Présentation du mouvement humanitaire en BELGIQUE

 
Nombre d'ONG de solidarité internationale 104 ONG agréées par la DGCD en 1980, 226 en 1986, 221 en 1989, 85 en 1991, 151 en 1997, 125 en 2003, 135 en 2005, 125 en 2006 et 115 en 2008
Plates-formes d'ONG laïques CNCD (Centre National de Coopération au développement), depuis 1983 : une centaine de membres francophones réunies sous l’égide de l’Opération 11.11.11 pour collecter des fonds et mener des campagnes de plaidoyer
11.11.11, anciennement NCOS (National Centrum voor Ontwikkelingssamenwerking), depuis 1983 : une centaine de membres néerlandophones
Plates-formes d'ONG religieuses CIDSE (Coopération internationale pour le développement et la solidarité) depuis 1981 : organisation catholique initialement fondée à Bruxelles en 1967 sous le nom de Coopération Internationale pour le Développement Socio-Economique : 16 membres d’Europe et d’Amérique du Nord en 2008
ONG " parapubliques " n.d.
Statut des ONG ASBL : association sans but lucratif, loi du 27 juin 1921 telle que modifiée par la loi du 2 mai 2002
Avantages fiscaux défiscalisation partielle des dons
Système d'accréditation Ministères des finances et des affaires étrangères
Aide publique au développement
(APD)
€ 1,576 milliards en 2006
% APD/PNB 0,43% (2007)
% APD destiné aux ONG
(non compris les avantages fiscaux)
8% en 1988, 16% en 1997, 14% en 1998, 15% en 1999, 12% en 2000, 13% en 2001, 10% en 2002, 8% en 2003, 9% en 2004, 11% en 2007.
la proportion s’avère encore plus élevée si on la calcule par rapport aux seuls fonds déboursés par la DGCD. Elle atteint 9% en 1983, 10% en 1984 et 1985, 12% en 1988 et 1989, 11% en 1990, 12% en 1991, 15% en 1992 et 1993, 14% en 1994, 19% en 1995, 18% en 1996, 23% en 1997, 22% en 1998, 20% en 1999, 18% en 2000 et 21% en 2001 selon Gregor Stangherlin. Avec leurs fonds propres, les ONG représentaient déjà l’équivalent de 15% de l’APD belge en 1966, 14% en 1967, 20% en 1968, 14% en 1969 et 12% en 1970 d’après Baudouin Piret.
Proportion moyenne de financements privés dans les ressources des ONG de solidarité internationale

47% en 1993, 48% en 2006, 46% en 2007

Champs d'interventions géographiques des ONG, par ordre décroissant d'importance Afrique subsaharienne, Amérique latine/Caraïbes, Asie Est & Océanie, Asie Centre & Sud, Afrique du Nord/Proche orient
Institution gérant l'APD DGCD (Direction générale de la coopération au développement, Ministère des Affaires étrangères), ou ABOS (Algemeen Bestuur voor Ontwikkelingssamenwerking)
Organisme de contrôle des ONG DGCD/ABOS
Interface ONG / Etat ACODEV (Fédération francophone et germanophone des associations de coopération au développement), résultat de la fusion en 1997 de l’ADO (Association des ONG de développement) et de la CODEF (Fédération des ONG d’envoi de coopérants) : 86 membres en 1997, 90 en 2007
COPROGRAM (Vlaamse Federatie van NGOs voor ontwikkelingssamenwerking) : 62 membres en 1990, 66 en 2000, 70 en 2008
Financement public des ONG du Sud un peu

 




