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Anti-Slavery International
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Historique

Anti-Slavery International - Historique




Années 1839-1899


-17 avril 1839, Grande-Bretagne : soutenue par les églises progressistes, la Société britannique et internationale contre l’esclavage est lancée sous le nom de BFASS (British and Foreign Anti-Slavery Society). L’initiative fait suite à la création à Londres, le 22 mai 1787, d’un Comité pour l’abolition du commerce des esclaves. Appuyé par les tories au pouvoir à l’époque, en l’occurrence le Premier Ministre William Pitt et le député William Wilberforce, celui-ci provenait essentiellement des milieux quakers, qui en composaient la quasi-totalité des douze membres à l’exception de son président Granville Sharp et de deux autres personnalités. En 1807, ledit Comité était ensuite devenu un organisme semi-officiel, l’Institut Africain, au moment où était votée une loi dont il devait surveiller l’application et qui abolissait le commerce des esclaves dans les colonies de la Couronne britannique. Soucieux de diffuser l’exemple abolitionniste et de promouvoir d’autres formes de commerce avec le continent noir, l’Institut Africain avait effectivement tenté de mettre fin à la traite transatlantique et d’encourager l’affranchissement des esclaves sur le modèle de la Sierra Leone, dont la capitale, Freetown, avait accueilli environ 14 000 personnes libérées par la justice britannique entre 1772 et 1778. Mais l’Institut n’avait pas lutté contre l’esclavage " domestique " à l’intérieur du continent noir et il ne s’était guère préoccupé du sort des affranchis laissés à eux-mêmes après leur libération. En 1823 était donc apparue une Société pour la modération et l’abolition progressive de l’esclavage dans l’Empire britannique, organisation où l’on retrouvait des membres de la première heure du Comité de 1787, avec Thomas Clarkson et William Wilberforce, ainsi que des Quakers et des notables comme Zachary Macaulay (un planteur de Jamaïque qui allait fonder un journal, l’Anti-Slavery Reporter, en 1825) et le député Thomas Fowell Buxton (1786-1845). A coups de pétitions auprès du Parlement, la Société obtint l’adoption de mesures visant à améliorer les conditions de vie et de travail des esclaves. Mais cela restait très insuffisant au regard des objectifs d’émancipation complète. En 1832, les militants les plus radicaux du mouvement, qui avaient fondé une Agence du Comité l’année d’avant, se séparaient alors de la Société de 1823 pour réclamer une abolition inconditionnelle et immédiate de l’esclavage. Plutôt que de rester à Londres, ils décidèrent de porter le message dans les campagnes et rallièrent à leur cause les femmes, qui, si elles n’avaient pas le droit de vote, pouvaient signer des pétitions ; plus de 187 000 d’entre elles rejoignirent ainsi la campagne de l’Agence du Comité. Leurs efforts ne furent pas vains. Le 29 août 1833, une nouvelle loi programmait l’affranchissement graduel des esclaves au bout d’une période d’apprentissage obligatoire de quatre à six ans. Afin d’apaiser la colère des maîtres, un tel dispositif permit pendant un temps de continuer à exploiter une main d’œuvre gratuite, y compris les enfants âgés de plus de six ans ; il fut finalement supprimé en 1838.

-12 juin 1840, Grande-Bretagne : avec des délégués venus de France et des Etats-Unis, la BFASS organise à Londres la première convention mondiale contre l’esclavage, qui se déroule dans le Hall des Francs-maçons. La conférence permet d’élaborer une position commune mais révèle aussi les divergences d’opinion des deux côtés de l’Atlantique, notamment à propos du rôle des femmes dans l’Angleterre victorienne, qui pratique la ségrégation des sexes. Des déléguées américaines, noires comme blanches, sont ainsi reléguées au rang de spectateurs et ne peuvent pas voter lors des débats. Autre sujet de litige, les Etats-Unis, très critiqués à cause du statut servile des Noirs dans le Sud, acceptent mal de recevoir des leçons de l’ancien colonisateur britannique alors qu’ils comptent 1 350 sociétés contre l’esclavage en 1838, avec 120 000 à 250 000 membres actifs. Un député de la Caroline du Sud, cité par Betty Fladeland, dénonce par exemple les interférences d’un pays qui traite les Irlandais en " esclaves " et où, selon lui, les conditions de vie du prolétariat sont pires que celles des esclaves aux Etats-Unis !

-1841, Grande-Bretagne : le Royaume Uni, la France, l’Autriche, la Prusse et la Russie signent un traité qui les autorisent à inspecter en haute mer les navires suspectés de transporter des esclaves.


-1843, Grande-Bretagne : à l’occasion d’une autre convention mondiale contre l’esclavage, la BFASS s’oppose au libre échange et défend des positions protectionnistes. Selon elle, la baisse des droits de douane entraînerait une hausse de la demande britannique pour le sucre cubain et brésilien, produit à faible coût grâce au travail des esclaves encore autorisés en Amérique latine. L’ouverture des frontières de l’Empire colonial ruinerait également les plantations de Jamaïque, où les esclaves ont été affranchis et qui bénéficient de relations commerciales privilégiées avec Londres. Mais le protectionnisme douanier a aussi pour inconvénient de renchérir le prix des importations de biens de consommation courante, ce qui suscite le mécontentement des couches populaires en Grande-Bretagne. En conséquence de quoi, des dissidents quittent la BFASS pour fonder un Comité Provisoire ayant l’ambition de concilier libre commerce et abolition de l’esclavage.

