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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1990-1999


-Depuis 1990, Libéria : au moment de la chute de la dictature Samuel Doe, le CICR ouvre une délégation à Monrovia en janvier 1990 et y établit des zones neutralisées dans des ambassades, des écoles ou des églises de la capitale. L’objectif est d’accueillir les civils qui fuient les combats dans l’arrière pays avec les rebelles du NPFL (National Patriotic Front of Liberia) de Charles Taylor. Mais, une fois regroupés sous la « protection » du Comité, des déplacés sont massacrés par les troupes gouvernementales, notamment dans l’Eglise luthérienne St Peter, où la tuerie fait 700 morts le 30 juillet 1990. Le CICR, qui a ouvert en avril 1991 une délégation dans le fief du NPFL à Gbarnga, décide en conséquence de se retirer du pays jusqu’en octobre 1991. De fait, les parties au conflit violent continuellement le droit humanitaire et ne se soucient guère de la présence des casques blancs de la force d’interposition panafricaine mise en place par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’ECOMOG (Economic Community of West African States’ Monitoring Group). Faute d’avoir accès au terrain, le CICR travaille en attendant par l’intermédiaire de la Croix-Rouge libérienne, notamment à Gbarnga. Conjuguée aux réticences de l’ECOMOG, l’insécurité le contraint à plusieurs reprises à quitter temporairement certaines parties du pays, en particulier les régions tenues par le NPFL et l’ULIMO (United Liberation Movement of Liberia for Democracy), où un employé local est tué dans le comté de Bomi le 26 août 1992. Après des interruptions d’activités en octobre 1992 puis septembre 1994, le Comité n’a bientôt plus accès qu’aux zones contrôlées par l’ECOMOG dans les comtés de Montserrado, Margibi et Grand Bassa de septembre 1994 à septembre 1995. Même la capitale n’est pas à l’abri de la violence : suite à son pillage par les rebelles, qui en profitent pour voler de nombreux équipements humanitaires, le CICR décide de nouveau de s’en retirer en avril 1996. Selon la responsable du département de la protection au sein de l’organisation, Danielle Coquoz, « le détournement [de l’aide] par les factions armées est si systématique, si planifié, qu’il est devenu une stratégie de guerre en tant que tel… Il est apparu évident que les factions ouvraient en fait leur territoire aux humanitaires pour y attirer des équipements sophistiqués : voitures, radios, ordinateurs, téléphones. Quand tout était là, alors le pillage pouvait commencer ». « La logistique des acteurs de l’humanitaire sur place, renchérit le délégué général du CICR pour l’Afrique, Jean-Daniel Tauxe, dans le numéro 819 de la Revue Internationale de la Croix-Rouge, a ainsi servi à renforcer la capacité opérationnelle des factions en présence… Année après année, les organisations humanitaires ont reconstitué leur équipement logistique et ont ainsi induit, à leur corps défendant, une logique de pillage en toute impunité. En outre, le foisonnement des organisations humanitaires présentes au Libéria a entraîné des marchandages inévitables, amenant à une dégradation des modalités de travail et de la qualité des actions entreprises ». En l’occurrence, les problèmes ne disparaissent pas après l’élection du président Charles Taylor en juillet 1997, lorsque le CICR commence à faciliter la réinstallation des civils et à réhabiliter les prisons du pays afin d’améliorer les conditions d’incarcération des détenus. Dès l’année suivante, la guerre reprend dans le nord-est du Libéria. Dans le comté de Lofa, en particulier, des entrepôts de vivres sont pillés en avril et août 1999, obligeant le CICR à accueillir les habitants déplacés à Sinje sur la côte près de la frontière sierra léonaise dans un camp qui est complètement détruit au cours de combats en juin 2002. A partir de janvier 2003, le Comité n’a en fait plus accès aux régions insurgées du nord-est et il déplore la mort de trois collaborateurs tués par les rebelles, un Norvégien et deux Libériens. Jusqu’au départ négocié du président Charles Taylor en août 2003, l’étau se resserre contre les forces gouvernementales repliées dans la capitale. Après l’évacuation des ressortissants étrangers par l’armée française le 9 juin 2003, le CICR décide néanmoins de maintenir une équipe à Monrovia, où ses fournitures sont volées avec six véhicules de la Croix-Rouge libérienne. Dès la fin des combats, il entreprend ensuite de concentrer son aide sur les camps de la périphérie de l’agglomération afin d’y attirer les déplacés, de décongestionner le centre-ville et d’y rouvrir les écoles. Sa stratégie est critiquée par les Britanniques de l’ONG Merlin, pour qui les conditions de sécurité ne permettent pas encore un transfert de la population vers la banlieue. La situation finit cependant par s’améliorer avec le déploiement des troupes de la Mission des Nations Unies au Libéria (UNMIL) à partir de septembre 2003. Sur le plan logistique, le CICR en profite pour transporter son matériel dans les bateaux des casques bleus qui ravitaillent les ports de Harper et Monrovia.
