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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1950-1959


-1950-1985, Corée : pendant que les Etats-Unis essaient de repousser les troupes chinoises qui se rapprochent de Séoul, Pyongyang n’autorise pas le CICR à intervenir dans le Nord communiste et refuse même l’aide des Croix Rouges d’Europe de l’Est. Le Comité ne peut donc secourir que les prisonniers de guerre au Sud, qui sont enfermés avec des civils suspectés de sympathies marxistes, femmes et enfants compris. La difficulté, pour Genève, est de ne pas se laisser entraîner à superviser des opérations qui, en changeant les statuts d’internement, visent éventuellement à accorder la citoyenneté de la Corée du Sud à une partie des détenus et à leur permettre de ne pas revenir au Nord lors du rapatriement de leurs compatriotes à la fin du conflit. Outre la malnutrition et une importante répression policière, des émeutes à l’intérieur des camps opposent ainsi les anticommunistes aux militaires nord-coréens lorsque les autorités entreprennent d’endoctriner les détenus et de reclasser 37 000 soldats qui, selon Séoul, sont des civils du Sud embrigadés de force par les troupes de Pyongyang. Sur l’île de Koje-do, où l’armée américaine regroupe la quasi-totalité de ses prisonniers de guerre, des incidents entraînent notamment la mort de 69 internés et d’un garde en février 1952. Les tensions persistent et d’autres détenus sont tués. Quand le commandant de Koje-do est brièvement pris en otage puis libéré en mai suivant, les Nations Unies coupent alors les vivres pour mater les rebelles et isoler les fauteurs de troubles. Jusqu’au démantèlement de ce camp immense, dont les occupants sont répartis sur la péninsule sud-coréenne et les îles de Pongam-do, Yoncho-do et Chejo-do en juillet 1952, les délégués du CICR sont interdits de visite au prétexte que les casques bleus ne peuvent plus assurer leur sécurité. La situation n’est pas meilleure pour les internés civils. Autorisés par le ministère de la Justice à entrer dans les prisons de Séoul à partir de décembre 1950, les délégués du CICR renoncent en mai 1952 à exercer leur droit de visite parce qu’ils n’arrivent pas à obtenir une amélioration des conditions de vie des détenus. Au Nord, Pyongyang et Pékin considèrent, eux, que les soldats étrangers sur le sol coréen sont des criminels de guerre auxquels les Conventions de Genève ne s’appliquent pas. Complètement inféodée au régime, la Croix-Rouge chinoise sert d’instrument de propagande et accuse les Etats-Unis d’avoir utilisé des armes bactériologiques. Taxé d’impérialiste, le CICR est récusé car il accepte de mettre en place une commission d’enquête indépendante à la demande des seuls Etats occidentaux du Conseil de sécurité des Nations Unies. Devenu l’objet d’une virulente campagne de la presse communiste, il est suspecté d’être à la solde du gouvernement américain et d’avoir de lui-même proposé une investigation afin de renseigner Washington sur l’efficacité de ses armes bactériologiques. L’historienne officielle du CICR, Catherine Rey-Schyrr, reconnaît elle-même que l’institution aurait dû davantage marquer son indépendance vis-à-vis de l’ONU, c’est-à-dire des Etats-Unis, et condamner publiquement les bombardements de la population civile. Mais de telles démarches n’auraient sans doute pas suffi pour vaincre la méfiance des communistes, qui ne voulaient de toutes façons pas entendre parler d’humanitaires neutres. De fait, c’est seulement quand commence à se négocier un armistice, signé en juillet 1953, que la Chine maoïste met en scène des visites du CICR dans les camps de détention des prisonniers de guerre américains. Pyongyang et Pékin veulent en effet négocier le rapatriement de leurs propres prisonniers de guerre, qui ne souhaitent pas toujours retourner au Nord et qui sont parfois refoulés chez eux manu militari. Devenus apatrides, 15 000 Chinois et 8 000 Nord Coréens qui refusent de rentrer dans leur pays sont, en l’occurrence, consignés dans un camp près de Panmunjon et gérés par la Croix-Rouge indienne. Parallèlement, le CICR reconnaît en 1955 et 1956 les Croix Rouges du Sud puis du Nord de la Corée, jusqu’alors traitées officiellement comme une seule entité. Aucun des deux pays n’ayant adhéré aux Conventions de Genève de 1949, l’admission de leurs sociétés de secours au sein du mouvement se fait sur la base de l’adhésion, en 1905, du roi Kojong Kwangmuje et de son Empire de Tahean à la Convention de Genève de 1864. Il faut cependant attendre 1972 pour que les Croix Rouges du Sud et du Nord se rencontrent enfin en vue de discuter du sort des familles séparées par le conflit : les premières réunifications auront lieu en septembre 1985.
