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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1863-1869


-1863, Suisse : le Comité International de Secours aux Blessés, qui prendra le nom de CICR en 1875, est fondé le 17 février 1863 par cinq notables de Genève. Son principal initiateur, Henry Dunant (1828-1910), est un homme d’affaires qui avait des intérêts dans l’Algérie française et qui s’est découvert une vocation humanitaire en partant à la recherche de Napoléon III afin d’essayer de négocier un contrat pour sa compagnie, la Société anonyme des Moulins de Mons-Djémila. A l’occasion de son périple, il a en effet assisté à la sanglante bataille de Solferino entre les troupes italiennes et autrichiennes le 24 juin 1859. Emu par le sort des blessés laissés agonisant, il en a tiré un livre célèbre, rédigé à partir de ses souvenirs trois ans après. Membre de la Société évangélique, tôt impliqué dans des œuvres caritatives, il a également lancé en 1849 une Union chrétienne des jeunes gens qui allait donner naissance à une Alliance universelle plus connue aujourd’hui sous le nom de YMCA (Young Men’s Christian Alliance). A ses débuts, le Comité International de Secours aux Blessés se compose, lui, de cinq personnes. Outre Henry Dunant, on y trouve Guillaume-Henri Dufour, un général de l’armée suisse qui se charge de convaincre les milieux militaires, et Gustave Moynier, un avocat d’affaires qui organise et préside le CICR de 1864 à 1910. Le premier est un héros de la guerre du Sonderbund en 1847 ; le second préside depuis 1858 la Société genevoise d’utilité publique, fondée en 1828 à des fins morales et philanthropiques. Les deux autres membres du Comité sont des chirurgiens, Théodore Maunoir et Louis Appia. Fort de son expérience auprès des blessés de guerre à Solferino en 1859, ce dernier a dirigé pendant un temps la Société genevoise de médecine, à partir de 1861, et il interviendra pour tenter de soigner les victimes de la bataille de Bezzecca qui oppose les Autrichiens aux forces de Giuseppe Garibaldi en 1866. Sous l’égide de la Société genevoise d’utilité publique, les cinq hommes ont initialement pour objectif de défendre leur projet de Comité à un congrès de bienfaisance qui doit se dérouler à Berlin en septembre 1863… et qui est annulé. Ils ne persistent pas moins à vouloir créer un corps médical de volontaires déployés sur les champs de bataille. A cet effet, ils parviennent à convaincre les diplomates des principales puissances européennes de venir à une conférence internationale en octobre 1863.

-1864, Suisse : le Comité organise à Genève la signature, le 22 août 1864, de la première « Convention pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne », qui se compose de dix articles seulement. Loin de prôner un désarmement pacifiste, ladite Convention ne vise pas à s’opposer à la guerre mais à en atténuer les rigueurs inutiles, quitte à assister les armées et leurs gouvernements. Alors que des propositions similaires n’avaient pu aboutir dans le passé, le projet s’impose à cause du développement de la conscription militaire qui, contrairement aux armées de métier et aux mercenaires d’autrefois, contraint les Etats européens à prendre en charge la santé des appelés. Les progrès des communications et la sophistication des armements, qui amplifient les carnages et rendent caducs les codes de conduites médiévaux de la « guerre courtoise », ont également sensibilisé les opinions publiques aux souffrances des combattants. Pour Gustave Moynier, les secours portés aux blessés vont, précisément, alerter les populations sur l’inhumanité des carnages, et non leur donner bonne conscience en adoucissant les horreurs de la guerre. Le Comité de Genève ne parvient cependant pas à obtenir de consensus pour créer un corps international et neutre de volontaires autorisés à intervenir sur les champs de batailles. Ce sont en l’occurrence les Etats qui sélectionnent les secouristes et leur attribuent des licences révocables. La célèbre infirmière britannique Florence Nightingale émet d’ailleurs de sérieuses réserves quant à l’initiative d’Henry Dunant. L’assistance aux blessés de guerre est du ressort des pouvoirs publics et non du secteur privé, argue-t-elle. Les secours des Croix Rouges permettent aux Etats de se défausser de leurs responsabilités et facilitent donc leurs entreprises guerrières. Selon l’historien John Hutchinson, ils promeuvent même le concept de « guerre totale » en impliquant des civils en uniforme et plus seulement des militaires. Paradoxalement, ces derniers sont aussi réticents. Pour eux, les bénévoles sont moins compétents que les services médicaux des armées : est particulièrement décrié le rôle des femmes, dont les civils vantent les mérites du fait qu’elles ont plus de temps que les hommes à consacrer aux œuvres de bienfaisance.

-A partir de 1865, Suisse : après l’établissement de sociétés nationales en Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Danemark et France en 1864, l’idée de la Croix-Rouge s’étend en Europe et entre en concurrence avec des projets similaires, formulés peu auparavant par l’Italien Ferdinando Palasciano et le Français Henry Arrault en 1861. Ce dernier, qui avait proposé comme emblème un drapeau noir et une écharpe blanche, accuse bientôt Henry Dunant de plagiat et revendique la paternité de la Convention de Genève dans L’Economiste français du 3 août 1865 puis La Presse du 8 septembre suivant. Ferdinando Palasciano, qui sera nommé sénateur en 1876, avance des revendications similaires lors d’une lecture publique à l’Académie de Naples dès le 27 décembre 1863. La dynamique internationale de la Croix-Rouge reste toutefois sur le territoire neutre de la Confédération helvétique. Gardien des principes du mouvement, le Comité de Genève veut en effet se placer au-dessus des contingences nationales et s’interdit le cumul des mandats en dépit de la transgression de Guillaume-Henri Dufour, qui devient aussi membre de la Croix-Rouge suisse, constituée en 1866. Bien qu’issu de milieux protestants, le projet ne s’arrête pas non plus aux allégeances confessionnelles : en témoigne l’adhésion à la Convention de Genève d’Etats orthodoxes (la Grèce en 1865 et la Russie en 1867), musulmans (l’Empire ottoman en 1865) et catholiques (la France, l’Espagne et l’Italie dès 1864, l’Autriche et la Bavière en 1866, les Etats pontificaux en 1868). En conditionnant la reconnaissance des nouvelles Croix Rouges à l’adhésion de leur pays à la Convention de Genève, le CICR sélectionne cependant les candidats en fonction de considérations qui témoignent bien des sentiments de l’époque sur la supériorité de la civilisation chrétienne occidentale et la difficulté des peuples « exotiques » à s’engager à respecter durablement les lois de la guerre. Ainsi, le Comité écarte des demandes coréenne et chinoise sous prétexte que ces pays ne seraient pas prêts à respecter les lois de la guerre. Favorable à une implantation juive en Palestine et investisseur malheureux en Algérie, Henry Dunant lui-même participe au grand dessein colonial. Rédacteur en 1866 d’un « projet de société internationale pour la rénovation de l’Orient », il imagine neutraliser la région en la faisant gérer par une Compagnie universelle placée sous protection française. En exil à Paris à partir de 1867, il rallie à son idée de colonisation de la Palestine des protestants illuminés du Wurtemberg qui veulent s’établir en Terre Sainte et se réunissent au sein d’un obscur « Conseil du Temple ». Les références d’Henry Dunant en la matière sont le roi Cyrus, fondateur de l’Empire perse, et Napoléon III, qu’il admire et compare à Charlemagne dans la lignée du Saint Empire Romain Germanique.

-1866-1869, Allemagne : autorisée à utiliser gratuitement les services de la poste, du télégraphe et du chemin de fer, la Croix-Rouge prussienne se déploie efficacement à l’occasion d’une guerre contre l’Autriche en 1866. Ses volontaires sont pré-positionnés à l’avance sur les lieux des attaques et placés sous la supervision directe des militaires pour empêcher la divulgation de « secrets défense ». Le contraste n’en est que plus saisissant avec la Société de secours aux blessés de guerre du côté autrichien. Montée en avril 1859 et active à Solferino deux mois plus tard, celle-ci n’est pas préparée à l’épreuve des combats et préfère abandonner des soldats agonisants sur le champ de la bataille de Sadowa en juillet 1866, de crainte que les Prussiens ne capturent ses médecins. De fait, les Autrichiens ne respectent pas la Convention de Genève, qu’ils n’ont pas encore signée, et ne se gênent pas pour faire prisonniers des chirurgiens allemands en pleine activité. A Vienne, le gouvernement a précisément argué de l’existence d’une Société de secours aux blessés de guerre pour ne pas se doter d’une véritable Croix-Rouge. Sa défaite militaire et son échec sanitaire le convaincront d’ailleurs d’adhérer à la Convention de Genève avant la fin de l’année. Au contraire, l’armée allemande, elle, a tout de suite saisi l’intérêt de recevoir le concours de médecins extérieurs. Etablie en février 1864 sous la présidence du prince Henri XIII de Reuss, la Croix-Rouge prussienne jouit notamment du soutien du ministre de la guerre, le comte Albrecht von Roon, qui y voit le moyen de se doter de services sanitaires à peu de frais. Malgré la concurrence persistante des aristocrates de l’Ordre de Malte, dont témoigne le chirurgien Theodor Billroth dans des lettres écrites depuis les hôpitaux militaires de Wissembourg et Mannheim en 1870, l’organisation devient rapidement l’unique interlocuteur officiel du gouvernement, qui y nomme trois commissaires afin d’en surveiller les activités. La réunification des Etats allemands consacre bientôt la puissance de l’institution, qui est dotée d’un statut d’entreprise commerciale. A la différence du modèle fédéral de la Croix-Rouge autrichienne, les six sociétés nationales du pays, qui regroupent 250 000 membres, sont centralisées sous la coupe d’un comité supérieur établi à Berlin en vertu d’une ordonnance de 1869. En 1870 pendant la guerre contre la France, l’organisation sera complètement intégrée à l’armée, dont le nouveau département médical évacuera les blessés sur le front tandis que les auxiliaires civils de la Croix-Rouge allemande se chargeront des hôpitaux à l’arrière. Le nom du mensuel publié par la section prussienne est révélateur à cet égard : Kriegerheil (« Salut à toi, Soldat »).