 
-1991, Koweït : après l’invasion et l’annexion du pays par la dictature irakienne de Saddam Hussein en août 1990, le CICR n’est pas autorisé à intervenir sur place jusqu’à la libération du territoire par l’armée américaine en mars 1991. Il se préoccupe en conséquence des réfugiés qui ont fui vers les territoires voisins, essentiellement des immigrés d’origine asiatique et démunis de papiers d’identité parce que leurs employeurs koweitiens ont gardé leurs passeports. Avec les sociétés du Croissant Rouge, les équipes du Comité assistent de la sorte quelque 300 000 personnes à Azraq et Rweished en Jordanie, 10 000 en Syrie et 26 000 à Habur en Turquie. Au Koweït, en revanche, Bagdad conteste l’applicabilité des Conventions de Genève en prétextant qu’il s’agit d’une affaire de politique intérieure. Soumis à de fortes pressions diplomatiques, le CICR a toutes les peines du monde à maintenir sa neutralité dans le conflit. Dans le Times du 22 août 1990, par exemple, la Premier Ministre britannique, Margaret Thatcher, se déclare « profondément déçue » par l’incapacité du Comité à aller délivrer quelque 12 000 expatriés occidentaux dont on craint qu’ils ne soient pris en otage par la dictature Saddam Hussein et qui, finalement, sont tous libérés avant le début des opérations de l’armée américaine en janvier 1991. Les Conventions de Genève, en l’occurrence, ne sont pas applicables car les pays de la coalition alliée n’ont pas rompu leurs relations diplomatiques et ne sont pas officiellement en situation de belligérance avec l’Irak. En se déplaçant exprès à Bagdad, d’où il revient d’ailleurs bredouille, le président du CICR, Cornelio Sommagura, donne en fait le sentiment de servir les intérêts de la diplomatie occidentale et de défendre de façon intempestive le sort de ses ressortissants en dépit d’un mandat centré sur les militaires et les civils de la région. Résultat, le gouvernement irakien revient sur sa décision d’autoriser le Comité à agir au Koweït. Il lui interdit ensuite de secourir les pilotes américains capturés quand les troupes de Washington entreprennent de libérer le pays en janvier 1991, demandant en échange la libération des militants palestiniens détenus par Israël. Le CICR rencontre aussi quelques problèmes du côté des prisonniers de guerre aux mains de la coalition alliée, qu’il est autorisé à visiter mais qu’il doit enregistrer lui-même à défaut de recevoir des notifications valides de la part des militaires américains, français et britanniques. Immédiatement après la fin des hostilités et des bombardements, il s’occupe alors du rapatriement de 6 400 Koweïtiens internés en Irak et d’environ 85 000 détenus civils et prisonniers de guerre irakiens en Arabie Saoudite. Pour éviter les troubles, le CICR demande aux autorités saoudiennes de séparer les soldats loyalistes et les déserteurs, qui sont de facto considérés comme des demandeurs d’asile et remis entre les mains du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Parce que Riyad n’a pas signé les conventions internationales encadrant le droit d’asile, le statut des 20 000 Irakiens qui refusent de revenir dans leur pays reste flou et le Comité doit travailler dans les camps avec des organisations islamistes comme l’IIRO (International Islamic Relief Organisation), qui entretient des liens étroits avec des groupes fondamentalistes et terroristes. Paradoxalement, les choses sont plus faciles du côté de Bagdad, qui libère aussitôt ses prisonniers de guerre et rapatrie d’autant plus rapidement ses ressortissants que les Alliés cherchent à se débarrasser de leurs détenus lorsqu’ils quittent le territoire irakien en mai 1991. Fort de son expérience avec l’Iran, où des exilés ont voulu prendre les armes contre lui, le régime de Saddam Hussein craint en effet que ses soldats capturés à l’étranger se joignent aux révoltés chiites dans le sud du pays. En juillet 1991, il édicte ainsi une nouvelle amnistie en faveur de 14 000 déserteurs qui ont refusé de participer à la répression du soulèvement populaire et préféré se rendre aux autorités saoudiennes. Au Koweït, où Genève a ouvert une délégation deux mois après avoir mis en place un pont aérien pour acheminer des secours dès le 18 janvier 1991, le CICR s’attelle pour sa part à des tâches de protection, tandis que la communauté internationale et le gouvernement se chargent de rétablir les services de bases et de reconstruire les infrastructures. Une fois les troupes irakiennes parties, l’émirat entreprend d’emprisonner