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Young Men’s Christian Association
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Historique

Young Men’s Christian Association - Historique




1930-1939


-1930-1935, Chine : après avoir perdu de son influence sous le feu croisé des critiques des communistes et des confucéens opposés au prosélytisme chrétien, la YMCA revient sur le devant de la scène grâce à ses accointances avec les nationalistes du KMT (Kuomintang). De fait, le mouvement est particulièrement proche du gouvernement de Tchang Kaï-Chek. En 1930, sept des dix portefeuilles ministériels sont occupés par des anciens de la YMCA chinoise, tandis qu’un secrétaire américain de Cleveland, Robert Lewis, devient conseiller aux affaires étrangères. Le leader du KMT, Tchang Kaï-Chek, est lui-même baptisé en 1930 par un pasteur méthodiste en présence du secrétaire général de la YMCA, David Yui. Sa femme protestante, Mei-ling Soong, parfois orthographiée Mayling Soong, est quant à elle une volontaire de l’association de Shanghai. D’une manière générale, le mouvement appuie les efforts de modernisation et de réforme sociale d’un régime qui cherche désormais à contrer les communistes et qui a satisfait les demandes de la YWCA en adoptant en 1930 un code civil destiné à interdire les marriages arrangés, bannir la polygamie et accorder aux filles l’égalité en matière d’héritage. En 1931, la YMCA lance par exemple une association de soutien aux officiers de l’armée de Tchang Kaï-Chek, l’OMEA (Officers’ Moral Endeavor Association), sous l’égide d’un beau-fils de David Yui, Jen-lin Huang. L’organisation continue par ailleurs de participer aux campagnes d’alphabétisation du Dr. Yang-Chu James Yen, dont l’Association nationale pour l’éducation des masses (Chung-kuo P’ing-min Chiao-yü Ts’u-chin Tsung-hui) sert la propagande du régime avant d’être chassée par les occupants japonais puis les révolutionnaires communistes et d’accompagner le repli des cadres du KMT sur Taiwan avec le soutien des Américains en 1949. Sur le plan idéologique, le « Mouvement de la Nouvelle Vie » que lance Tchang Kaï-Chek le 19 février 1934 s’inspire beaucoup des enseignements de la YMCA. Son premier secrétaire général, Paul « Pao-han » Yen, est ainsi un ancien administrateur de l’association de Mukden avant l’occupation de la Mandchourie par les Japonais. La collusion est d’autant plus évidente que, d’après James Thomson, Tchang Kaï-Chek invite discrètement le KMT à collaborer avec les YMCA et les Eglises chrétiennes. De son côté, la base du mouvement ne se fait pas prier pour rejoindre les nationalistes. En décembre 1935, les YMCA étudiantes de Pékin, Nankin, Tientsin, Shanghai, Wuhan, Tsinan et Kaifeng jouent un grand rôle dans les manifestations qui s’organisent pour protester contre les velléités d’annexion de Tokyo. Les rapports avec le gouvernement ne sont certes pas toujours sereins. D’une part, le KMT presse le mouvement de s’ouvrir aux non chrétiens, qui fournissent l’essentiel des cotisations perçues par l’organisation. De l’autre, relève John Israel, l’imposition d’un état d’urgence en février 1936 revient à réprimer les milieux étudiants et complique les réunions des YMCA, dont une section est démantelée après avoir commémoré la mort d’un patriote de la dynastie Sung, Wen Tien-hsiang. Des tensions entre les partisans des nationalistes ou des communistes apparaissent également lors des douzième et treizième conventions du mouvement, qui se déroulent à Shanghai en janvier 1934 et avril 1936. Structurellement, l’organisation souffre en outre de problèmes d’encadrement car la crise économique de 1929 a conduit à réduire drastiquement le nombre d’expatriés américains affectés dans le pays, à raison de 9 en 1934 contre plus d’une centaine en 1922. En moyenne, les secrétaires chinois de la YMCA restent moins de quatre ans à leur poste et manquent d’expérience. Pour leur part, les expatriés américains s’inquiètent bientôt de la montée en puissance d’un patriotisme qui heurte leur internationalisme et qui ne cesse d’augmenter à mesure que la menace japonaise se rapproche. Aux Etats-Unis, explique Timothy Tseng, la CSCA (Chinese Students Christian Association of North America) s’avère particulièrement complaisante à l’égard du KMT. Soucieuse d’obtenir le soutien de Washington pour s’opposer à l’occupant japonais, elle finit par se rallier à l’idée d’une résistance militaire à l’impérialisme nippon. Sous l’influence des communistes, la dérive est telle qu’en 1946, le comité international de la YMCA à New York, qui la finançait depuis 1917, décide de couper les ponts, provoquant la dissolution de la CSCA en 1951.