-A partir de 1867, Suisse : la première conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Paris, pérennise l’existence du Comité International de Secours aux Blessés à Genève malgré les tentatives de récupération des délégués français, qui préconisent un déménagement vers leur pays. Impliqué dans le scandale de la faillite du Crédit Genevois, un établissement bancaire dont il est membre du conseil d’administration et à qui il a vendu ses carrières de Felfela en Algérie, Henry Dunant doit, de son côté, démissionner du Comité, où il est remplacé par un colonel de l’armée suisse, Edmond Favre. Le fondateur de la Croix-Rouge est en l’occurrence accusé par la justice de conflits d’intérêts, de tromperie et de malversation. En réalité, constate Angela Bennett, les avoirs algériens de Henry Dunant représentent seulement 1% du capital du Crédit Genevois, qui s’élève à 25 millions de francs suisses. Ils ne sont donc pas entièrement responsables de la banqueroute de l’établissement. Mais Henry Dunant est également suspecté d’être franc-maçon et homosexuel. Aussi part-il en exil à Paris, où il aidera le président de la Croix-Rouge française, le comte Emmanuel de Flavigny, à fuir la Commune de Paris en 1871. Désormais condamné à vivre dans la pauvreté, Henry Dunant fréquentera alors les milieux pacifistes. Il y lancera notamment une éphémère Œuvre internationale et universelle d’humanité en faveur des armées de terre et de mer, continuant d’utiliser le symbole de la Croix-Rouge en dépit des admonestations de Gustave Moynier. Revenu habiter la petite ville de Heiden dans l’est de la Suisse en 1887, Henry Dunant sera finalement redécouvert par un journaliste allemand et se verra décerner le prix Nobel de la Paix en 1901. De peur que les créanciers du Crédit Genevois ne raflent aussitôt la mise, il n’ira cependant pas recevoir sa récompense à Oslo. C’est un ami norvégien, le colonel Hans Daae, qui encaissera le prix Nobel dans un compte bancaire à son nom ! Du fait de l’hostilité personnelle de son président Gustave Moynier, qui n’a pas le charisme de Henry Dunant, le CICR, quant à lui, attendra encore une trentaine d’années avant de réhabiliter son fondateur en célébrant le centenaire de sa naissance en 1928.

-1868, France : un sénateur, le comte Charles Marie Augustin de Goyon (1803-1870), est nommé président de la « Société de secours aux blessés militaires des armées de terre et de mer ». Il y remplace le premier titulaire de ce poste, le général Raymond de Montesquiou, duc de Fezensac (1784-1867), qui avait combattu aux côtés de l’Empereur Napoléon Premier avant de se rallier au roi Louis XVIII, de participer à la conquête de l’Algérie et de devenir ambassadeur de Louis-Philippe d’Orléans à Madrid. A l’époque, l’ancêtre de la Croix-Rouge française demeure une organisation virtuelle et n’a quasiment pas de capacité opérationnelle. En dépit d’un décret de 1866 qui lui accorde un statut d’utilité publique, elle entretient d’ailleurs des relations exécrables avec l’état-major car les services médicaux de l’armée ne veulent pas de la concurrence de volontaires privés. Depuis Genève, il faut l’entregent du général Guillaume-Henri Dufour auprès de l’Empereur Napoléon III, dont il a été un instructeur, pour contourner les réticences des militaires français et leur faire admettre l’existence d’une société nationale de la Croix-Rouge.

-1869, Allemagne : les délégués de la deuxième conférence internationale des Croix Rouges, réunis à Berlin du 22 au 27 avril 1869, décident que les sociétés nationales s’occuperont aussi des catastrophes naturelles et des désastres civils afin de rester actives en temps de paix et de pouvoir mobiliser plus vite leurs ressources en cas de guerre. De son côté, le Comité de Genève, dont les cinq membres sont bénévoles, engage son premier employé en mai 1869 et est bientôt financé par les contributions des sociétés nationales. Celles-ci n’ont pourtant pas de représentants au sein du Comité, qui fait office de gardien des valeurs du mouvement et qui commence, en octobre 1869, à publier un Bulletin trimestriel au ton très neutre.