et expulser, voire exécuter, les étrangers ou les apatrides qui sont suspectés d’avoir collaboré avec l’occupant, notamment les immigrés palestiniens. Le CICR veille donc à leurs conditions de détention et son délégué, Hans-Peter Gasser, intervient auprès du prince héritier pour demander que les condamnations à mort soient commuées en peines d’emprisonnement. Genève se préoccupe également des populations bédouines qui ont l’habitude de franchir les frontières et qui sont soupçonnées d’entente avec l’ennemi parce qu’elles sont parties de leur plein gré en Irak pour des raisons économiques. Enfin, le CICR invite le gouvernement à admettre sur son territoire des prisonniers de guerre devenus apatrides en Irak et considérés par Bagdad comme des Koweitiens parce qu’ils servaient auparavant dans l’armée de l’émirat. De fait, le Comité s’avère soucieux de ne pas avoir à construire et gérer un camp-dépotoir à la frontière irako-saoudienne pour accueillir les personnes dont aucun Etat ne veut admettre la responsabilité, à commencer par les indésirables refoulés depuis le Koweït. A force de persuasion, Genève parvient ses fins. En juin 1991, le Comité obtient du Koweït la suspension des déportations et le droit de s’entretenir individuellement avec les détenus civils et les prisonniers de guerre irakiens qui refusent de rentrer dans leur pays. Sa position est confortée par l’établissement d’une délégation régionale à Koweït City dans le cadre d’un accord de siège qui avait déjà été négocié avant la guerre et qui est signé en octobre suivant.
 
-A partir de 1992, Etats-Unis : en dépit de l’importance du problème pour les populations civiles, le CICR ne se rallie pas à la campagne internationale contre les mines antipersonnel, qui débouchera sur la signature du traité d’Ottawa en 1997 et qui est officiellement lancée à New York en 1992 par les Français de Handicap International, les Allemands de Medico International, les Britanniques du MAG (Mines Awareness Group) et les Américains de Human Rights Watch, de Physicians for Human Rights et de la Vietnam Veterans of America Foundation. Jaloux de son antériorité, de ses prérogatives et de ses relations privilégiées avec les Etats, le Comité argue qu’il travaille sur cette question depuis avril 1958 et laisse entendre que son mandat ne lui permet pas de s’associer à des ONG pour discuter de tels problèmes. Il préfère organiser à Genève en février 1994 une conférence intergouvernementale qui vise à réviser la convention d’octobre 1980 contre l’usage des armes conventionnelles à effets indiscriminés. Bientôt, il lui faut cependant constater l’échec des négociations, qui n’aboutissent à rien. Le CICR prend alors l’initiative d’alerter les décideurs sur les méfaits des mines antipersonnel et s’engage en faveur de leur interdiction complète, une première dans l’histoire de l’organisation. Sa stratégie de communication s’affine et joue sur tous les tableaux à la fois, de l’expertise des spécialistes aux sondages dans l’opinion publique. Sur le premier plan, le Comité s’appuie notamment sur un rapport qu’il a publié en mai 1993 et qui récuse la position militaire selon laquelle le danger des mines serait uniquement dû à leur mauvaise utilisation. Auprès de l’opinion publique, il lance ensuite en octobre 1995 une grande campagne conçue par une agence de publicité professionnelle, la BBDO (Batten, Barton, Durstine & Osborn) d’Abbott Mead Vickers. Force est pourtant de reconnaître qu’il ne joue pas un rôle majeur dans la réussite et la signature, en décembre 1997, du traité d’Ottawa qui prohibe la fabrication et l’usage de mines antipersonnel. Désormais convaincu de l’impact médiatique des coalitions d’ONG, il change donc de stratégie de plaidoyer et se rallie plus facilement à la campagne contre le recrutement d’enfants soldats, qui est lancée en juin 1998 par les Britanniques d’Amnesty International et de Save the Children, les Américains de Human Rights Watch et du Quaker United Nations Office, les Suisses de Terre des Hommes et les Italiens du Jesuit Refugee Service. Bien que collective, la démarche ne rencontre en l’occurrence pas autant de succès qu’à propos des mines. Signée en novembre 1989, la Convention internationale des droits de l’enfant fixe à quinze ans l’âge limite en dessous duquel il est interdit de recruter des mineurs dans les conflits armés. Le Protocole facultatif de mai 2000, qui porte cette limite à dix-huit ans comme le souhaitait le CICR, n’a pas de valeur contraignante.