 
-1951-1973, Japon : en vertu de l’article 16 du traité de paix de San Francisco du 8 septembre 1951, qui prévoit le paiement de réparations de guerre, le CICR est chargé d’indemniser les détenus incarcérés et maltraités par les troupes de Tokyo. En pratique, il se retrouve à gérer et redistribuer les biens du Japon à l’étranger. De 1959 à 1973, le CICR supervise ensuite le transfert de quelque 90 000 ressortissants nord-coréens enrôlés de force dans l’armée et l’industrie de l’Empire Levant pendant la Seconde Guerre mondiale. Au vu des pressions et du traitement que réserve la dictature de Pyongyang aux rapatriés, la difficulté est de trier les véritables « volontaires » au départ. Bien qu’alliée au Japon, la Corée du Sud ne cache pas son hositilité au projet et menace de couler les bateaux qui transportent cette population et qui doivent être escortés par des navires soviétiques. Selon la presse de Séoul, en particulier le Korean Herald du 10 mai 1974, les femmes japonaises des Nord-coréens, notamment, sont embarquées de force. De son côté, la JCRS (Japan Red Cross Society) se reconstitue à partir de 1946 sous la présidence du prince Tadatsugu Shimazu et avec l’aide d’un représentant de la Croix-Rouge américaine à Tokyo, Tom Metsker. Ruinée par l’inflation et d’importantes dettes, l’institution n’est d’abord pas opérationnelle. Ses hôpitaux ont été soit détruits soit réquisitionnés par les autorités d’occupation, qui ne les lui restituent qu’en 1956. De plus, elle a perdu sa fonction essentielle depuis que le pays n’a plus le droit d’entretenir une armée. Jusqu’en 1950, elle ne peut pas non plus participer de plein droit aux conférences internationales de la Croix-Rouge. Mais elle revient sur le devant de la scène après l’adhésion du Japon aux Conventions de Genève de 1949. Une loi d’août 1952 confirme alors sa démilitarisation et son indépendance du gouverment. Résultat, la JCRS se civilise et renoue avec ses activités premières dans le domaine de la santé publique ou des catastrophes naturelles. Complètement salariée par le gouvernement pendant la Seconde Guerre mondiale, elle se préoccupe ainsi de redevenir une association de volontaires et compte quelque 4 millions de bénévoles en 1977.
 
-1952, Canada : accueillie par le président de la CRCS (Canadian Red Cross Society), John Macaulay, la dix-huitième conférence internationale des Croix Rouges, qui réunit les délégués de 63 pays et 50 sociétés nationales, se déroule à Toronto en septembre 1952 et révise l’article six des statuts du CICR afin d’introduire un droit d’initiative humanitaire. L’événement était initialement prévu aux Etats-Unis mais la Croix-Rouge américaine a dû retirer sa candidature de crainte que les services d’immigration de son pays refusent d’octroyer des visas aux délégués en provenance du bloc communiste. De fait, les clivages de la guerre froide divisent tant le mouvement que le CICR sera contraint de renoncer à convoquer une conférence internationale des Croix Rouges pour fêter son centenaire à Genève onze ans plus tard. A la place, il devra se contenter en septembre 1963 d’une simple session du Conseil des délégués qui lui permettra de ne pas avoir à inviter les gouvernement signataires des Conventions de Genève, et donc d’éviter une querelle entre Taiwan et la Chine populaire.
 
-1953-1967, Kenya : malgré les troubles qui agitent une colonie placée sous la tutelle de Londres, le CICR n’est pas sollicité par la Croix-Rouge britannique et tarde à intervenir après la proclamation d’un état d’urgence au début de la rébellion Mau Mau en 1952. Peu habitué à aider les populations africaines depuis la guerre d’Ethiopie en 1936, il s’était jusqu’à présent occupé uniquement des réfugiés d’origine européenne dans la région. En juillet 1948, il avait ainsi facilité le rapatriement à Tel Aviv de Juifs qui, suspectés d’appartenir aux groupes armés de l’Irgoun et du Stern, en lutte contre le colonisateur britannique en Palestine, avaient été déportés par Londres à Asmara en Erythrée en février 1945 puis dans le camp de Gil Gil au Kenya en mars 1947. Concernant la rébellion Mau Mau, qui est considérée comme une insurrection tribale et non un conflit interne ou international, les hésitations de Genève reflètent une certaine réticence à élargir le champ d’activités du Comité et à se mêler des guerres de décolonisation sur un continent que l’institution ne connaît quasiment pas. Echaudé par le refus de Londres de le laisser visiter des détenus communistes en Malaisie à la même époque, le CICR n’insiste pas. Après avoir étudié la question Mau Mau en octobre 1952, la première démarche concrète auprès des autorités britanniques n’a lieu qu’en août 1955 et n’aboutit qu’en janvier 1957, trois ans avant la fin des troubles. Selon Nicolas Lanza, le CICR craint en effet de sortir de son mandat, de se heurter à l’opposition de Londres et de se retrouver entraîné dans le conflit en étant obligé de prendre position en faveur de populations « primitives » qui, selon ses propres termes, sont « a priori peu accessibles [aux notions] de charité et de solidarité » ! Sur place au Kenya, il n’est guère aidé par la partialité de la Croix-Rouge britannique. Escortée par la police et rémunérée par le gouvernement colonial, celle-ci s’oppose à la venue du Comité et se refuse à soigner les rebelles alors qu’en Malaisie, relate Noel Barber, elle avait secouru des guérilleros communistes, refusé de communiquer des informations sur leur localisation et insisté pour échapper à la surveillance des militaires. Au