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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




2010-2019


-2010-2011, Libye, Tunisie : à Tunis, où se trouve sa délégation régionale, le CICR intervient lors des événements qui, à partir de décembre 2010, conduisent à la chute du régime du président Zine el-Abidine Ben Ali. A partir de février 2011, il entreprend également d’aider depuis la Tunisie les victimes des combats qui opposent les insurgés de Benghazi aux forces du colonel Mouammar Kadhafi en Libye. Dans un pays où il n’avait pas de représentant sur place, le Comité ouvre d’abord un bureau à Tripoli et parvient à travailler dans tous les camps en présence. Après la chute du régime, cependant, les combattants du CNT (Conseil national de transition) lui interdisent d’aller secourir la population lors du siège de Syrte en septembre 2011 ; les envoyés de Genève ne sont autorisés à franchir la ligne de front que le 1er octobre. Selon le journal Le Monde en date du 5 octobre 2011, les nouvelles autorités se méfient en effet du CICR, dont elles accusent un employé d’avoir facilité la fuite en bateau de Mouatassem, un  fils de Mouammar Kadhafi qui avait organisé la défense de la ville. Par la suite, le Comité n’a toujours pas accès à tous les centres de détention plus d’un an après le début du soulèvement. De plus, ses bureaux sont touchés par des attentats à Benghazi en mai puis Misrata en août 2012.
 