 
-1993, Grande-Bretagne : suite à la résolution n°17 du Conseil des Délégués en 1991, les représentants du CICR, de la FICR et des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge se réunissent en assemblée générale à Birmingham les 29 et 30 octobre 1993 pour discuter de l’élaboration d’un code de conduite de l’assistance humanitaire lors des opérations de secours. La version adoptée lors du vote de la résolution n°11 énonce dix grands principes d’intervention et est confiée à un comité de suivi qui, sous la conduite d’Oxfam avec la Charites, les Catholic Relief Services, Save the Children, le Conseil oecuménique des Eglises protestantes et la Fédération luthérienne mondiale, aboutira cinq ans plus tard à la rédaction d’un projet plus technique, intitulé Sphère.
 
-1994-2005, Rwanda : présentes dans le pays depuis le début de l’insurrection du FPR (Front patriotique rwandais) de Paul Kagamé en octobre 1990, les équipes du CICR assistent impuissantes au génocide qui démarre juste après l’assassinat du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. Dans le conflit qui opposait un gouvernement dominé par les Hutu à une rébellion dirigée par des Tutsi, le Comité avait d’abord réussi à intervenir de part et d’autre. A partir de 1992, il avait pu visiter les détenus et même organiser des échanges de prisonniers entre les belligérants. Avec l’accord du FPR et du gouvernement tout à la fois, il avait par exemple été autorisé à approvisionner depuis l’Ouganda les personnes déplacées et les zones affectées par les combats en franchissant une frontière fermée depuis 1990. La dynamique des accords de paix signés à Dar es-Salaam le 7 mars 1993 laissait présager une issue positive et, en juillet, le président du CICR, Cornelio Sommaruga, était parvenu à s’entretenir avec les présidents de la République rwandaise, Juvénal Habyarimana, aussi bien que du FPR, Alexis Kanyarengwe. A l’époque, les humanitaires s’inquiétaient plutôt des mines, qui avaient tué un secouriste de la Croix-Rouge rwandaise et détruit un camion de la Croix-Rouge belge dans la zone démilitarisée le 27 novembre 1993. Mais les massacres qui démarrent en avril 1994 donnent une toute autre dimension à la crise. Représenté à Kigali par Philippe Gaillard, qui ne sera relevé qu’à la fin des combats, en août, le CICR est alors le seul opérateur humanitaire à rester dans la capitale, où il a toutes les peines du monde à soigner les victimes et à résister aux exactions des miliciens. Accusées de transporter « des ennemis déguisés en faux blessés », ses ambulances sont arrêtées et leurs occupants achevés par les « génocideurs », en particulier le 16 avril. Patronnée par la femme du président assassiné, Agathe Habyarimana, la Croix-Rouge rwandaise détourne quant à elle la nourriture destinée aux camps de déplacés qui ont été montés en lointaine banlieue, dans la préfecture de Kigali, et qui souffrent toujours de malnutrition aiguë deux mois plus tard. A force de persuasion, le CICR arrive cependant à se ménager un petit espace de sécurité et à éviter les massacres qui se produisent ailleurs dans les hôpitaux publics de Kigali, Butare ou Kabagayi près de Gitarama. Dans la capitale, l’hôpital de campagne qu’il a installé avenue de Kyovu sauve ainsi un millier de rescapés. Pour ne pas compromettre la poursuite de ses activités et la sécurité de ses employés, qui sont épargnés à l’exception de quelques infirmières tutsi, le Comité décide en conséquence de témoigner sur les atrocités sans employer le terme de génocide. La situation continue certes de se dégrader lorsque l’hôpital central de Kigali est fermé en mai et que les rebelles se rapprochent de la capitale. Si le CICR est désormais en mesure d’assister l’hôpital du roi Fayçal dans un quartier tenu par les combattants de Paul Kagamé à l’est de la ville, il ne peut empêcher le bombardement par le FPR de sa délégation, qui déplore deux morts fin mai, puis de son hôpital de campagne, qui est situé avenue de Kyovu, sur la ligne de front, et où sept patients sont tués le 24 juin.. De fait, les guérilleros violent à plusieurs reprises le droit international humanitaire qu’ils se sont engagés à respecter dès le début du conflit en octobre 1990. A la mi-mai, ils visent délibérément un convoi de nourriture sur la route de Gitarama à la sortie de la ville de Kigali et blessent gravement un des délégués du CICR, Pierre Gratzl, qui est évacué par des blindés de l’ONU. Ce mois-là, ils pilonnent également les bureaux de l’organisation, tuant deux personnes et en blessant cinq autres. En province, ils obligent par ailleurs les délégués du CICR à quitter Kabgayi, jugé trop dangereux, pour Nyanza, plus au sud. Le Comité doit attendre la victoire du FPR, qui entre dans Kigali en juillet, pour se déployer pleinement à l’intérieur du pays. Resté pour visiter les lieux de détention et retrouver les familles d’environ 90 000 enfants non accompagnés, il connaît bientôt des relations tendues avec le nouveau pouvoir car celui-ci impose des escortes militaires aux organisations humanitaires et ne les laisse pas évaluer les besoins librement. En 1998, le CICR refuse notamment de participer à un programme qui consiste à rassembler de force 500 000 paysans dans des villages protégés par les troupes du FPR afin de vider les régions du Nord et de l’Ouest où sévit une opposition armée.
 