Kenya, la Croix-Rouge britannique a pour fonction de « gagner les cœurs et les esprits » de la population en n’aidant que les Kikuyu dits « loyalistes », regroupés de force dans des camps. Exceptionnellement, le chef de la section Afrique du CICR, Pierre Gaillard, se permet en conséquence de dénoncer les blocages de Londres dans une interview accordée au Reynolds News Reporter du 16 décembre 1956. A défaut de pouvoir ouvrir une délégation au Kenya, le Comité est alors autorisé à visiter les prisonniers Mau Mau à deux reprises, en février-avril 1957 et juin-juillet 1959. Mais l’opération sert surtout à légitimer la politique de Londres vis-à-vis de la communauté internationale. Les autorités mettent en scène les visites des camps, cachent soigneusement les victimes de mauvais traitements et menacent de représailles les détenus tentés de se plaindre. Ecrit par un délégué pasteur en Afrique du Sud, le révérend Henri Philippe Junod, qui est un ami personnel du gouverneur du Kenya Evelyn Baring, le premier rapport du CICR absout les Britanniques et est réécrit à Genève pour enlever les remarques condamnant l’usage de punitions corporelles. Pire, les mauvais traitements augmentent par la suite pour sanctionner les prisonniers qui se sont plaints auprès des délégués de Genève. D’après Caroline Elkins et Fabian Klose, Henri Philippe Junod va jusqu’à conseiller le gouverneur du Kenya en matière de répression et il justifie ses abus en expliquant que les Français font pire en Algérie ! Suite aux pressions de parlementaires britanniques après le scandale du camp de Hola, où onze détenus sont battus à mort en février 1959, la deuxième visite du CICR sert également à absoudre le comportement des autorités. Au final, la « politique de soumission courtoise » du Comité, pour reprendre la formule de Nicolas Lanza, ne permet guère d’améliorer le sort des prisonniers Mau Mau. Une stratégie de dénonciation n’aurait sans doute pas été beaucoup plus efficace mais le CICR renonce de toute façon à travailler au Kenya après l’Indépendance. De 1963 à 1967, Genève n’intervient pas du tout lors de la guerre dite « Shifta » menée par des irrédentistes somali qui demandent le rattachement à Mogadiscio de la province du Nord-Est, le Northern Frontier District. Il est vrai qu’à l’époque, il n’y a quasiment pas d’organisations humanitaires pour aider les villages protégés par l’armée, les manyatta, où sont parqués environ 72 000 habitants, près d’un cinquième de la population affectée par le conflit.
 
-Depuis 1954, Algérie : tandis que démarre la lutte d’indépendance du FLN (Front de Libération Nationale) en novembre 1954, le CICR est amené à intervenir dans un conflit typique de la décolonisation. A partir de février 1955, il est autorisé à visiter de façon systématique les camps de détention et les centres d’interrogatoires de l’armée française. En juin 1956 puis novembre 1957, Paris accepte même de traiter les indépendantistes du FLN comme des prisonniers de guerre. D’après des directives de mars 1958, le général Raoul Salan cherche en effet à mieux protéger les combattants capturés afin de contrer la propagande des rebelles qui poussent leurs troupes aux dernières extrémités en leur faisant croire qu’elle seront massacrées si elles se rendent. L’objectif, souligne Fabian Klose, est de sauver la vie de soldats français en dissuadant les insurgés de se battre jusqu’à la mort pour éviter la reddition, l’exécution extrajudiciaire ou la torture en prison. Bien que les directives du général Raoul Salan ne soient pas appliquées jusqu’en novembre 1959, la position officielle de la France à propos de l’Algérie contraste, de ce point de vue, avec les autres conflits qui déchirent l’Empire colonial. Dans la Tunisie voisine, par exemple, les autorités refusent en 1954 d’accorder au CICR le droit d’assister les personnes détenues après des troubles à Sfax et Sousse en 1952. Elles arguent qu’il s’agit d’une affaire intérieure et affirment ne recenser que 112 internés administratifs, tandis que la section tunisienne de la Croix-Rouge française ne donne pas suite aux sollicitations de Genève. De même en Afrique noire, le CICR n’obtient pas la permission d’intervenir auprès des combattants de l’UPC (Union des populations du Cameroun), dont un leader de passage à Genève en 1958, Ernest Ouandié, sollicite en vain les secours. En Algérie, l’usage de la torture perturbe certes les modalités d’assistance aux prisonniers politiques. D’après l’historienne Raphaëlle Branche, les protestations officieuses du CICR ne permettent guère d’améliorer la situation, sachant que l’institution n’est pas non plus en mesure de veiller à l’application des Conventions de Genève car les autorités ont toujours refusé de lui communiquer une liste de détenus. Son rapport confidentiel du 15 décembre 1959, qui détaille les conditions d’internement dans 82 lieux de détention, provoque cependant un scandale quand il est publié par le journal Le Monde le 5 janvier 1960. Organisée par un conseiller technique du garde des Sceaux, Gaston Gosselin, lui-même ancien déporté à Dachau, proche du journaliste Pierre Viansson-Ponté et révolté par les pratiques de l’armée et les silences coupables de la justice, la « fuite » pousse des membres du gouvernement français à la démission et incite les militaires à éviter de recourir à des interrogatoires trop « poussés ». Malgré quelques difficultés à continuer d’exercer son droit de visite en prison, interrompu jusqu’en janvier 1961, le CICR peut alors poursuivre ses activités en Algérie, où il