-A partir de 1850, Grande-Bretagne : délaissant la lutte contre la traite transatlantique, désormais très réprimée, la BFASS commence à dénoncer des formes d’exploitation moins connues, telle l’importation en Jamaïque de travailleurs gagés en Inde. L’organisation, qui appelle au boycott des biens produits dans les pays qui n’ont pas encore aboli l’esclavage, connaît alors un certain déclin dans les milieux populaires, plus préoccupés par l’amélioration des conditions de vie du prolétariat depuis que la Grande-Bretagne a interdit la traite. La BFASS perd des membres et ses ressources financières diminuent en conséquence.

-1861, Etats-Unis : les débuts de la guerre de sécession du Sud, qui refuse d’affranchir les esclaves noirs, prennent la BFASS de court. En Grande-Bretagne, bien des militants sont pacifistes et se refusent à soutenir militairement la cause du Nord abolitionniste ; quelques-uns ne restent pas insensibles à la propagande du Sud, qui dit lutter pour son indépendance et contre l’impérialisme yankee.

-1865, Etats-Unis : la fin de la guerre de sécession et la victoire du Nord, qui a affranchi les Noirs, placent la BFASS dans une situation difficile car celle-ci avait appelé à un cessez-le-feu qui aurait en l’occurrence fait le jeu des Confédérés du Sud, favorables à l’esclavage. D’une manière générale, le pacifisme de l’organisation s’avère souvent paradoxal quand il conduit à critiquer le gouvernement britannique, dont la marine veille précisément au respect des traités internationaux interdisant le commerce des esclaves.

-1867, France : la BFASS participe à la tenue d’une nouvelle convention contre l’esclavage qui se déroule à Paris et qui, grâce aux récits de l’explorateur britannique David Livingstone, sensibilise l’opinion publique à la traite des Noirs entre l’Afrique de l’Est et le monde islamique. Au cours des années 1870, l’organisation va ainsi faire pression sur Londres pour obliger le Khédive d’Egypte, le Sultan de l’Empire ottoman et le Shah de Perse à mettre fin au commerce d’esclaves dans leur pays.

-1884-1885, Allemagne : sous prétexte de combattre l’esclavage, la conférence de Berlin consiste en fait à partager le continent noir entre les grandes puissances européennes. La cause abolitionniste se retrouve à servir d’alibi à la colonisation de l’Afrique. Les contradictions sont flagrantes du côté britannique, où la BFASS a soutenu la conquête du Soudan par le fameux général Charles Gordon (1833-1885) alors même que celui-ci levait une armée d'esclaves pour faire respecter l'interdiction de la traite.

-1888-1890, Belgique : après avoir initié en Grande-Bretagne un débat parlementaire invitant les gouvernements à organiser et financer une conférence internationale sur l’esclavage, la BFASS obtient un succès d’estime à Bruxelles en 1890, où est signé le premier traité prévoyant de lutter effectivement contre la traite des Noirs par voie maritime ou terrestre, à l’intérieur du continent africain. Sous la houlette de son nouveau secrétaire général depuis 1889, Henry Richard Fox Bourne (1837-1909), la Société va alors se focaliser sur l’exploitation des peuples indigènes par les puissances coloniales. Cette nouvelle stratégie, qui conduit à se préoccuper du sort des Indiens au Pérou par exemple, amène la BFASS à se rapprocher de la Société pour la protection des aborigènes, l’APS (Aborigines Protection Society). Fondée en 1839 par des Quakers, celle-ci avait paradoxalement reçu le soutien du roi belge Léopold II, célébré à la conférence de Berlin de 1885 comme un philanthrope soucieux de combattre l’esclavage et de civiliser le continent noir avec son Association africaine internationale. Or l’Etat Libre du Congo, créé en 1884 et placé sous la souveraineté personnelle du roi, était rapidement devenu le domaine privé des sociétés concessionnaires, qui y affamèrent et y décimèrent la population africaine à coups de travaux forcés. Aussi l’APS devait-elle prendre ses distances avec Léopold II et même finir par mener campagne contre lui avec la BFASS et l’Association pour la réforme au Congo du journaliste Edmund Dene Morel (1873-1924), qui avait recueilli les témoignages des crimes commis sur place.

-1897-1935, Ghana : l’APS soutient la création de l’ARPS (Aborigines’ Rights Protection Society), qui est fondée à Cape Coast par le rédacteur en chef du Methodist Times, le révérend Samuel Richard Brew Attoh-Ahuma (1875-1921), et des chefs Fante de la côte qui s’inquiètent des velléités du colonisateur britannique de limiter leurs droits coutumiers sur la terre suite à un projet de loi en 1894. Composée de notables locaux tels que Joseph Peter Brown, un homme d’affaires d’origine royale, et John Mensah Sarbah, le premier avocat qualifié du Ghana, l’association, qui publie un journal, le Gold Coast Aborigines, est très légaliste et utilise seulement les moyens constitutionnels à sa disposition pour défendre les intérêts des " indigènes ". Dépassée par l’émergence d’un mouvement nationaliste à partir des années 1920, elle disparaîtra de la scène politique vers 1935.