-1995, Suisse : après neuf ans d’interruption, la vingt-sixième conférence internationale des Croix Rouges se déroule à Genève du 3 au 7 décembre 1995. L’événement a failli être annulé in extremis du fait des désaccords israélo-palestiniens et des protestations quant à la participation du régime raciste au pouvoir en Afrique du Sud jusqu’en avril 1994. Initialement prévue à Bogota, ville considérée comme trop dangereuse, la conférence a plusieurs fois été repoussée et aurait dû avoir lieu à Budapest en novembre 1991, puis, faute de consensus, à Londres en octobre 1993, où le mouvement a de nouveau renoncé à se réunir suite au refus du gouvernement britannique de financer la rencontre. En dépit de ces profondes divisions, la fin de la guerre froide consacre au moins le renouvellement des Croix Rouges en Europe de l’Est. Longtemps bridées par les régimes des démocraties populaires, celles-ci se sont en effet affranchies de la tutelle des appareils communistes. Présidée par des apparatchiks comme le professeur Gueorgui Miterev de 1954 à 1971 puis les docteurs Valeri Baltiyski et Dimitri Venediktov dans les années 1980, l’Alliance des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge de l’Union des Républiques socialistes soviétiques a officiellement été dissoute en mars 1992. De ses décombres ont émergé de nombreuses sociétés nationales dont certaines, reconnues par le CICR dès 1923, n’ont d’ailleurs fait que retrouver leur indépendance perdue depuis la Seconde Guerre mondiale, en l’occurrence en Lettonie et en Lituanie. En dehors des frontières de l’Union soviétique, d’autres ont au contraire entrepris de fusionner. Deux ans après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, les Croix Rouges de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est se sont ainsi réunifiées et, en recoupant leurs documentations, elles ont retrouvé des prisonniers de guerre disparus depuis 1945, quitte à annoncer aux familles des décès vieux de cinquante ans. D’une manière générale, le démantèlement du rideau de fer permet au CICR d’ouvrir une délégation régionale à Moscou en juillet 1992 et de s’étendre dans des régions qui lui ont été interdites pendant près d’un demi-siècle. Du temps de la guerre froide, le Comité n’avait pas été autorisé à intervenir lors des soulèvements de Berlin-Est en juin 1953, Budapest en octobre 1956 ou Prague en mai 1968. A quelques exceptions près en Allemagne de l’Est et en Yougoslavie au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le CICR n’avait pas non plus obtenu la permission de visiter des détenus politiques. Deux ans après la vingt-troisième conférence internationale des Croix Rouges, qui s’était déroulée à Bucarest du 15 au 21 octobre 1977, le Kampuchea démocratique avait été le premier pays du bloc communiste où Genève avait pu agir. Dans le cadre de la loi martiale proclamée par le général Wojciech Jaruzelskí en décembre 1981, le CICR avait ensuite été autorisé avec la FICR à visiter des détenus politiques en Pologne. Il avait par exemple eu l’occasion de s’entretenir en prison avec le leader de l’opposition, le fameux syndicaliste Lech Walesa. Mais les autorités ne l’avaient pas laissé assister les détenus placés au secret et le Comité avait dû mettre un terme à ses activités après une amnistie accordée en juillet 1984. Concrètement, il avait fallu attendre la politique d’ouverture et de transparence (glasnost) du président Mikhaïl Gorbatchev pour observer une amélioration des relations entre Moscou et Genève. Pour la première fois depuis 1944, l’Union soviétique et les Républiques d’Ukraine et de Biélorussie avaient alors contribué au budget du CICR en 1988. Autrefois vilipendé comme un organe de propagande capitaliste, le Comité avait même été invité par le gouvernement soviétique à enquêter sur des allégations d’usage de gaz toxiques lors d’émeutes à Tbilissi en Géorgie en 1989. Cette année-là, la chute des dictatures communistes en Europe de l’Est devait précipiter le mouvement, y compris en Roumanie au moment de l’effondrement du régime de Nicolae Ceausescu, lorsqu’un volontaire de la Croix-Rouge hongroise était abattu à bout portant près de Timisoara en décembre 1989.