soutient l’adoption d’un nouveau code pénal, et en France, où il reprend en novembre 1961 son assistance aux militants algériens détenus dans l’Hexagone. Auprès des populations civiles, le Comité entreprend également d’aider les réfugiés algériens en Tunisie et au Maroc ; il obtiendra d’ailleurs de Paris des indemnités pour la destruction de ses camions et de ses équipements lors du bombardement de la localité tunisienne de Sakiet Sidi Youssef en février 1958. Sur le territoire algérien, les secours auprès des personnes déplacées par le conflit sont plutôt du ressort de la Croix-Rouge française, qui était intervenue ponctuellement au moment du tremblement de terre d’Orléansville en septembre 1954. En vertu d’un accord signé avec les autorités en mars 1959, celle-ci envoie des colis aux soldats français et distribue des vivres aux populations musulmanes regroupées par l’armée dans des camps —une de ses IPSA (Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air), Jaïc Domergue, meurt ainsi lors d’une évacuation par hélicopère de militaires blessés à L’Arba le 29 novembre 1957. Après la signature des accords de paix d’Evian le 18 mars 1962, elle aide ensuite les colons qui quittent le pays et organise l’accueil des « pieds noirs » à Marseille, Toulouse, Lyon et Bordeaux. Sollicitées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, la LCR et d’autres sociétés nationales de la Croix-Rouge s’occupent quant à elles du rapatriement des Algériens qui avaient fui au Maroc et en Tunisie. Sur place, le CICR ne parvient cependant pas à secourir les harkis, auxiliaires de l’armée française victimes des représailles du FLN arrivé au pouvoir à Alger. Pendant toute la durée de la guerre, les indépendantistes ont en fait refusé l’accès à leurs détenus. La seule exception connue, en janvier 1958, a uniquement servi à démontrer la capacité du FLN à garder des prisonniers sur le sol algérien et non dans ses bases arrières en Tunisie, où l’armée française bombardait les camps de réfugiés. Pour le reste, les indépendantistes n’ont guère respecté les Conventions de Genève et ont par exemple exécuté trois militaires captifs en mai 1958. Par l’entremise du Croissant rouge algérien et de son président Ben Nahmed à Tunis et Rabat, le CICR a dû négocier au coup par coup la libération très médiatisée de quelques Français aux mains du FLN, notamment Yvonne Genestoux, une infirmière capturée en décembre 1958. Le 20 juin 1960, les indépendantistes ont officiellement déclaré reconnaître les Conventions de Genève afin de gagner en respectabilité et de revendiquer un statut quasi-gouvernemental pour négocier un accord de paix. Mais, explique l’historienne Raphaëlle Branche, ils se sont bien gardés de les appliquer. Après l’indépendance et le départ du colonisateur français en juillet 1962, ce sont désormais eux qui posent problème aux organisations humanitaires, à la différence de la Tunisie, où Genève a été autorisé à visiter les combattants capturés de part et d’autre au moment du conflit de Bizerte en juillet 1961, avant de superviser leur échange dans le no man’s land de Menzel-Djemil en septembre suivant. Bien que mandaté par les accords d’Evian pour localiser et rapatrier les prisonniers de guerre, le CICR continue en l’occurrence de se heurter à la mauvaise volonté du Croissant rouge algérien, qu’il reconnaît en juillet 1963, et du FLN, qu’il finit par critiquer publiquement. En vertu d’un accord signé avec le nouveau gouvernement en février 1963, l’institution est seulement autorisée à rechercher les personnes disparues au cours du conflit et à assister les harkis dans des prisons civiles mais pas des camps militaires. Elle finit par se retirer sept mois plus tard. Hormis la visite en janvier 1964 de trois casernes vidées de leurs harkis, le CICR n’a bientôt plus du tout accès aux lieux de détention. Le Croissant rouge algérien, lui, n’est d’aucun secours face à l’intransigeance grandissante du régime militaire révolutionnaire et socialiste qui se met en place l’année suivante. Créé fin 1956 à Tanger et initialement dirigé par Omar Boukli Hacène, il devient un instrument du parti unique, en particulier sous la présidence du Docteur Mouloud Belaouane de 1969 à 1989. Il faut attendre l’annulation des élections de décembre 1991 et l’insurrection des islamistes pour que Genève soit brièvement autorisé, pendant cinq mois, à visiter des détenus politiques dans le cadre de l’état d’urgence déclaré en février 1992. Encore doit-on noter que ces visites ne peuvent ensuite reprendre qu’en octobre 1999 et ne permettent pas de s’occuper d’autres catégories de populations en difficulté. Cité par Christian Troubé, le responsable des programmes à Médecins du Monde, Joseph Dato, est par exemple expulsé du Croissant Rouge algérien en 1989 lorsqu’il dénonce la façon dont le gouvernement traite les immigrés africains clandestins, reconduits et abandonnés dans le désert. Quant aux prisonniers de guerre du Front Polisario, dont Alger soutient depuis 1975 la lutte pour l’indépendance du Sahara occidental contre l’occupant marocain, ils restent inaccessible pendant près de vingt ans. Après avoir essuyé un refus ferme et définitif lors d’une mission dans les camps de réfugiés de Tindouf en 1978, le CICR doit patienter jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu en 1991 pour être autorisé, trois ans plus tard, à visiter les détenus aux mains des indépendantistes. En 2000, Genève peut alors démarrer un programme de rapatriement des prisonniers de guerre marocains qui s’achève en 2005.