Ancienne puissance coloniale, lieu de carrefour et siège de l’exécutif européen, la Belgique est un pays très actif en matière de mobilisation associative et de solidarité internationale. Selon l’étude de Lester Salamon et Helmut Anheier, son secteur non lucratif disposait de ressources équivalant à environ 25 milliards d’euros en 1995, ce qui représentait 9,5% du produit intérieur brut et 10,5% de l’emploi non agricole, soit les taux les plus élevés du Vieux continent avec l’Irlande et la Hollande. Certes, on estime que seulement 50 773 des 82 123 associations enregistrées à l’époque étaient véritablement actives. Parmi ces dernières, à peine plus d’un tiers, soit 18 100, avaient des employés rémunérés et moins de 4%, soit 1 774, menaient des activités à l’étranger. Ainsi, les associations de développement belges n’employaient pas plus de 3 000 personnes en 2000, dont un maximum de 1 200 en expatriation. Leur budget cumulé, calculé à partir de 110 ONG, ne dépassait pas les 342,2 millions d’euros en 2002, contre 23,4 milliards d’euros pour l’ensemble du secteur associatif. Les 90 membres de l’ACODEV, la Fédération francophone et germanophone des associations de coopération au développement, ne pesaient par exemple que 272,5 millions d’euros en 2003 : moins que les ressources collectées à travers le monde par les différentes sections d’une seule ONG comme Médecins sans frontières. De fait, les associations belges sont, pour la plupart, très petites, si bien que 60% d’entre elles réunissaient à peine 7% du budget total du secteur non lucratif consacré à la solidarité internationale en 2002.

Des raisons tout à la fois historiques et politiques expliquent une pareille dispersion. Comme dans beaucoup d’autres pays européens, d’abord, le mouvement humanitaire en Belgique puise sa source dans trois principaux courants de pensée : la chrétienté ; la philanthropie bourgeoise issue de la Révolution industrielle ; la solidarité ouvrière. Les ONG de la première heure apparaissent en l’occurrence pendant l’entre-deux-guerres pour participer au développement des colonies ou à la reconstruction de l’Europe en ruines. La Caritas catholique, qui date de 1932, côtoie ainsi l’Entraide Socialiste (Socialistische Hulp), créée par le parti ouvrier en 1936 et ancêtre de Solidarité Socialiste (Fonds voor Ontwikkelingssamenwerking). Au cours des années 1960, la période des indépendance suscite ensuite de nouvelles vocations pour envoyer des coopérants dans les pays du Sud. Cette génération d’ONG émane notamment des milieux universitaires et démocrates chrétiens, avec Medicus Mundi en 1962, la Fondation Damien (Damiaanaktie) en 1964, Withuis en 1977 ou les Compagnons bâtisseurs de Coopibo en 1962, qui fusionneront avec les Flamands de Vredeseilanden et prendront le nom de Veco en 1998. Certaines sont d’ailleurs liées à des structures politiques, telles Entraide et Fraternité(Broederlijk Delen), en 1961, ou le Comité belge pour la Campagne mondiale contre la Faim, l’actuel SOS Faim, qui date de 1964. Parallèlement se mettent en place des plates-formes de coordination, les « coupoles », qui visent à rassembler les associations de solidarité internationale et qui frayent également avec les cercles du pouvoir. Mais celles-ci ne parviendront pas à résister aux tensions communautaires qui déchirent le royaume, à l’instar du CBVO/DKVO (Comité Belge pour le Volontariat Outre Mer/Belgisch Komité voor het Voluntariaat Overzee) et du CNCD/NCOS (Centre National de Coopération au Développement/Nationaal Centrum vor Ontwikkelingssamenwerking), qui naissent respectivement en 1964 et 1966.

Les années 1970 et 1980 constituent alors une période de turbulence pour le mouvement humanitaire en Belgique. Le « paternalisme » des associations caritatives traditionnelles, d’abord, est remis en cause par les « tiers-mondistes » qui veulent conscientiser l’opinion publique, politiser les actions de développement et ébranler les structures d’exploitation du système capitaliste. Dans cette veine, des syndicalistes chrétiens lancent par exemple en 1974 une ONG, Solidarité mondiale, ou WSM (Wereldsolidariteit), qui n’est pas insensible aux appels à la révolution des théologiens de la libération. La section belge d’Oxfam, Solidarité, qui date de 1964, se structure quant à elle en dehors de tout cadre institutionnel préexistant, même si le CNCD/NCOS finit par rassembler la mouvance des associations dites « progressistes ». Au cours des années 1980 émergent par ailleurs des ONG « sans-frontiéristes » qui, plus pragmatiques, délaissent la raideur idéologique de leurs aînées et visent d’abord à devenir des professionnelles, voire des « techniciennes » pures et dures. Les sections belges de Médecins sans frontières ou Handicap International, qui se constituent en 1980 et 1986, sont représentatives de cette tendance.