 
-Depuis 1996, Russie, Tchétchénie : d’abord venu assister des réfugiés ossètes de souche ingouche en 1992 puis les victimes de la guerre d’indépendance en 1995, le CICR assiste à une nette dégradation de la situation en Tchétchénie, où un de ses délégués est kidnappé en novembre 1996. Pour obtenir sa libération, Genève doit en l’occurrence céder aux demandes des ravisseurs, qui réclament pour leur clan un meilleur partage des emplois générés par la présence des équipes du Comité dans l’hôpital de Novye Atagi, ouvert en septembre 1996 et situé à 25 kilomètres au sud de Grozny. Egalement cambriolé par un groupe armé qui l’accuse d’espionner pour le compte des Russes, le CICR se résout ensuite à violer ses propres règlements et à recruter deux gardes qui disposent d’armes à feu. En vain car, le 17 décembre 1996, six expatriés qui travaillaient à l’hôpital de Novye Atagi, dont cinq femmes, sont abattus pendant leur sommeil : le logisticien hollandais Johan Joost Elkerbout, l’administratrice canadienne Nancy Malloy et les infirmières espagnole Fernanda Calado, n&eacu te;o-zélandaise Sheryl Thayer et norvégiennes Gunnhild Myklebust et Ingeborg Foss. Profondément choqué, le CICR suspend alors toutes ses opérations en Tchétchénie et maintient uniquement une équipe à Naltchik en Kabardino-Balkarie, où il avait établi une sous délégation en juillet 1993 et où un de ses infirmiers, Geraldo Cruz, est kidnappé le 18 mai 1999 puis relâché au bout de deux mois et demi.. Faute d’expatriés sur place, Genève travaille dorénavant par l’intermédiaire de la Croix-Rouge russe. Or celle-ci n’échappe pas non plus à la violence. Le 31 octobre 1999 dans le village de Chami Yurt entre Nazran et Grozny, deux de ses employés, Aslanbek Barzaiev et Rouslan Betelgeriev, sont tués et un troisième grièvement blessé par une roquette lors d’une attaque aérienne sur un convoi du CICR qui venait d’être refoulé de la frontière ingouche. Le Comité, qui contrôle difficilement ses opérations à distance depuis les républiques voisines d’Ingouchie et de Kabardino-Balkarie, doit attendre la prise de Grozny par l’armée russe en février 2000 pour rouvrir un bureau dans la capitale tchétchène en octobre suivant. Après avoir rencontré le président Vladimir Poutine en mars 2000, le CICR est officiellement autorisé à revenir sur le terrain et à visiter les détenus capturés par les troupes de Moscou. Mais il paraît désormais avoir choisi son camp car il est obligé de restreindre ses contacts aux autorités russes et à leurs collaborateurs tchétchènes, renonçant à avoir accès aux maquis escarpés de la guérilla indépendantiste. Ainsi, il conforte la politique de normalisation du président Vladimir Poutine en réduisant à partir d’août 2002 son aide alimentaire aux déplacés tchétchènes que le gouvernement veut rapatrier d’Ingouchie et du Daghestan. Lors d’une prise d’otages par un commando indépendantiste dans un théâtre de Moscou en octobre 2002, le CICR semble également instrumentalisé quand il est convié à faciliter la libération de huit enfants et d’un adulte sans parvenir à empêcher l’intervention de l’armée russe et la mort d’une centaine de civils. Surtout, l’insécurité perdure et se généralise dans la région avec l’apparition d’une mouvance islamiste. En Géorgie dans la vallée Pankissi, où il s’occupe de 6 500 réfugiés arrivés de Tchétchénie en 1999, le CICR doit réduire puis interrompre ses programmes d’assistance après le kidnapping, le 4 août 2000, de trois employés locaux qui sont relâchés au bout de neuf jours. A l’intérieur même du territoire tchétchène, les combats se poursuivent et forcent Genève à suspendre ses opérations en mai puis septembre 2001. Suite à l’enlèvement de deux employés qui sont vite libérés en novembre 2002, un autre collaborateur du CICR, Usman Saidaliev, disparaît à jamais de sa maison de Novy-Engenoy près de Gudermes, où il a été vu pour la dernière fois le 2 août 2003. De nouveau contraint de travailler à distance via la Croix-Rouge russe, le Comité n’est bientôt plus en mesure d’accéder régulièrement aux détenus. Après la prise d’otages de Beslan dans une école d’Ossétie du Nord par des rebelles tchétchènes en septembre 2004, Moscou lui interdit en effet de poursuivre ses entretiens sans témoins. Le CICR préfère alors suspendre ses visites de prison et, fait inhabituel, envoie au Kremlin en juin 2006 une lettre ouverte pour se plaindre de ces restrictions.
 
