifs de voir tous les Arabes s’en aller ». A partir de mai 1948, le CICR se déploie néanmoins en dehors de Jérusalem, à Haïfa, Naplouse, Ramallah et Jaffa, d’où il évacue 3 000 civils égyptiens par bateau. Après l’assassinat du comte Folke Bernadotte par des terroristes juifs du groupe Stern le 17 septembre 1948, les combats reprennent dans le désert du Néguev le 15 octobre et le CICR ouvre une délégation à Gaza pour ravitailler quelque 200 000 réfugiés. Au cours du conflit, le Comité déplore sept blessés parmi ses dix-huit employés et, sur un parc de huit véhicules, trois sont mis hors d’usage à force d’être mitraillés. Par la suite, le CICR, qui ferme sa mission le 15 juillet 1949, maintient pendant un temps deux délégués, l’un à Jérusalem, l’autre à Tel-Aviv. Il continue surtout ses activités à travers le Commissariat pour l’aide aux réfugiés de Palestine qu’il a créé en novembre 1948 et qui est financé par les Nations unies parallèlement au travail de sa délégation. Dirigé par Alfred Escher, premier conseiller de la Légation suisse à Londres, ledit Commissariat organise l’arrivée des secours vers Israël (depuis Haïfa) et la Jordanie (depuis Beyrouth). Avec le soutien d’ONG comme la LWF (Lutheran World Federation) et la YMCA (Young Men’s Christian Alliance), il distribue des vivres, des médicaments et du matériel scolaire. La difficulté est de concilier les desiderata des bailleurs de fonds et les pressions des autorités jordaniennes ou palestiniennes qui, pour bénéficier d’une aide, gonflent les listes de réfugiés et y incluent toutes les victimes de guerre. L’arrivée des secours crée en l’occurrence des tensions avec les autochtones car les rations alimentaires sont en principe destinées aux seuls déplacés. Sur ses propres fonds, le CICR essaie en conséquence d’assister des indigents qui n’ont pas le statut de réfugié. Mais il arrête ses opérations le 1er mai 1950, lorsque l’UNRWA (United Nations Relief and Work Agency for Palestinian Refugees) prend le relais sous la direction d’un général canadien, Howard Kennedy. Des 14 000 indigents dont le CICR s’occupait à Jérusalem, 11 000 sont pris en charge par les Nations Unies et 3 000 par les Luthériens de la LWF. En Transjordanie, en Irak, en Syrie et au Liban, la LCR poursuit quant à elle ses activités auprès des réfugiés palestiniens sous l’égide de l’ONU, qui a réparti les tâches et les secteurs à des organisations humanitaires comme les Quakers de l’AFSC (American Friends Service Committee) dans la bande de Gaza. En 1956, la crise de Suez fournit ensuite au CICR l’occasion de revenir dans la région pour envoyer des secours aux habitants de Port Saïd et organiser le rapatriement en avion des prisonniers de guerre égyptiens, inaugurant la première liaison aérienne directe entre les deux pays depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948. La LCR et les sociétés nationales ne sont pas non plus absentes de ce conflit qui oppose principalement l’Egypte à la France et à la Grande-Bretagne à propos de la nationalisation du canal de Suez. Depuis Paris, par exemple, la Croix-Rouge facilite la réinstallation de 160 familles françaises qui, expulsées par Gamal Abdel Nasser, n’ont plus d’attaches en métropole. Jusqu’à la fin 1957, le CICR aide pour sa part les Israélites déchus de leur nationalité et considérés comme des apatrides en Egypte. Au total, il facilite l’évacuation de la moitié des Juifs chassés de leur pays, quitte à entériner le départ forcé de toute une communauté dans le cadre d’une expulsion collective et anti-sémite.
 
-12 août 1949, Suisse : le CICR organise à Genève la signature des quatre Conventions « pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne », « l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer », le « traitement des prisonniers de guerre » et « la protection des personnes civiles en temps de guerre ». Porté par la volonté de ne plus voir se renouveler les horreurs nazies, le nouveau texte permet de sérieuses avancées par rapport à la version de 1864. La notion de prisonnier de guerre s’applique désormais aux mouvements de résistance organisés dans des pays occupés. Inspirée des discussions de la quinzième conférence internationale des Croix Rouges à Tokyo en 1934, la protection des personnes civiles, quant à elle, ne concerne plus seulement les bombardements de villes mais aussi les actions militaires qui occasionnent des dégâts indirects et non intentionnels. D’une manière générale, l’article 3, commun aux quatre Conventions, impose une sorte de « minimum syndical » pour ce qui est du traitement humanitaire des populations non-combattantes, y compris en cas d’insurrection. Il interdit notamment les représailles sous forme de prises d’otages, d’exécutions, de tortures, etc. Dans son article 23, la IVème Convention prescrit plus particulièrement le libre passage des biens médicaux et des vivres indispensables « aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches ». Dans ses articles 59 et 61, elle oblige également la puissance occupante à accepter des actions de secours pour ravitailler la population civile dans un territoire occupé, quitte à en contrôler le déroulement et à en confier la distribution à des entités non-partisanes, en l’occurrence le CICR. A l’heure où se profile le grand mouvement de décolonisation, les lacunes du « droit de Genève » ne restent pas moins patentes dans le domaine des luttes de libération nationale. Concrètement, les Conventions de 1949 protègent les prisonniers de guerre issus d’armées régulières et non de guérillas. Alors que les mouvements de libération forment des groupements de particuliers dégagés des obligations internationales des Etats, le CICR tentera de considérer qu’ils sont liés par les dispositions de traités auxquels ils n’ont pas adhéré. En pratique, les guérillas ne respecteront pas les Conventions de Genève en dépit de leurs prétentions à des compétences gouvernementales.