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L'intelligence humanitaire

L’étude des ONG / Les critères

 
 

L'intelligence humanitaire


Au regard de la complexité des interventions dans les conflits armés, c'est finalement la lucidité politique qui permet de mieux comprendre la performance professionnelle d'une ONG. De fait, aucun des quatre autres critères précédemment énoncés ne suffit, en soi, à cerner les véritables intentions humanitaires d'une association de bienfaisance.

En effet, l'engagement idéologique d'une ONG ne préjuge pas forcément de la qualité de ses actions. Le soutien affiché à une guérilla peut se révéler positif pour peu que cette dernière respecte les lois de la guerre et tente d'éviter les abus. Parmi les différentes "branches humanitaires" des mouvements de lutte armée en Afrique, par exemple, l'ERA (Eritrean Relief Association) ou la REST (Relief Society of Tigray) se sont bien distinguées de coquilles vides comme la SRRA (Sudan Relief and Rehabilitation Association), au Soudan, et ont sincèrement cherché à aider les populations dans le besoin, respectivement en Erythrée et en Ethiopie. En d'autres termes, l'appui apporté à un belligérant importe moins que l'incapacité à apprécier la conduite de celui-ci. La justesse d'une cause politique ne suffit sûrement pas à certifier la valeur humanitaire d'une des parties en lice : combattre la junte islamiste au pouvoir à Khartoum, en l'occurrence, ne fait pas de la SRRA l'appendice démocratique d'une guérilla par ailleurs connue pour ses nombreuses exactions et atteintes aux droits de l'homme. De la même façon, les bonnes intentions d'un travailleur humanitaire n'excusent nullement son aveuglement.

Autre critère en discussion, l'impossible neutralité politique d'une ONG sur le terrain n'est pas forcément problématique en tant que telle, surtout quand elle traduit une réelle empathie avec les populations locales. Au contraire, on assiste à une politisation qui n'a rien de contradictoire avec des objectifs humanitaires et qui assigne aux associations de solidarité internationale une fonction de veille, de témoignage et de lobbying, notamment dans l'enceinte des négociations multilatérales sur la protection des réfugiés, les droits de l'homme, l'environnement ou l'établissement d'une cour de justice chargée de sanctionner les crimes contre l'humanité. Handicap International a beaucoup fait en faveur d'un traité bannissant l'usage des mines ; à force de pétitions, Médecins sans frontières, pour sa part, a réussi à obtenir une commission d'enquête parlementaire à propos du rôle de la France au Rwanda ; ceci sans parler de la diplomatie active de médiateurs comme la Communauté de Sant'Egidio, qui a permis de mettre fin à la guerre civile au Mozambique avec la signature des accords de paix à Rome en 1992.

La dépendance budgétaire vis-à-vis des bailleurs de fonds institutionnels n'est pas non plus un critère rédhibitoire, on l'a vu : les ONG peuvent diversifier leurs sources de financements publics pour échapper à la conditionnalité des programmateurs de l'aide et ne s'interdisent pas toujours de rompre un contrat lorsque la poursuite d'une opération d'assistance s'avère contre-productive. En outre, les financements privés des "donacteurs", qui participent de près au montage des programmes, ne sont pas dégagés de toute conditionnalité : des mécènes imposent parfois des contraintes géographiques ou thématiques à l'élaboration d'un projet humanitaire, ce qui n'est pas sans problèmes lorsqu'il s'agit de compagnies minières ou pétrolières déjà parties prenantes à un conflit.

L'absence de transparence, enfin, ne témoigne pas systématiquement d'une mauvaise foi des acteurs humanitaires, en particulier lorsqu'on songe aux petites associations du tiers-monde, qui travaillent sans moyens. De ce point de vue, la capacité d'autocritique et d'analyse d'un opérateur constitue sans doute le critère le plus déterminant en la matière. Dans l'urgence, seules certaines ONG savent prendre le temps de la réflexion pour tenter plus ou moins empiriquement de comprendre le contexte local et d'adapter leurs programmes en conséquence. Sachant le fort taux de rotation du personnel et une faible mémoire institutionnelle, il n'est pas facile de tirer les leçons du passé.