-1997-2006, Sierra Leone : présent dans le pays depuis cinq ans, le CICR tente de renforcer ses activités au moment du coup d’Etat qui renverse le gouvernement élu du président Ahmed Tejan Kabbah et porte au pouvoir le commandant Johnny Paul Koroma en mai 1997. Initialement venu assister les réfugiés qui fuyaient la guerre au Libéria, le Comité rencontre de grandes difficultés pour se déployer en province, où il a dû interrompre ses opérations après l’enlèvement d’un expatrié par des rebelles dans la région diamantifère de Kono et l’exécution de deux infirmières lors d’une attaque sur la route de Kenema à Zimmi en août 1993. Soutenue par le gouvernement Charles Taylor au pouvoir à Monrovia, la guérilla du RUF (Revolutionary United Front) pille en effet les équipements des organisations humanitaires et ne donne pas suite à l’accord de paix que son commandant Foday Sankoh, escorté par le CICR, était allé signer à Abidjan en novembre 1996. En mai 1997, les rebelles se rallient en l’occurrence à la junte de Johnny Paul Koroma pour combattre les casques blancs de la force d’interposition panafricaine mise en place par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’ECOMOG (Economic Community of West African States’ Monitoring Group). En février 1998, la violence des affrontements oblige le CICR à évacuer ses expatriés de Makeni, Segbwema et Kenema. Retranché dans la capitale Freetown, où sa délégation accueille 4 000 personnes, le Comité déplore ensuite la mort d’un collaborateur local, Denis Momoh, qui est tué avec son fils lors de combats à Segbwema entre l’ECOMOG et le RUF le 22 mars 1998. La situation ne s’améliore pas vraiment après le retour au pouvoir du président Ahmed Tejan Kabbah grâce au soutien de la force d’interposition panafricaine. A partir de septembre 1998, le CICR peut tout juste aller en hélicoptère dans les régions reprises aux rebelles par le gouvernement et l’ECOMOG. Les relations avec les autorités, en particulier, demeurent tendues, entre autres parce que Genève s’est opposé à la décision des Nations Unies et de la Grande-Bretagne de suspendre leur aide à la Sierra Leone pour protester contre le coup d’Etat de Johnny Paul Koroma et favoriser le retour au pouvoir d’Ahmed Tejan Kabbah. A en croire une étude du centre Henry Dunant publiée en février 2003, la population a inutilement été pénalisée par l’embargo de la communauté internationale : en réalité, le RUF a dû céder du terrain à cause des pressions militaires et non des sanctions économiques. Hostile à une telle politique, le CICR, lui, a poursuivi ses activités au risque d’aider la guérilla. Les combattants du RUF, raconte Al Venter, ont tellement détourné de matériel humanitaire que les mercenaires de la compagnie Executive Outcomes avaient fini par croire qu’ils étaient directement approvisionnés par le Comité de Genève. Résultat, le CICR n’a pas bonne presse auprès de l’ECOMOG et du gouvernement d’Ahmed Tejan Kabbah. Il est explicitement accusé d’avoir fourni des équipements radio aux insurgés au moment de l’invasion de Freetown par les guérilleros en janvier 1999. Expulsé du pays et interdit d’activités jusqu’en mai, le Comité doit attendre le déploiement de casques bleus des Nations Unies à partir d’octobre 1999 puis la conclusion d’un accord avec le RUF en janvier 2000 pour être autorisé à intervenir dans les zones rebelles. Encore lui faut-il suspendre ses programmes dans les régions de Kenema et Kailahun lorsque les combats reprennent et que l’armée britannique intervient en mai 2000 pour évacuer les expatriés repliés sur la capitale. En attendant, Genève ne peut guère passer le relais à la Croix-Rouge sierra léonaise, dont le conseil d’administration est dissous par le ministère des affaires sociales en août 2000. C’est seulement à la fin de la guerre, en janvier 2002, que le CICR peut vraiment se déployer dans l’arrière-pays. Avec le retour à la paix, il est alors temps de commencer à se désengager au profit de la Fédération Internationale des Croix Rouges. Le CICR ne maintient qu’une présence symbolique dans la capitale après avoir fermé son dernier bureau régional à Kenema en octobre 2006.