-A partir de 2011, Syrie : le CICR intervient pour aider les victimes des violences qui opposent la population au régime de Bachar el-Assad depuis mars 2011. Comme à son habitude, l’institution travaille par l’intermédiaire d’une société nationale, le Croissant-Rouge arabe syrien. Présidée par Abdul Rahman al-Attar, un homme d’affaires à la tête de la Chambre de commerce de Damas, celle-ci est censée distribuer aux victimes les vivres du CICR. Mais elle est inféodée au régime et est accusée de livrer les rebelles aux autorités et d’entraver les premiers secours, à tel point que deux journalistes blessés, la Française Edith Bouvier et le Britannique Paul Conroy, refuseront d’entrer dans ses ambulances pour être évacués du quartier de Baba Amro à Homs le 24 février 2012. Dans un communiqué de presse du 21 juin 2011, le CICR soutient quant à lui que les autorités ont amélioré l’accès aux victimes et il visite pour la première fois un lieu de détention le 4 septembre suivant. Ce faisant, remarque Rony Brauman dans un article publié en 2012, le Comité de Genève laisse entendre que le gouvernement serait plus coopératif que les rebelles, avec qui Genève ne travaille pas, officiellement faute d’interlocuteurs crédibles. De plus, le CICR ne dit rien des violations du droit humanitaire lorsque les miliciens du régime ou des inconnus tirent sur des ambulances du Croissant-Rouge syrien à Daraa le 21 mars, le 8 avril, le 24 avril puis le 13 mai, ou bien utilisent l’emblème de l’organisation pour approcher et canarder la foule dans les quartiers rebelles à Douma le 12 août. La première protestation officielle de Genève concerne la mort d’un volontaire, Hakam Drak Sibai, à la suite d’une attaque contre une ambulance du Croissant-Rouge syrien à Homs le 7 septembre 2011. Dans un entretien accordé au journal Le Monde du 15 octobre suivant, le président de l’institution, Jacob Kellenberger, admet alors que le CICR a seulement pu visiter la prison centrale de Damas dans des conditions qui ne répondaient pas aux standards habituels de l’organisation. Il promet également d’en dire plus si le gouvernement syrien continue d’utiliser la présence de délégués de Genève pour laisser croire à une normalisation de la situation. En revanche, l’institution ne communique pas sur l’attaque de Daraa du 21 mars, qui a fait quatre morts dans l’ambulance. Le Croissant-Rouge syrien continue pour sa part d’être régulièrement la cible de tirs. Le 25 janvier 2012, son secrétaire général, Abd-al-Razzaq Jbeiro, est tué alors qu’il circulait dans un véhicule marqué de l’emblème près de Khan Shaykhun sur l’autoroute de Halab à Damas. A Homs, le CICR négocie une trêve humanitaire pour le 2 mars suivant, trop tard, quand les forces de sécurité ont fini d’écraser les rebelles dans le quartier de Baba Amr. Les autorités ne laissent de toute façon pas ses équipes entrer sur les lieux. Et à Alep, c’est seulement le 9 août que le CICR parvient à acheminer des vivres, trois semaines après le début des combats. De ce point de vue, il n’est pas évident que le Croissant-Rouge syrien soit d’une grande utilité pour accéder aux victimes. Dans Le Monde du 14 octobre 2012, le cinéaste et opposant Orwa Nyrabia s’indigne ainsi contre les pratiques d’une organisation qui est totalement sous contrôle du régime et qui envoie toute l’aide aux régions restées fidèles à Bashar Al-Assad. Dans un entretien accordé au journal Le Monde du 4 mai 2013, le président du CICR admet quant à lui que les délégués du Comité ne sont plus autorisés à visiter de prisons depuis août 2012 et ne sont pas en mesure de documenter l’usage éventuel d’armes chimiques. La situation s’aggrave également dans les zones rebelles, où un collaborateur du Croissant-Rouge syrien et trois membres du CICR (l’infirmière néo-zélandaise Louisa Akavi et les chauffeurs syriens Alaa Rajab et Nabil Bakdounes) sont brièvement enlevés par des hommes de l’État islamique près de la ville de Saraqeb dans la province d’Idlib le 13 octobre 2013. Dans la grande banlieue de Damas, le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk est particulièrement touché quand les djihadistes essaient de s’en emparer. Son hôpital est régulièrement ciblé et le Croissant-Rouge palestinien y déplore la mort de sept employés entre décembre 2012 et l’assassinat fin mars 2015 d’un volontaire, Yehya Horani « Abou Souheib », qui était membre du Hamas et qui essayait de négocier la levée du blocus avec le gouvernement de Bachar el-Assad. Dans le même ordre d’idées, le CICR n’est autorisé que deux fois, en octobre 2015 et janvier 2016, à aller en convoi donner des vivres aux habitants affamés de Madaya, petite ville assiégée par l’armée gouvernementale et le Hezbollah à l’ouest de Damas. En échange, les autorités exigent et obtiennent que les humanitaires fournissent une aide synchronisée et proportionnelle à des villages favorables au régime et assiégés depuis août 2015 par une coalition de combattants salafistes à Foua et Kefraya dans le nord-ouest de la Syrie. Brièvement autorisé à entrer dans Madaya en février 2016, le Croissant-Rouge syrien n’est pas épargné non plus. Le 19 septembre 2016, un de ses convois est bombardé par des avions russes ou gouvernementaux alors qu’il s’en allait ravitailler Orum Al-Koubra, une localité aux mains de l’opposition près d’Alep. Aux côtés de 24 civils, l’organisation déplore la mort de douze employés qui s’ajoutent à plus de cinquante membres et volontaires déjà disparus depuis 2011. Le 9 février 2017, encore, un volontaire du Croissant Rouge Arabe Syrien et deux autres personnes, dont un enfant, sont tués lors d’une attaque dans le quartier de Hamdaniyé à Alep. Après avoir supervisé le départ de 35 000 habitants d’Alep en direction d’Idlib, une ville tenue par les rebelles, le CICR est de nouveau accusé d’avoir servi les intérêts stratégiques du régime, voire de s’être rendu complice de crime de guerre. Dans un rapport sur les violations des droits de l’homme commises entre le 21 juillet 2016 et le 28 février 2017, les enquêteurs des Nations Unies soulignent en effet qu’en dépit de la conclusion d’un cessez-le-feu, les opérations d’évacuation ont mis en danger la vie des civils et relevaient d’un « déplacement forcé de la population », en l’occurrence afin que Damas puisse se débarasser de ses opposants et reprendre le contrôle de l’agglomération.
 
-2012, Pakistan : un collaborateur britannique du CICR, Khalil Rasjed Dale, est enlevé par des hommes armés le 5 janvier 2012 dans la ville de Quetta, capitale du Baloutchistan. Son corps est retrouvé décapité le 30 avril suivant.
 