 
-1931, Suisse : le Conseil mondial des YWCA se dote en 1931 d’un département pour la paix et le désarmement. Son engagement reflète l’esprit de l’époque, qui veut « abolir » et mettre la guerre « hors la loi ». Lors de sa convention de 1922, déjà, l’Alliance mondiale des YWCA avait ainsi adopté une résolution condamnant le recours aux armes pour résoudre des conflits internationaux. Jusqu’en 1938, l’organisation presse également les Etats-Unis de rejoindre la Société des Nations et la Cour de Justice Internationale. Favorable au pacte Briand-Kellog de 1928, la YWCA américaine, en particulier, est une des plus virulentes en la matière, surtout depuis qu’elle a participé en 1925 à la création d’un collectif emmené par des suffragettes pacifistes et dirigé par Carrie Chapman Catt jusqu’à sa dissolution en 1941, le National Committee on the Cause and Cure of War. De son côté, l’Alliance mondiale des YMCA n’est pas en reste et prend position en faveur des politiques de désarmement à partir de 1932. Son pacifisme tranche avec sa militarisation pendant la Première Guerre mondiale. Aux-Etats-Unis, notamment, la YMCA se retrouve en porte-à-faux par rapport aux organisations de vétérans comme la Légion américaine, qu’elle avait pu continuer de financer après 1918. Elle ne résiste pas moins aux attaques des conservateurs les plus militaristes et, en 1935, soutient par exemple Kenneth Dale, le secrétaire général de l’association de Pawtucket à Rhodes Island, dont l’engagement pacifiste avait heurté les sensibilités locales. Membre du comité international des YMCA américaines, Sherwood Eddy (1871-1963) symbolise bien l’évolution du mouvement en la matière. Favorable à la reconnaissance de l’Union soviétique et au renforcement des législations sociales, il est suspecté d’avoir des penchants socialistes et pacifistes au sein même de son organisation. Dans ses mémoires publiées en 1934, il rappelle en outre que le commandant de la Légion américaine aurait voulu « le faire taire en temps de paix ou le voir exécuté en temps de guerre » ! Pour autant, les livres de Sherwood Eddy ne sont jamais que des témoins de leur époque, justifiant le « droit de se battre » en 1918, puis prônant « l’abolition de la guerre » en 1924, avant de cautionner à nouveau l’entrée en guerre des Etats-Unis avec un pamphlet de 1942 intitulé : Why America Fights. De fait, le pacifisme du mouvement ne résiste pas longtemps à la montée des tensions face à l’Allemagne et au Japon. La YWCA américaine, qui s’était opposée à des programmes de réarmement naval en 1928 et 1934, se divise bientôt sur la question du service militaire et de la participation à la guerre. Très impliquée en Chine, elle soutient l’idée de mettre en place des sanctions économiques contre l’envahisseur japonais à partir de 1937. En 1940, encore, elle rejette de peu une proposition isolationniste qui vise à confirmer la neutralité des Etats-Unis. Dans le même ordre d’idées, elle approuve l’aide économique et militaire à la Grande-Bretagne, restée seule pour résister aux nazis. En novembre 1941, un mois avant le bombardement de Pearl Harbor, elle rallie finalement le discours patriotique du moment et vote une résolution approuvant la fin de la neutralité des Etats-Unis pour lutter avec le « camp de la liberté » contre les tyrannies allemande et japonaise.
