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Commission internationale de juristes
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Historique

Commission internationale de juristes - Historique




Années 1950


-1952, Allemagne : le Congrès international des juristes est fondé par des juges, des professeurs et des praticiens du droit à la suite d’une conférence qui se tient à Berlin à l’initiative d’avocats américains. Son objectif initial est de surveiller les atteintes aux droits de l’homme en Europe de l’Est, d’une part, et de promouvoir la primauté de l’Etat de droit pour protéger les citoyens de gouvernements arbitraires, d’autre part. L’organisation rend notamment hommage à un avocat ouest-allemand, Walter Linse, qui dénonçait le totalitarisme des régimes communistes et qui, enlevé à Berlin par des agents de l’Est en juillet 1952, est condamné à mort pour « espionnage » et exécuté un an après à Moscou. D’emblée, la CIJ s’inscrit ainsi très profondément dans le contexte de la guerre froide. Parmi ses fondateurs, on trouve par exemple Benjamin Shute, un avocat devenu directeur des services de renseignement alliés en Allemagne de l’Ouest, et Eli Whitney Debevoise, un ancien gouverneur adjoint de la zone d’occupation américaine. D’après Howard Tolley, la CIJ est d’ailleurs en grande partie une création de la CIA (Central Intelligence Agency) pour contrer son équivalent communiste de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, l’IADL (International Association of Democratic Lawyers). Dans la lutte idéologique que se livrent les deux grandes puissances, Washington souhaite en effet soutenir des ONG susceptibles de propager les valeurs des démocraties occidentales. Or aux Etats-Unis, des associations comme l’International League for Human Rights refusent précisément les subventions du gouvernement afin de préserver leur indépendance politique. Les fondations privées américaines, quant à elles, sont dans la ligne de mire du sénateur Joseph McCarthy, qui a lancé une chasse aux sorcières contre les organisations suspectées de sympathies communistes. Pour la CIA, la CIJ présente donc l’avantage de créer à l’étranger une officine qui échappe aux contraintes de la politique intérieure des Etats-Unis et qui peut contrer la propagande soviétique à Berlin, en plein sur la ligne de front entre les deux grandes puissances. L’objectif, en l’occurrence, n’est pas seulement de dénoncer les régimes communistes, mais aussi de critiquer des pays alliés dont les violations des droits de l’homme finissent par embarrasser Washington sans que ses diplomates puissent réagir officiellement, notamment en ce qui concerne la dictature franquiste en Espagne ou la politique coloniale de la France en Algérie.

-1953, Hollande : grâce au soutien financier des Américains, le comité permanent du Congrès international des juristes se pérennise et prend définitivement le nom de CIJ (Commission internationale de juristes). Avec un secrétariat basé à La Haye, l’organisation, qui opère initialement depuis Berlin, maintient pendant deux ans des bureaux à Munich et Istanbul pour accueillir les réfugiés en provenance d’Europe de l’Est et hésite un moment à travailler clandestinement de l’autre côté du rideau de fer.

-1954, Hollande : la CIJ, qui commence à publier un Bulletin, reste sous l’emprise des services secrets de Washington. Son secrétariat de La Haye, notamment, est directement géré par des agents de la CIA, avec l’avocat Robert Bass et Edward Kozera, un Polonais qui a d’abord travaillé pour Radio Free Europe et qui a été recruté par l’agence américaine en avril 1954. A quelques exceptions près, comme Benjamin Shute et Eli Whitney Debevoise, les juristes qui composent la Commission ne sont pas au courant, eux, des financements secrets de Washington. En effet, Edward Kozera prend soin de leur dissimuler les informations relatives au budget de l’institution ; renvoyé pour détournements de fonds en 1964, celui-ci partira d’ailleurs en volant le fichier des 40 000 donateurs de l’organisation.

-1955-1956, Grèce, Allemagne : la CIJ tient en juin 1955 son premier congrès international à Athènes, où une section grecque a été établie avec l’aide de la CIA. L’organisation profite de l’occasion pour élargir son mandat de la promotion de l’état de droit à la défense des victimes de violations des droits de l’homme. La CIJ essaie également d’étendre son réseau en créant des sections nationales à travers l’Europe. Officiellement lancée en avril 1955, une des premières d’entre elles se trouve tout naturellement en Allemagne de l’Ouest. Placée sous les auspices de Hermann Weinkauff, président de la Cour suprême à Karlsruhe, celle-ci n’échappe d’ailleurs pas aux controverses de la guerre froide. Un de ses fondateurs, Horst Erdmann, est en effet un ancien commandant des jeunesses nazies qui, sous le nom de Theo Friedenau, se fait passer pour un avocat juif autrefois emprisonné par la Gestapo. Recherché par les Soviétiques, il dénonce le totalitarisme communiste et certains de ses informateurs sont accusés d’espionnage, voire enlevés et condamnés à la prison par les Allemands de l’Est. En 1956, Theo Friedenau doit brusquement quitter la CIJ lorsque l’Association Internationale des Juristes Démocrates révèle son passé nazi.