 
-1955-1977, Chypre : afin de contourner les réticences du colonisateur britannique à Londres, le CICR entreprend directement des démarches sur place, à Nicosie, pour visiter des détenus d’opinion en décembre 1955, mars, août et novembre 1957 puis décembre 1958. Le Comité obtient ainsi la permission de s’entretenir avec des opposants avant leur procès. S’il a accès à la prison centrale de Nicosie et aux camps de Kokkino-Trimithia, Hayos Lucas, Mammari, Pyla et Dekhelia, il n’est cependant pas autorisé à se rendre dans les geôles des commissariats. Accusé par la presse de droite britannique de soutenir des détenus du mouvement indépendantiste EOKA (Ethniki Organosis Kyprion Agoniston), il doit interrompre ses visites en février 1959, au moment où se négocie l’indépendance, proclamée en août 1960. Sous l’égide d’un nouveau délégué, Jacques Ruff, le CICR est ensuite amené à poursuivre ses activités au milieu des confrontations entre les communautés grecques et turques. En effet, la Croix-Rouge britannique est accusée de partialité, voire d’espionnage, et ne parvient plus à distribuer des secours. Quant à son homologue chypriote, elle est présidée par la ministre de la Justice, Stella Soulioti, et elle a également le plus grand mal à accéder aux victimes du conflit. Malgré la mort d’un de ses collaborateurs, Jean-Pierre Schoenholzer, qui succombe à une attaque cardiaque en 1964, et la mauvaise volonté des autorités chypriotes grecques, qui veulent mettre en place un blocus afin de diminuer le potentiel militaire du camp adverse, le Comité de Genève essaie alors d’acheminer des vivres aux Turcs qui ont perdu leur emploi à cause de la partition de facto de l’île. S’il parvient à négocier des distributions supervisées par les Nations Unies et le débarquement de la cargaison de deux navires envoyés par le Croissant Rouge turc en 1965, les restrictions à l’importation l’obligent bientôt à donner des espèces. De fait, les autorités chypriotes grecques arguent que les denrées humanitaires servent surtout à ravitailler et financer leurs ennemis, qui stockent les secours et pénalisent l’économie locale en refusant d’acheter des vivres sur place. De l’avis même des délégués du CICR, expliquent Françoise Perret et François Bugnion, il est effectivement très difficile de distinguer les civils des combattants dans la zone turque. Après avoir fermé sa délégation et passé le relais aux Nations Unies en novembre 1965, le Comité revient cependant dans le pays après l’invasion du nord de l’île par les troupes d’Ankara, qui entérinent la division du territoire en juillet 1974. Le mois suivant, le Comité établit une zone de refuge à Nicosie et distribue des secours aux populations déplacées, notamment les Chypriotes turcs réfugiés au sud dans la base britannique d’Episkopi près de Limassol. Ouverte en juillet 1974, la délégation permanente du CICR visite aussi les prisonniers de guerre de part et d’autre avant de fermer ses portes en juin 1977. Du fait de la partition du pays, Genève cesse par ailleurs de reconnaître la Croix-Rouge chypriote, désormais divisée en deux organisations au nord et au sud.