 
-1932-1980, Thaïlande : sous la présidence d’un fils de pasteur presbytérien, Samuel Benthoon Boon Itt, une YMCA est officiellement constituée à Bangkok et reconnue par le gouvernement en octobre 1932. Bien qu’ouverte aux non chrétiens, l’association réserve aux protestants les trois quarts des sièges de son conseil d’administration et ne progresse guère en dehors de la capitale. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, la menace d’une invasion japonaise provoque en outre le départ des expatriés, permettant aux Thaïlandais de gérer eux-mêmes l’organisation. Tandis qu’un secrétaire américain, Byron Pat Barnhart, est interné puis expulsé du pays, le siège de la YMCA est alors loué au gouvernement afin d’éviter sa confiscation par les troupes d’occupation. En septembre 1945, c’est ensuite au tour des Alliés de réquisitionner les bâtiments et d’en faire un hôpital militaire pour le contingent indien. L’année d’après, la YMCA parvient cependant à reprendre possession de ses locaux dans la capitale. Elle compte un peu plus de 2 000 membres en 1951. S’y ajoute en 1969 une association de province qui, établie à Chiang Mai dans le nord, démarre des programmes de développement en milieu rural, près de la frontière birmane et des zones de combat des insurgés communistes du Laos. Fondé en 1973, le conseil national des YMCA de Thaïlande chapeaute les deux entités et revendique plus de 10 000 membres au début des années 2000. Mais les milieux étudiants de gauche protestent contre les compromissions de l’association de Chiang Mai, qui reçoit des financements de la coopération américaine pour gagner la sympathie des paysans et endiguer la pénétration communiste. Après la fin de la guerre du Vietnam en 1975, le mouvement s’occupe en effet d’aider les réfugiés qui fuient les régimes totalitaires d’Indochine. A Sob Tuong près de la frontière du Mékong dans la province de Nan au nord de la Thaïlande, il assiste notamment quelque 12 000 Laotiens qui avaient combattu au sein d’une armée secrète pour repousser les infiltrations communistes dans leur pays. Le campement, où la YMCA ouvre deux dispensaires de santé, est organisé comme une base militaire pour se protéger des bandes armées qui sillonnent la région. La situation est telle que le mouvement doit déménager sa clinique à Maecherim dans un village en dehors du camp. En 1980, la YMCA décide finalement de transférer ses activités de Sob Tuong à une organisation britannique, Ockenden Venture, qui donnera elle-même naissance à une ONG locale, Thai Payap.
 
-1933-1954, Allemagne : l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler et du parti nazi bouleverse l’organisation de la YMCA locale. Créée en 1895, la section allemande de la FUACE (Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d'Étudiants), la DCSV (Deutsche Christliche Studenten Vereinigung), est la première à pâtir du nouveau régime. En août 1933, elle est contrainte d’intégrer une structure nationale réservée aux Aryens et dûment contrôlée par les autorités, le Deutsche Studentenschaft. Son président et son sécrétaire général, Reinhold von Thadden et Hanns Lilje, démissionnent en conséquence pendant qu’un nazi, le professeur Karl Fezer, reprend temporairement les rênes de l’organisation. En décembre suivant, la DCSV parvient certes à réinstaller l’ancienne équipe au pouvoir et à rester membre de la FUACE en continuant d’accueillir des étudiants non-aryens. Mais elle est finalement dissoute en août 1938. De son côté, l’organisation de jeunesse de la YWCA allemande est réduite à un simple groupe de prières tandis que son département des publications est fermé par les nazis malgré les protestations de sa secrétaire générale Hulda Zarnack. Bientôt, c’est l’ensemble du mouvement qui est décapité. A titre individuel, certains de ses membres entrent alors en résistance, au premier rang desquels un pasteur luthérien, Dietrich Bonhoeffer, qui participera à un projet d’assassinat d’Adolf Hitler et qui, arrêté en mars 1943, sera finalement pendu en avril 1945. En attendant, seuls quelques expatriés parviennent officiellement à poursuivre leurs activités pour le compte de l’Alliance mondiale des YMCA et des YWCA au moment où démarre la Seconde Guerre mondiale. En vertu d’un accord passé avec la Croix-Rouge allemande en octobre 1939, le siège de l’organisation à Genève est ainsi autorisé à envoyer des colis aux prisonniers de guerre britanniques et canadiens. Mais il n’arrive pas à négocier un accès aux camps de concentration où sont exterminés les Juifs et les militaires soviétiques. Des volontaires de la YWCA envoyées par Genève à Berlin parviennent au mieux à assister une poignée de détenues avec Benedicte Wilhjelm à partir d’août 1940 puis, brièvement, Alice Arnold à partir de novembre 1942. Les hommes ne font guère mieux malgré leurs efforts en direction des prisonniers de guerre polonais, yougoslaves, grecs et belges. Avant d’être remplacé par le Suédois Gösta Lundin, un pasteur venu de la YMCA danoise, Erik Christensen, est par exemple interrogé par la Gestapo en mai 1944 et expulsé d’Allemagne parce qu’il a baptisé une petite fille juive. Il faut en fait attendre la fin de la guerre et la défaite des nazis pour que l’organisation puisse reprendre pied dans le pays. L’Alliance mondiale des YMCA facilite alors le rapatriement des prisonniers de guerre allemands depuis la France, l’Italie, la Belgique, la Hollande, le Danemark et l’Egypte. Elle se préoccupe également de la reconstruction d’un pays ravagé par les combats. En décembre 1948, elle contribue notamment à la formation de la branche humanitaire des YMCA et YWCA allemandes, Heimatlosen Lagerdienst, sous l’égide de Gunther Feuser. Plus connue sous le nom abrégé de Heladienst, cette organisation s’investit dans la construction de logements sociaux et aide les populations qui fuient l’Europe de l’Est à partir de mai 1952. Présidée par Otto Noelle puis Fritz Polack, elle deviendra indépendante de Genève en mai 1954. A cette date, l’Alliance mondiale des YMCA est encore présente dans 77 camps de réfugiés allemands et continue d’assister les déplacés d’autres nationalités dans 120 sites répartis à travers le pays.
