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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1960-1969


-Depuis 1960, Congo-Kinshasa : le CICR envoie des secours aux victimes des troubles qui suivent l’indépendance et qui mènent à la sécession d’une partie de l’ancienne colonie belge. En pratique, l’institution se préoccupe d’abord de la population blanche, et non noire. Dépêchée par la Croix-Rouge norvégienne, une première équipe médicale débarque à Léopoldville (actuel Kinshasa) le 25 juillet 1960. D’autres suivent et s’enfoncent plus à l’intérieur du pays, notamment dans le Kasaï, où sont acheminés des vivres. Le conflit prend un tour nouveau avec l’envoi de casques bleus pour mater la sécession katangaise à partir d’août 1960. Les équipes du CICR sont désormais acheminées dans des véhicules et des avions des Nations Unies, qui mettent bientôt à disposition du Comité un DC3 de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) entre septembre 1960 et juin 1961. L’opération de la paix de la communauté internationale ne permet cependant pas de mettre un terme aux combats. Au contraire, un délégué du CICR, Georges Olivet, et deux ambulanciers belge et hollandais de la Croix-Rouge katangaise, Styts Smeding et Nicole Vroonen, sont tués accidentellement à Elisabethville le 13 décembre 1961, très vraisemblablement par des casques bleus du contingent éthiopien qui leur tirent dessus à bout portant. L’ONU, qui refuse de reconnaître sa responsabilité directe dans le drame, accepte le 19 octobre 1962 de verser des compensations aux familles des victimes. A défaut d’avoir accès à tous les détenus politiques et militaires, le Comité de Genève parvient à superviser des échanges de prisonniers entre les casques bleus et les sécessionnistes katangais les 28 décembre 1961 et 15 janvier 1962. En juillet 1964, un délégué du CICR, Laurent Marti, négocie pour sa part avec un chef rebelle, Gaston-Emile Soumialot, l’arrivée de secours à Albertville et la libération de quinze Européens exfiltrés vers Bujumbura au Burundi. En septembre suivant, son interlocuteur l’autorise également à envoyer des médicaments à Stanleyville, où les hommes de Christophe Gbenye ont proclamé une république populaire. A Buta près de la frontière centrafricaine en mars 1965, Laurent Marti rencontre moins de succès : cinquante-trois Européens sont exécutés par les rebelles du colonel Augustin Makombo après qu’une otage, violée, a réussi à s’enfuir grâce à la complicité du CICR. En octobre et novembre 1967, le Comité de Genève tente cette fois d’évacuer vers le Rwanda les mercenaires européens et leurs alliés katangais retranchés à Bukavu. L’opération prend du retard à cause des réticences de Raymond Gafner, le chef de la mission du CICR et un ancien militaire qui, contrairement à Laurent Marti, veut d’abord sécuriser la zone et attend en vain les troupes d’une force d’interposition panafricaine. L’Armée nationale du général Joseph-Désiré Mobutu, au pouvoir à Kinshasa, en profite pour reprendre l’offensive et bombarder la ville de Bukavu, provoquant la mort de dix-sept blessés dans un hôpital. A partir du Rwanda voisin, le CICR peut finalement évacuer les mercenaires européens et leurs familles dans des avions convoyés par des employés de la société de surveillance Securitas en avril 1968, tandis que les gendarmes katangais sont bientôt rapatriés dans leur pays. Les violences ne sont pas terminées pour autant. Le 11 mai 1978, un autre délégué du CICR, Frédéric Steinemann, est dépêché depuis la Zambie pour prévenir la famine dans la province de Shaba après l’occupation et le pillage de Kolwezi par les guérilleros du Front de Libération Nationale du Congo. Refusant d’acheter des vivres à des prix exorbitants au marché noir, il se lasse d’attendre le ravitaillement promis par Genève et décide de convoyer en train vers Kolwezi les denrées fournies gratuitement par la grande entreprise minière de Lubumbashi, la Gécamines, à charge pour lui de servir d’éclaireur au conducteur de la locomotive afin de s’assurer que la voie n’est pas minée. Le CICR s’enracine ensuite dans la région quand s’effondre la dictature de Mobutu Sese Seko et qu’affluent des réfugiés qui fuient ou qui ont participé au génocide rwandais d’avril à juin 1994. Les conditions de travail restent très difficiles et, le 14 décembre 1994, Genève en appelle publiquement à la communauté internationale pour éviter l’embrasement de l’Afrique des Grands Lacs. Le 6 novembre 1995, le Comité se résout à suspendre ses activités dans la région de Masisi quand un de ses convois qui transportait des déplacés est détourné vers Goma par l’armée zaïroise. De même lors de l’insurrection de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), qui aboutit à la chute du régime de Mobutu Sese Seko, le CICR doit arrêter ses opérations dans le Kivu, où cinq volontaires de la Croix-Rouge locale sont tués en octobre 1996. Aucune région n’est à l’abri des combats et du grand banditisme. Tandis que des véhicules et des bureaux du Comité sont régulièrement volés et pillés à Uvira et Bukavu, un chauffeur, Sylvain Mutombo, est tué à Kinshasa par des hommes en armes qui s’emparent de sa voiture le 12 janvier 1998. Ensanglantée par de nombreux affrontements, la province frontalière de l’Ituri, où le CICR ouvre un bureau à Bunia en avril 1998, est une des plus dangereuses qui soit pour les humanitaires. Selon Johan Pottier, le manque de transparence de Genève n’y est pas pour rien non plus. Il attise la méfiance des miliciens et contribue au drame du 26 avril 2001, lorsque trois collaborateurs locaux (Véronique Saro, Aduwe Boboli et Jean Molokabonge), une infirmière suisse (Rita Fox-Stucki), un délégué colombien (Julio Delgado) et un employé congolais (Unen Ufoirworth) de l’Agence centrale de recherches du CICR sont massacrés sur la route entre Djugu et Fataki au nord de Bunia. N’ayant pas reçu de réponse à ses demandes d’explications auprès de Kampala, dont l’armée contrôlait la zone, le CICR décide en conséquence de se retirer d’Ouganda. En Ituri, la situation continue d’être tendue et la Croix-Rouge locale perd deux employés lors de combats à Bunia le 11 mai 2003.
 
-Depuis 1961, Indonésie : le CICR, qui avait facilité l’évacuation des colons hollandais de Java lors de la guerre d’indépendance de 1946 à 1948, représente les intérêts des Pays-bas après la rupture, en août 1960, des relations diplomatiques entre La Haye et Djakarta à propos de l’annexion de la Nouvelle Guinée occidentale, aujourd’hui connue sous le nom d’Irian Jaya. De septembre 1961 à mai 1962, le Comité de Genève remplit ainsi une fonction consulaire pour l’ancien colonisateur hollandais, qui le charge de verser des subsides et de faciliter le rapatriement de ses ressortissants restés sur place. Dans les années 1990, le CICR jouera d’ailleurs un rôle un peu similaire lorsqu’il délivrera des titres de voyage aux Timorais de l’Est désireux de rejoindre le Portugal, qui n’a pas de représentation diplomatique à Djakarta. En attendant, Genève se heurte à de nombreuses difficultés pour venir en aide aux victimes des troubles qui suivent l’indépendance de l’Indonésie. Lors de la sécession d’une éphémère République des Moluques sur l’île d’Amboine en avril 1950, déjà, il n’avait pas été autorisé à acheminer des vivres en zone rebelle et à briser le blocus des troupes de Djakarta avant la fin des opérations militaires, qui avaient vite abouti à la défaite des insurgés. Le CICR n’a pas non plus la possibilité d’assister les victimes d’une répression anticommuniste et antichinoise qui fait un demi million de morts à partir de janvier 1965. La dictature du général Mohammed Suharto, qui arrive au pouvoir en mars 1967, permet seulement à Genève de distribuer des secours à quelque 50 000 déplacés d’origine chinoise qui ont fui les troubles à Pontianak et Singkawang dans la région du Kalimatan sur la côte occidentale de l’île de Bornéo. Pour le reste, les autorités prennent soin d’évacuer et de cacher leurs prisonniers politiques avant l’arrivée des délégués du CICR, qui doivent annoncer leurs inspections à l’avance. En 1977, Genève en est réduit à protester publiquement contre l’impossibilité de visiter la colonie pénitentiaire de l’île de Buru, où il a pu se rendre en 1971 et où sont détenus 14 000 personnes soupçonnées de sympathies communistes. La décennie suivante voit cependant la situation s’améliorer. A partir d’octobre 1979, le CICR est, avec l’ONG américaine CRS (Catholic Relief Service), une des seules organisations humanitaires admises au Timor oriental, ancienne colonie portugaise envahie par l’armée indonésienne en décembre 1975. Les conditions de travail ne sont certes pas faciles. En l’absence de routes, Genève doit distribuer des secours par la voie aérienne et déplore la mort d’un pilote, Ashoka Lolong, et d’un docteur de la Croix-Rouge indonésienne, Bagus Rudiono, lors de l’accident d’un hélicoptère qui s’écrase près de Dili le 2 avril 1983. De plus, les combats entre les troupes de Djakarta et les rebelles du FRETILIN (Frente Revolucionário de Timor-Leste Independente) interdisent l’accès à de nombreuses régions et contraignent le CICR à restreindre son assistance à 2 000 déplacés sur l’île d’Atauro avant d’être de nouveau autorisé à se déplacer dans l’arrière pays. Enfin, les visites de détenus à Atauro, Con (Los Palos) et Dili dans la prison de la Comarca dépendent toujours du bon vouloir des autorités indonésiennes, qui suspendent les opérations de juillet 1983 à avril 1985. Il faut attendre les émeutes de Dili en novembre 1991 pour que Genève puisse vraiment s’entretenir avec des prisonniers politiques, notamment le chef du FRETILIN, Xanana Gusmao. Le CICR intervient alors