 
-1956-1957, Hongrie : alors qu’Imre Nagy est porté au pouvoir par des manifestants opposés à la mainmise de Moscou, le CICR met en place une de ses plus grosses opérations humanitaires de l’après-guerre, et sa plus importante action de secours dans un pays communiste avant le Vietnam en 1975, le Cambodge en 1979 et l’Ethiopie en 1984. En octobre 1956, il tente d’abord d’organiser un pont aérien depuis Vienne en Autriche. Contraint d’y renoncer au bout de quelques jours, il doit ensuite acheminer les secours par la voie terrestre et fluviale, acceptant de convoyer des vivres des Nations Unies du moment que cela ne compromet pas sa neutralité. Sur place, les envoyés du Comité parviennent à empêcher les rebelles d’exécuter des membres de la police politique, par exemple à Sopron et Györ, où le président du Comité national des insurgés, Attila Szigethy, s’engage auprès du délégué Herbert-Georges Beckh à respecter les Conventions de Genève. Mais leurs efforts sont bientôt contrecarrés par l’Armée rouge, qui envahit Budapest début novembre et qui taxe lourdement les vivres envoyés depuis la frontière autrichienne. A partir de mars 1957, le CICR n’est plus autorisé à acheminer les dons par la route. Il ne peut pas non plus transporter les marchandises par la voie fluviale en raison du gel du Danube. Aussi doit-il se replier sur le chemin de fer en refusant les escortes armées proposées par les autorités. Installé par Moscou, le gouvernement de János Kádár met finalement un terme aux opérations et continue d’interdire à Genève de visiter les détenus d’opinion. C’est seulement en octobre 1965 qu’un délégué pourra inspecter un centre pénitentiaire, Thökol, et s’y entretenir en présence de leurs geôliers avec deux prisonniers politiques qui n’ont d’ailleurs pas été arrêtés en relation avec les événements d’octobre 1956 (les insurgés, eux, ayant bénéficié d’une amnistie deux ans plus tôt). Parallèlement, le CICR organise néanmoins l’accueil des réfugiés qui fuient la répression. La LCR, pour sa part, coordonne les activités des Croix Rouges. En vertu d’un accord signé le 2 novembre 1956 et amendé le 27 suivant, elle reçoit à Vienne les envois des sociétés nationales, à charge pour le CICR de les acheminer en Hongrie ou de les distribuer aux demandeurs d’asile. Reconstituée sous l’égide du Docteur Adolf Pilz en 1945 et la présidence de Karl Seitz à partir de 1946 puis du Professeur Burghard Breitner à partir de 1950, la Croix-Rouge autrichienne (Österreichisches Rotes Kreuz), notamment, s’occupe des camps de réfugiés établis dans les régions de Vienne et Ried im Innkreis. Egalement présentes sur le terrain, ses homologues occidentales assistent quant à elles les Hongrois partis demander l’asile dans des pays comme la France. En Suisse, plus particulièrement, 7 000 d’entre eux sont recueillis dans des centres de Croix-Rouge locale, tandis que 4 000 autres sont hébergés dans des casernes de l’armée helvétique. La question du regroupement familial devient bientôt un problème politique car le gouvernement de János Kádár récuse le principe de la réciprocité et veut rapatrier tous les mineurs réfugiés sans autoriser en contrepartie les parents à rejoindre leurs enfants passés de l’autre côté de la frontière. D’après le dossier consacré à ce sujet par un journal de Genève, à savoir Le Temps du 18 août 2005, le CICR s’oppose au retour forcé des jeunes non accompagnés, qui ont parfois été mêlés aux événements et qui, pour certains, risquent la prison, voire la mort. Il refuse notamment de livrer aux autorités de Budapest la liste des mineurs réfugiés en Autriche. Faute de parvenir à un accord avec la Croix-Rouge hongroise, qui a été complètement épurée par les communistes, le CICR finit par se dessaisir du dossier. Des 200 000 réfugiés partis en 1956, 45 000 rentreront d’eux-mêmes au cours des huit années qui suivent. Au final, le bilan est mitigé. En dépit (ou à cause) de son hostilité à l’institution génévoise, explique Isabelle Vonèche Cardia, l’Union soviétique a seulement autorisé le CICR à intervenir parce que le régime hongrois avait besoin de l’aide matérielle de l’Occident. Au début de la crise, le CICR n’a donc pas insisté sur les visites de prisonniers politiques afin de ne pas compromettre ses distributions de vivres. Par la suite, cependant, il a continué de ménager les autorités pour maintenir des bons contacts et se garder des possibilités d’action dans la sphère communiste. Résultat, il a été peu regardant sur le sort réservé au personnel humanitaire de son partenaire sur place, à savoir la Croix-Rouge hongroise. Sous la coupe de Zoltán Zsebök, un responsable nouvellement nommé par le gouvernement d’Imre Nagy, celle-ci n’avait guère eu le temps de se réorganiser. Après l’arrivée au pouvoir de János Kádár, elle a été dirigée par un commissaire politique, le Docteur György Killner, et présidée par un collège de cinq médecins qui ont tous été démis de leur fonction en mai 1957 et respectivement remplacés par un ambassadeur, Joseph Karpati, et un professeur, Pal Gégesi Kiss. Accusés d’avoir soutenu les contre-révolutionnaires, profité des subsides du CICR et encouragé les grévistes à prolonger leur mouvement grâce à l’aide occidentale, certains d’entre eux ont été arrêtés ou placés en résidence surveillée, tandis que des secouristes locaux étaient torturés pour avoir donné des soins aux insurgés, « détourné » des secours et facilité la fuite de ressortissants hongrois…
 