 
-A partir de 1998, Népal : depuis sa délégation en Inde, le CICR s’implante dans une région difficile d’accès, y compris au Bhoutan, pays très fermé où, après un premier protocole en 1993, il signe en 1998 un accord lui permettant d’assister les détenus aux mains du gouvernement. Au Népal, il commence en l’occurrence à visiter les prisons en décembre 1998 et se préoccupe bientôt des victimes des affrontements entre l’armée et une insurrection communiste qui a démarré en février 1996. De crainte de ruiner l’agriculture locale, il ne distribue cependant pas de vivres car il n’y a pas de crise alimentaire majeure. Après avoir ouvert une délégation à Katmandou en 2002, il se concentre plutôt sur le sort des détenus et étend ses activités en province à la faveur d’un cessez-le-feu qui tient pendant la première moitié de l’année 2003. L’accès aux prisons et aux zones gouvernementales s’avère plus facile que dans le camp opposé. S’il peut visiter et superviser la libération de détenus aux mains des rebelles maoïstes en avril 2004, le Comité de Genève n’obtient jamais de réponses sur les personnes disparues, à la différence de l’armée. De plus, les ambulances, employés et bureaux de la Croix-Rouge népalaise sont parfois attaqués. Le 22 mars 2005, le CICR en est réduit à publier un communiqué qui dénonce les nombreuses violations du droit humanitaire dans le pays. Peu après, il doit également restreindre ses visites aux prisons du ministère de l’Intérieur car l’accès aux camps militaires de l’armée gouvernementale lui est fermé d’avril 2005 à février 2006.
 
-A partir de 1999, Congo-Brazzaville : le CICR poursuit ses activités en faveur des victimes des affrontements entre les miliciens Cobras du président Denis Sassou-Nguesso et Ninjas du Premier Ministre Bernard Kokelas, qui se disputent le pouvoir dans la capitale jusqu’à la signature d’accords de cessez-le-feu en novembre et décembre 1999. Depuis le début de la guerre civile deux ans plus tôt, Genève travaille en l’occurrence avec la Croix-Rouge locale, dont un volontaire, Makoundou Landri Silvert, a été tué et deux autres blessés lors d’une embuscade contre un convoi du Comité à Brazzaville le 22 novembre 1997. Les belligérants se montrent particulièrement peu respectueux du droit humanitaire, à l’instar de ces Ninjas qui séquestrent un délégué et un employé local du CICR dans la région de Bouenza du 4 au 29 décembre 2002. La région du Pool, notamment, est très instable du fait que s’y déroule une bonne partie des combats. Bloqués à Kinkala en octobre et novembre 2002, les délégués du CICR doivent ainsi revenir sur Brazzaville parce que le gouvernement de Denis Sassou-Nguesso ne leur délivre plus d’autorisations pour circuler. Ils ne reprennent leurs activités dans la région du Pool qu’en août suivant, quatre mois après la signature d’un cessez-le-feu entre l’armée et les Ninjas. Leurs ennuis ne sont pas terminés pour autant. Après plusieurs attaques des Ninjas, qui sont désormais commandés par Frederic Bitsangou, alias le « Pasteur Ntoumi », le CICR décide en janvier 2006 de suspendre ses activités dans la région du Pool pendant un mois.