plus massivement au moment des violences de septembre 1999 qui conduisent à l’indépendance du Timor oriental. Perçue comme favorable à la sécession, sa délégation de Dili est attaquée par des miliciens pro-indonésiens et ferme ses portes pendant quinze jours. De même, l’organisation doit ensuite se retirer de la partie occidentale et indonésienne de l’île, où elle était venue faciliter le rapatriement d’une centaine de milliers de personnes et où trois expatriés du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés sont assassinés par des partisans de Djakarta le 6 septembre 2000. Le Comité de Genève s’implique cependant dans les autres conflits sécessionnistes qui déchirent le reste de l’archipel. Seule organisation humanitaire admise dans la province d’Irian Jaya, il ouvre une sous délégation à Jayapura en septembre 1989, commence à visiter des prisonniers d’opinion en janvier 1991 et connaît un regain d’activités quand le Congrès du peuple papou proclame unilatéralement l’indépendance en juin 2000. A partir de décembre 1991, encore, il est autorisé à assister des détenus politiques à Aceh. Mais la recrudescence des combats avec les indépendantistes du GAM (Gerakan Aceh Merdeka) limite beaucoup les possibilités de déploiement, tant à cause de l’insécurité que des entraves administratives de l’armée. Le CICR essaie de passer par le relais de la Croix-Rouge indonésienne, dont un employé, Jafar Syehdo, est torturé et tué par les rebelles dans le village de Glumpang Payong près de Jeumpa dans le district de Bireuen le 3 octobre 2001. Après la proclamation, en mai 2003, de la loi martiale pour une durée d’un an, Genève se résout à fermer temporairement ses bureaux d’août à décembre. Si le Comité peut faciliter la libération d’une bonne centaine de prisonniers aux mains du GAM à partir de mai 2004, c’est finalement le raz-de-marée de décembre 2004 qui lui permet de se déployer pleinement. Le CICR distribue en l’occurrence des secours aux victimes du tsunami dans la partie nord-est d’Aceh, où se concentrent les guérilleros indépendantistes, et laisse à la FICR le soin de travailler sur la côte ouest, où une volontaire venue de Hongkong, Eva Yeung, se fait tirer dessus et est blessée à Lamno dans le district de Leupung le 22 juin 2005.
 
-1962-2016, Yémen : dans le Nord du pays, où les monarchistes soutenus par les Saoudiens font la guerre à des républicains financés par l’Egypte nassérienne, le mouvement de la Croix-Rouge n’existe pas et le CICR commence à travailler dans des conditions difficiles qui l’obligent pour la première fois à se doter de radios afin de communiquer avec Genève. Dans un premier temps, son intervention est surtout d’ordre médical et consiste à dépêcher sur place des volontaires comme Max Récamier en 1964 et Pascal Grellety-Bosviel en 1968, qui feront partie des douze fondateurs de MSF (Médecins sans frontières) en 1971. Les équipes du CICR, en l’occurrence, s’occupent d’abord en 1963 d’un hôpital de campagne qui est transporté par un avion de l’armée américaine et installé à Uqd près de la frontière saoudienne, dans la zone sécurisée par une mission d’observation des Nations Unies jusqu’en 1964. Emmenées par un délégué entreprenant, André Rochat, elles ont toutes les peines du monde à obliger les combattants à déposer leurs armes avant d’être soignés. Les docteurs itinérants qui opèrent en dehors des hôpitaux de campagne sont régulièrement menacés par des bédouins qui les obligent à leur donner la priorité. Le traitement des femmes, qui refusent d’être déshabillées, ne facilite pas non plus les auscultations et les éventuelles injections à travers les vêtements. D’après un documentaire réalisé par Frédéric Gonseth, intitulé La Citadelle Humanitaire et diffusé sur la châine de télévision Arte le 29 septembre 2010, les républicains, quant à eux, se plaignent que le CICR travaille exclusivement avec les royalistes faute d’avoir les moyens d’ouvrir un second hôpital dans une zone tenue par les forces nassériennes. Pour rééquilibrer sa position, Genève entreprend en conséquence de distribuer du lait aux enfants de Saana et fait valoir qu’il soigne les prisonniers de guerre égyptiens entre les mains de l’imam Muhammad Al-Badr. Après le départ des troupes nassériennes du fait de la guerre des six jours avec Israël en juin 1967, le Comité ne continue pas moins de se heurter à l’hostilité du général républicain Hassan Amri, qui a pris la relève. D’une manière générale, l’insécurité ambiante restreint les possibilités d’action et oblige le CICR à recruter des gardes armés. En mai 1967, un convoi de l’organisation, marqué de l’emblème de la Croix-Rouge, est délibérément attaqué et détruit par l’aviation égyptienne dans la vallée du Wadi Herran. Outre Laurent Vust, un délégué qui est le seul survivant d’un accident d’avion en juin 1967, Frédéric de Bros, un médecin du CICR, est touché par une balle lors d’une embuscade de bédouins dans le désert du Jauf en août suivant. Etabli à Jihanah en janvier 1968, un poste de santé est par ailleurs bombardé deux mois après lors d’une attaque qui détruit les installations et blesse gravement les deux Yéménites chargés de le garder ; Genève se résout à abandonner la position en janvier 1969 et ses équipes se replient vers l’Arabie Saoudite en forçant le passage avec leur escorte armée. L’assistance aux détenus se heurte également à de nombreux problèmes. En effet, la vie des captifs se négocie en échange de pièces d’or auprès de l’imam Mohamed el-Badr, qui dirige le camp des monarchistes. Les efforts du Comité en la matière ne sont pas toujours récompensés : accédant à sa demande de déferrer les détenus, les geôliers referment les portes des cellules, qu’on laissait autrefois ouvertes en permettant aux prisonniers d’aller se promener enchaînés dans les rues. Du côté républicain et égyptien, on ne respecte pas plus le droit humanitaire. Dans des communiqués de presse du 31 janvier et 2 juin 1967, le CICR dénonce publiquement des bombardements au gaz que ses délégués sur le terrain ont observés et fini par prouver. Si Genève s’abstient d’imputer ces attaques à l’une ou l’autre des parties en conflit, la responsabilité du Caire ne fait aucun doute car seul le camp républicain dispose d’une armée de l’air. Le 28 juillet 1967, un article du New York Times attribue d’ailleurs le méfait aux Egyptiens, apparemment sur la foi d’un rapport confidentiel du CICR. Tandis que les combats se poursuivent, Genève réduit ensuite ses activités pour intervenir dans d’autres conflits comme la guerre du Biafra au Nigeria. En février 1970, il renonce ainsi à établir une équipe chirurgicale à Saada dans l’extrême nord et se repositionne jusqu’en août à Khamer, près de Sanaa, dans un établissement jamais utilisé depuis sa construction trois ans auparavant. Les besoins restent pourtant importants dans le Sud du Yémen, qui obtient l’indépendance en novembre 1967. De sa propre initiative, André Rochat avait déjà réussi à négocier un accès aux prisonniers entre les mains du colonisateur britannique ; puis il était parvenu à organiser l’évacuation vers Le Caire des derniers soldats républicains pro-égyptiens. Mais Aden a bientôt des revendications frontalières sur le Nord. Le CICR est donc amené à visiter les militaires capturés de part et d’autre lors de combats qui opposent les troupes des deux pays en septembre 1972. A partir de mars 1973, en outre, il distribue des vivres à des réfugiés qui fuient le Sud, devenu une République démocratique populaire affiliée au camp soviétique. En mars 1979, de nouveau, il secourt des personnes déplacées lors d’escarmouches frontalières entre les troupes des deux pays. Délaissant le Nord, où un Croissant Rouge yéménite est créé le 4 juillet 1970, le CICR recentre alors ses activités dans le Sud. A Aden, où il avait été autorisé à assister les détenus aux mains du colonisateur britannique, il poursuit ses visites dans la forteresse de Mansura en octobre 1968, avril 1969, janvier, juin et octobre 1970 puis septembre 1971. S’il n’a pas toujours le loisir de s’entretenir sans témoins avec les prisonniers, il parvient à organiser en janvier 1971 un échange de militaires capturés lors d’escarmouches frontalières qui ont opposé le Yémen du Sud et l’Arabie Saoudite dans l’Hadramaout en novembre 1969. Le volet médical des opérations du CICR se développe par la même occasion avec l’aide de médecins et de chirurgiens fournis par les Croix Rouges d’Europe de l’Est. En 1969, par exemple, le Comité établit une équipe à Mukallah pour soigner les populations de l’Hadramaout. Par la suite, la situation se normalise et le CICR ferme sa délégation à Aden en 1974. Les combats entre deux factions rivales du parti socialiste au pouvoir le conduisent cependant à revenir brièvement en ville visiter des détenus, prodiguer des soins médicaux et distribuer une aide alimentaire en janvier 1986. De mai à juillet 1994, encore, le CICR se déploie à Aden lors d’une guerre civile qui oppose le Nord et le Sud Yémen à propos de leur fusion à marche forcée en mai 1990. Vingt ans plus tard, le Comité revient pour venir en aide aux victimes des combats entre les rebelles chiites houthis, les forces progouvernementales sunnites et les armées de la coalition internationale menée par l’Arabie Saoudite. Fin août 2015, le CICR doit suspendre temporairement ses activités après une attaque contre ses bureaux à Aden. Deux de ses collaborateurs locaux ne sont pas moins tués par un sniper dans un convoi entre Saada et Sanaa le 2 septembre 2015. Le 1er décembre 2015 à Sanaa, une employée franco-tunisienne du CICR, Nourane Houas, est enlevée par un groupe crapuleux ; elle sera relâchée le 3 octobre 2016 grâce à une médiation du sultanat d’Oman.
 
-1963, Norvège : à l’occasion de son centième anniversaire, le CICR obtient son troisième prix Nobel de la Paix en tant qu’institution, cette fois concomitamment avec la Ligue des Croix Rouges. L’initiative en revient à un rescapé norvégien des camps de concentration nazis, Anders Daae, dont le père avait déjà été chargé par Henry Dunant de recevoir en son nom le prix Nobel de la Paix en 1901. Pour ne pas relancer d’inutiles querelles, c’est en revanche le CICR qui demande que la LCR soit également récompensée. En effet, arguaient certains, la Ligue contribuait davantage à la paix car le Comité était foncièrement destiné à travailler en temps de guerre en dépit de son rôle préventif au moment de la crise des missiles à Cuba en 1962. Le prix Nobel de la Paix consacre donc le développement d’une organisation qui, longtemps dominée et dirigée par les Américains, a beaucoup évolué depuis que le président de la Croix-Rouge suédoise, Emil Sandström, en a pris la tête en 1950 et en a fait une fédération en 1952. Avec l’accession à l’indépendance des pays du tiers-monde, une règle non écrite veut bientôt que la présidence de la FICR (Fédération internationale des Croix Rouges), qui a un caractère purement honorifique, soit représentative de la diversité du mouvement. A un Canadien élu en 1959, John Macaulay, succèdent ainsi un Mexicain en 1965, José Barroso Chavez, un Nigérian en 1977, Joseph Adetunji Adefarasin, un Espagnol en 1981, Enrique de la Mata, un Vénézuélien en 1987, Mario Enrique Villarroel Lander, une Norvégienne en 1997, Astrid Nøklebye Heiberg, et un Espagnol en 2001, Juan Manuel Suárez del Toro Rivero. Cependant, la vice-présidence de la FICR est généralement confiée au président de la Croix-Rouge suisse. Traditionnellement, le poste de secrétaire général, qui a un pouvoir décisionnel, revient aussi à un Occidental : successivement le Suisse William Rappard en 1919, le Belge René Sand en 1921, les Américains Tracey Kittredge en 1927, Ernest Bicknell en 1930 et Ernest Swift en 1931, le Français Bonabès de Rougé en 1936, l’Américain Henry Dunning en 1957, le Suédois Henrik Beer en 1960, le Norvégien Hans Høegh en 1982, le Finlandais Pär Stenbäck en 1988, le Canadien George Weber en 1993, le Français Didier Cherpitel en 2000 et le Finlandais Markku Niskala en 2003. Leur nomination est le résultat de négociations éminemment politiques. Ancien ministre de l’Education puis des Affaires étrangères de Finlande, Pär Stenbäck est par exemple choisi parce que son pays se situe à la confluence des réseaux de pouvoir des pays de l’Est et de l’Ouest pendant la guerre froide ; son successeur, George Weber, parce qu’il est québécois et donc à la fois francophone et anglophone. En définitive, la démocratisation et l’internationalisation de la FICR touchent surtout son organe suprême, le conseil des gouverneurs, qui est remplacé en 1976 par une assemblée de délégués renouvelable tous les deux ans afin de rajeunir une instance trop souvent composée de retraités éloignés des préoccupations de leur société nationale d’origine. Créée en 1919 à l’instigation de Henry Davison, qui avait voulu y imposer un autre Américain (le ministre de l’Intérieur Franklin Lane), la fonction de directeur général de la LCR est quant à elle supprimée depuis 1927 après avoir été d’abord occupée par l’attaché militaire britannique en France, le général David Henderson, puis, à sa mort en 1921, le président britannique de la Croix-Rouge indienne, Claude Hill, et, en 1926, un officier de l’armée américaine, Ernest Bicknell.
 
-A partir de 1964, Vietnam : le CICR connaît un regain d’activité au moment où les Etats-Unis envoient dans le Sud des troupes soutenir le régime de Saigon, menacé par les attaques des guérilleros du Viet Cong et les incursions des communistes au pouvoir à Hanoi dans le Nord. Depuis 1961, le Comité de Genève était parvenu à transférer des Nord-vietnamiens depuis la Thaïlande et à rapatrier des Américains et des Sud-Vietnamiens capturés par les Chinois sur les îles Paracels. Mais l’intensification des combats restreint considérablement les possibilités d’action sur le terrain. Bien qu’ayant reconnu les Croix Rouges du Sud puis du Nord Vietnam en 1957, le CICR n’est pas autorisé à intervenir à Hanoi et ne peut travailler qu’auprès des autorités de Saigon. Le régime communiste de Ho Chi Minh, qui a adhéré aux Conventions de Genève en 1957, considère en effet ses prisonniers américains comme des criminels de guerre, arguant qu’il s’agit d’un conflit interne puisque les accords de paix de 1954 ne prévoyaient pas la constitution de deux Etats au Vietnam. Au contraire, les Américains, qui défendent l’intégrité territoriale du Sud, dénoncent la violation par le Nord d’une frontière internationale et traitent les soldats capturés en prisonniers de guerres. Le gouvernement de Saigon, qui a adhéré aux Conventions de Genève en 1953, tient le même raisonnement à l’égard des combattants irréguliers du Viet Cong, qui composent les trois quarts des quelque 40 000 détenus pris l’arme à la main. Le problème concerne les civils suspectés de sympathies communistes, qui sont victimes de mesures administratives arbitraires et de mauvais traitements en prison. Interdit de visite en 1965, le CICR a très peu accès à cette catégorie de population et ne réussit pas à systématiser le principe de ses inspections. Un accord négocié en 1969 l’oblige en l’occurrence à prévenir les autorités un mois à l’avance et ne lui permet pas de s’entretenir avec les détenus sans la présence de leurs geôliers. Résultat, Genève se retrouve au beau milieu d’un scandale lorsque des parlementaires américains découvrent l’existence des terribles « cages à tigres » de la fameuse prison de Con Son et que, pour se justifier, le gouvernement cite un rapport du Comité à propos des « bonnes » conditions de détention du lieu. Dans l’International Herald Tribune du 10 puis 15 juillet 1970, le CICR doit alors publier un démenti et rappele r qu’il ne peut visiter que les prisonniers de guerre, et non les internés civils. Inquiet d’être récupéré par la propagande du régime, le Comité décide en conséquence de se ranger à l’avis de sa délégation à Saigon et de mettre unilatéralement fin, en mars 1972, aux visites de détenus administratifs. Le CICR ne renonce pas pour autant à essayer de protéger les populations civiles en zone urbaine et rurale. Il est notamment convié à négocier avec le Nord l’établissement et la neutralisation de sanctuaires dans le Sud, proposition que Genève avait formulée dès 1966 à l’occasion de discrètes protestations contre les bombardements américains. Le projet ne connaît pas de suite à cause de la signature des accords de paix à Paris en 1973, lorsque la Ligue des Croix Rouges commence à prendre le relais sur le terrain. Au final, le bilan de l’action du CICR paraît assez mitigé, ainsi que le constate le « directeur de cabinet » de Marcel Naville, Michel Barde, qui doit quitter le Comité en 1975 pour publier un mémoire critique sur « la Croix-Rouge et la révolution indochinoise ». Si quelques échanges de prisonniers ont pu être organisés, à l’instar des détenus du camp de Phu Quoc envoyés à Hanoi en 1971, Genève n’est pour rien dans la libération des neuf pilotes américains relâchés par les communistes pour des raisons de propagande pendant la guerre. Outre son échec à protéger les internés administratifs dans le Sud, le CICR est complètement absent du Nord et, en janvier 1966, les Viet Cong du FLN (Front de libération nationale) vont jusqu’à refuser ses dons, arguant qu’ils n’ont rien demandé ! Par l’intermédiaire des Croix Rouges soviétique et nord-vietnamienne, le Comité peut seulement financer des structures hospitalières à Hanoi à partir de 1965, sans droit de regard sur l’utilisation de ses fonds. A la suite des accords de 1973, le CICR n’est pas non plus convié par le Nord à encadrer le rapatriement de quelque 500 militaires américains. Après la victoire communiste à Saigon en avril 1975, il n’est pas davantage autorisé à pénétrer dans les camps de rééducation et doit se contenter de visiter quelques prisonniers de guerre chinois capturés lors d’un conflit frontalier avec Pékin en février 1979. Le CICR n’a pas non plus le loisir de faciliter le retour des réfugiés et la réinstallation des personnes déplacées par le conflit. Fermée en septembre 1976 et repliée sur Hanoi, qui est devenue la capitale d’un Vietnam réunifié, sa délégation de Saigon n’obtient pas la permission de superviser les distributions de secours, officiellement pour des raisons de sécurité. Faute d’être autorisé à visiter des détenus politiques, le CICR se résout finalement, en mars 1993, à transférer sur Bangkok son bureau régional à Hanoi. De fait, l’institution est perçue avec méfiance par les autorités communistes, qui y voient un instrument du camp impérialiste. Tout au long du conflit, elle a paru favoriser Washington en dénonçant en priorité les violations du droit humanitaire par Hanoi. Essentiellement préoccupé par le sort des combattants, le Comité de Genève, relève par exemple Richard Falk et al., n’a pas protesté contre les massacres de civils dans le Sud, comme à My Lai, mais contre les procès que le Nord a voulu intenter en 1966 à des pilotes américains capturés et traités en criminels de guerre. Hanoi a notamment reproché au CICR de ne pas condamner explicitement les bombardements de Washington, qui affectaient des structures hospitalières, et d’émettre des protestations à l’encontre de toutes les parties en présence lors d’un appel en date du 29 décembre 1972. Autre critique, le Comité de Genève n’a pas relayé les accusations partiales du président de la Croix-Rouge vietnamienne du Nord, Tran Thi Dich, contre l’utilisation par les Etats-Unis d’herbicides à forte concentration en dioxines afin de détruire le camouflage naturel de la forêt dans le Sud du pays entre 1961 et 1971. En revanche, le CICR n’a pas désapprouvé le comportement de la Croix-Rouge américaine, qui, avec des financements de la Maison Blanche à partir de 1964, a délibérément accompagné les troupes de Washington et soutenu l’établissement de « villages de la paix » pour rassembler la population et priver les rebelles du soutien de la paysannerie dans les campagnes. Par contrecoup, le CICR a été suspecté de cautionner une telle politique car il n’a pas réussi à s’occuper des minorités montagnardes déplacées de force par le gouvernement de Saigon en 1966-1969.
 
-1965, Autriche : la vingtième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Vienne du 2 au 9 octobre 1965, énonce les sept principes fondamentaux du mouvement, à savoir l’humanité, l’impartialité, la neutralité, l’indépendance, le volontariat, l’unité et l’universalité. Accueillie dans un pays qui se veut lui-même neutre, la rencontre est moins tendue qu’à New Delhi en 1957 car la brouille entre la Chine et l’URSS, d’une part, et le boycott de Pékin, d’autre part, permettent d’évacuer temporairement la querelle sur la représentation du gouvernement de Taiwan. L’événement consacre surtout l’émergence de nouvelles sociétés issues des pays décolonisés. Sur 90 Croix Rouges présentes, 25 participent pour la première fois à une telle rencontre. Avec le vote de la résolution n°27, les délégués prennent également la décision de décharger le CICR de l’obligation de transmettre les protestations des sociétés nationales, qui sont souvent motivées par des considérations politiques lorsque leur pays est impliqué dans un conflit. Entre chaque conférence internationale, la continuité du mouvement est plutôt assurée par une Commission de neuf membres, dont cinq élus en assemblée plénière, deux nommés par la Fédération et deux représentants du Comité. La fonction d’intermédiaire du CICR est désormais réduite aux cas de rupture grave des canaux de communications entre Etats. Présidé depuis septembre 1964 par un colonel à la retraite, Samuel Gonard, le Comité tient en effet à protéger sa neutralité en pleine guerre du Vietnam, quitte à taire son rôle d’alerte en matière de dénonciation des violations des droits de l’homme. De fait, les luttes de libération nationale nourrissent de nombreuses controverses préjudiciables aux idéaux d’une action humanitaire impartiale. La vingt-et-unième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Istanbul du 6 au 13 septembre 1969, est ainsi récupérée par les représentants arabes et devient une tribune politique contre Israël, qui a occupé la bande de Gaza et les territoires de Cisjordanie à la suite de la guerre des six jours en juin 1967. Fondé en janvier 1969 et présent à titre d’observateur au sein de la délégation jordanienne, le Croissant Rouge palestinien est évidemment parmi les plus virulents à ce sujet. Dans le même ordre d’idées, les représentants des pays du Sud et de l’Est, désormais majoritaires, politisent la vingt-quatrième conférence internationale des Croix Rouges, qui réunit 121 sociétés nationales et se déroule à Manille du 7 au 14 novembre 1981. Mis sous pression, le CICR souscrit alors à une résolution contre l’occupation de la bande de Gaza et des territoires de Cisjordanie par Israël. Mais il obtient aussi le vote d’une motion qui déplore les problèmes d’accès aux prisonniers de guerre et aux populations civiles au Sahara occidental, dans l’Ogaden éthiopien, en Afghanistan et en Erythrée, régions où Genève n’a pas été autorisé à intervenir. Ce faisant, le Comité rééquilibre la balance et souligne discrètement que les entraves à l’acheminement de l’aide proviennent bien autant des gouvernements « conservateurs » que des guérillas « progressistes ».
 
-1966-2002, Angola : après avoir essuyé un refus en août 1961, le CICR est autorisé par le colonisateur portugais à visiter les détenus politiques et les combattants capturés en train de lutter pour l’indépendance. A l’instar du Mozambique en 1966, de la Guinée Bissau en 1965 et de Goa en 1961, le Comité de Genève a ainsi accès à plusieurs catégories de prisonniers, tant civils que militaires. Au titre de la réciprocité, il parvient par la même occasion à négocier la libération de quelques Portugais aux mains des guérillas indépendantistes. Depuis le Congo-Kinshasa, il obtient que le FNLA (Frente Nacional de Libertação de Angola) relâche deux fillettes et un militaire grièvement blessé en 1970, suite aux précédents du PAIGC (Partido Africano para a Independência da Guiné e Cabo Verde) et du Frelimo (Frente de Libertação de Mozambique), qui avaient respectivement libéré deux et huit ressortissants portugais en 1968 et 1969. La Révolution des Œillets à Lisbonne en 1974 facilite ensuite le travail du CICR car le nouveau gouvernement, qui négocie l’indépendance de ses colonies africaines, traite désormais les rebelles du FNLA, du MPLA (Movimento Popular de Libertação de Angola) et de l’UNITA (União Nacional para a Independência Total de Angola) comme des prisonniers de guerre et non plus des détenus politiques. Tandis que la Croix-Rouge portugaise s’occupe d’accueillir les ressortissants évacués d’Angola, le Comité de Genève peut également développer des activités dans le domaine de la santé. Au moment de l’indépendance de l’Angola, obtenue en novembre 1975, il installe des équipes médicales en zone FNLA à Carmona (Uige), en territoire MPLA à Dalatando et dans le fief de l’UNITA à Nova Lisboa, l’actuel Huambo. Après la prise du pouvoir par les « marxistes » du MPLA, qui chassent les autres factions de la capitale, il doit cependant interrompre ses opérations en octobre 1976 et n’a plus la permission de visiter les combattants capturés par les forces de Luanda, notamment les soldats sud-africains venus soutenir les guérilleros « maoïstes » de l’UNITA. En 1979, Genève n’est officiellement autorisé à revenir dans le pays que pour distribuer quelques secours aux populations déplacées dans les zones gouvernementales. De son côté, l’UNITA ne permet pas non plus au Comité d’accéder à ses détenus malgré les engagements pris dans une lettre du 25 juillet 1980 en vue de respecter les principes généraux du droit humanitaire. Si le CICR a l’occasion de visiter un prisonnier aux mains de la SWAPO (South-West Africa People's Organisation) en 1980, son action se concentre essentiellement sur l’aide médicale et alimentaire aux civils. L’intensification des combats et la dégradation de la situation font alors qu’en 1981, l’Angola devient le principal terrain d’intervention du Comité en Afrique, en l’occurrence pour secourir tout à la fois les populations déplacées par le conflit entre le MPLA et l’UNITA, d’une part, et les prisonniers de guerre résultant de la lutte de la SWAPO contre les troupes d’occupation sud-africaines en Namibie, d’autre part. Depuis Luanda, le CICR étend en conséquence son action à Huambo, Kuito, Lubango et N’Giva. Mais l’insécurité l’oblige à interrompre ses programmes à plusieurs reprises dans les provinces de Huambo, Bié, Huila et Benguela sur les hauts plateaux du Planalto en décembre 1980 puis mai 1981. Le 20 février 1982, un employé local, Gabriel Sanchez Rodrigues, est par ailleurs abattu lors d’une attaque de l’UNITA contre la localité de Mungo dans le Planalto central. Le 25 mai suivant, un convoi du CICR est attaqué dans la même région, près de Katchiungo, et une infirmière, Mary-Josée Burnier, est prise en otage et détenue par les rebelles jusqu’au 18 septembre. Le 18 octobre 1982, encore, quatre employés locaux sont enlevés par l’UNITA dans la province de Cunene et relâchés au bout de quelques mois. Dans la province de Huambo, des locaux du CICR à Bomba Alta et Katchiungo sont ensuite saccagés ou bombardés en mars, juillet et septembre 1982, tandis qu’un délégué, André Redard, meurt dans un accident de voiture le 11 mai 1982 à Luanda. Résultat, Genève est contraint d’arrêter toutes ses activités dans les régions les moins sécurisées et suspend ses opérations pendant près d’un an quand, en 1983, la Croix-Rouge angolaise remet en cause un accord passé avec le Comité. A son retour, le CICR n’échappe toujours pas aux attaques et perd un employé local lorsqu’un de ses avions heurte une mine en atterrissant à Chitembo dans la province de Bié en septembre 1985. Le 10 décembre 1985 à Lobito dans la province de Benguela, un opérateurs radio, Marc Blaser, est tué à son tour, victime d’une agression à main armée. En février puis novembre 1985, des attentats contre le centre nutritionnel de Kuito obligent de nouveau à suspendre les activités dans la région de Bié. Dans la province de Huambo, en particulier, l’organisation se retire pendant cinq mois après une attaque qui cause la mort des deux enfants d’un employé local à Bailundo le 30 décembre 1985. De part et d’autre, on ne respecte guère le droit humanitaire et on essaie de détourner l’aide ou de s’en emparer par la force. A Huambo, ville sous contrôle gouvernemental de 1983 à 1993, Jean-Paul de Passos constate que les efforts du CICR, qui tente de remettre en marche les services d’adduction d’eau à partir de 1987, profitent surtout à l’administration et non à la population. En zone UNITA dans le sud-est de l’Angola, où le Comité parvient tant bien que mal à poursuivre des activités médicales, les entrepôts de vivres et les trains de ravitaillement sont régulièrement pillés et dévalisés. L’insécurité oblige à recourir à l’avion, mode de transport beaucoup plus coûteux et non exempt de risques. Dans les environs de Kuito, le CICR doit par exemple suspendre ses opérations jusqu’en février 1988 après la chute d’un de ses appareils qui, le 14 octobre 1987, tue les quatre membres de l’équipage, les deux passagers et deux Angolais qui se trouvaient au sol. Le 23 mars 1991, encore, un avion de l’organisation est touché par un missile près de Kuito, sans pertes en vies humaines ; le 14 juin suivant, c’est un employé angolais qui saute sur une mine aux abords de l’aéroport de Huambo ; le 13 juillet, enfin, un appareil du Comité heurte un explosif sur la piste d’atterrissage de N’Harea. Conjuguées au retrait des troupes cubaines et sud-africaines, les négociations de paix entre le gouvernement MPLA et l’UNITA permettent certes d’améliorer un peu les possibilités d’accès au terrain. Nonobstant le blocage temporaire des points de passage de décembre 1989 à mai 1990 puis de janvier à juin 1991, les belligérants autorisent le CICR à franchir les lignes de fronts par la route pour approvisionner la population à partir d’octobre 1990. Mais la reprise des combats réduit bientôt tous ces efforts à néant. Pour la première fois depuis 1979, le CICR doit se retirer entièrement du Planalto en janvier 1993 et évacuer tous ses expatriés de Kuito et Huambo, où ses bureaux sont bombardés et détruits par les forces gouvernementales en août suivant.  En mai 1994, qui plus est, Luanda suspend les vols en direction des zones rebelles. En rétorsion, l’UNITA empêche le ravitaillement aérien des villes reprises par le gouvernement et assiégées par les rebelles. Les transports par avion deviennent très difficiles et le CICR perd deux pilotes lorsqu’un DC-3 s’écrase en essayant de décoller de Lobito le 15 décembre 1994. Les combats autour du fief de l’UNITA à Huambo sont particulièrement ravageurs. Revenus sur place, les expatriés du CICR sont à nouveau contraints de quitter la ville lors d’une offensive du MPLA, qui s’empare de la localité en novembre 1994. Leur délégation est complètement pillée et ses 35 employés sont physiquement menacés par des gens qu’ils avaient précédemment aidés. Désormais, le CICR ne peut presque plus intervenir dans les campagnes aux mains des rebelles et a le plus grand mal à accéder aux villes tenues par le gouvernement, à l’instar de Kuito, qu’il doit évacuer lors de bombardements par l’UNITA en décembre 1998. Malgré d’importants besoins qui prennent l’ampleur d’une famine, la distribution des secours s’avère d’autant plus déséquilibrée que les insurgés font l’objet de sanctions de la part de la communauté internationale. Interviewé dans la revue Politique internationale de l’automne 1999, le chef de l’UNITA, Jonas Savimbi, s’en plaint à sa manière : « Où va cette aide ? D’abord, elle n’est envoyée que d’un seul côté, du côté gouvernemental, alors que nous contrôlons entre 60% et 70% du territoire national, où vit la moitié de la population. Ensuite, l’aide alimentaire est souvent détournée, revendue sur les marchés au profit du gouverneur et des généraux. Dans une situation humanitaire d’urgence, a-t-on jamais vu le gouvernement angolais prendre une mesure concrète, venir en aide à la population par ses propres moyens ? Non, il se contente de lancer des appels à l’aide, de solliciter les Nations Unies, la communauté internationale […]. C’est révoltant de voir l’humanitaire être utilisé comme une arme de guerre. On aide certains Angolais et pas les autres, uniquement parce que l’ONU a décidé de [nous] infliger des mesures punitives ». Dans tous les cas, il faut attendre la mort de Jonas Savimbi, le 22 février 2002, et la signature d’un cessez-le-feu, le 4 avril suivant, pour que le CICR commence à avoir accès à toutes les régions du pays.
 
-Depuis 1967, Israël/Palestine : pressentant des troubles, le CICR arrive une semaine avant le début de la guerre des six jours et s’enracine durablement dans une région qu’il ne quittera plus. Après avoir d’abord accepté d’appliquer la IVème Convention de Genève en vertu d’une ordonnance militaire du 7 juin 1967, les autorités israéliennes reviennent bientôt sur leur décision. Elles arguent que les territoires qu’elles ont « libérés » ne peuvent être restitués car ils ne relevaient pas d’une entité souveraine. A les en croire, la Jordanie et l’Egypte étaient des puissances occupantes, respectivement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Le droit humanitaire ne s’appliquerait donc pas aux civils palestiniens car les territoires occupés n’appartenaient pas à une partie contractante à la IVème Convention de Genève. Après le cessez-le-feu du 10 juin 1967, le Comité organise néanmoins l’accueil des prisonniers de guerre arabes dans le camp d’Atlith, près de Césarée, et ravitaille les troupes égyptiennes défaites, en train d’errer assoiffées dans le désert du Sinaï. En juillet et août, il supervise l’échange de dépouilles militaires et de prisonniers de guerre syriens, israéliens et jordaniens sur le pont Allenby, au-dessus du Jourdain, et sur le plateau du Golan ; en janvier 1968, une telle opération concerne plus de 4 000 Egyptiens à el-Kantara. Concernant les civils, le délégué du CICR à Tel-Aviv, Laurent Marti, obtient du ministre de la Défense Moshe Dayan l’autorisation de secourir les populations des territoires occupés, que Israël veut désormais désigner sous le nom de « territoires récupérés ». A titre personnel, il tente en vain de s’opposer à la destruction de maisons soupçonnées d’abriter des résistants arabes et exfiltre vers le Liban une Palestinienne adultère, condamnée à mort par la justice coranique. Le CICR, qui maintient des délégations à Tel Aviv comme à Gaza dans les territoires occupés, est aussi amené à intervenir dans des affaires qui, a priori, ne sont pas directement de son ressort et qui nuisent à sa neutralité. Il est notamment sollicité par des pirates de l’air pour une médiation lors du détournement d’un avion de la Sabena sur l’aéroport de Lod le 8 mai 1972. Malgré les protestations officielles de Genève, sa présence sert en fait à endormir la méfiance des preneurs d’otages avant que l’armée israélienne donne l’assaut. Echaudé, le Comité en revient bientôt à des activités plus traditionnelles dans le cadre de la guerre du Kippour en octobre 1973. Le problème tient cette fois au comportement des belligérants. Tandis que Damas interdit au CICR de visiter ses prisonniers de guerre, Israël exerce des représailles en fermant au Comité l’accès des territoires pris à la Syrie ; les rapatriements de part et d’autre se font finalement sous l’égide des Etats-Unis en juin 1974. En novembre 1973, Genève a certes l’occasion d’évacuer les patients de l’hôpital de Suez, quelque 1 300 personnes, puis de superviser la libération de soldats égyptiens capturés dans le Sinaï et relâchés contre une poignée de militaires israéliens. Dans le même ordre d’idées, le CICR s’occupe ensuite d’échanges de prisonniers avec l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) à Chypre le 22 février 1980 puis au Liban les 23 et 24 novembre 1983. Bien qu’il conteste l’applicabilité des Conventions de Genève, le gouvernement israélien laisse quant à lui le CICR assister les détenus civils dans les territoires occupés. Initialement accordé en décembre 1967, ce droit de visite est renégocié en novembre 1977 puis mars 1979 afin d’autoriser Genève à s’entretenir sans témoins avec les internés et à leur prodiguer des soins médicaux dans un délai réduit de quatorze à dix jours après leur arrestation, contre trente auparavant. Suite au soulèvement de la population lors de la première Intifada, qui provoque un afflux de détenus à partir de décembre 1987, les accords de paix d’Oslo bouleversent alors la donne en accordant une autonomie limitée aux territoires palestiniens. En vertu d’un protocole signé le 13 juillet 1994 avec l’OLP de Yasser Arafat, qui avait adhéré aux Conventions de Genève le 21 juin 1989, le CICR est théoriquement autorisé à visiter tous les prisonniers politiques aux mains de l’Autorité palestinienne, dès le moment de leur arrestation. Concrètement, il faut cependant attendre novembre 1996 pour que Genève ait accès aux lieux de détention, sans pouvoir s’entretenir librement avec les détenus. De plus, la poursuite des affrontements, qui provoque la mort d’un ambulancier palestinien en septembre 1996, restreint d’autant les possibilités de secours auprès de la population civile. A partir de septembre 2000, la deuxième Intifada aggrave encore la situation. Du côté de l’armée israélienne (Tsahal), en particulier, les soldats reçoivent l’ordre de tuer tous les combattants armés, y compris ceux qui ne tirent pas, et commettent d’effroyables méprises sur des mineurs en train de jouer avec des imitations d’armes. Du côté palestinien, la multiplication des attaques terroristes, la corruption de l’OLP et l’érosion de son autorité au profit des rivaux islamistes du Hamas contribuent également au regain de violence. De part et d’autre, le droit humanitaire n’est guère respecté. Tandis que le CICR n’est pas autorisé à visiter les détenus du Hamas dans la bande de Gaza, ses équipes ne sont pas à l’abri des attaques et, en Cisjordanie par exemple, un de ses responsables locaux est brièvement kidnappé le 14 mars 2006 pour venger un assaut de l’armée israélienne contre la prison de Jéricho en vue de capturer un leader du FPLP (Front populaire pour la libération de la Palestine), Ahmed Saadat. La stratégie d’endiguement des Israéliens, qui commencent à construire un mur de séparation en 2002, entrave par ailleurs les possibilités de circulation et les ambulances rencontrent de nombreuses difficultés pour franchir les check-points de Tsahal. Surtout, les tentatives de blocus entraînent une dégradation des conditions de vie dans les territoires occupés, y compris sur le plan sanitaire. Le CICR hésite en l’occurrence à distribuer des vivres car il ne veut pas se substituer à la puissance occupante, dont il rappelle la responsabilité sociale et économique à l’égard des Palestiniens. Dans les villes de Cisjordanie de juillet 2002 à décembre 2003, il préfère donner aux familles les plus vulnérables des secours sous la forme de bons d’une valeur de 90 dollars par mois. Malgré les risques de falsifications et de fraudes, un tel système présente l’avantage de contourner les autorités palestiniennes, qui tentent souvent de détourner l’aide, et de favoriser l’achat de produits locaux pour relancer une économie asphyxiée. Dans la bande de Gaza, la mise en place d’un blocus contre le Hamas, qui a pris le pouvoir à la suite d’élections législatives en janvier 2006, aggrave cependant la situation. La crise humanitaire culmine lors de l’offensive d’Israël contre le territoire en janvier 2009. Du fait des entraves de l’armée, le CICR a le plus grand mal a travailler sur place et à accéder aux victimes des bombardements. Un de ses convois essuie des tirs de Tsahal tandis qu’un autre est bloqué à Khan Younès avant de pouvoir évacuer des blessés vers l’Egypte. Sortant de sa réserve habituelle, le CICR juge l’affaire si grave qu’il finit par dénoncer publiquement le comportement de l’armée israélienne dans un communiqué en date du 8 janvier 2009.
 
-1968-1970, Nigeria : le CICR intervient au milieu des combats entre le gouvernement fédéral du colonel Yakubu Gowon et les sécessionnistes ibo de Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu, qui ont proclamé l’indépendance de la République du Biafra dans l’est du pays en mai 1967. Dans u n premier temps, Genève essaie de ravitailler équitablement les deux camps, à la fois l’enclave rebelle, qui compte près de six millions d’habitants, et les territoires repris par l’armée nigériane, qui abritent de quatre à cinq millions de personnes. Mais les besoins se concentrent bientôt du côté sécessionniste, où le CICR a, précisément, de plus en plus de difficultés à se rendre. En effet, la famine se développe rapidement dans la zone des rebelles, complètement encerclés après la perte de leur dernier débouché maritime à Port Harcourt en mai 1968. Aussi spectaculaire que médiatisée, la crise humanitaire va, en moins de deux ans, provoquer la mort de 100 000 à quatre millions de personnes si l’on en croit les chiffres des organisations humanitaires, à raison de 10 000 décès par jour à partir d’août 1968. Le défi est immense pour Genève, qui tente de négocier un corridor terrestre pour laisser passer les vivres à travers les lignes de front. Délégué du CICR pour l’Afrique de l’Ouest jusqu’à son renvoi en janvier 1968, Georg Hoffmann s’immisce ainsi dans des négociations de paix à Kampala afin d’obtenir un relâchement du blocus des Nigérians. En vain : le gouvernement fédéral n’accepte pas l’envoi de troupes étrangères pour garantir la neutralité du corridor proposé et veut continuer d’utiliser la faim comme une arme de guerre en vue de hâter la reddition des sécessionnistes. Pour des questions de préséance et de souveraineté, les rebelles refusent quant à eux le transit des secours par le Nigeria. A les en croire, les vivres pourraient y être empoisonnés, soupçons que confirmeront ultérieurement les traces d’arsenic et de cyanure trouvés dans certains aliments par le sénateur Charles Goodell et le nutritionniste Jean Mayer au cours d’une enquête remise au Congrès américain le 25 février 1969. Surtout, les Biafrais craignent que la neutralisation d’un corridor terrestre interfère avec leurs opérations militaires à Agwu et les empêche de reprendre leur capitale Enugu, qui vient de tomber aux mains des fédéraux. Ils préfèrent des envois aériens qui, sous couvert d’aide humanitaire, permettent d’acheminer des armes et de compenser l’arrêt des importations par la voie maritime depuis Port Harcourt. Le CICR doit donc se résoudre à utiliser l’avion et a toutes les peines du monde à vaincre les réticences des fédéraux, des sécessionnistes et même de l’ancien colonisateur britannique, qui, selon Dan Jacobs, le dissuade de ravitailler les Biafrais afin de minimiser l’ampleur de la crise humanitaire, d’écourter la guerre, de préserver ses intérêts économiques au Nigeria et d’empêcher le basculement de Lagos vers l’Union soviétique au cas où l’opinion publique contraindrait la Grande-Bretagne à cesser ses livraisons d’armes au gouvernement de Yakubu Gowon. Le Comité de Genève, en l’occurrence, n’en est pas à son premier coup d’essai. Occupé à évacuer les Européens de Bukavu au Congo-Kinshasa, il avait déjà placé les autorités locales devant le fait accompli en envoyant sans leur assentiment des secours par avion aux rebelles à Port Harcourt en novembre 1967. Sa précipitation avait heurté le gouvernement à Lagos, qui accuse bientôt le CICR de convoyer des armes pour les Biafrais et qui suspend ses vols en janvier 1968 sous prétexte de ne pouvoir garantir leur sécurité, en réalité pour les obliger à atterrir préalablement en zone fédérale afin de vérifier leur cargaison. Exceptionnellement, Genève décide en conséquence de se passer d’autorisation officielle et écrite pour monter un pont aérien qui démarre en avril 1968 et qui dépasse en importance le précédent des Américains vers Berlin à partir de juin 1948. Appelée INALWA (International Airlift West Africa), l’opération va s’avérer fort coûteuse et causer un déficit à peu près équivalent au quart du budget du CICR au cours de l’année. Pire, elle soulève de nombreuses controverses car elle contribue à prolonger le conflit en permettant aux rebelles encerclés de poursuivre les combats, même si les détournements de l’aide alimentaire ne dépassent pas 5% du volume total du côté biafrais si l’on en croit les estimations d’un reporter de guerre favorable aux insurgés, Frederick Forsyth. De fait, le Comité de Genève utilise initialement les avions d’un aventurier américain, Hank Warton, qui convoie aussi les armes des sécessionnistes. Repeints aux couleurs du CICR, les appareils changent souvent d’itinéraire pour ne pas donner l’impression de décoller depuis l’île portugaise de São Tomé, base arrière des Biafrais d’où les Eglises opèrent des vols clandestins en violation de l’espace aérien nigérian. Le gouvernement Yakubu Gowon n’est pas dupe : en juillet 1968, le crash d’un de ces avions du côté fédéral dévoile d’ailleurs la supercherie. De plus, les secours sont directement remis aux troupes de Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu. Faute de représentant sur place, le Comité confie aux autorités sécessionnistes le soin de distribuer les vivres et doit accepter de nourrir les gardes des prisonniers de guerre nigérians entre avril et juillet 1968. Autrement dit, il ne contrôle quasiment pas l’utilisation de ses secours car, pour éviter d’avoir à franchir les lignes de front, les discussions avec les Biafrais se font plutôt depuis Genève par l’intermédiaire du vice-président du CICR, Jacques Freymond. Le délégué général que le Comité envoie ensuite dans le réduit indépendantiste, un homme d’affaires du nom de Heinrich Jaggi, n’est guère plus heureux lorsqu’il essaie de négocier la neutralisation d’un aérodrome civil qui est construit à Obilagun avec l’aide de conseillers de l’armée de l’air suisse avant d’être bombardé par les fédéraux en août 1968. Bien qu’il refuse les escortes armées des Biafrais, ses activités sont étroitement contrôlées et les équipements radio qu’il fournit pour guider les avions de ravitaillement sont récupérés par les rebelles au moment de la capture d’Obilagun par les troupes nigérianes en septembre 1968. Le seul terrain où débarquer les vivres reste alors l’aéroport militaire d’Uli, où passent également les armes et où les fédéraux concentrent désormais leurs attaques parce que c’est le dernier lien de l’enclave sécessionniste avec le monde extérieur. Comme l’explique le reporter de guerre Frederick Forsyth, c’est aussi là qu’arrivent les vols clandestins des Eglises, à qui un délégué du CICR venu à Addis-Abeba à l’occasion d’une conférence de paix a clandestinement fourni les codes radio pour atterrir sans encombre. Les discussions du CICR avec les Nigérians et les Biafrais révèlent tous les enjeux stratégiques d’un ravitaillement par voie aérienne. Le gouvernement Yakubu Gowon, qui y est d’abord hostile, finit tout juste par tolérer des atterrissages de jour à condition que les sécessionnistes neutralisent le site d’Uli et permettent à l’aviation nigériane de le survoler lors du déchargement des cargaisons humanitaires. De leur côté, les Biafrais refusent évidemment de renoncer à leur unique aéroport militaire et arguent que des opérations diurnes découvriraient l’emplacement de leurs pistes camouflées dans la brousse. Parallèlement, la bataille se joue auprès de l’opinion publique mondiale. En refusant les envois humanitaires pendant la journée, les rebelles ont le mauvais rôle. Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu, en particulier, est suspecté d’exploiter la famine pour attirer la sympathie et les dons des Occidentaux. Malgré la propagande de son agence de presse en Suisse, il n’est certes pas évident qu’il ait mis en scène le triste sort des victimes : lors des visites de journalistes, relève Michael Leapman, les autorités cherchent au contraire à cacher les populations les plus misérables afin de masquer leur incompétence en matière de ravitaillement. En attendant, le CICR est coincé entre les sécessionnistes, qui ne lui permettent pas d’atterrir de jour, et les fédéraux, qui révoquent en novembre 1968 l’autorisation de voler de nuit. En vertu d’accords conclus les 11 avril puis 3 septembre 1968, Genève n’obtient des Nigérians qu’un droit de survol aérien le jour, « à ses risques et périls ». Une telle disposition ne le met nullement à l’abri du tir des troupes gouvernementales et permet à Lagos de contrôler indirectement la cadence des ravitaillements à partir de Santa Isabel sur l’île espagnole de Fernando Po, à la différence des vols clandestins entrepris par les Eglises depuis São Tomé. En outre, les possibilités d’accès au terrain se réduisent de plus en plus à mesure que la famine s’aggrave. Devenue indépendante sous le nom de Guinée équatoriale en octobre 1968, Fernando Po suspend à son tour, en janvier 1969, les vols du CICR pour satisfaire les exigences du Nigeria et par hostilité aux Ibo, majoritaires au Biafra et dans la population immigrée d’un pays lui-même en proie à des tensions sécessionnistes. Accusé de transporter des armes, en réalité du carburant pour les camions destinés à distribuer les vivres à l’intérieur de l’enclave sécessionniste, le Comité de Genève doit définitivement interrompre ses vols à partir de Santa Isabel en novembre 1969. Les tentatives de ravitaillement depuis les autres pays de la région n’aboutissent guère. Autant le Cameroun a adopté une position de facto favorable au blocus des fédéraux, autant le Gabon soutient ouvertement les sécessionnistes, dont il a reconnu la République du Biafra. De peur de compromettre sa neutralité, le CICR décline donc la proposition de travailler à partir de Libreville dans une lettre adressée le 4 mai 1969 à la Croix-Rouge française. Celle-ci, il est vrai, a pris partie pour les rebelles. Depuis août 1968, elle envoie des vivres clandestinement dans des avions remplis d’armes, tandis que son représentant au Gabon est l’attaché de défense de l’ambassade de France à Libreville. Voisin du Nigeria, le Dahomey (actuel Bénin) n’offre pas non plus une plate-forme opérationnelle à cause des pressions de Lagos et de la présence d’une minorité yorouba hostile aux Ibo du Biafra. Le pont aérien que Genève tente de mettre en place à partir de Cotonou en février 1969 se heurte à l’opposition absolue de Yakubu Gowon malgré l’accord de principe du président béninois Emile Zinsou, un docteur qui ne cache pas sa sympathie pour les victimes de la famine dans l’enclave sécessionniste. Entre-temps, la situation ne cesse de se dégrader à l’intérieur du Biafra, où les équipes du CICR sont l’objet de représailles. Le 30 septembre 1968, quatre volontaires sont assassinés par des soldats gouvernementaux au moment de la prise d’Ogikwe dans le district d’Awo-Omama : deux missionnaires britanniques du Conseil œcuménique des Eglises (Albert et Marjorie Savory), un Yougoslave (Dragan Hercog) et un Suédois (Robert Carlsson). En janvier 1969, encore, l’hôpital d’Awo-Omama est bombardé par les Nigérians malgré l’emblème de la Croix-Rouge. Les avions du CICR ne sont pas non plus à l’abri en dépit des précautions de Genève, qui donne aux fédéraux les détails de chacun de ses vols afin d’éviter les bavures. Très périlleux, les atterrissages dans la brousse provoquent d’abord des accidents mortels. Le 6 mai 1969, par exemple, tous les membres de l’équipage d’un avion du CICR, trois Suédois et un Allemand, périssent en s’écrasant près d’Uli. De plus, les fédéraux se méfient davantage du Comité depuis que son envoyé spécial, August Lindt, a protesté contre la réquisition militaire d’un appareil de la Croix-Rouge et autorisé le décollage d’une cargaison vers le Biafra sans l’accord préalable du gouvernement. Les bavures deviennent délibérées et culminent lorsque, le 5 juin 1969 à la tombée du jour, un avion du CICR est abattu par les Nigérians au-dessus d’Ikot Okoro, provoquant la mort de l’Américain David Brown, du Norvégien Stig Carlson et des Suédois Kiell Pettersen et Harry Axelsson (le trajet du cargo, explique le lieutenant colonel Godwin Alabi-Isama, avait malencontreusement été révélé par un expatrié de la Croix-Rouge allemande rencontré par hasard au cours d’une patrouille de reconnaissance sur une plage d’Ibono). La violation manifeste du droit humanitaire amène le CICR à protester publiquement et à suspendre ses opérations. Pour leur part, les fédéraux dessaisissent l’organisation de son rôle de coordination et placent tous les secours sous le commandement d’une commission gouvernementale le 30 juin. En poste à Lagos depuis août 1968, August Lindt est expulsé et remplacé par Georg Hoffmann, qui a la réputation d’être plus favorable à Yakubu Gowon, puis par Enrico Bignami, un ancien cadre de la firme Nestlé. Dorénavant, le CICR ne peut plus que distribuer les vivres acheminés clandestinement par la Croix-Rouge française et les Eglises, qui n’ont pas interrompu leurs opérations pour protester contre l’attaque de juin 1969. Le Comité essaie vainement de négocier sur Uli des vols diurnes depuis Cotonou ou Santa Isabel en permettant aux Nigérians de dévier les avions sur Lagos afin d’y mener des inspections surprises. Malgré la signature d’un accord avec les fédéraux le 13 septembre 1969, les Biafrais arguent d’un principe de réciprocité et bloquent la situation en réclamant à leur tour le droit d’interdire l’atterrissage des appareils suspects et de nommer un représentant dans la commission chargée de contrôler les vols. Les sécessionnistes trouvent que le compromis proposé fragilise la défense d’Uli pour un volume d’aide assez négligeable alors que les Eglises continuent leurs vols clandestins et nocturnes depuis São Tomé. Avec une période d’essai de trois semaines et des horaires d’atterrissage limités, le nouveau dispositif présenterait l’inconvénient de contraindre toutes les organisations humanitaires à se placer sous la coupe du CICR. Il n’a de toute façon plus lieu d’être après la reddition des rebelles en janvier 1970. Victorieux, les militaires nigérians se méfient des organisations humanitaires, suspectées de sympathies biafraises, et ne les laissent pas utiliser les aéroports disponibles à Uli, Orlu, Uga ou Obilagun. Le CICR n’est pas convié à soutenir la reconstruction du pays, remet son matériel à la Croix-Rouge locale et ferme ses bureaux en mars 1970. Il lui faudra attendre dix-huit ans pour revenir à Lagos ouvrir une délégation transférée en mars 2003 vers la nouvelle capitale fédérale, Abuja (où le siège de l’organisation sera d’ailleurs brièvement évacué en septembre 2011 du fait de la menace d’attentats du groupe islamiste Boko Haram). Concernant le Biafra, le bilan est assez mitigé. Sous la pression des Britanniques, explique David Forsythe, le Comité a manqué de subtilité et de lucidité politiques, en particulier August Lindt, un diplomate issu de la « famille du chocolat », ambassadeur  de Suisse à Washington puis Moscou et ancien Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés. Influencé par l’agence Markpress, qui a relayé la propagande des rebelles à Genève, le CICR n’a pas su conserver la confiance du gouvernement nigérian. Il a donné l’impression de soutenir les rebelles en lançant en mai 1968 un appel malencontreusement intitulé « SOS Biafra ». Dans un communiqué du 17 août 1968, encore, il a critiqué les fédéraux et non les sécessionnistes, pourtant bien aussi responsables des obstacles dressés dans l’acheminement de l’aide. Au sein même du CICR, certains n’ont pas caché leurs sympathies biafraises et se sont indignés de l’incapacité à forcer le blocus des troupes nigérianes. Parmi les volontaires envoyés sur place, un jeune docteur du nom de Bernard Kouchner allait ainsi rompre la « loi du silence » et dénoncer un « génocide » qui ne devait finalement pas se produire après la victoire des fédéraux. De plus, relève Susan Cronje, le vice-président du CICR, Jacques Freymond, a transmis à l’émissaire du Biafra à Genève des renseignements des services américains selon lesquels l’aviation ennemie avait acquis en juillet 1969 des équipements pour intercepter les vols de nuit. Résultat, le Comité a paru biaisé et a perdu un total de quatorze délégués pendant la durée du conflit si l’on en croit les chiffres de Larissa Fast. Selon Marie-Luce Desgrandchamps, même les Croissants Rouges arabes lui ont reproché d’être plus prompt à dénoncer les violations du droit humanitaire en Afrique qu’au Moyen-Orient. Au Nigeria, la presse de Lagos a pour sa part accusé le CICR de violer la souveraineté du pays, notamment le Daily Times des 8 juillet et 18 août 1968. Avec des collaborateurs recrutés sur le tas et pas toujours bien préparés aux réalités africaines, des membres de l’institution ont également heurté les sensibilités locales par leur train de vie luxueux et leur attitude hautaine, voire néocolonialiste. En pratique, le Comité a plus souvent recouru aux services de l’ambassade suisse à Lagos qu’aux bons offices de la Croix-Rouge nigériane. Les réticences à un véritable partenariat ont été réciproques de part et d’autre. La Croix-Rouge nigériane, constate Rex Niven, s’est méfiée d’une institution « impérialiste » et « blanche ». Sous la direction de Saidu Mohammed, elle a imposé un quota maximal d’un tiers d’expatriés dans ses équipes et a demandé leur départ quand les compétences existaient localement. Son président, Adetokunbo Ademola (1906-1993), était un Yorouba protestant a priori peu disposé à presser les autorités de ravitailler les Ibo catholiques dans le réduit biafrais. Président en exercice de la Cour suprême, il n’a même pas condamné l’attaque de la chasse nigériane contre un appareil du CICR à Ikot Okoro. Cité par le Daily Times du 12 juin 1969, il a au contraire approuvé les opérations militaires contre les avions qui approvisionnaient clandestinement le Biafra. Après la reddition des rebelles, la Croix-Rouge nigériane n’a pas non plus réussi à lever les obstacles administratifs qui ont freiné la distribution des secours placés sous sa responsabilité à partir de février 1970. Avec des stocks insuffisants, ses camions ont dû se déplacer sous escorte armée et se sont régulièrement faits voler. D’autres sont restés immobilisés à Lagos et ont été réquisitionnés par le gouvernement, qui, en juin 1970, a fini par décharger la Croix-Rouge nigériane des opérations afin de reprendre la situation en main, sous son contrôle exclusif. Pour justifier un désengagement trop précoce, note Arua Oko Omaka, Adetokunbo Ademola a prétendu qu’il n’y avait plus d’urgence alors même que les paysans n’avaient pas pu faire les semences en mai et que le nombre de personnes nourris par l’organisation était passé de 2 millions en janvier à 3,1 fin mars.
 
-Depuis 1969, Afrique du Sud : à la différence du système en vigueur en Rhodésie du Sud, où il n’est autorisé qu’à assister les suspects avant leur jugement, le CICR passe en 1969 un accord avec le régime raciste de l’apartheid pour visiter des prisonniers politiques comme Nelson Mandela, à défaut des détenus dans l’attente d’un procès. Le problème est que ces derniers comptent justement parmi les plus maltraités, à l’instar du leader du mouvement de la Conscience Noire, Steve Biko, « suicidé » à la suite d’un interrogatoire trop poussé en 1977. Les personnes incarcéres au nom de la loi sur le terrorisme sont également soustraites aux visites du CICR, qui doit se contenter d’assister les détenus emprisonnés pour atteinte à la sécurité de l’Etat. Le gouvernement de Pretoria est certes soucieux d’améliorer son image auprès de la communauté internationale, à tel point qu’en novembre 1966, il a abusivement publié à son avantage des extraits favorables d’un rapport de Georg Hoffmann, un délégué du Comité qui avait visité les prisons du régime en avril 1964. Aussi permet-il au CICR d’élargir progressivement son champ d’action. Grâce à une autorisation accordée en décembre 1976, Genève peut commencer à visiter les personnes détenues à titre préventif en vertu de l’Internal Security Amendment Act, mais pas du Terrorism Act. La situation se dégrade ensuite à mesure que le soulèvement de la population noire prend de l’ampleur après la révolte de Soweto. Le gouvernement sud-africain refuse notamment d’accorder un statut de prisonnier de guerre aux militants de l’ANC (African National Congress) et il en condamne certains à mort malgré les précédents judiciaires des autorités d’occupation en Namibie ou en Palestine, qui évitent de prononcer des peines capitales contre les combattants de la SWAPO (South-West Africa People's Organisation) ou de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). Trois guérilleros, Simon Mogoerane, Jerry Mosololi et Marcus Motaung, sont ainsi exécutés en 1983. En 1985 et 1988, d’autres membres de la branche armée de l’ANC contestent en conséquence la légitimité des tribunaux sud-africains et réclament en vain un statut de prisonnier de guerre pour échapper à un procès. Pour sa part, le Comité de Genève n’obtient pas la permission de visiter les personnes incarcérées dans le cadre de l’état d’urgence proclamé en juillet 1985. Homosexuel et compromis avec un policier du régime, un administrateur de la mission du CICR est lui-même emprisonné pour avoir détourné des fonds de l’organisation. En octobre 1986, les délégués du Comité sont brièvement déclarés persona non grata avant d’être invités à revenir dans le pays en nombre réduit, à raison de cinq au lieu de seize précédemment. Faute d’avoir accès à tous les détenus, le CICR décide finalement d’interrompre ses visites pour ne pas cautionner la politique carcérale du régime. Dans les homelands du Gazankulu et du Kangwane à la frontière du Mozambique en guerre, il recentre alors son action sur la distribution de secours aux réfugiés et la protection des déboutés du droit d’asile. Concernant les personnes privées de liberté, il ne rencontre guère plus de succès dans les pays voisins de l’Afrique du Sud où se sont établis les guérilleros en exil de l’ANC. Bien qu’il se soit engagé à respecter les principes généraux du droit humanitaire dans une lettre en date du 28 novembre 1980, le mouvement de Nelson Mandela ne laissera jamais le CICR entrer dans les camps d’Ouganda, de Tanzanie et de Zambie où il détient ses « dissidents » : avec la fin du régime de l’apartheid, il annoncera avoir relâché tous ses prisonniers sans qu’aucune instance indépendante soit en mesure vérifier ses dires. De fait, il faut attendre la démocratisation de l’Afrique du Sud pour que la situation se normalise. Après la libération de Nelson Mandela le 11 février 1990, le CICR parvient enfin à négocier un accord qui, signé le 8 juillet 1992, l’autorise à assister les prisonniers déjà jugés ou placés en détention préventive. Le 2 octobre suivant, il obtient également la permission d’effectuer des visites sans préavis dans les postes de police, y compris sur le territoire des homelands « indépendants » du Bophuthatswana, du Kwazulu, du Transkei et du Ciskei. Désormais admis par toutes les parties en présence, le Comité aide les victimes des violences avec des subventions à la fois de l’ANC et du gouvernement aux mains du NP (National Party). Malgré les élections d’avril 1994 et l’arrivée au pouvoir du président Nelson Mandela, les défis restent importants à cause de la montée du sida et des forts niveaux de criminalité armée. Le CICR, qui perd un employé, disparu en 2001, maintient en conséquence une délégation régionale à Pretoria.