-Depuis 1957, Inde : la dix-neuvième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à New Delhi, est pour la première fois présidée par une femme, Rajkumari Amrit Kaur, et rassemble les délégués de 83 pays fin octobre 1957. Reprenant un appel lancé par le CICR le 5 avril 1950, elle veut interdire l’usage des armes nucléaires, bactériologiques et chimiques au vu de leurs effets non contrôlés sur les populations civiles. Le projet n’aboutit pas à cause de l’opposition des Etats détenteurs de l’atome, à commencer par les puissances occidentales qui, en juillet 1945, déjà, avaient rejeté une proposition en ce sens de l’URSS à une époque où Moscou n’avait pas encore la bombe. Il est vrai que le contexte de la guerre froide ne facilite pas le dialogue. Suite à un incident diplomatique qui oppose les gouvernements de Taiwan et de Chine populaire, les délégués se demandent même s’il ne vaudrait pas mieux organiser les conférences internationales des Croix Rouges sans les représentants des Etats. En tout état de cause, ils rejettent l’invitation des Soviétiques et refusent de tenir leur prochaine réunion en 1960 à Moscou, qui voit dans l’attitude du CICR une preuve supplémentaire de son inféodation au camp occidental. Présidée depuis 1950 jusqu’à sa mort par une ministre de la Santé, Rajkumari Amrit Kaur (1889-1964), la Croix-Rouge indienne essaie pour sa part de proposer une troisième voie non alignée. Initialement établie par le colonisateur britannique en 1920 et présidée par un gouverneur du Punjab, William Malcolm Hailey, l’IRCS (Indian Red Cross Society) s’est en l’occurrence affranchie de la tutelle de Londres à l’indépendance en 1947. Mais elle n’a pas résisté à la partition de l’Empire des Indes, lorsque le CICR est venu aider des réfugiés de part et d’autre en attendant la conclusion d’un accord de protection des minorités signé par les gouvernements indien et pakistanais le 8 avril 1950. Au Cachemire, elle n’a ainsi pas pu empêcher le bombardement aérien par l’Inde de deux hôpitaux de la Croix-Rouge du Pakistan à Kotli et Bagh, où des patients ont été tués en octobre 1948. Par défaut, c’est de nouveau le Comité de Genève qui revient visiter des prisonniers de guerre et des détenus politiques victimes de la reprise du conflit frontalier sur le Cachemire en 1965. A cette occasion, le CICR assiste également les populations déplacées dans les régions de Sialkot, Sheikupura et Lahore du côté pakistanais et les provinces de Jammu, Punjab et Rajasthan du côté indien. Il facilite notamment l’accueil d’une centaine de milliers de réfugiés musulmans qui franchissent la ligne de cessez-le-feu pour aller trouver abri dans la partie du Cachemire sous contrôle pakistanais. S’il parvient à organiser un échange qui concerne plus d’un millier de prisonniers de guerre des deux nationalités à Husseiniwala en 1966, il se heurte ensuite aux entraves de l’administration indienne, qui lui interdit l’accès au terrain. Après plusieurs décennies de négociations infructueuses, il faut attendre 1994 pour que le CICR soit autorisé à aller secourir des victimes du conflit du Cachemire. En vertu d’un accord signé en 1995, le Comité peut alors visiter les détenus dans les prisons du Jammu, à défaut des autres Etats de la fédération. Actif dans d’autres régions en proie à des conflits armés internes, il n’en est pas moins chassé en 2013 du district de Dantewada où sévit la rébellion maoïste des Naxalites. De son côté, la Croix-Rouge indienne s’occupe plutôt des catastrophes naturelles. Non sans risques : le 12 mai 2001, trois de ses volontaires, Rugnesh Uttakumar Geewala, Anand Shukla et Kalpesh Patel, sont tués dans un accident de la route alors qu’ils allaient distribuer des secours aux victimes d’un tremblement de terre dans la province de Kutch dans l’Etat du Gujarat.
 
-Depuis 1958, Cuba : à l’occasion d’une trêve les 23 et 24 juillet 1958, Fidel Castro permet à des médecins du CICR de rejoindre les maquis de la Sierra Maestra et d’aller à Las Vegas de Jibacoa libérer des blessés capturés dans les rangs des troupes gouvernementales. D’autres évacuations sont organisées les 12 et 13 août. Une fois arrivé au pouvoir le 12 janvier 1959, le gouvernement révolutionnaire et socialiste de Fidel Castro autorise encore le CICR à visiter des détenus politiques et convoque des conférences de presse pour rendre compte des observations des délégués de Genève. Fondée en 1909 par le Docteur Diego Tamayo y Figueredo, la Croix-Rouge cubaine est, pour sa part, reprise en mains et présidée tout au long des années 1960 par un étudiant en médecine devenu commandant dans la guérilla, Gilberto Cervantes Nuñez. Mais le Comité de Genève, dont les membres ne cachent pas leur méfiance à l’égard du nouveau régime, n’est bientôt plus autorisé à visiter des détenus politiques. La tension est particulièrement perceptible après la tentative de débarquement de mercenaires américains dans la baie de Cochons en avril 1961. Au moment de la crise des missiles en octobre 1962, le CICR est alors sollicité par Moscou et Washington pour inspecter les bateaux