 
-1934-1936, Canada : dirigé par Charles Bishop à partir de 1912, Ernest Maurice Best à partir de 1932 et Harry Ballantyne de 1922 à 1931 puis de 1936 à 1937, le Conseil national des YMCA canadiennes est confronté à la crise économique et voit son budget tomber à $45 000 en 1934, contre $50 000 en 1923, $90 000 en 1920 et $447 000 en 1919. Son homologue féminin n’est guère mieux loti. Ses ressources financières atteignent un plancher de $20 000 en 1929, contre $22 000 en 1926 et $132 000 en 1919, avant de remonter pendant la Seconde Guerre mondiale, avec $24 000 en 1939, $26 000 en 1940, $52 000 en 1944, $61 000 en 1945, $65 000 en 1948… et jusqu’à $202 000 en 1964. Résultat, le mouvement licencie du personnel, diminue les salaires et contracte des dettes. Du fait de la dépression économique au sortir de la Première Guerre mondiale, la YWCA canadienne avait déjà dû vendre son siège de Jarvis Street en 1920 ; la YMCA, elle, avait été amenée à réduire ses effectifs, passés de 54 à 9 employés entre 1919 et 1923. Mais la crise de 1929 accentue les problèmes. Contraint de renoncer à ses programmes outre-mer, le mouvement doit aussi réduire ses activités les moins rentables, à savoir le scoutisme et le développement rural. Pour gagner de l’argent, il se concentre sur la gestion des foyers, les loisirs des employés du chemin de fer et la poursuite des cours du soir financés par les étudiants ou les entreprises. Au prix de ces efforts, la YMCA parvient à effacer une partie de ses dettes et à renflouer son budget, qui passe de $65 000 en 1926 à $70 000 en 1930. Le répit est de courte durée. Le budget de l’association retombe à $40 000 en 1933 après que son nouveau secrétaire général, Ernest Maurice Best, a négocié et obtenu une augmentation de salaire en 1931. Face à la crise, la YMCA se replie sur elle-même. Elle aide ses adhérents au chômage à se nourrir, à se loger, à se vêtir et à trouver un emploi. Mais elle s’avère tout à fait incapable de mener des programmes sociaux d’envergure pour le reste de la population. Faute de mieux, elle se rapproche du gouvernement. Le Conseil national des YMCA canadiennes s’institutionnalise en effet sous la présidence de notables comme Gerald Birks en 1932-1933, Edward Reid en 1933-1936 et Russell Kelley en 1937-1938. Après avoir établi en 1932 un think tank, l’Institut d’études politiques et économiques (Institute on Economics and Politics), qui prend bientôt le nom d’Institut canadien des affaires publiques (Institute on Public Affairs), l’organisation participe par exemple à une commission gouvernementale qui est mise en place en 1936 pour lutter contre le chômage des jeunes. A cette occasion, la YMCA préconise la création de camps de travail et de centres de formation professionnelle…
 
-A partir de 1935, Etats-Unis : la YMCA américaine réorganise son administration territoriale en créant de nouvelles régions, d’abord le Centre Nord en 1935, puis le Centre Ouest, le Sud-Ouest, le Pacifique Nord-Ouest, le Pacifique Sud-Ouest et, dernière née en 1940, le Pacifique Central. Un pareil rédécoupage revient à fragmenter les cinq « districts » constitués en 1913, à savoir l’Est, l’Ouest, le Sud, le Centre et la Côte Pacifique. L’objectif est en l’occurrence de mieux associer et intégrer les regroupements d’associations qui existent au niveau des Etats fédérés. Depuis qu’elle s’est dotée d’un conseil d’administration en 1924, la YMCA américaine cherche en effet à coordonner et unifier des services extrêment décentralisés, surtout à partir de 1933. Mais ses efforts de professionnalisation et de standardisation suscitent des tensions car ils vont à l’encontre des principes d’une démocratie de base qui, précisément, explique l’extrême hétérogénéité du mouvement. Si le nombre d’adhérents conditionne théoriquement le mode de représentation des associations locales au conseil national des YMCA, en réalité, l’élection de délégués relève plutôt de la cooptation et privilégie l’ancienneté. Concrètement, les jeunes de moins de trente ans sont exclus des postes de décision. Selon Owen Pence, ils constituent seulement 4% des membres des conseils d’administration des YMCA américaines en 1930.
