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Comité catholique contre la faim et pour le développement
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Comité catholique contre la faim et pour le développement - Commentaires




6) Les relations avec les forces économiques


-Le CCFD milite en faveur d’un accroissement de l’aide publique au développement et d’une annulation totale de la dette des pays les plus pauvres. Il se distingue cependant des organisations les plus radicales, qui demandent une annulation immédiate et inconditionnelle de la dette de l’ensemble du tiers-monde. Ainsi, un responsable du CCFD, cité par le journal Libération le 10 septembre 2004, dénonçait " le cynisme " des Américains qui, soucieux de ne pas ponctionner le budget et les recettes pétrolières du gouvernement mis en place par Washington à Bagdad, voulaient annuler la dette de l’Irak avant celle des pays les plus démunis de ressources.

-Le CCFD plaide également en faveur d’une économie solidaire, par exemple avec des taxes sur les devises. La Sicav (Société d’investissement à capital variable) qu’il a créée en 1992, Eurco, vise ainsi à financer des programmes de développement et des actions humanitaires : la moitié du revenu de ses placements sont reversés au Comité et pour partie déductibles d’impôts. A la différence de la Sicav Libertés et Solidarité que la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) a lancée en 2001, le CCFD ne garantit cependant pas le caractère éthique des placements d’Eurco.

-Le CCFD, enfin, veut promouvoir un commerce équitable destiné à mieux rémunérer les petits producteurs du tiers-monde, notamment les paysans. Avec la Fédération Artisans du Monde en 1986, le Comité a ainsi créé Solidar’Monde, la première centrale d’achat française spécialisée dans ce domaine. Tandis que la Fédération veut continuer de privilégier des réseaux de proximité en partenariat avec les collectivités locales, le CCFD cherche à favoriser l'entrée des produits équitables dans la grande et moyenne distribution. Depuis 1998, il soutient ainsi le collectif " De l'éthique sur l'étiquette " et siège au conseil d'administration de l’association " Max Havelaar " dans la grande distribution. Tiré du titre d’un roman hollandais écrit en 1860 par Edouard Douwes Dekker pour dénoncer l’exploitation des paysans d’Indonésie, le label Max Havelaar est censé garantir l'origine équitable et la qualité des produits, cultivés selon des méthodes artisanales, ainsi que des conditions de travail et un revenu décents pour les producteurs du Sud. Introduite en France avec Artisans du Monde en 1974, l’idée d’un commerce équitable est en fait apparue en Hollande et en Grande-Bretagne vers 1960. L’association " Max Havelaar ", elle, a été lancée en Hollande en 1988 par un économiste de l’ONG Solidaridad, Nico Roozen, et un prêtre ouvrier, Frans Van der Hoff, qui s’était inspiré de son expérience avec une coopérative de paysans du Chiapas au Mexique en 1986. L’ensemble du processus de certification des produits équitables est aujourd’hui contrôlé par un collectif, FLO (Fairtrade Labelling Organisations) International, qui gère le label Max Havelaar.