soviétiques suspectés par les Etats-Unis de transporter des ogives nucléaires. Le projet, qui n’a pas l’agrément de La Havane, ne concerne pas la surveillance du démantèlement des éventuels missiles déjà installés à Cuba et ne connaît pas de suites car l’URSS renonce finalement à envoyer d’autres navires. Le Comité de Genève est quant à lui critiqué par le ministère des Affaires étrangères suisse Friedrich Traugott Wahlen et le député libéral démocrate Willy Bretscher qui, dans un éditorial du Neue Zürcher Zeitung, s’inquiète de l’extension du mandat du CICR vers des activités politiques susceptibles de compromettre sa neutralité. La position de l’institution suscite également de vives réactions au sein du mouvement, provoquant quelques démissions parmi les volontaires des Croix Rouges française, suédoise, néerlandaise et suisse. Le projet paraît d’autant plus hasardeux que, d’après l’historien Thomas Fischer, c’est en réalité de sa propre initiative que Comité de Genève est allé proposer ses bons offices aux Nations Unies à New York. Pareille démarche reçoit en revanche le soutien du président de la Croix-Rouge française, André François-Poncet, et de ses homologues d’Europe de l’Est, qui cherchent à attirer le CICR sur le terrain très politique du mouvement de la paix. Le Comité, pour sa part, argue que son initiative répondait à une situation exceptionnelle car le droit international humanitaire aurait tout simplement disparu si une guerre nucléaire avait éclaté. De plus, il s’agissait de rompre un blocus afin de permettre l’acheminement de vivres vers Cuba. Enfin, le CICR a pu se saisir de l’occasion pour se rapprocher de l’URSS, qui a pour la première fois apprécié l’intérêt d’une institution dont elle demandait la suppression au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
 
-A partir de 1959, Zimbabwe : dans un pays connu à l’époque sous le nom de Rhodésie du Sud, le CICR est autorisé par le colonisateur britannique à s’entretenir avec les suspects arrêtés en vertu de l’état d’urgence à partir de 1959, notamment dans les prisons de Salisbury, Hwa-Hwa et Enslinsdeel, puis Chikurubi. Jusqu’en 1974, cependant, il n’a pas accès aux personnes inculpées de crime contre la sécurité de l’Etat. Il ne peut donc assister les détenus en cours d’interrogatoire ou de procès. Ses modalités d’action diffèrent ainsi de l’Afrique du Sud, où il a seulement accès aux prisonniers politiques déjà condamnés, et de l’Afrique portugaise, où il a l’occasion de visiter toutes les personnes qui dépendent de la Direction générale de la sécurité, quelque soit leur statut juridique. En 1965, la donne change ensuite quand la Rhodésie proclame unilatéralement son indépendance, qui est rejetée par la communauté internationale mais qui oblige le Comité à composer avec le gouvernement raciste de Ian Smith. Le CICR, qui refuse de reconnaître la Croix-Rouge locale comme une société autonome, doit en l’occurrence cesser de transmettre ses rapports de visites de prisons à la Croix-Rouge britannique, qui symbolise la tutelle de Londres. La situation se dégrade car la guerre entre le gouvernement minoritaire des Blancs et les mouvements de libération des Noirs prend de l’ampleur avec de nombreuses violations des Conventions de Genève. D’un côté, les guérilleros du Patriotic Front tuent des villageois, achèvent des soldats désarmés, prennent la population en otage, abattent des avions civils et ne permettent pas au CICR de visiter leurs prisonniers. De l’autre, les autorités interdisent de ravitailler les régions aux mains des rebelles, appliquent la peine de mort pour les opposants politiques et attaquent des paysans sans défense. Le CICR se retrouve alors à servir la stratégie militaire du gouvernement en ravitaillant 80 des 270 « villages protégés » où l’armée rassemble la population pour vider les campagnes et isoler la guérilla. Un tel positionnement n’est pas sans dangers. Malgré l’emblème de la Croix-Rouge, un employé local, Charles Chatora, et deux délégués du CICR, André Tièche et Alain Bieri, sont tués le 18 mai 1978 lors de l’embuscade de leur véhicule, qui les conduisait à une clinique à Nyamaropa dans le district d’Inyanga près de la frontière mozambicaine. Les trois hommes sont vraisemblablement abattus par des rebelles qui les prennent pour des collaborateurs des Blancs. Les équipes du CICR décident en conséquence de prendre l’avion et d’arrêter de se déplacer par la route, réduisant considérablement les possibilités d’action sur le terrain. En collaboration avec les Luthériens de la LWF (Lutheran World Federation), l’organisation recentre plutôt ses opérations de secours sur les réfugiés accueillis dans les bases arrières des deux principaux mouvements de libération, la ZANU (Zimbabwe African National Union) à Doroï au Mozambique et la ZAPU (Zimbabwe African People's Union) à Francistown, Selebi-Pikwe et Dukwe au Botswana, d’une part, et à Solwezi et dans les camps de Freedom, Moyo, Victory et Nampundwe (Shilenda) autour de Lusaka en Zambie, d’autre part. Là aussi, le CICR joue un rôle ambigu en matière de lutte armée. Dans les hôpitaux mozambicains de Chimoio, Tete et Songo, il soigne par exemple les blessés de guerre de la ZANU, qui finit par s’emparer du pouvoir à l’indépendance du Zimbabwe en 1980.