Mais ce sont surtout les tensions régionalistes du royaume belge qui mettent à mal l’unité du mouvement humanitaire. Chacune à leur tour, les « coupoles » d’ONG implosent à cause de désaccords entre Flamands néerlandophones et Wallons francophones. C’est par exemple le cas du Comité belge pour le Volontariat Outre Mer (CBVO), qui avait hérité en 1966 d’une structure lancée par des associations catholiques en 1963, l’ITECO (Internationale Technische Cooperatie). Formalisé en 1970 sous le nom d’INTERCODEV, ce Comité se scinde en deux entités en 1991 : le CODEF, qui fusionnera avec l’ADO (Association des ONG de développement) en 1997 pour former une Fédération francophone des associations de coopération au développement, l’ACODEV, d’une part ; et INTERCODEF-Vlaanderen, qui rejoindra la plate-forme flamande du COPROGRAM en 1994, d’autre part. Dans le même ordre d’idées, le Centre National de Coopération au Développement (CNCD), qui date de 1966, éclate en 1983. Tandis que les Francophones gardent le nom de CNCD, les Néerlandophones du NCOS (Nationaal Centrum vor Ontwikkelingssamenwerking) se retrouvent sous l’appellation de « 11.11.11 ». Constitué en 1976 par des associations qui refusaient de laisser au CNCD le soin de gérer les subventions du gouvernement, la plate-forme de COPROGRAM donne quant à elle naissance en 1989 à deux entités francophone et néerlandophone, l’ADO et COPROGRAM Vlaanderen. Au-delà des différences communautaires, enfin, les « coupoles » n’échappent pas aux tensions internes. Si les Néerlandophones du NCOS et de COPROGRAM collaborent étroitement, allant jusqu’à partager les mêmes locaux, les relations sont parfois tendues entre l’ACODEV et le CNCD…

Certes, de nombreuses ONG sont bilingues et appartiennent à la fois à l’ACODEV et à COPROGRAM, telles Oxfam-Solidarité, Max Haavelar et MSF-Belgique. Pour des raisons d’économie budgétaire, les deux plates-formes sont également capables de taire leurs divergences communautaires afin de mener ensemble des campagnes de collecte de fonds dans le cadre de l’Opération 11.11.11. Mais les Néerlandophones dominent des ONG bilingues comme Oxfam-Solidarité, Max Haavelar ou DMOS (Dienst Missie en Ontwikkelingssamenwerking), le Service de coopération missionnaire au développement (COMIDE), aujourd’hui connu sous le nom de Via Don Bosco. D’une manière générale, des différences politiques, culturelles et opérationnelles séparent les associations flamandes de leurs homologues wallonnes. Sur le plan géographique, les premières ont plus d’envergure, avec des interventions réparties de l’Afrique anglophone à l’Asie en passant par l’Amérique latine. Les secondes, en revanche, sont davantage concentrées sur l’Amérique du Sud et l’Afrique centrale francophone, essentiellement la République démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda. Quant aux quelques ONG germanophones, elles travaillent souvent au Cameroun, une ancienne colonie allemande. Les différences sont aussi d’ordre institutionnel. Les associations de développement flamandes s’avèrent plus professionnelles, plus riches et moins informelles que les wallonnes. Les critères introduits en 1991 pour sélectionner les partenaires susceptibles de recevoir des fonds publics ont d’ailleurs accentué la césure car les francophones ne remplissaient pas les nouvelles conditions requises en ce qui concernait leur évaluation, leur transparence et la tenue de leurs comptes. Pour ne pas raviver les tensions communautaires au sein de la mouvance associative, la coopération belge a alors dû assouplir le règlement de ses subventions en 1997.

