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Commission internationale de juristes
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Historique

Commission internationale de juristes - Historique




Années 1960


-1960-1968, Afrique du Sud : la CIJ publie en novembre 1960 son premier rapport sur le régime de l’apartheid. Dès décembre 1956, l’organisation avait en l’occurrence envoyé avec l’ONG britannique Christian Aid un observateur, Gerald Gardiner, pour assister aux procès intentés contre des membres de l’ANC (African National Congress) de Nelson Mandela. En octobre 1958, elle avait ensuite dépêché sur place un Norvégien, Edvard Hambro, et deux avocat de JUSTICE, Frederick Lawton et Louis Blom-Cooper, auxquels devait succéder un Australien, Edward St John, en février 1959. A partir de novembre 1963, c’est finalement un Britannique, John Arnold, qui s’en va suivre les procès de Rivonia contre Nelson Mandela et la branche armée de l’ANC. A l’époque, la CIJ a encore l’espoir de pouvoir dialoguer avec les représentants du régime de l’apartheid. Arguant que son père a combattu avec les Boers contre les Britanniques en 1901, le nouveau secrétaire général de l’organisation, l’Irlandais Sean MacBride, essaie ainsi de nouer des contacts en 1963 avec le ministre de la justice, un avocat afrikaner du nom de Balthazar Johannes Vorster. En vain : le régime reste sourd aux appels des défenseurs des droits de l’homme et l’Afrique du Sud devient la cible des attaques de la CIJ, qui publie deux rapports très critiques à son sujet en 1967 et 1968.

-1961-1986, Nigeria, Sénégal, Kenya : avec un Anglophone, le Nigérian Adetokunbo Ademola, et un Francophone, le Sénégalais Isaac Forster, la CIJ organise à Lagos en janvier 1961 une première conférence de juristes africains qui recommandent la rédaction d’une Convention des droits de l’homme. Soutenue par le président Léopold Senghor, la proposition est de nouveau discutée lors d’une réunion organisée à Dakar par l’Association sénégalaise d’études et de recherches juridiques en janvier 1967. Relayé par les pays anglophones autant que francophones, le projet est finalement retenu par l’Organisation de l’Unité africaine après une autre conférence à Dakar en 1978. Adoptée au sommet de Nairobi en 1981, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples tarde cependant à être ratifiée. La CIJ doit battre le rappel en organisant une conférence à Nairobi en décembre 1985, un peu moins d’un an avant l’entrée en vigueur de la Charte le 21 octobre 1986.

-1962, Brésil : la CIJ, qui tient son troisième congrès international à Rio de Janeiro du 11 au 15 décembre 1962, demande l’établissement de cours régionales des droits de l’homme en Amérique latine. Mais la Commission concentre surtout ses attaques contre le régime marxiste de Fidel Castro à Cuba et résiste aux pressions de ses adhérents qui demandent aussi des enquêtes sur les dictatures alliées aux Etats-Unis à Haïti et à Saint-Domingue. Le parti pris de l’organisation semble évident. Publié en 1962, son rapport d’enquête sur Cuba, par exemple, cite uniquement des témoins anonymes qui sont en fait des réfugiés politiques aux Etats-Unis. Dans le même ordre d’idées, explique Philip Agee, la CIJ ouvre en Equateur en 1962 une section qui est dirigée par un agent de la CIA, Juan Yepez del Pozo.

-1963, Suisse : Sean MacBride, qui est déjà président d’Amnesty International, devient secrétaire général de la CIJ en octobre 1963. Cumulant les deux mandats, il cherche à se rapprocher des juristes d’Europe de l’Est et se heurte à la résistance du comité exécutif de la Commission, qui refuse d’élargir son mandat à la défense de la liberté de la presse et de s’engager en faveur d’une politique de désarmement susceptible de conduire à l’établissement permanent d’une armée onusienne de la paix. A la conférence de Bangkok, qui réunit des juristes asiatiques en février 1965 et qui se veut le pendant du précédent de Lagos en janvier 1961, Sean MacBride obtient cependant que les congrès du mouvement se préoccupent dorénavant de veiller à l’application du droit, et pas seulement à sa définition. Résultat, l’organisation précipite la création de sections nationales et multiplie les envois d’observateurs à divers procès de par le monde. Parallèlement, son budget général passe de $350 000 en 1962 à $415 000 en 1967, auxquels s’ajoutent un compte spécial de $60 000 pour financer les enquêtes à l’étranger.

-1964, