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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1980-1989


-A partir de 1980, Ouganda : suite à la chute du régime d’Idi Amin Dada, qui est renversé par l’armée tanzanienne en avril 1979, le CICR se porte au secours des victimes de la guerre. Dans un pays qu’il connaît mal, il avait d’abord été amené à fournir des titres de voyage aux Indiens qui, sous le coup d’un ordre d’expulsion, ne pouvaient paradoxalement pas partir à l’étranger du fait qu’ils avaient été privés de leur citoyenneté ougandaise en 1972. A partir de 1980, l’intervention du CICR prend une toute autre tournure et s’avère beaucoup plus durable. L’organisation entreprend d’abord de visiter les détenus civils et les prisonniers de guerre capturés au moment des combats entre la Tanzanie et l’Ouganda. Elle se préoccupe également de distribuer des secours aux populations déplacées par le conflit dans la zone frontalière entre les deux pays, au sud, et d’acheminer des vivres dans le Karamoja au nord-est et dans les districts d’Arua et Moyo au nord-ouest. La reprise de la guerre civile compromet cependant la poursuite des opérations. Dans le Nord, où se sont retranchés les restes de l’armée d’Idi Amin Dada, le CICR, qui s’est installé dans la mission des Pères de Vérone à Ombachi, est victime le 24 juin 1981 d’une attaque qui fait soixante morts parmi des réfugiés soudanais et qui l’oblige à retirer son personnel expatrié pendant un mois. Dans le Sud, où le gouvernement a de plus en plus de mal à affirmer son emprise, le Comité, qui déplore la mort d’une déléguée, Christine Rieben, dans un accident de voiture près de Kampala le 17 janvier 1980, se heurte par ailleurs à l’intransigeance grandissante des autorités, qui lui interdisent l’accès des prisons à partir de décembre 1981 puis qui le chassent de la capitale en mars 1982. L’organisation arrête en conséquence de ravitailler les populations déplacées d’Ouganda ou réfugiées du Soudan. Après avoir remis ses stocks à la Croix-Rouge ougandaise, à l’Armée du Salut et au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, le CICR doit patienter jusqu’en septembre 1983 pour être autorisé à rouvrir une délégation à Kampala. Il revient essentiellement dans le pays pour s’occuper des déplacés du triangle de Luwero dans le Sud, où la population est encerclée et délibérément affamée par les troupes gouvernementales afin d’écraser les guérilleros de la NRA (National Resistance Army) de Yoweri Musseveni. Menées avec Save the Children, Oxfam et la Croix-Rouge ougandaise URCS (Uganda Red Cross Society), les opérations de secours ont une grande importance stratégique car elles permettent de ravitailler les rebelles. Les autorités tentent donc d’en entraver le fonctionnement par diverses pressions qui vont jusqu’à la menace physique, de l’enlèvement à l’assassinat. Le 24 novembre 1983, par exemple, une infirmière et un chauffeur de l’URCS, Catherine Musoke et Ali Musoga, sont tués lors d’une embuscade. Le 7 janvier suivant, quatre délégués et sept employés locaux du CICR sont brièvement enlevés à une trentaine de kilomètres au nord de la capitale. Les pillages systématiques de l’armée, enfin, prélèvent jusqu’à la moitié des vivres distribués par le Comité, un montant évalué à 600 000 francs suisses au cours de l’année 1985. Résultat, les opérations doivent être temporairement suspendues. Il faut attendre la victoire de Yoweri Musseveni, en janvier 1986, pour que la situation s’améliore. Le CICR, qui a ouvert un bureau à Kasese en zone NRA dès la fin octobre 1985, est alors en mesure de faciliter la réinstallation des déplacés du triangle de Luwero dans le sud et de reprendre son aide aux réfugiés soudanais dans le nord. Il est même autorisé à visiter les détenus politiques dans la capitale et en province à l’exception des militaires incarcérés par l’armée avant d’être jugés. Mais l’état de grâce ne dure pas longtemps. Les groupes opposés au pouvoir de Yoweri Musseveni reprennent bientôt le combat. Dans le nord, les districts de Gulu, Kitgum et Lira sont particulièrement touchés. Le CICR doit à plusieurs reprises y interrompre ses activités et rappeler ses expatriés lorsque l’armée gouvernementale déclenche ses offensives dans les régions de Gulu et Lira de mars à août 1991 puis de Kitgum de mai à août 1998. Un peu à l’est, le district de Soroti n’est pas non plus épargné par la violence : un employé de l’URCS, Michael Egabu, y est tué et un délégué du Comité, Jürg Bühler, grièvement blessé quand leur convoi tombe dans une embuscade près d’Amuria le 9 janvier 1989. A l’extrême nord-ouest, encore, la Croix-Rouge ougandaise est contrainte de se retirer du district de Koboko après la mort d’un de ses volontaires lors d’une attaque de rebelles en juin 1996. Dans le sud-ouest, enfin, les opérations militaires du gouvernement contre la guérilla des ADF (Allied Democratic Forces) obligent également le CICR à quitter le district de Bundibugyo en novembre 1998 puis décembre 1999 après un bref retour sur le terrain en mai 1999. Parallèlement, les relations entre Genève et Yoweri Musseveni se dégradent très sensiblement après l’assassinat en avril 2001 de six employés du Comité dans une région du Congo-Kinshasa, l’Ituri, sous contrôle de l’armée ougandaise. Devant le refus des autorités de châtier les responsables, le CICR ferme sa délégation de Kampala, ouverte en avril 1997, et évacue 90% de ses expatriés. Avec une petite équipe confinée dans la capitale, il se contente désormais de mener quelques programmes par le biais de l’URCS. Or son partenaire de la Croix-Rouge est lui-même pris sous le feu des combats. Dans le nord, en particulier, il doit interrompre toutes ses opérations pendant quelques jours et mettre en sommeil un bon nombre d’activités pendant trois mois lorsque six employés sont blessés à l’occasion d’une attaque des rebelles de la LRA (Lord Resistance Army) contre un convoi de la FICR à Paiula dans le district de Pader le 8 février 2003. Revenu en juillet 2004 pour s’occuper de détenus politiques et redémarrer des programmes en faveur des civils déplacés par les combats autour de Kitgum, le CICR n’échappe pas non plus à l’insécurité ambiante et suspend ses opérations à Pader à la suite d’attaques imputées à la LRA en décembre 2005.
 
-Depuis 1981, Irak : le CICR vient porter assistance aux victimes du conflit frontalier qui a démarré avec l’Iran en septembre 1980. Bien que signataire des Conventions de Genève, le régime de Saddam Hussein, qui avait interdit au Comité d’intervenir en pays kurde en mars 1974, se montre d’abord réticent et refuse l’accès à ses prisonniers de guerre, à l’instar, d’ailleurs, des islamistes au pouvoir à Téhéran. A défaut d’être autorisé à assister tous les soldats iraniens entre les mains de Bagdad, le CICR doit se contenter de quelques visites dans les camps de Ramadi, Mossoul et Anbar à partir de 1981. Il ne parvient pas à faire appliquer le droit humanitaire, qui est violé de part et d’autre, et ne convainc pas les autorités de libérer leurs prisonniers après l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu en août 1988. De façon plus ou moins régulière, il continue en fait d’inspecter des camps de détention jusqu’aux opérations de rapatriement d’août et septembre 1990, une fois les combats terminés, lorsque Bagdad, qui a envahi le Koweït, cherche à précipiter le mouvement pour se rapprocher de Téhéran face au nouvel ennemi américain. De part et d’autre, 40 000 prisonniers de guerre sont alors échangés à parité entre les belligérants, sur la base de « un contre un », ce qui laisse quelque 30 000 Irakiens en Iran. La première crise du Golfe précipite ensuite le retour du CICR dans la région. Dans Bagdad soumise au pilonnage de l’aviation alliée, le Comité se préoccupe notamment de fournir des soins médicaux, d’assurer l’accès en eau potable et de restaurer l’électricité afin d’éviter les épidémies. Mise à disposition par la Croix-Rouge italienne, une première usine mobile de traitement et de purification de l’eau est ainsi montée courant février 1991. A défaut de pouvoir utiliser l’avion, le CICR essaie aussi de contourner l’embargo des Alliés et d’acheminer des secours par la route depuis Téhéran et Amman en prévenant les forces en présence à l’avance afin qu’elles ne bombardent pas les convois et reconnaissent de facto l’existence de couloirs humanitaires. Parce qu’il maintient des délégués à Bagdad pendant toute la durée des hostilités, le Comité de Genève s’avère particulièrement soucieux de ne pas compromettre ses activités sur le terrain et décide en conséquence de ne pas se prononcer sur la légitimité de l’attaque américaine en vue de libérer le Koweït de la férule du régime de Saddam Hussein en janvier 1991. Il ne dit rien ni des Scud irakiens qui frappent des civils en Israël et en Arabie Saoudite, ni des dommages collatéraux que provoquent les frappes prétendument chirurgicales de la coalition occidentale. Il attend que la dictature Saddam Hussein ait perdu la guerre pour condamner son refus de laisser le CICR visiter les prisonniers de guerre, en violation des Conventions de Genève. Le Comité essaie en effet de ménager le gouvernement pour être autorisé à secourir les populations chiites du Sud et kurdes du Nord, qui se soulèvent contre le régime après la victoire des Etats-Unis. Fort de l’aide apportée aux habitants de Bagdad pendant les attaques américaines, le CICR est en l’occurrence autorisé officiellement, le 10 avril 1991, à étendre ses programmes en province, à reprendre ses vols et à franchir les lignes de front pour intervenir dans les zones tenues par les rebelles. Dans le Sud, il peut opérer depuis Téhéran et envoyer des délégués à Bassora, Nasseriyeh, Kerbala et Nadjaf au moment où le régime entreprend de réprimer le soulèvement des Chiites en mars 1991. Ses secours sont d’autant plus importants que cette région très affectée par la guerre est peu aidée par les organisations humanitaires, qui se précipitent plutôt vers le Kurdistan irakien en arrivant clandestinement depuis la Turquie. Le CICR ne néglige certes pas les régions du Nord, où il obtient rapidement la libération des soldats gouvernementaux détenus par les insurgés. La difficulté, là, tient à la position de la Turquie, qui a un vieux contentieux avec les Kurdes et qui, à la différence de l’Iran, refuse d’accueillir les populations fuyant le régime de Saddam Hussein, quelque 500 000 personnes restées bloqués à la frontière. Le gouvernement d’Ankara, qui refoule un délégué du CICR et interdit à l’organisation d’agir depuis son territoire, fait montre d’une telle intransigeance que, une fois n’est pas coutume, le Comité se permet de le critiquer publiquement dans La Tribune de Genève du 18 avril 1991. L’organisation n’en a pas moins le souci de préserver sa neutralité, de pair avec sa liberté d’action dans le Sud de l’Irak, en refusant de franchir la frontière clandestinement depuis la Turquie, qui instrumentalise la question kurde, ou l’Iran, qui est accusé par Bagdad de soutenir la rébellion chiite. Dans le même ordre d’idées, le CICR évite de s’associer à l’Opération Provide Comfort que l’armée américaine a montée pour sanctuariser le Kurdistan irakien sans l’accord du gouvernement Saddam Hussein. Il ne s’exprime pas non plus sur les massacres observés par ses délégués en pays kurde au Nord et chiite au Sud. Mais il critique les sanctions économiques imposées par la communauté internationale, qui pénalisent la population civile, et les pratiques des Etats-Unis, qui montrent des prisonniers de guerre irakiens à la télévision en dépit des dispositions des Conventions de Genève. La deuxième crise du Golfe, précisément, met à mal les relations entre le CICR et Washington quand les troupes américaines partent à l’assaut de Bagdad en mars 2003. Une fois encore, la dictature Saddam Hussein, qui s’effondre rapidement, refuse l’accès aux prisonniers issus des rangs de la Coalition anti-terroriste. Pour sa part, le Comité déplore la mort d’un délégué canadien, Vatche Arslanian, lors des combats dans la capitale le 8 avril. L’après-guerre n’est pas moins risqué, avec l’apparition de diverses factions armées qui luttent contre l’occupant américain. Le CICR, qui refuse la protection militaire des Etats-Unis pour conserver sa réputation de neutralité, éprouve des difficultés à échapper aux tensions locales. Le 22 juillet, un de ses collaborateurs sri lankais, l’ingénieur Nadisha Ranmuthu, est d’abord tué dans une voiture de la Croix-Rouge sur la route de Hilla au sud de la capitale. Puis le siège de l’organisation à Bagdad est victime de l’attentat suicide d’une ambulance piégée qui fait douze morts, dont deux employés, le 27 octobre 2003. Très affecté par cette attaque délibérée et relativement inédite dans son histoire, le CICR décide en conséquence de réduire le nombre d’expatriés dans la capitale, de limiter ses activités à la visite des lieux de détention, de travailler dans l’anonymat et de renoncer à déployer sur ses bâtiments et ses véhicules un emblème de la Croix-Rouge qui ne le protège manifestement plus. Replié sur Amman en Jordanie, il coordonne désormais ses programmes à distance, avec quelque 300 employés irakiens sur place. Ses relations avec les forces d’occupation s’en ressentent d’autant car le CICR ne se gêne plus pour déplorer ouvertement la façon dont la Coalition anti-terroriste a compromis l’indépendance des humanitaires tout en se révélant incapable d’assurer la sécurité des personnels civils. De plus, l’organisation condamne la détention prolongée de prisonniers retenus sans charges précises, en violation des Conventions de Genève. Le 7 mai 2004, la publication dans le Wall Street Journal d’extraits d’un rapport confidentiel du Comité qui date de février et qui révèle les tortures commises par les troupes d’occupation n’arrangent pas les choses, même si la fuite provient vraisemblablement des Etats-Unis et non de la Suisse. De leur côté, certains délégués trouvent que la diplomatie silencieuse du CICR n’est pas efficace et veulent dénoncer plus ouvertement les pratiques de l’armée américaine. De fait, l’amélioration des conditions de détention dans la fameuse prison d’Abu Ghraib ne provient pas des rapports confidentiels du Comité mais de la publication de photos prises par des militaires en train de torturer des Irakiens. De plus, les troupes américaines continuent de freiner l’acheminement des secours. En avril 2004, elles interdisent au Croissant Rouge irakien l’accès à la ville assiégée de Fallouja, où se sont soulevés les partisans chiites de Moqtada al-Sadr. En novembre suivant, elles tirent sur du personnel médical et achèvent un combattant blessé et désarmé lors de leur entreprise de reconquête de l’agglomération, où le CICR n’est toujours pas autorisé à pénétrer. D’une manière générale, l’insécurité ambiante continue de toutes façons d’entraver les possibilités d’action humanitaire. Après l’assassinat d’un employé local du CICR en janvier 2005, le Croissant Rouge irakien suspend ses activités à Bagdad lorsque 36 de ses volontaires sont enlevés le 17 décembre 2006.
 
-1982-1988, Salvador : arrivé en 1979 pour porter secours aux victimes de la guerre civile, le CICR essaie de travailler du côté du gouvernement comme des guérilleros du Front Farabundo-Marti de libération nationale, le FMLN. Il s’occupe notamment des détenus politiques, qu’il visite assez régulièrement depuis qu’il est intervenu brièvement à l’occasion d’un conflit frontalier entre le Salvador et le Honduras en juin 1969. Mais la dégradation de la situation et la militarisation du pouvoir, qui est issu d’un coup d’Etat, compromettent les activités du CICR, qui déplore l’assassinat d’un employé local à San Miguel le 3 juin 1981. En 1982, le CICR doit menacer de se retirer du pays pour obtenir le droit de visiter les détenus politiques sept jours après leur capture et d’avoir accès aux prisons plus ou moins clandestines des escadrons de la mort au service de la junte. Soucieux de son image auprès de la communauté internationale, le chef de l’Etat, Napoleon Duarte, finit par accéder aux demandes de Genève lorsque le Comité parvient à obtenir, le 24 octobre 1985, la libération de sa fille Inès Duarte Durán, enlevée par des rebelles. Le FMLN, lui, interdit pareillement l’accès à ses prisonniers. Malgré un accord de principe en 1981, le CICR doit patienter jusqu’en 1985 pour visiter les soldats et officiers aux mains de la guérilla. Il est vrai que le gouvernement l’autorise très rarement à aller en zone rebelle, notamment dans les départements du Morazan et de La Union au nord du pays. Pris entre deux feux, le CICR éprouve bien des difficultés à faire respecter sa neutralité. Selon l’ancien directeur de Human Rights Watch, Aryeh Neier, il doit renoncer en 1984 à monter des cliniques mobiles dans les régions rebelles car celles-ci attirent l’attention et permettent à l’armée de localiser les guérilleros pour mieux les bombarder. Le contexte de la guerre froide ne facilite pas non plus les choses. Dans un livre publié en 1984, un des délégués du CICR, Dres Balmer, laisse entendre que son organisation, financée par les Américains, ne dénonce pas les exactions de l’armée à cause du soutien que la junte salvadorienne reçoit de Washington. Par le truchement de la Pravda, les Soviétiques, qui appuient le FMLN, en profitent pour vilipender l’usage de la torture dans le camp impérialiste. Gêné par un scandale de pédophilie dans un des foyers d’enfants dont il a la responsabilité, le CICR ne peut pas non plus affirmer sa neutralité en se reposant sur la Croix-Rouge salvadorienne, qui est accusée de partialité. En effet, cette dernière s’investit en priorité dans les zones gouvernementales et elle déplore la mort de deux volontaires, Rafael de Los Angeles Cornejo et Joaquin Arnoldo Perez Salinas, dont l’ambulance est attaquée près de Guadalupe dans le département de San Vicente le 6 mars 1984. Symbole du pouvoir, la Croix-Rouge salvadorienne a ainsi vu son siège occupé en janvier 1979 par des communistes du Front uni de l’action populaire, le FAPU (Frente de Acción Popular Unificada), tandis que son vice-président était enlevé et séquestré par des terroristes du 8 mai au 19 octobre 1981. En période de guerre, elle dépend de plus en plus des financements du gouvernement, qui passent de 9% de son budget en 1981 à 45% en 1982, le CICR prenant en charge son déficit et la moitié de ses dépenses opérationnelles. Résultat, le Comité de Genève doit surtout compter sur ses propres forces pour travailler auprès de toutes les parties en présence. Sa position d’intermédiaire lui permet en l’occurrence d’obtenir la libération de personnes prises en otages lors d’une attaque contre un supermarché de la capitale en mai 1984 puis une banque de Soyapango en août. Elle facilite également les pourparlers de paix quand le CICR escorte des représentants du FMLN pour négocier avec le gouvernement à La Palma le 15 octobre 1984, Ayagualo le 30 novembre suivant et San Salvador le 4 octobre 1987. Lorsque la situation commence à s’améliorer, le Comité peut enfin s’occuper du retour des réfugiés à partir de 1988.
 
-A partir de 1983, Sri Lanka : résolu à intervenir lors de troubles qui éclatent en 1983, le CICR doit attendre six ans pour être autorisé à ouvrir une délégation à Colombo et à secourir les victimes du conflit qui oppose les Tamouls aux Cinghalais dans la péninsule de Jaffna. Côté gouvernemental, il peut ensuite accéder à tous les détenus, notamment les hommes du JVP (Janatha Vimukti Peramuna) arrêtés à l’occasion d’une insurrection en 1989. Du côté des rebelles, en revanche, les LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam) ne permettent que très rarement des visites à ses prisonniers. Les premiers échanges de détenus ne concernent que 28 personnes dans la foulée des négociations de paix que le CICR facilite entre le nouveau gouvernement de l’Alliance populaire et la guérilla des Tigres tamouls à Jaffna les 13 et 14 octobre 1994, puis le 6 janvier 1995. Pour le reste, les parties en présence ne s’avèrent guère respectueuses du droit humanitaire. Lors du débarquement de vivres à Point Pedro, par exemple, un bateau protégé par l’emblème du Comité est victime d’une attaque des LTTE contre un bâtiment de la marine sri lankaise à proximité en août 1993. Les forces gouvernementales, pour leur part, bombardent à plusieurs reprises l’hôpital universitaire que le CICR tente vainement de sécuriser à Jaffna en décembre 1993 et dont il doit évacuer les patients vers Point Pedro quand l’armée reprend la ville en décembre 1995. Le ravitaillement des habitants de la péninsule devient vite un problème. Désormais obligé de passer par le dernier accès encore ouvert à Point Pedro, le CICR déplore la mort d’un membre de l’équipage du Sea Dancer, le navire qu’il a affrété et qui coule après avoir heurté une mine devant une base de la marine à Kankesanturai le 4 juin 1995. Résultat, le nouveau bateau du Comité, le Habarana, ne transporte plus que des vivres, et non des blessés. Revenu à Jaffna en juin 1996, le CICR rencontre également des difficultés pour assister les habitants qui ont fui la ville à partir d’octobre 1995 et qui ont été recueillis dans des camps de la région de Chavakachcheri. De part et d’autre, les belligérants cherchent en effet à terroriser et embrigader la population. Les LTTE, notamment, recrutent des combattants parmi les personnes déplacées que le CICR assiste dans des centres placés à partir de 1992 sous la protection du HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) à Madhu, Pesalai et Palmpiddy sur l’île de Mannar. Le problème prend une telle ampleur qu’il risque de compromettre la neutralité du Comité, qui dénonce publiquement l’embrigadement d’enfants soldats par les Tigres tamouls mais qui travaille avec leur branche humanitaire, à savoir la TRO (Tamil Relief Organisation). A la différence du CICR, le HCR menace ainsi d’interrompre les programmes d’assistance à Madhu pour ne ravitailler les guérilleros. Le Comité, lui, n’échappe pas à la violence ambiante et perd un veilleur de nuit, Gnapiragasam Thimoty Raveenthiran, lors du pillage de ses bureaux à Vavuniya le 10 janvier 1998. Il faut attendre la relance des négociations de paix en 2002 pour que les hostilités se calment un peu et permettent l’ouverture de nouveaux points de passage par la route. Autorisé par le ministère de la Défense et les Tigres tamouls à ravitailler Jaffna depuis Trincomalee avec un bateau affrété pour l’occasion en 2000, le Jaya Gulf, le CICR peut alors commencer à s’occuper de la réinstallation des déplacés. De leur côté, les LTTE, qui ont relâché quatre prisonniers de guerre et procédé à l’échange de dépouilles militaires en 2000, permettent au CICR de visiter les détenus de droit commun dans leurs commissariats de police à partir de 2004, à défaut des prisonniers politiques. Accompagné d’un véritable déferlement d’aide humanitaire, le tsunami du 26 décembre 2004 confirme la trêve, quitte à laisser les Tigres tamouls distribuer les kits de survie du CICR, comme en témoigne Guillaume Kopp, le chef de la mission d’Action Contre la Faim sur place. Mais les négociations de paix échouent. Les combats reprennent bientôt et contraignent le CICR à se retirer des points de passage entre zones rebelles et gouvernementales le 23 mai 2007. La Croix-Rouge sri lankaise n’est pas épargnée. Deux employés tamouls de sa section de Batticaloa, Sinnarasa Shanmugalingam et Karthekesu Chandramohan, sont enlevés dans la gare centrale de Colombo le 1er juin 2007 et tués par des pseudo-policiers qui abandonnent les cadavres à Kiriella dans le district de Ratnapura à une centaine de kilomètres de la capitale. Le 14 décembre 2007 à Kalviwan Kadu près de Jaffna, encore, le président de la Croix-Rouge sri lankaise de Point Pedro, Sooriyakanthy Thavarajah, est kidnappé à son domicile et assassiné par des hommes armés. Le 23 décembre 2008, de nouveau, un collaborateur du CICR, Sivasundaralingam Gangatharan, est tué lors d'une fusillade à Jaffna. Au cours d’une offensive gouvernmentale contre les LTTE en janvier 2009, le CICR parvient en revanche à négocier la mise en place d’une zone neutralisée de 32 kilomètres carrés pour abriter les civils le long de la route entre Paranthan et Mullaitivu.
 
-A partir de 1984, Soudan : dans le cadre d’un accord de siège signé avec Khartoum le 8 décembre 1984, le CICR est officiellement autorisé à venir assister les réfugiés ougandais, tchadiens et érythréens. Il rencontre en revanche plus de difficultés pour se porter au secours des populations déplacées par le conflit qui oppose le gouvernement musulman dans le Nord aux guérilleros de la SPLA (Sudan People’s Liberation Army) de John Garang dans le Sud. Outre la perte de deux délégués dans des accidents de voiture, Jürg Baumann le 21 septembre 1980 puis Michel Zufferey le 5 janvier 1985, le CICR se heurte à l’obstruction de toutes les parties en présence. En octobre 1986, le Comité, qui a établi un pont aérien en juillet, doit d’abord évacuer la ville de Wau, un fief gouvern emental, car la SPLA met à exécution sa menace d’abattre les avions civils qui survolent le Sud du Soudan. A partir d’avril 1986, le CICR essaie en conséquence d’intervenir par la route depuis la base de Lokichokio au Kenya. Mais en juin 1988, il doit ensuite suspendre ses opérations à Wau, cette fois parce que Khartoum lui interdit de secourir les populations en zone rebelle et qu’il ne veut pas compromettre sa neutralité en ne ravitaillant qu’une des parties au conflit. S’il arrive assez vite à négocier le droit d’intervenir dans les zones gouvernementales comme rebelles, il continue de subir les aléas de la situation militaire sur le terrain. Après la fermeture de l’ensemble de l’espace aérien du pays de novembre 1989 à avril 1990, ses vols à destination de Wau, Juba et Malakal, villes aux mains de l’armée, et Kongor, Leer et Bor, en zone rebelle, sont de nouveau interdits par le gouvernement de décembre 1990 à juin 1991. Bien qu’il échappe aux restrictions de l’Opération Lifeline, qui encadre très strictement les mouvements des autres organisations humanitaires sous la coupe de Khartoum à partir d’avril 1989, le CICR n’est pas épargné par les accidents. Le 2 septembre 1991, un de ses avions, un Hercules, heurte une mine lors de son décollage à Wau ; le 24 octobre, deux passants sont malencontreusement tués lors d’un largage aérien de vivres au-dessus de Pochalla. Cette année-là, le CICR essaie en vain de faire venir à grands frais depuis Bor, un fief dinka, une barge chargée d’aller ravitailler les populations nuer de Ler. Au moment où le mouvement de John Garang implose de l’intérieur et révèle de forts clivages entre Nuer et Dinka, l’opération s’avère catastrophique. Bloquée par le gouvernement, l’embarcation est volée par les Dinka de la SPLA pour attaquer les Nuer d’une faction dissidente. La neutralité du CICR, qui a bien mieux ravitaillé les premiers, en souffre d’autant car Genève voit régulièrement ses vivres détournés par les hommes de John Garang et continue néanmoins de travailler avec leur branche humanitaire, la SRRA (Sudan Relief and Rehabilitation Association). Un tel travers a des conséquences pratiques. De novembre 1996 à janvier 1998, le Comité est ainsi contraint de suspendre ses activités dans le Sud quand un seigneur de guerre rallié au gouvernement, Karabino Kuanyin Bol, retient en otage à Wunoc pendant un mois une infirmière et deux pilotes du CICR, qu’il accuse d’avoir convoyé des armes et des combattants pour la SPLA. L’accès aux populations vulnérables continue par ailleurs d’être tributaire de la situation militaire. Interdit par le gouvernement de se déplacer en avion à partir de février 1992 puis par la route à partir d’avril, le CICR doit interrompre ses programmes jusqu’en juillet 1993, tandis qu’une offensive de John Garang met fin à ses vols de ravitaillement vers Juba d’octobre à décembre 1995. Pour revenir dans les zones de conflit, il lui faut attendre la signature d’un accord avec la SPLA en janvier 1998 puis d’un cessez-le-feu entre les rebelles et le gouvernement en juillet suivant. En attendant, il ne peut guère secourir les victimes de la famine dans la région de Wau, en proie à une malnutrition sévère depuis avril. D’une manière générale, les combats entravent considérablement l’action des travailleurs humanitaires. Le 9 juin 1998, par exemple, un employé du Croissant Rouge soudanais, Magboul Mamoun, est tué avec deux collaborateurs du Programme Alimentaire Mondial lors d’une attaque contre leur convoi sur la piste du village d’Erri au sud-est de Kadugli dans les Monts Nouba. Le CICR n’est pas épargné. Le 18 février 1999 près de Bentiu, deux de ses expatriés qui s’étaient égarés sont capturés par la SPLA avec deux collaborateurs du Croissant Rouge soudanais et trois officiels du gouvernement. Si les Européens sont relâchés le 12 mars, leurs accompagnateurs sont tous exécutés à l’exception d’un volontaire du Croissant Rouge local. Le CICR, qui évacue Bentiu en juin 1999, n’est pas au bout de ses épreuves. Après le bombardement d’un de ses avions à Billing dans l’Etat du Lac le 27 juillet 2000, il déplore la mort d’un copilote danois, Ericksen Ole Friis, tué en cours de vol le 9 mai 2001 lorsque son appareil est touché par des projectiles d’origine inconnue. Le 4 décembre 2000, encore, un collaborateur soudanais du CICR, Abendigo Asiel, est tué lors du pilonnage d’un centre de santé à Lakakedu dans le comté de Yirol. La situation commence certes à s’améliorer quand démarrent les négociations qui aboutissent à la signature d’un accord de paix à Nairobi le 9 janvier 2005. A partir de novembre 2004, le CICR peut notamment recommencer un programme interrompu depuis avril 1992 en vue de réunifier les familles dispersées par le conflit. Dans la foulée, le Comité parvient également à obtenir de la SPLA la libération de prisonniers de guerre et de détenus civils avec qui il avait brièvement pu s’entretenir de janvier 1992 à août 1994. La réciproque est vrai du côté du gouvernement de Khartoum, qui, en octobre 1996, avait suspendu le droit de visite du CICR alors même que le mouvement de John Garang venait de le rétablir neuf mois auparavant. La poursuite ou la reprise des hostilités dans l’Est et l’Ouest du Soudan réduisent cependant la portée des avancées du Comité dans le Sud. A l’Est, des combats continuent d’opposer l’armée gouvernementale à des groupes rebelles avec qui le CICR signe un accord pour aller jusqu’en Erythrée visiter et obtenir la libération de trois députés de l’Etat soudanais de la Mer Rouge, enlevés le 24 février 2005. La région reste peu sûre : deux employés de la Croix-Rouge soudanaise sont tués, un troisième enlevé et un quatrième grièvement blessé lors de l’attaque de leur véhicule près de la ville de Kassala le 3 mai 2005. La situation est encore pire à l’Ouest, où les populations du Darfour se soulèvent contre Khartoum et où le CICR démarre en août 2004 son plus important pont aérien depuis la crise irakienne de mars 2003. Dans cette région isolée, gigantesque et difficile d’accès, les belligérants ne respectent guère le droit humanitaire malgré la conclusion en septembre 2005 d’un accord qui autorise théoriquement le CICR à visiter les détenus entre les mains d’un des principaux groupe rebelle en présence, le SLM (Sudan Liberation Movement). Par le biais de milices appelées janjawid, le gouvernement, en particulier, s’en prend aux populations civiles. Les travailleurs humanitaires sont régulièrement attaqués, contraignant le CICR à suspendre ses opérations dans les montagnes du Jebel Marra en août 2006 puis à évacuer Koutoum en novembre. Les employés locaux du Comité sont les premiers à en faire les frais. Rien qu’au cours de l’année 2006, un agronome, Hassan Ahmad Idriss, disparaît au moment de combats dans le Nord du Darfour le 12 juillet, un chauffeur est enlevé le 16 août et exécuté après avoir dû céder son véhicule à des bandits du Jebel Marra, une infirmière est tuée lors d’une offensive gouvernementale à Hashaba près d’Um Sidir le 1er septembre. Le 8 février 2008, encore, un ingénieur hydraulique du CICR est tué lors d’une attaque de l’armée contre les guérilleros du JEM (Justice and Equality Movement) à Seleia. Deux véhicules de l’organisation sont par ailleurs braqués et volés à Koutoum dans le Nord du Darfour en octobre suivant. Le 22 octobre 2009, enfin, un expatrié français du CICR, Gauthier Lefèvre, est enlevé par des hommes armés près de la ville d’El Geneina à proximité de la frontière tchadienne dans l’Ouest du Darfour.
 
-1985-1992, Mozambique : autorisé à travailler avec la Croix-Rouge locale depuis 1980, le CICR essaie d’intervenir directement pour porter secours aux victimes du conflit qui oppose les rebelles de la Renamo (Resistência Nacional Mozambicana) au gouvernement du Frelimo (Frente de Libertação de Mozambique), au pouvoir à Maputo depuis l’indépendance en 1975. D’inspiration marxiste, les autorités se méfient du Comité de Genève, accusé de n’avoir travaillé que du côté des Portugais du temps de la colonisation. Elles lui reprochent notamment de considérer les événements comme une guerre civile quand le Frelimo veut exclusivement y voir une agression extérieure du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, qui soutient la Renamo. Elles s’inquiètent aussi de ses activités auprès des réfugiés mozambicains au Malawi, où la guérilla vient s’approvisionner. Plusieurs incidents viennent renforcer la suspicion des autorités. Lorsqu’un avion du CICR qui survolait Luabo sans la permission du Frelimo se fait tirer dessus par la Renamo le 31 juillet 1985, Genève se garde ainsi de condamner publiquement les rebelles et suspend ses opérations en zone gouvernementale, au risque de laisser croire que l’attaque vient de l’armée. Autre accroc, au cours d’une escale à Lusaka en février 1988, le nouveau président du Comité depuis mai 1987, Cornelio Sommaruga, donne l’impression de vouloir forcer la main des Mozambicains et doit se rétracter après avoir accordé au correspondant de Reuters une interview où il disait se rendre en visite officielle à Maputo pour persuader les autorités de permettre un accès humanitaire aux régions tenues par la Renamo. Résultat, les autorités du Frelimo entravent à plusieurs reprises les activités du CICR, qui sont suspendues en zone gouvernementale d’août 1985 à mai 1987 et interdites en zone rebelle jusqu’à la mi-1988. Soucieuses de maintenir leur blocus contre les insurgés, elles s’opposent résolument à toute opération montée depuis Maputo ou le Malawi pour ravitailler les régions aux mains de la guérilla. De son côté, le président de la Renamo, Alfonso Dhlakama, avec qui Genève a commencé à négocier en 1986, cherche à tirer parti d’une intervention susceptible de légitimer son mouvement, de conforter son pouvoir aux yeux des combattants et d’éviter la fuite des populations affamées vers les zones gouvernementales. Dans le contexte de la guerre froide, les Etats-Unis souhaitent également que le CICR intervienne, même s’ils ne veulent pas paraître soutenir officiellement une guérilla anti-marxiste qui a fort mauvaise réputation à cause de ses exactions et de son alliance avec le régime raciste de l’Afrique du Sud. A défaut de financer directement des opérations de secours en zone rebelle, Washington subventionne l’ensemble des activités du Comité sur le continent africain, étant entendu qu’une partie doit aller au Mozambique. Une fois obtenue l’autorisation de Maputo en 1988, le CICR devient alors la seule organisation humanitaire active dans les territoires de la Renamo. Après une première mission de reconnaissance dans le district de Chemba au nord de la province de Sofala, il y étend ses programmes dans les régions de Manica, Gaza, Nampula, Maputo et Zambezia. Ses ennuis ne sont pas pour autant terminés. En mars 1989 à Memba dans la province de Nampula, quatre agents du CICR, un délégué suisse, un coordinateur allemand, une infirmière hollandaise et un employé de la Croix-Rouge mozambicaine sont séquestrés pendant deux semaines par les guérilleros de la Renamo. A Namahaca en décembre, toujours dans la province de Nampula, un hôpital est ensuite attaqué et mis à sac par des hommes armés. Le 1er juin 1990, encore, deux délégués du Comité disparaissent dans la nature pendant trois semaines pour, de leur propre initiative, assister la population de Zambezia, une région tenue par les rebelles. Leur démarche réveille la suspicion du Frelimo, qui continue de se méfier des activités de Genève et qui suspend ses opérations dans les régions de Canxixe et Dindiza pendant quatre mois après l’arrestation d’un délégué du CICR à Beira le 16 juillet 1991, suite à la découverte d’uniformes militaires dans une cargaison de vêtements usagés donnés par la Croix-Rouge allemande. Se sentant menacé par une guérilla qui, pour s’approvisionner, attaque régulièrement les convois alimentaires du gouvernement, le CICR décide quant à lui de se retirer des zones rebelles en juillet 1990 et entreprend de négocier l’ouverture de corridors humanitaires lors de rencontres avec le chef de la délégation de la Renamo à Rome, Raul Domingos, en août 1990, puis directement avec Alfonso Dhlakama en novembre 1990 et avril 1991. Le principe est loin d’être acquis. Si la guérilla accepte l’idée d’un couloir traversant la région du Tete pour approvisionner les réfugiés mozambicains au Malawi, le gouvernement s’oppose à la création d’une zone-tampon à la frontière. Les divergences concernent aussi l’approvisionnement des territoires aux mains de la Renamo à l’intérieur du pays. Favorable à des largages aériens, Alfonso Dhlakama refuse que des vivres soient acheminés par voie de terre depuis les zones gouvernementales, de crainte que le Frelimo en profite pour gagner la sympathie de la population. Autorisé pour la première fois à franchir les lignes de front, en l’occurrence pour se rendre dans la province de Sofala en mai 1992, le CICR doit en fait attendre la fin de la guerre pour intervenir de part et d’autre. Concrètement, ce sont les négociations de paix et la signature d’un cessez-le-feu le 15 octobre 1992 qui permettent un accès humanitaire à l’ensemble du pays dans le cadre d’un accord conclu entre les rebelles et le gouvernement le 16 juillet précédent.
 
-1986, Suisse : les statuts du Mouvement, qui confirment le rôle spécifique du CICR, sont adoptés lors de la vingt-cinquième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Genève du 23 au 31 octobre 1986 avec les délégations de 113 Etats et 137 sociétés nationales. Dans le contexte de la guerre froide, l’adhésion de Taiwan et de l’Afrique du Sud continue cependant de poser problème. Malgré une tentative de médiation du CICR, quarante délégations menées par le Kenya demandent l’expulsion de la Croix-Rouge sud-africaine. Après enquête, celle-ci est finalement réhabilitée et blanchie des accusations de discrimination raciale mais les tensions persistent. Le CICR, de son côté, est lui-même en proie à de fortes contestations internes qui opposent le département de la protection juridique aux responsables des actions opérationnelles. Sur le terrain, les délégués se plaignent en l’occurrence de l’absence d’écoute du siège à Genève, de la multiplication des programmes de distribution alimentaire et de la course à la collecte de fonds sous la direction de Jean-Pierre Hocke. Ils déplorent que le Comité se soit éloigné de son mandat initial, à savoir la protection des victimes de conflits. Leurs protestations suscitent une vague de démissions, tandis que sont écartés des postes de décision une vingtaine de délégués qui avaient signé une lettre de doléances.
 
-Depuis 1987, Somalie : en vertu d’un accord de siège qui date d’août 1983, le CICR essaie de secourir les victimes des combats qui opposent différents groupes armés à la dictature militaire et « socialiste » de Siad Barre, au pouvoir à Mogadiscio depuis octobre 1969. Genève a d’abord tenté d’intervenir dans le pays pour assister les militaires éthiopiens et cubains capturés lors de la guerre d’Ogaden de 1977-1978. Arguant que la région éthiopienne de l’Ogaden, majoritairement peuplée de Somali, aurait dû appartenir à la Somalie, le gouvernement de Siad Barre avait en l’occurrence prétendu qu’il ne s’agissait pas d’un conflit international et avait interdit au Comité de visiter les détenus sans témoins, à l’exception d’une fois en mai 1979. Placé aux ordres du régime et présidé par le Docteur Ahmed Mohammed Hassan, le Croissant Rouge somalien n’avait guère facilité la tâche. Il faut attendre la signature d’un accord de paix entre Mogadiscio et Addis-Abeba, le 3 avril 1988, pour que le CICR puisse entreprendre de rapatrier des prisonniers de guerre somaliens. En attendant, la situation continue de se dégrader à l’intérieur du pays. Le droit humanitaire est régulièrement violé et le CICR va être confronté aux pires moments de son histoire. Les ennuis commencent dans la région Nord-Ouest, où il est autorisé à intervenir à partir de novembre 1988 et où l’indépendance du Somaliland est restaurée sous l’égide de la guérilla du SNM (Somali National Movement) en mai 1991. Dans le port de Berbera, trois employés du CICR sont blessés et un autre, Peter Altwegg, est tué en octobre 1990. Après avoir évacué la ville de mars à juillet 1991, le Comité peut certes reprendre ses activités quand les combats diminuent d’intensité mais la région continue d’être infestée de mines qui provoquent la mort de trois collaborateurs locaux et de deux passants près de la localité de Las Anod le 5 février 1993. Dans le Sud du pays, l’insécurité ambiante s’avère encore plus grave. Lors de la chute de la dictature Siad Barre à Mogadiscio en janvier 1991, le CICR doit d’abord évacuer vers Djibouti ses expatriés et quelques employés locaux à bord d’un bâtiment de la marine française, le Jules Verne. Contraint de suspendre ses programmes en septembre puis d’évacuer l’hôpital Martini dans les quartiers Sud de la capitale en novembre, il déplore ensuite la mort d’un collaborateur belge, Wim Van Boxelaere, abattu à bout portant devant le siège du Croissant Rouge somalien à Mogadiscio le 11 décembre 1991. Un passant qui s’était interposé pour essayer de protéger l’expatrié meurt également de ses blessures. Au total, quatorze employés locaux du CICR sont tués au cours de l’année 1991, sans doute la pire. Les pillages d’entrepôts de vivres et les vols de véhicules humanitaires se multiplient pendant que les groupes en lice continuent de se disputer le pouvoir laissé vacant, essentiellement les factions du clan Hawiye d’Ali Mahdi et du général Mohamed Farah Hassan « Aidid », respectivement dans le sud et le nord de la capitale. Pour la première fois, le Comité se résout alors à payer quelque 2 600 combattants armés afin d’escorter ses convois, quitte à enfreindre son règlement interne. A raison de 4 dollars par jour et par unité pour environ 600 gardes et de 40 dollars pour une bonne trentaine de véhicules pourvus de mitrailleuses, les fameux technicals, c’est plus d’un million de dollars que le CICR dépense ainsi en 1992, année au cours de laquelle la Somalie et la famine qui ravage la région de Baidoa accaparent la moitié des dépenses que le Comité consacre à ses opérations d’urgence dans le monde. Outre qu’il alimente directement les dynamiques de guerre, le procédé relève du racket de protection et ne permet pas d’échapper à la violence. Le 15 février 1992 dans un quartier du nord de Mogadiscio, les hommes du général Mohamed Farah Hassan « Aidid » s’emparent de l’hôpital Keysaney et en chassent les docteurs du CICR, qui venaient de transformer cette ancienne prison en établissement médical et qui doivent patienter jusqu’en mai 1993 pour y reprendre leurs activités. En dehors de la capitale, le Comité ne parvient pas non plus à empêcher l’exécution de deux employés locaux, de trois volontaires du Croissant Rouge somalien et de six de leurs parents originaires de Garoe, assassinés à cause de leur appartenance clanique lorsque leur camion est intercepté par des miliciens près de l’aéroport de Kismayo en août 1992. A Kismayo, toujours, un chauffeur Ogadeni du CICR, Hassan Mohamed Ali, a également été tué le 14 janvier 1992 alors qu’il circulait à bord d’un véhicule marqué de l’emblème de la Croix-Rouge.  Dans le cadre de l’Opération Restore Hope à partir de décembre 1992, le débarquement de troupes américaines à Mogadiscio ne résout rien. A Baidoa, les équipements du Comité sont pillés le 10 décembre 1992. Le 14 janvier 1993, un délégué du CICR est assassiné lors du hold-up d’un bureau de l’organisation à Bardera dans la région du Gedo. Victime d’une autre agression à main armée le 21 mars 1993, le Comité doit se retirer de Mogadiscio-Nord puis, le mois suivant, de la région Baidoa et de la ville de Kismayo, où ses employés locaux sont attaqués à la grenade parce qu’ils abritent des réfugiés d’un clan adverse. Finalement contraint d’arrêter toutes ses distributions alimentaires jusqu’en juin 1993, il prend aussi ses distances avec une opération de la paix qui s’avère contre-productive et relance les hostilités quand Washington renonce à toute neutralité et met à prix la tête de Mohamed Farah Hassan « Aidid », tuant des civils et attaquant par erreur les bureaux d’ONG. Le CICR, qui avait d’abord accepté leurs escortes, souhaite dorénavant rester à l’écart des troupes américaines, dont il parvient à faire reconnaître comme prisonnier de guerre un pilote d’hélicoptère capturé par les hommes de Mohamed Farah Hassan « Aidid ». Tandis que les casques bleus des Nations Unies commencent à quitter le pays, il lui faut en effet se débrouiller seul au moment où un de ses collaborateurs locaux est tué et un expatrié brièvement enlevé lors d’une attaque contre leur véhicule dans les rues de Mogadiscio le 31 mars 1994. Avec le retrait des troupes américaines, le Comité de Genève décide de rapatrier sa délégation sur Nairobi au Kenya en juillet 1994 et de poursuivre ses opérations d’assistance en Somalie par l’intermédiaire de chefs de villages et de commerçants chargés de transporter les vivres pour son compte. A défaut de pouvoir laisser des expatriés sur place, il collabore étroitement avec le Croissant Rouge somalien et son secrétaire général depuis 1991, Nur Hassan Hussein « Ade », un ancien colonel de police du clan Hawiye des Abgal qui deviendra Premier Ministre du président Abdullahi Yusuf fin 2007. Les conditions de travail restent difficiles. Le 15 avril 1998 sur la piste d’aviation d’Isley à Mogadiscio-Nord, dix employés du CICR et du Croissant Rouge somalien sont enlevés et retenus pendant neuf jours. Avec la persistance des rivalités entre seigneurs de guerre, l’émergence de groupes fondamentalistes et la multiplication des incursions de l’armée éthiopienne, la poursuite des hostilités oblige à garder un profil bas et continue de perturber les programmes d’assistance dans le Sud du pays, en particulier les régions du Gedo, de Bay et de la capitale. Le 28 mai 2006, par exemple, le CICR doit évacuer les patients de l’hôpital Keysaney, qui est attaqué et occupé pendant quelques jours par les miliciens d’une coalition « anti-terroriste » alliée aux Etats-Unis pour lutter contre les islamistes, l’Alliance for the Restoration of Peace and Counter-Terrorism. Le 12 janvier 2012, encore, le Comité suspend ses opérations dans le sud et le centre du pays du fait des interférences des fondamentalistes d’Al-Shabaab, qui ont expulsé la plupart des autres organisations humanitaires au cours des mois précédents. En représailles, le CICR est alors expulsé par les djihadistes, qui l’accusent de distrribuer des vivres impropres à la consommation et qui brûlent publiquement deux mille tonnes de nourriture stockées dans les hangars de l’organisation. La situation reste aussi tendue à Mogadiscio. Le 28 mars 2018, le chargé de communication du CICR, Abdulhafid Yusuf Ibrahim, y est tué dans l’explosion d’un engin artisanal alors qu’il quittait son bureau au volant de sa voiture. Grâce à des complicités internes, une infirmière allemande est ensuite enlevée le 2 mai dans les locaux de l’organisation, toujours à Mogadiscio.
 
-1988-1998, Yougoslavie : après avoir vainement tenté de secourir des prisonniers politiques en 1988, notamment les Albanais du Kosovo, le CICR essaie de s’implanter dans un pays où il n’est quasiment pas intervenu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Autorisé à visiter les détenus d’opinion à partir de mars 1990, il est surtout amené à monter des opérations d’urgence au milieu des combats qui accompagnent l’éclatement de la fédération yougoslave. En juillet 1991, le Comité organise d’abord la libération de soldats gouvernementaux capturés par les forces de Lubljana lors de la « guerre des dix jours » qui marque le début des conflits sécessionnistes contre le pouvoir central à Belgrade. Après la Slovénie, la Croatie s’engage à son tour dans la lutte pour l’indépendance. En vertu d’accords signés le 6 novembre 1991 puis le 27 juillet 1992, le CICR supervise l’échange des militaires faits prisonniers de part et d’autre. A mesure que la violence prend de l’ampleur, les difficultés s’accumulent sur le terrain. Le 27 septembre 1991 sur la route de Lipik en Croatie, une attaque qui ne fait pas de victimes vise un convoi du CICR en train d’évacuer les malades de l’institut psychiatrique de Pacrak. Les 19 et 20 novembre 1991, les forces serbes vident manu militari les patients de l’hôpital de Vukovar, où l’on découvre des charniers. A Dubrovnik le 1er décembre 1991, un bateau affrété par Genève, le Rodos II, est refoulé vers Zelenica sans parvenir à décharger ses secours. Neutralisés pour accueillir les blessés, l’hôpital Medarevo et le poste de premiers secours installé dans un monastère franciscain de Dubrovnik sont certes épargnés par les belligérants. Mais à Osijek, l’hôpital érigé en zone protégée est bombardé à maintes reprises le 15 février, le 7 mars, le 23 avril et du 1er au 11 mai 1992. Pour les belligérants, l’aide humanitaire est, au mieux, un moyen de parvenir à leurs fins. Le CICR a donc toutes les difficultés à faire respecter sa neutralité. A Belgrade, on l’accuse à mots couverts de s’occuper davantage des Croates en Krajina que des Serbes en Croatie. Et à Zagreb, on essaie de négocier auprès du CICR l’autorisation d’accéder aux Serbes de Vukovar en échange du retrait de l’armée fédérale des casernes situées en Croatie. A la différence de Médecins Sans Frontières, raconte Jean-François Berger, le Comité refuse en l’occurrence de céder aux exigences des forces croates et se voit reprocher de tarder à intervenir en Bosnie, qui s’embrase à son tour et dont la capitale est assiégée par les Serbes. Après avoir passé le relais au HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) pour s’occuper des populations déplacées par les combats à partir de février 1992, le CICR installe le 27 avril une délégation à Sarajevo, dont les hôpitaux sont régulièrement bombardés et où un ambulancier est tué. Sa capacité d’action est très restreinte à cause des exactions des parties en lice. Dès le 9 mai 1992, les milices serbes réquisitionnent un 4x4 et un camion du CICR, dont le délégué à Sarajevo, Frédéric Maurice, meurt à la suite d’une attaque contre un convoi de vivres et de médicaments le 18 mai. Le Comité décide en conséquence de se retirer de la région, où les criminels de guerre poursuivent désormais leurs atrocités sans témoins, notamment dans les camps d’Omarska, Trnopolje et Manjaca. A l’exception de Sarajevo et de la partie orientale du pays, qui leur reste fermée jusqu’en février 1993, des délégués du CICR sont ensuite renvoyés en Bosnie le 7 juillet 1992 pour continuer de distribuer des vivres, assurer des soins médicaux et retrouver les personnes disparues au cours des combats. En voulant évacuer les habitants promis à une mort quasi-certaine, leur dilemme est de participer à des échanges de détenus dont la libération est monnayée auprès des familles, d’une part, et avalise le travail d’épuration ethnique des assaillants, d’autre part. Au sein de l’organisation, on hésite ainsi à encourager la création de « corridors humanitaires » qui favorisent le processus de séparation des communautés. Faute de mieux, on s’y résout malgré les réticences des autorités de Sarajevo qui, le 15 novembre 1992, veulent un moment interdire à la Croix-Rouge bosniaque d’évacuer 4 700 habitants susceptibles de renforcer les rangs des défenseurs de la ville. Tandis que le HCR exfiltre des communautés entières, le CICR se concentre sur des individus et sera quand même accusé d’encourager les efforts d’épuration ethnique des Serbes par l’ambassadeur de Bosnie en Suisse, Mustafa Bijedic, le 5 décembre 1995. L’opinion publique internationale, elle, pousse Genève à agir après la découverte, par les médias occidentaux, de « camps de la mort » et le vote, par le Conseil de sécurité des Nations unies le 13 août 1992, des résolutions 770 et 771 sur l’acheminement de l’aide, la libération des prisonniers de guerre et le respect du droit humanitaire. Contrairement à son habitude, le Comité ne demande plus seulement d’améliorer les conditions de détention des civils, mais aussi de relâcher les otages incarcérés pour servir de monnaie d’échange et de moyen de pression. Le 1er octobre 1992, un accord signé avec les belligérants prévoit d’évacuer environ 7 000 prisonniers sur onze sites recensés. En principe, les détenus valides doivent transiter par le camp de Karlovac en Croatie ; les blessés et les malades, être soignés en Occident. En pratique, le mouvement est ralenti par la mauvaise volonté des geôliers et les réticences des pays d’asile, qui craignent de voir déferler un trop grand nombre de réfugiés bosniaques. Aussitôt vidé de ses 1 500 occupants, le site de Trnopolje, par exemple, est de nouveau rempli par des miliciens serbes ravis de se débarrasser de leurs ennemis aux frais des Occidentaux. Le CICR, qui n’a pas accès à tous les camps, doit attendre les 18 et 23 décembre 1992 pour obtenir la libération de la plupart des civils détenus, respectivement, par les Serbes et les musulmans de Bosnie. Seuls les Croates s’obstinent à ne pas relâcher leurs captifs, retardant jusqu’au 22 avril 1993 la visite des prisonniers aux mains des forces croates et musulmanes à Zenica et Vitez. Les hostilités se poursuivent par ailleurs malgré le déploiement de casques bleus et l’établissement de zones protégées à Sarajevo, Srebenica, Zepa, Goradze, Bihac et Tuzla dans le cadre de la résolution 824 des Nations Unies en date du 7 mai 1993. Le CICR, qui, le 16 décembre 1992, avait initialement soutenu un tel plan, s’inquiète vite d’un dispositif qui paraît partial car il ne neutralise que des villes attaquées par les Serbes, et non des localités ravagées par les Croates, comme à Mostar. Bien qu’il ait soutenu les résolutions 808 et 827 des 22 février et 25 mai 1993 en vue de faire juger les criminels de guerre par un Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY), le Comité prend rapidement ses distances avec les Nations Unies afin de préserver sa neutralité. Outre qu’il refuse de communiquer des informations au TPIY, il préfère organiser ses propres convois blindés et dédaigne les escortes de casques bleus. Il reste cependant tributaire de l’évolution de la situation militaire pour commencer à ravitailler la capitale bosniaque avec des avions qui partent de Zagreb le 27 octobre 1993, plus d’un an après les débuts du pont aérien de l’Union européenne le 2 juillet 1992. Concrètement, le CICR doit renoncer à nourrir les habitants de la ville, qui sont de nouveau soumis à un blocus serbe de février à juin 1995, puis suspendre ses activités dans les quartiers les plus exposés de Sarajevo, où ses véhicules sont régulièrement attaqués par des snipers en août 1995. Surtout, le Comité fait l’objet de vives critiques lorsque les zones de sécurité de l’ONU à Srebrenica et Zepa sont prises par les forces serbes en juillet 1995. Erin Mooney l’accuse d’avoir failli à sa tâche de protection en permettant aux Etats européens de l’utiliser comme un alibi pour se défausser de leurs responsabilités et éviter d’avoir à accueillir des réfugiés. De fait, la présence d’organisations humanitaires a pu malencontreusement rassurer la population de Srebrenica, qui se croyait protégée par les casques bleus et qui est massacrée par les forces serbes. Le moment venu, explique Yves Sandoz du CICR, les Nations Unies n’ont pas recouru à la force pour défendre les zones neutres qu’elles avaient imposées manu militari sans recueillir l’assentiment de toutes les parties en lices. Quoiqu’il en soit des responsabilités de chacun, les conditions de travail restent de toutes façons difficiles. S’ils permettent de libérer les prisonniers de guerre, les accords de paix de Dayton, signés à Paris le 14 décembre 1995, ne règlent nullement la question des personnes disparues en Bosnie. Soucieux d’identifier les victimes, le CICR, explique Isabelle Delpla, doit bientôt se préoccuper d’aider les familles des survivants après que son siège de Tuzla a été attaqué par une association de femmes de Srebrenica. Il doit également développer son action au Kosovo, où la guerre s’étend. Dans cette région majoritairement peuplée d’Albanais en lutte contre l’oppresseur serbe, Genève se retrouve encore une fois aux prises avec la violence et dénonce publiquement les violations du droit humanitaire par les parties au conflit. Quinze jours après, un chirurgien du CICR d’origine albanaise, Sheptim Robaj, est tué et deux infirmières de la Fédération Internationale des Croix Rouges, la Néo-zélandaise Maggie Bryson et la Yougoslave Linda Bunjaku, sont blessées lorsque leur véhicule heurte une mine sur la route de Likovac à l’ouest de Pristina le 30 septembre 1998…
 
-A partir de 1989, Sénégal : le CICR intervient au moment des conflits communautaires qui opposent Africains et Maures dans le nord du pays en avril 1989. A l’époque, il travaille essentiellement par l’intermédiaire de la Croix-Rouge sénégalaise, une organisation fondée par décret en 1963 et très proche de l’État, qui y détache des fonctionnaires et rétribue une partie du personnel. Grâce à la signature, le 10 mai 1991, d’un accord de siège qui lui permet d’établir une délégation régionale à Dakar, le CICR peut ensuite intervenir au sud et s’installer à Ziguinchor dans la région sécessionniste de Casamance. Bien que ce conflit soit moins meurtrier que d’autres en Afrique, il n’en génère pas moins son lot de violences. Le 25 janvier 1993 lors d’une mission d’évaluation, par exemple, six secouristes de la Croix-Rouge sénégalaise sont tués en heurtant une mine antichar à Boulouba un peu au sud de Ziguinchor ; un autre meurt de ses blessures peu après. Le 1er septembre 2006, encore, une Suisse américaine du CICR, Jeanette Fournier, est tuée dans le village de Tandine, à une centaine de kilomètres au nord de Ziguinchor, quand sa voiture roule sur une mine. Egalement présents dans le véhicule, trois autres employés du Comité sont blessés : deux Sénégalais et un Ukrainien.