 
-1936-1948, Chine : à la suite de William Lockwood, qui meurt en novembre 1936, Shek Chee Leung prend la direction de la YMCA chinoise à Shanghai. L’organisation connaît une passe difficile depuis l’invasion du nord du pays par les Japonais à partir de septembre 1931. En Mandchourie, le mouvement avait recensé jusqu’à six associations chinoises aux mains de Shanghai, cinq YMCA japonaises gérées depuis Tokyo, une russe à Harbin et quelques groupements coréens indépendants de Séoul. Au début, le comité de Shanghai a pensé qu’il resterait officiellement propriétaire des bâtiments et qu’il pourrait continuer d’y affecter du personnel, notamment les expatriés. Pour lui, l’Union des YMCA du Manchukuo, l’Etat fantoche mis en place par Tokyo, était un simple regroupement régional qui ne devait pas compromettre l’unité du mouvement. Mais les secrétaires japonais de l’organisation ont pris le contrôle des associations locales avec la volonté affichée d’embrigader les minorités chrétiennes de la région au service de l’œuvre « civilisatrice » de l’Empire du Soleil Levant. Etablie à Mukden en novembre 1931, la Fédération des YMCA de Mandchourie a rapidement coupé les ponts avec le reste de la Chine. L’insécurité, les difficultés économiques et les pressions japonaises ont en outre conduit les secrétaires chinois à s’en aller, notamment après l’arrestation d’un responsable de la branche étudiante de Kirin, Li Ch’ung Chou, détenu par les autorités d’occupation de juillet 1932 à janvier 1933. Sur place, le mouvement s’est également heurté à l’hostilité d’une partie des Russes blancs exilés en Mandchourie, en particulier de la part du leader d’un parti fasciste, Konstantin Vladimirovich Rodzaevsky (1907-1946), qui a invité les orthodoxes et les catholiques à se méfier des francs-maçons de la YMCA. Parallèlement, la situation a continué de se dégrader dans le Sud de la Chine, où le comité de Shanghai s’est retrouvé à essayer de secourir les victimes des inondations autant que des combats. Seul avantage : l’ennemi commun japonais a permis de ressouder les nationalistes et les communistes, mettant un terme provisoire aux tensions qui avaient miné la YMCA dans la première moitié des années 1930. Pour le reste, la montée des périls a obligé l’organisation à s’adapter et à proposer ses services en milieu militaire. Pour assister les soldats chinois sur le front, la YMCA a d’abord créé en 1933 un conseil de guerre sous l’égide de James Chuan à Pékin, puis elle a dépêché en 1935 des expatriés auprès des marins britanniques et des soldats américains envoyés en renfort dans les concessions europénnes de Shanghai. Tous ces programmes sont évidemment bouleversés lorsque les Japonais entreprennent d’envahir le Sud de la Chine à partir de juillet 1937. Dans la ville de Nankin ravagée par les combats, George Ashmore Fitch assiste alors les civils et les soldats chinois désarmés, tandis qu’à New York, Eugene Barnett s’occupe de collecter des fonds pour financer les secours. La victoire des Japonais oblige bientôt l’organisation à arrêter ses opérations, y compris dans les concessions europénnes, également menacées par l’occupant. En octobre 1939, par exemple, le représentant pour l’Asie de la Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d’Étudiants, l’Américain Luther Tucker, est arrêté et détenu pendant deux mois par la police japonaise à Shanghai. Au moment de l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, encore, trois employés de la YMCA sont incarcérés parce qu’ils travaillaient auprès des soldats et des marins américains en poste à Shanghai ; l’un d’entre eux, Rudy Hansen, est interné pendant toute la durée du conflit. D’une manière générale, le mouvement paie un lourd tribut à la guerre. Des 26 YMCA qui existaient dans la partie occupée de Chine, 3 sont détruites par les combats et seulement 14 continuent de fonctionner en 1940. Après l’entrée en guerre du Japon contre les Etats-Unis et la Grande Bretagne fin 1941, l’association de Hongkong doit également fermer ses portes et la plupart des autres sont réquisitionnées par les troupes d’occupation. Seules les YMCA de Pékin, Tientsin, Tsingtao et Shanghai sont autorisées à poursuivre leurs activités avec un comité national qui continue d’exister sous la direction de Chang Po-ling en 1944. Repliées sur Chengdu à partir de 1941, les associations passées en zone libre s’occupent quant à elles d’assister les nationalistes en lutte contre l’occupant japonais avec le soutien des Etats-Unis. Des exilées de la YWCA soignent en l’occurrence des blessés de guerre et des soldats en transit dans la gare de Wuchang. La