-2013-2016, Mali : alors que se poursuit l’intervention militaire française contre des groupes djihadistes et terroristes dans le nord du pays, le CICR fournit l’eau, l’essence et l’électricité aux habitants de Gao et Tombouctou. Ce faisant, le Comité se retrouve à assumer le volet social des opérations armées pour gagner les cœurs et les esprits des civils. En effet, explique un expert de la défense cité par le journal Le Monde du 10 mars 2013, « les populations locales ne doivent pas vivre moins bien après l’intervention française qu’avant ». Sinon, elles risqueraient de se retourner contre leurs « libérateurs ». L’intervention française, dite Opération Serval, ne permet cependant pas d’éradiquer les groupes insurgés. Le 8 février 2014, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) enlève quatre collaborateurs maliens du CICR sur la route entre Kidal et Gao. Ceux-ci sont libérés le 17 avril suivant lors d’un raid de l’armée française qui fait une dizaine de morts dans les rangs des preneurs d’otages. Le 31 mars 2015, encore, un expatrié du CICR est tué lors d’une attaque du MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) contre son camion entre Gao et Ansongo. Le 16 avril 2016, trois collaborateurs maliens du CICR sont ensuite enlevés par le groupe djihadiste Ansar Dine pour demander la libération de Touaregs arrêtés à la suite d’un attentat qui a coûté la vie à trois soldats français quatre jours plus tôt. Les humanitaires sont vite relâchés. Après le depart des troupes françaises, enfin, deux employés du CICR sont enlevés le 4 mars 2023 sur la route entre Gao et Kidal dans le nord. Ils sont libérés quinze jours plus tard.

-2014, Centrafrique : dans un pays ravagé par la guerre civile, le CICR poursuit ses actions de secours en partenariat avec la Croix-Rouge centrafricaine, dont un volontaire, Bienvenu Bandios, est tué par des hommes en armes à Bangui le 20 août 2014. La société nationale essaie aussi de déminer les tensions avec la minorité musulmane de Bangui alors que son président, Antoine Mbao-Bogo, est un leader chrétien et un pasteur de l’Église de Zéphirin, un mouvement prophétique d’origine congolais. Malgré le déploiement de troupes françaises et onusiennes, la situation reste tendue. Six volontaires de l’organisation sont tués le 3 août 2017 à Gambo, dans la préfecture de Mbomou, tandis qu’un chauffeur, Youssouf Atteipe, est assassiné le 6 novembre 2017 par des hommes en armes lors du pillage d’un convoi à l’est de la localité de Kaga Bandoro.
 
-2014, Ukraine : le CICR intervient lors de la crise qui secoue les régions irrédentistes et pro-russes du Donbass, à l’est du pays. Le Comité refuse cependant d’escorter depuis la Russie un convoi « humanitaire » qui est suspecté de transporter des armes pour les sécessionnistes et dont Moscou n’autorise pas l’inspection. Un employé suisse du CICR, Laurent Dupasquier, est par ailleurs tué lors d’un bombardement du centre de la ville de Donetsk le 2 octobre 2014.

-2015, Suisse : lors de sa trente-deuxième conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, qui se déroule à Genève du 8 au 10 décembre 2015, le CICR tente en vain d’améliorer les mécanismes de contrôle et de sanction des violations du droit humanitaire. Démarré trois ans plus tôt, un processus de consultation avec les Etats était censé déboucher sur un dispositif de « revue par les pairs » qui devait permettre de publier des rapports réguliers et thématiques sur la mise en œuvre des Conventions de Genève. En effet, les trois mécanismes officiels de contrôle du droit humanitaire ont été pensés pour les conflits armés internationaux et sont restés largement inopérants, qu’il s’agisse des possibilités d’enquête, des missions confiées à des puissances protectrices ou du rôle de la Commission internationale d’établissement des faits, prévue par l'article 90 du Premier Protocole additionnel de 1977 et jamais activée. Mais le projet du CICR se heurte à l’opposition de la Russie et des pays arabes de l’Organisation de la Conférence islamique. Echaudés par les interventions militaires justifiées au nom de l’urgence humanitaire, notamment en Libye en 2011, ceux-ci veulent juste renforcer les mécanismes existants. Présenté par la Russie, un contre-projet de résolution revient à enterrer l’initiative du CICR et à poursuivre le processus de consultation avec les Etats jusqu’à la prochaine conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge en 2019. Dans le même ordre d’idées, les pays du refus s’opposent à ce que le Comité soit officiellement reconnu comme le facilitateur de négociations destinées à adopter un document pour améliorer la protection des populations vulnérables, les procédures d’internement, les conditions de notifation des détentions et les transferts de détenus dans les situations de guerres civiles.
 