-Un tel système soulève évidemment des doutes car il rémunère les vérificateurs, qui sont à la fois juges et parties. Des groupements de consommateurs, dont Familles de France et l’Union nationale des associations familiales, ont ainsi critiqué l’opacité des procédures de certification. En 2004, ajoute Christian Jacquiau, Max Havelaar a arrêté de publier ses bilans financiers malgré d'importants frais de communication. De fait, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s'est inquiétée des risques de publicité mensongère et de l'usurpation du mot label. En premier lieu, les auditeurs qui labellisent les producteurs n'ont pas pris l'engagement de pratiquer des tarifs équitables et ils facturent leurs prestations aux prix fort. De plus, le collectif FLO et Max Havelaar demandent dorénavant aux coopératives agricoles de payer à l'avance leur certification. Ils emploient ensuite des inspecteurs « indépendants » qui, pour continuer à vivre de leur métier, ne peuvent guère se permettre de contredire leurs commanditaires et de retirer les agréments déjà accordés. Selon Christian Jacquiau, qui dénonce le « bluff marketing » et les errements d'une société privée « autoproclamée en label par une association confessionnelle », Max Havelaar a par exemple reconduit la certification d'une coopérative agricole où des fonds étaient détournés, dont les dirigeants étaient corrompus et où les différentiels de salaires demeuraient importants. Le risque est aussi que l'association se retrouve à cautionner des multinationales dont les pratiques sociales et éthiques restent discutables dans les pays du tiers-monde. Depuis 2005 en Grande-Bretagne, FLO et Max Havelaar labellisent en l'occurrence du café éthiopien et salvadorien vendu par Nestlé, une société boycottée et critiquée pour son manque de respect des droits syndicaux et la promotion agressive de son lait en poudre auprès des mères, au détriment de l'allaitement au sein, qui immunise mieux les bébés contre les maladies. Dans le même ordre d'idées, en Suisse, l'association travaille depuis 2003 en partenariat avec les services de restauration rapide McDonald, qui ne sont guère réputés pour leurs produits artisanaux ! La revue Que Choisir, dans ses numéros 408 et 436 d'octobre 2003 et avril 2006, estime finalement que Max Havelaar est une marque commerciale et non une norme. Jusqu'en 2002, l'association se présentait d'ailleurs comme une « garantie » pour les petits producteurs, et non comme un « label ». En 2004, elle s'est ensuite retirée d'un comité de l'AFNOR (Association française de normalisation) chargé de standardiser l'appellation « équitable », ceci en rétorsion contre le gouvernement de Jean-Pierre Rafarin, qui tardait à verser à Max Havelaar des subventions initialement accordées par son prédécesseur Lionel Jospin en 2001.

-D'une manière générale, le commerce équitable n'est certainement pas la panacée des problèmes du tiers-monde. Concernant le café, note l'économiste Tim Harford, il conduit en effet à cultiver davantage alors que la faiblesse des prix est d'abord le résultat d'une surproduction qui devrait au contraire amener le paysan à diversifier ses activités. En outre, la garantie d'un prix minimum n'incite pas à améliorer la qualité du produit, pas plus qu'elle ne protège l'agriculteur contre les impayés. Encore faudrait-il aussi que le commerce équitable entraîne une différence de prix significative pour les paysans. Selon Tim Harford, seulement 10% du surcoût d'une tasse de café équitable revient effectivement au producteur. Le procédé permet surtout à la grande distribution de repérer les clients disposés à payer plus cher. Rédacteur en chef à Radio France Internationale, Jean-Pierre Boris considère pour sa part que le commerce équitable est un " phénomène de mode ", voire une " escroquerie intellectuelle ". Par ce biais, les Occidentaux s'achètent à peu de frais une bonne conscience alors que la part du créneau " équitable " dans les échanges avec le tiers-monde est négligeable et que les véritables problèmes se trouvent dans la disparition des grands accords internationaux de régulation des marchés. Le journaliste ajoute que les bénéficiaires du commerce équitable ne sont pas les paysans les plus pauvres mais les plus éduqués. En outre, la multiplication des commissions et des certificateurs réduit d'autant le prix versé au producteur : un tel système ne remet pas en cause l'inégalité des échanges et ne bouleverse pas les circuits commerciaux habituels car il dégage aussi des marges bénéficiaires et substitue simplement un intermédiaire à un autre. Christian Jacquiau est du même avis quand il dénonce une imposture qui ne tient pas ses promesses pour les cultivateurs et qui abuse de la confiance des consommateurs en les culpabilisant. D'après lui, Max Havelaar s'est trompé de cible en attaquant les petits intermédiaires plutôt que les gros torréfacteurs et en se focalisant sur les paysans et non les autres postes de travail d'une filière : emballeurs, transporteurs, transformateurs, prestataires de service, etc. En réalité, l'association a fait place nette en se débarrassant de la concurrence. Elle a notamment éliminé les petits intermédiaires, accusés de vouloir monopoliser les marchés pour faire baisser les cours alors même que leur prélèvement sur le prix de vente du café était équivalent à la commission que prend Max Havelaar, autour de 2%. Or l'association a seulement privilégié les producteurs les mieux organisés et les plus faciles d'accès. Les paysans isolés ont été laissés pour compte, abandonnés par les petits intermédiaires qui prenaient la peine d'aller dans les villages reculés et d'acheter les récoltes en des points très disséminés.