victoire américaine et la défaite japonaise changent ensuite la donne. Sous l’égide de sa secrétaire générale avant la guerre, Tsai Kwei (Cai Guei), la YWCA chinoise, notamment, se reconstitue assez vite et accueille pour la première fois en Chine une conférence de l’Alliance mondiale des Unions chrétiennes de jeunes filles : un événement plusieurs fois repoussé et finalement réalisé en 1947 à Hangchow (Hangzhou), une ville où Eugene Barnett avait fondé et dirigé la YMCA de 1910 à 1921. La YMCA chinoise est moins heureuse dans ce domaine malgré la réouverture de treize associations locales aussitôt après le départ des troupes japonaises. Tenue par des Russes blancs et capturée par les Soviétiques en août 1945, l’association de Harbin voit son personnel déporté en Sibérie et sa bibliothèque complètement détruite vers mai 1947. Surtout, la guerre civile qui oppose les communistes et les nationalistes empêche le mouvement de redémarrer ses activités à une grande échelle. Le comité de Shanghai perd progressivement le contrôle de ses associations locales à mesure que l’Armée Rouge progresse. Un an avant l’arrivée au pouvoir des troupes de Mao Tsé-Toung en 1949, sept des quarante YMCA membres de l’organisation sont sur le point d’échapper à l’emprise des nationalistes et sept autres se trouvent d’ores et déjà en zone communiste…
 
-1937-1957, Inde : la vingt-et-unième convention internationale de l’Alliance mondiale des YMCA, qui se déroule à Mysore en 1937, consacre l’enracinement du mouvement sur le sous-continent indien. Dirigée par James Aiman de 1934 à 1939 et présidée par Surendra Datta de 1935 jusqu’à sa mort en 1942, l’organisation a en l’occurrence réussi à passer le cap de la crise économique de 1929. Composé de quarante membres, tous chrétiens, son conseil d’administration a notamment renforcé son emprise sur les associations locales, obligées de se réaffilier pour être représentées au niveau national dans le cadre d’une nouvelle Constitution adoptée lors de la treizième convention du mouvement à Nagpur en 1932. Désormais chargée de superviser les affectations du personnel, la YMCA indienne a certes perdu de son influence au cours des années 1930, à mesure que les subventions américaines s’amenuisaient et amputaient sa capacité à redistribuer des fonds. L’organisation a également souffert de la mort en 1931 de son dynamique secrétaire général, Kanakarayan Tiruselvam Paul, remplacé peu auparavant par un interim, Behari Lal Rallia Ram. Jusqu’à l’indépendance en 1947, la YMCA ne continue pas moins de croître, en particulier grâce à l’entregent de son président Surendra Datta auprès du Congrès Indien et du Mahatma Gandhi. Dirigée de 1940 à 1945 par un Américain, Dalton Finley McClelland (1890-1967), qui développe ses programmes en milieu militaire, elle connaît un nouvel élan pendant la Seconde Guerre mondiale, avec un budget qui passe de 79 500 roupies en 1940 à 102 480 en 1949. Non contente de secourir les populations civiles, tels les réfugiés birmans à Calcutta, elle assiste en effet les armées coloniales en transit pour aller combattre les troupes de Tokyo, qui ont envahi la région. De mai 1941 à avril 1947, elle entreprend aussi d’aider les prisonniers de guerre japonais, allemands et italiens en Inde. Avec le MCC (Mennonite Central Committee), elle propose également des cours d’alphabétisation pour les détenus civils. Au final, la YMCA sort renforcée de la guerre, même si elle a perdu en autonomie et dépend de plus en plus de subventions publiques qui représentent 55% de ses ressources financières en 1949, contre 25% en 1940. De fait, elle entretient d’excellentes relations avec les élites qui prennent le relais du colonisateur britannique à l’indépendance. Dirigée de 1946 à 1954 par Tom Santwan, elle est ainsi présidée de 1942 à 1953 par Raja Maharaj Singh, qui est le premier gouverneur indien de Bombay, de 1948 à 1952. Passée de 151 associations locales en 1935 à 194 en 1951, elle continue donc de se développer. En 1951, elle compte 27 602 membres, jusqu’à un maximum de 29 326 en 1953, cadets et étudiants compris. Le mouvement marque cependant une pause après la partition de l’Union indienne en 1947, qui se traduit par le départ successif des YMCA birmanes en 1951, pakistanaises en 1955 et srilankaises en 1962. La YWCA, par exemple, doit renoncer à certains programmes et transférer dans la capitale le collège technique qu’elle avait ouvert à Lucknow et qui est repris par l’Université de Delhi en 1959. De son côté, la YMCA souffre du départ des expatriés et ne compte plus que 85 secrétaires salariés en 1957, contre 110 en 1935 et 241 en 1920.