-2016, Soudan du Sud : le CICR intensifie ses opérations alors que la situation se dégrade entre les différentes factions qui se disputent à Juba le pouvoir d’un pays indépendant depuis à peine cinq ans. Le 8 septembre 2017 dans l’Etat de Western Equatoria, un de ses collaborateurs locaux, Lukudu Kennedy Laki Emmanuel, est tué au volant de son camion dans un convoi qui arborait clairement l’emblème de la Croix-Rouge.
 
-A partir de 2017, Nigeria : en lutte contre le groupe Boko Haram, l’armée nigériane bombarde et tue par erreur six travailleurs de la Croix-Rouge nigériane à Rann sur la frontière du Cameroun le 17 janvier 2017. En mars 2018, deux sage-femmes du CICR, Saifura Hussaini Ahmed Khorsa et Hauwa Mohammed Liman, et une infirmière employée dans un centre soutenu par l’Unicef, Alice Loksha, sont ensuite enlevées, toujours dans la localité de Rann. On apprend sept mois après que Saifura Hussaini Ahmed Khorsa et Hauwa Mohammed Liman ont été exécutées par les djihadistes. Le 4 décembre 2019 sur la route entre Damaturu et Maiduguri, encore, deux collaborateurs de la Croix-Rouge nigériane sont enlevés avec douze autres personnes par la faction de Boko Haram ralliée à l’Etat islamique.
 
-2018, Suisse : le CICR connaît une grave crise interne. Son président, Peter Maurer, y est de plus en plus contesté à cause de son rôle au conseil de fondation du Forum économique mondial, le World Economic Forum (WEF). En effet, le Forum de Davos n’est pas neutre. Il a par exemple publié un document sur les stgratégies de lutte contre l’organisation Etat Islamique en Irak et en Syrie, quitte à cautionner des bombardements. De plus, il rassemble des acteurs qui sont perçus à tort ou à raison comme responsables directement ou indirectement des conflits en cours. Il comprend notamment des entreprises du secteur de l’armement comme Textron Defense Sytem, qui produit des bombes à fragmentation utilisées par l’Arabie saudite au Yémen et interdites par la Convention de Dublin sur les armes à sous-munitions. Dans ses rangs, on compte également le groupe cimentier Holcim-Lafarge, dont la branche française a été accusée d’avoir financé l’organisation Etat Islamique pour défendre ses intérêts en Syrie. Certes, on ne peut pas dire que le CICR se soit « vendu » au grand capital : le secteur privé lui fournit seulement 5% d’un budget qui a doublé et qui est passé de 900 millions d’euros à 1,8 milliard du temps de la présidence de Peter Maurer. Les reproches, explique Dick Marty, portent plutôt sur des compromissions qui révèlent bientôt une véritable crise mangagériale. A ses débuts, la fronde a d’abord été menée par un ancien délégué, Thierry Germond. Datée du 28 août 2015, sa lettre a ensuite été relayée en interne le 1er décembre 2016 par 25 responsables à la retraite. Peter Maurer n’en a pas moins décidé de renouveler son mandat au conseil de fondation du Forum économique mondial en juin 2017, après deux autres mandats entérinés à huis clos. De plus, il a accepté d’assister à un défilé militaire de la Chine dans un pays où le CICR n’avait pas accès aux détenus ouïgours ou tibétains. La contestation a alors pris de l’ampleur car les opérateurs du terrain avaient aussi le sentiment d’avoir été désaisis de leurs prérogatives. Peter Maurer, raconte le journaliste Rémy Ourdan, s’est vu reprocher son « ego démésuré », sa « tendance à l’omerta » et son caractère « autoritaire ».