-1956, Hongrie : dans un communiqué en date du 5 novembre 1956, la CIJ condamne l’intervention militaire soviétique en Hongrie et demande à la communauté internationale de ne pas reconnaître le gouvernement fantoche mis en place à Budapest. Lors d’une session aux Nations Unies à Genève l’année suivante, l’organisation dénonce à ce propos les violations par Moscou du traité de paix de 1947, des Conventions de Genève de 1949 et du pacte de Varsovie de 1955.

-1957, Grande-Bretagne : constitué avec l’avocat Peter Benenson, futur fondateur d’Amnesty International, le groupe JUSTICE est officiellement lancé en janvier 1957 et devient la section britannique de la CIJ en juin suivant. Présidée par un avocat, Norman Mash, et dirigée jusqu’en 1982 par Tom Sargant, l’association a initialement pour objectif de suivre les procès du régime de l’apartheid contre les leaders de l’African National Congress en Afrique du Sud, d’une part, et du gouvernement communiste contre le Premier ministre dissident Imre Nagy en Hongrie, d’autre part. Mais à partir de 1958, JUSTICE se focalise sur la Grande-Bretagne et laisse à la CIJ le soin de se déployer à l’étranger. Proposé par Peter Benenson, son acronyme ne sera donc jamais officialisé car il fait référence à une vague coalition d’ONG destinées à défendre les libertés civiques à travers le monde : la Joint Union of Societies to Insure Civil Liberties in England and Elesewhere.

-A partir de 1958, Hollande : à la suite d’une réunion de son comité exécutif à La Haye les 7 et 8 juillet 1958, la CIJ décide de déménager son secrétariat à Genève et cherche à acquérir une dimension transcontinentale en multipliant le nombre de sections nationales, qui passe de 20 en 1958 à 31 en 1963, 34 en 1965 et 58 en 1970. Le mouvement s’étend notamment en Afrique, avec la création de Liberty à Lagos en 1961, de Freedom & Justice à Accra en 1962 et de l’Association sénégalaise d’études et de recherches juridiques à Dakar en 1965. Mais le manque de moyens financiers et la répression de régimes autoritaires freinent le développement des sections nationales au Sud du Sahara. Au Libéria, par exemple, l’avocat Christian Cassell est rayé du barreau pour avoir écrit un papier « infamant » à l’occasion d’une conférence de la CIJ à Lagos en 1961. D’une manière générale, l’organisation ne parvient guère à s’enraciner dans les pays en développement. L’Europe de l’Ouest compte ainsi les sections les plus actives de la CIJ, 12 sur un total de 31 en 1963. A l’exception de l’Australie, de la Grèce et de la Turquie, les autres ne sont souvent que des associations fantoches, même en Amérique du Sud et du Nord.

-1959-1960, Inde : sous la conduite de son nouveau président, l’Indien Vivian Bose, la CIJ tient son deuxième congrès international à New Delhi le 10 janvier 1959. Malgré la pression grandissante des représentants du tiers-monde pour démarrer des enquêtes contre les régimes coloniaux plutôt que contre les dictatures communistes, l’organisation continue de concentrer ses attaques sur les pays du bloc soviétique. Fondateur d’un parti socialiste que l’on dit très lié à un sous-marin de la CIA, le Congress for Cultural Freedom, le secrétaire général de la section indienne de la CIJ, Purshottam Trikamdas, focalise ainsi ses efforts d’investigation sur le gouvernement communiste de l’Etat de Kerala. Dans le même ordre d’idées, il conduit une mission d’enquête sur l’invasion chinoise du Tibet en 1959 afin de vérifier s’il s’agit d’un crime de génocide tel que défini par la Convention de 1948. Interdit d’entrée en Chine, il doit en l’occurrence se contenter d’entretiens avec la suite du Dalaï Lama en exil en Inde. Publié en juin 1960, son rapport avance le chiffre non vérifié de 65 000 morts, parle de stérilisation forcée et conclut que l’éradication du culte bouddhiste vise effectivement un groupe religieux mais ne relève pas à proprement parler d’une tentative de génocide en vue d’exterminer le peuple tibétain.