 
-1938-1945, Suisse : présente dans 62 pays, dont 36 avec des membres affiliés et 26 avec des associés, l’Alliance mondiale des YMCA tarde à réagir face à la montée des totalitarismes en Allemagne et au Japon. Son bureau de Genève, qui a la charge d’accréditer les organisations du mouvement, se révèle particulièrement démuni quand des pouvoirs autoritaires nationalisent les associations. Dès l’invasion japonaise du nord de la Chine en 1931, par exemple, il a accepté de reconnaître les YMCA de Mandchourie comme une entité séparée, quitte à légitimer la pseudo-indépendance de l’Etat fantoche mis en place par l’occupant sous le nom de Manchukuo. De son côté, la YMCA américaine a laissé ses bâtiments de Harbin passer sous le contrôle de son homologue de Tokyo en 1938. L’Alliance mondiale des YWCA, elle, n’a pas non plus voulu se prononcer sur l’impérialisme japonais. Il faut dire que la secrétaire générale de la YWCA de Tokyo, Taka Kato, fait partie de son personnel à Genève. Lors du bombardement des habitants de Shanghai en 1932, la présidente de la YWCA japonaise, Matsu Tsuji, justifie les silences complices de l’organisation en arguant que la minorité chrétienne est mal vue et que les femmes n’ont de toute façon aucune influence au gouvernement. A Genève, le mouvement ne veut pas non plus se prononcer sur les annexions de territoires car il craint de compromettre la poursuite de ses programmes après l’expulsion de trois expatriées en poste sur l’archipel nippon. En 1938, il permet donc l’adhésion de la YWCA de Mukden dans une Mandchourie désormais placée sous la coupe de Tokyo et coupée du reste de la Chine. Il avalise également la disparition de la YWCA de Corée, qui a dû renoncer à son affiliation à Genève pour continuer d’exister en tant que branche de la YWCA japonaise. Dans le même ordre d’idées, il admet sans rechigner la dissolution de la YWCA d’Autriche, qui avait été affiliée en 1912 et qui est absorbée par son homologue allemand suite à l’annexion du pays par les nazis en 1938. A partir de 1939, la Seconde Guerre mondiale précipite alors les choses. Sur 60 YMCA nationales dans des pays touchés par les combats, 22 se retrouvent dans des territoires occupés par les Allemands et 11 sont de facto fermées. Bien que protégé par la neutralité de la Suisse, le siège du mouvement à Genève est d’abord pris de court. Lors de l’invasion de la Finlande par les troupes soviétiques en 1939, le Suédois en charge de l’aide aux prisonniers de guerre, Hugo Cedergren, n’a pas le temps de monter le moindre programme. Pour des raisons de logistique, l’administration du comité exécutif de l’Alliance mondiale des YMCA doit ensuite déménager à Washington, d’où il fonctionne pendant toute la durée de la guerre, de septembre 1940 à octobre 1945. De là, il n’a guère les moyens d’être opérationnel dans les pays occupés par les puissances de l’Axe. Si Berlin lui permet dans un premier temps d’envoyer des colis aux prisonniers de guerre alliés en Allemagne, Tokyo ne l’autorise pas à intervenir dans les territoires chinois, philippins et indonésiens sous son contrôle. Au Japon, il n’a pas non plus accès aux camps de prisonniers de guerre. Dans le cadre d’un accord négocié en février 1942, il peut seulement y envoyer des vivres qui sont distribués à partir de mai suivant sous l’égide d’un comité monté par le secrétaire général de la YMCA japonaise, Soichi Saito. Concrètement, l’organisation n’a aucune possibilité de contrôler le bon usage de son aide pour éviter les détournements. Même les pays alliés refusent ou paralysent son assistance. A la différence du régime tsariste en 1915, les Soviétiques interdisent à la YMCA d’aider les prisonniers de guerre en Russie. En Afrique du Sud, il faut deux ans de négociations avec les Britanniques pour que la YMCA soit autorisée en juillet 1943 à entrer dans le camp de Zonderwater (« Sans Eau »), où sont détenus 98 000 Italiens. Les autres colonies du continent sont à peine mieux loties, avec un volontaire argentin, Alfredo Wood, qui parvient à assister quelques prisonniers de guerre italiens en Sierra Leone, au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie, en Ethiopie et au Zimbabwe entre mars 1943 et août 1946. D’une manière générale, seules les YMCA américaine et britannique sont à peu près opérationnelles dans ce domaine. Pour le reste, seuls leurs homologues