En attendant, le NCOS est devenu le principal interlocuteur du gouvernement car son équivalent wallon, le CNCD, était trop politisé et moins représentatif. Sur la période 2003-2007, les sept associations de développement les plus financées par la coopération belge ont été flamandes ou bilingues. La ventilation du budget de la DGCD consacré aux ONG a été à l’avenant : entre 2000 et 2006, 33% sont allés aux néerlandophones et 42% aux bilingues, contre seulement 25% pour les francophones. Certes, parmi les 76 associations financées par la coopération belge pendant ce laps de temps, 37% étaient wallonnes, 21% flamandes et 18% bilingues. Dans le cadre de l’arrêté royal du 18 juillet 1997, déjà, 57 des 120 ONG habilitées à recevoir des subventions de la DGCD étaient francophones, 35 néerlandophones et 27 bilingues. Mais ceci s’explique par le fait que les associations de développement francophones sont plus nombreuses que les néerlandophones. Globalement, les flamandes restent mieux financées et moins dépendantes des fonds publics que leurs consoeurs wallonnes. Bien implantées dans les milieux chrétiens ou coopératifs, elles lèvent davantage de fonds privés, à raison de 52% du total de leurs ressources en 2001, contre une moyenne de 48% en 2006 pour l’ensemble des ONG belges selon l’ACODEV.

D’une manière générale, cependant, les associations de solidarité internationale dépendent beaucoup de l’argent du contribuable, essentiellement à travers la DGCD, qui gère entre la moitié et les deux tiers de l'aide publique au développement. A l’instar de la Hollande ou des pays scandinaves, la coopération belge s’appuie davantage sur les ONG que ses homologues d’Europe du Sud. En 2007, elle leur a ainsi attribué 11% de son budget, contre 2% en France, par exemple. Globalement, les subventions publiques fournissent 52% des associations de solidarité internationale, jusqu’à 77% si l’on inclut l’ensemble du secteur non lucratif à vocation sociale en Belgique. L’environnement législatif s’y prête bien, qui accompagne et facilite le développement des ONG. Depuis un premier arrêté royal qui a établi et reconnu le statut de volontaire outre-mer en 1964, des lois de 1976, 1980, 1983, 1991, 1997 et 2007 ont institutionnalisé le soutien des pouvoirs publics aux associations de solidarité internationale. En 1997, la réforme du secrétaire d’Etat à la coopération Réginal Moreels, un ancien président de la section belge de Médecins sans frontières entre 1986 et 1994, allait notamment autoriser la DGCD à cofinancer jusqu’à trois quarts du coût des programmes engagés par les ONG sur une base quinquennale. Ce pourcentage a ensuite été porté à 80% puis 85%.

Bien entendu, une relation aussi étroite avec les autorités n’a pas été sans incidences sur le fonctionnement des associations de solidarité internationale. Corrélativement à l’importance de ses subventions, la coopération belge a par exemple réduit la marge de manœuvre des ONG lorsqu’elle a décidé de recentrer ses efforts et ses financements sur un choix réduit de pays à partir de 1994. Elle a en outre resserré ses contrôles administratifs et comptables après plusieurs scandales qui ont agité le monde des associations et des « coupoles », en proie à des problèmes récurrents de gouvernance et de mauvaise gestion. En 1991, trois arrêtés royaux établissaient un système d’agrément des ONG de développement qui devait entraîner une réduction drastique du nombre d’associations soutenues par les autorités. En 2007, encore, la DGCD renforçait ses audits et réduisait de cinq à trois ans la durée de ses cofinancements. Suite aux pressions de l’Union européenne et de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui incitent régulièrement les Etats membres à harmoniser leurs politiques de coopération, elle a également imposé aux associations qu’elle subventionne des outils d’évaluation de plus en plus sophistiqués qui tendent à uniformiser la nature des actions menées dans les pays en développement. Aujourd’hui, les ONG belges sont ainsi confrontées au défi qui consiste à se professionnaliser sans renoncer complètement à une autonomie déjà très réduite.