-Les engagements du CCFD sur les filières où travaille l’association " Max Havelaar " ne doivent donc pas laisser penser qu’en payant plus cher son thé ou son café en France, le consommateur va forcément permettre au producteur de toucher une rémunération plus importante. Ainsi au Burundi, où le CCFD soutient depuis 1996 la restructuration de la filière du café dans le cadre d’un programme de la Banque mondiale, l’association " Max Havelaar " n’intervient pas car l’Etat fixe les prix d’achat à tous les niveaux, de la récolte jusqu’à l’exportation du produit traité et torréfié, qui subit les aléas des cours mondiaux sans que cela ait une incidence directe sur la rémunération du paysan. Au mieux, le CCFD peut essayer de faire pression sur les pouvoirs publics pour augmenter les tarifs pratiqués et défendre les droits des petits producteurs, ou bien aider les paysans à améliorer leur revenu en diminuant les coûts de production et en entretenant mieux les plantations. Dans cette perspective, le partenaire local du Comité, l’INADES-Formation, a mis en place des comités de surveillance pour éviter les tricheries au moment de la pesée des cerises de café, et des centres de collecte pour réduire de moitié le coût du transport des planteurs qui, à l’écart des 143 usines de traitement du pays, vendaient à l’avance leur récolte sur pied, au risque de s’endetter à vie. Toutefois, de tels efforts ne suffisent assurément pas à déterminer les prix du café et à mobiliser les paysans. En 2004, par exemple, l’augmentation des tarifs du kilo de café, passés de 100 à 120 francs burundais à la récolte et de 450 à 475 après déparchage, était en fait un rattrapage des prix, bloqués depuis 1998. Avec des SOGESTAL (Sociétés de gestion des stations de lavage) déficitaires depuis 2001, les rémunérations proposées aux paysans ne restent pas moins très faibles, si bien que de nombreux planteurs burundais préfèrent vendre leur production en contrebande au Rwanda voisin, où les prix du café sont deux fois supérieurs depuis que la filière a été libéralisée et que la vente directe est autorisée sans passer par l’intermédiaire de l’Etat. Au Burundi, au contraire, les pouvoirs publics et les SOGESTAL continuent de subventionner les intrants (engrais, insecticides, produits phytosanitaires) et de vendre à perte un café lavé qui, traité par les paysans eux-mêmes dans des centres de dépulpage manuels, est de moindre qualité que le " fully washed " des stations de lavage industrielles. Les planteurs ont d’autant moins pu améliorer leurs revenus que la production annuelle d’arabica, qui tournait autour de 30 000 tonnes au début des années 1990, a commencé à décliner en 1995 et est tombée en dessous des 20 000 tonnes, avec un plancher de 7 000 tonnes lors de la sécheresse de 2003. Au-delà des aléas du climat, l’intensification des combats en 1997 et les déplacements forcés de population ont empêché de fertiliser, de désherber, de pailler et, d’une manière générale, d’entretenir correctement les plantations. Dans un tel contexte, les tentatives du CCFD en vue d’améliorer la rémunération des paysans demeurent un vœu pieux. Dans un fascicule édité par son directeur Pascal Baridomo, l’INADES-Formation utilise ainsi le conditionnel pour dire que l’agence gouvernementale chargée de la filière " voudrait donner aux associations la possibilité de vendre directement leur café et de profiter du commerce équitable ".