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Reporters sans frontières - Commentaires




8) La capacité d’analyse


-Aux éditions de La Découverte, RSF a publié de nombreux "livres noirs" qui analysent en détail les atteintes à la liberté de la presse dans les pays étudiés. Par ailleurs, l’association a beaucoup contribué à nourrir en France les débats sur le métier de journaliste et, surtout, d’envoyé spécial ou de correspondant à l’étranger. Elle a également constitué la base de données qui a permis d’ériger dans la ville de Bayeux un Mémorial en l’honneur des journalistes tués dans l’exercice de leur profession. Concernant ses propres recensements annuels, RSF n’a cependant pas fait preuve d’une grande cohérence sur le plan méthodologique et scientifique. Comparée aux rapports publiés en version papier de 1990 à 2002, d’abord, la série disponible uniquement sur le site web de l’association depuis 2002 s’avère moins précise car elle n’inclut plus le « baromètre » qui récapitule les noms de chaque journaliste tué par pays. Certes, la catégorie ciblée paraît assez claire. L’association ne recense que les assassinats délibérés, officiellement prouvés et objets d’une procédure judiciaire dont l’enquête est close. Ainsi, les journalistes victimes d’un accident de voiture ou d’avion ne sont pas comptabilisés parmi les journalistes tués à cause de leur profession. Mais la couverture géographique de la recension de RSF est beaucoup plus vague. Les pays faisant l’objet d’un commentaire dans le rapport annuel ne sont pas forcément les mêmes d’une année à l’autre : le choix est laissé à l’appréciation du responsable de la zone géographique considérée. Pour autant, les pays qui ne sont plus mentionnés continuent en fait d’être suivis par les correspondant locaux. Si les rapports annuels mentionnent parfois moins de pays, la couverture géographique des études de RSF n’a donc pas diminué. Au contraire, elle tend à s’élargir puisque l’association est présente dans un nombre croissant de pays. Autrement dit, il n’est pas possible d’affirmer scientifiquement que l’augmentation des assassinats de journalistes (87 en 2007 et 88 en 2012, contre 55 en 1987) serait dû à un exercice de plus en plus dangereux de la profession. Le phénomène provient aussi de l’extension spatiale de l’appareil de captation statistique de RSF. De ce point de vue, il se pourrait fort bien que le nombre de journalistes tués ait en réalité diminué si l’on retenait les mêmes pays en 1987 qu’en 2007. Il convient à cet égard de relativiser les titres alarmistes de la presse qui, à partir des chiffres de RSF, tablent sur une dégradation de la situation et selon lesquels « les agressions de journalistes ont doublé en 2002 », « les agressions de journalistes à travers le monde se sont multipliées en 2003 » et « la liberté de la presse se détériore dans le monde et en Europe » (Le Monde du 2 mai 2003, 4 mai 2004 et 3 mai 2006).

-Les problèmes méthodologiques de RSF sont d’autant plus gênants que le « baromètre » de l’ONG fait partie d’un panier d’indicateurs que les économistes de la Banque mondiale utilisent pour apprécier le « risque pays », noter la « bonne gouvernance » des Etats en développement et décider du montant et de la nature des investissements des institutions financières internationales.

-A l’occasion, des collaborateurs de RSF ont aussi été critiqués du fait de leurs analyses « culturalistes » des problèmes du tiers-monde, par exemple lorsque l’association a soutenu l’auteur du livre"Noires fureurs, blancs menteurs", Pierre Péan, accusé d’incitation à la haine ethnique pour avoir écrit que les Tutsi du Rwanda étaient tous des menteurs. Cité par Le Monde du 12 septembre 2009, le secrétaire général adjoint de RSF, Hervé Deguine, avait ainsi affirmé : il « existe une spécificité historique et culturelle rwandaise qui explique pourquoi le génocide a eu lieu au Rwanda ». Dans un droit de réponse publié par Le Monde du 29 septembre 2009, Hervé Deguine nuançait cependant son propos en précisant qu’il voulait parler de particularités historiques, politiques, sociales, économiques et culturelles tout à la fois.

-D’une manière générale, les interrogations à propos de la capacité d’analyse de RSF sont du même ordre que celles portées à l’encontre d’autres organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International. Par manque de discernement, du fait d’un biais idéologique ou par proximité avec ses bailleurs de fonds institutionnels, l’association est ainsi accusée de pratiquer deux poids et deux mesures en se focalisant sur certains pays plutôt que d’autres. A en croire Diana Barahona et Jeb Sprague, RSF aurait notamment minimisé les atteintes aux droits de l’homme des régimes alliés aux Etats-Unis, tels le Mexique ou la Colombie, et au contraire diabolisé les gouvernements que Washington cherchait à renverser à Cuba, au Venezuela ou à Haïti du temps de Jean-Bertrand Aristide. Selon Salim Lamrani, l’association s’est particulièrement acharnée contre le régime de Fidel Castro, un des seuls contre lesquels Robert Ménard a demandé des sanctions économiques. De fait, RSF a été extrêmement réactif pour dénoncer l’emprisonnement de journalistes cubains dont l’arrestation n’avait parfois aucun rapport avec leurs écrits. En revanche, note Salim Lamrani, l’association a attendu cinq ans, jusqu’en 2006, pour se préoccuper du sort d’un journaliste soudanais de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera, Sami Mohy El Din Muhammed Al Hajj, enfermé par les Américains à Guantanamo sous de fallacieux prétextes de collusion avec les terroristes d’al-Qaïda. Les détracteurs de RSF, qui appartiennent généralement à la gauche altermondialiste, arguent par ailleurs que leurs critiques ne sont pas déterminées par leurs propres convictions : à meilleure preuve, ils ne s’en prennent pas à Amnesty International, qui ne ménage pourtant pas le régime castriste. Dans le fond, le soupçon de partialité qui pèse sur Robert Ménard vient surtout de son association malheureuse avec le CFC (Center for a Free Cuba) de Franck Calzon, une organisation fondamentalement politique, dirigée depuis Washington et lancée en 1997 par un exilé soupçonné d’avoir évolué dans une mouvance anti-castriste qui s’est rendue responsable de plusieurs attentats dans les années 1970 avec le Frente de Liberaçion Nacional Cubano.