suédois et australien parviennent à se passer d’expatriés venus des Etats-Unis pour s’occuper des prisonniers de guerre aux mains des Alliés. L’Alliance mondiale des YWCA, quant à elle, est aussi mal préparée qu’en 1914 à affronter une pareille épreuve. Bien que soucieuse d’intervenir auprès des prisonniers de guerre aux mains des Alliés comme des Allemands, elle doit en l’occurrence travailler depuis Genève avec des ONG locales, à savoir la SARCIS (Société d’aide aux réfugiés civils en Suisse) et le SAIMS (Service d’aide aux militaires internés en Suisse). Une Néo-Zélandaise, Jean Begg, s’occupe pour sa part de coordonner l’assistance aux troupes britanniques à travers le monde. A l’instar des YMCA, peu de YWCA sont véritablement opérationnelles en dehors de leur pays de siège. Avec ses homologues américain et britannique, l’organisation australienne est un des rares à être active outre-mer. Par l’intermédiaire de Clare Stevenson, une « secrétaire » qui est appelée à prendre en 1942 la direction des auxiliaires féminins de l’armée de l’air, elle travaille surtout auprès des militaires de son pays envoyés à l’étranger. Constituée de volontaires en uniforme avec le rang d’officiers sans grades, elle est notamment présente sur le front au Moyen Orient. Après la fin de la guerre, ses expatriées assisteront également les troupes d’occupation britanniques au Japon de décembre 1945 à avril 1950. Bien entendu, la YWCA australienne n’est pas en reste dans son propre pays, où elle a commencé à aider des réfugiés venus de Pologne en 1939 avant de s’occuper des familles britanniques évacuées de Hongkong puis de Malaisie face à l’avancée des troupes japonaises à partir de 1941. A l’instar de ses homologues américain et britannique, l’organisation cible essentiellement les populations qui contribuent à l’effort de guerre : les femmes qui travaillent dans l’industrie de la défense ou qui se sont engagées dans l’armée. Après avoir ouvert un premier établissement à Toorak en 1942, la YWCA australienne gère ainsi jusqu’à 18 foyers de soldates et s’occupe de loger les employées des fabriques de munitions de Melbourne (à Footscray), Sydney (à Katoomba, St Mary et Lightgow), Perth (à Welshpool) et Adelaide (à Hindmarsh Square, Hindley Street et Woodville).
 
-1939-1945, France : l’entrée en guerre contre l’Allemagne nazie conduit l’Alliance mondiale des YMCA à se mobiliser en faveur des civils comme des militaires. Autorisée en novembre 1939 à aider les prisonniers de guerre détenus par les Français, l’organisation commence le mois suivant à assister des soldats allemands internés à Orléans. Avec la YWCA, elle participe également à la formation en avril 1940 d’une ONG locale, la CIMADE (Comité inter-mouvements auprès des évacués), pour s’occuper des civils en provenance des régions frontalières. L’armistice du 22 juin 1940 l’oblige alors à recadrer ses programmes en fonction de la ligne de démarcation qui divise le pays en deux, à savoir le Nord sous le contrôle des Allemands et le Sud sous la férule du régime de Vichy. En zone occupée, l’Américain Paul Anderson obtient d’abord en septembre 1940 la permission d’aider les prisonniers de guerre issus des rangs des troupes coloniales. Mais son successeur à partir de juillet 1941, le Suisse Auguste Senaud, est bientôt contraint de restreindre son assistance au seuls détenus civils : des internés administratifs de nationalité britannique ou américaine, ainsi que des politiques, essentiellement des communistes. Lors de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942 à Paris, l’organisation tente notamment de ravitailler les Juifs avant leur déportation dans des camps de concentration. En zone « libre », la YMCA continue entre-temps de s’occuper des civils internés dans le Sud de la France, en particulier des Républicains espagnols détenus à Rieucros, Rivesaltes et Gurs. L’intensification des combats compromet cependant ses activités. Sous pression de la Grande-Bretagne, qui veut renforcer son blocus contre l’occupant, l’Alliance mondiale des YMCA doit cesser ses programmes nutritionnels après l’entrée des troupes allemandes dans le Sud de la France en novembre 1942. A la Libération du pays en août 1945, son assistance aux Républicains espagnols reprendra ensuite sous l’égide d’un Suisse, William Salzmann, qui mourra trois ans après dans un accident d’auto.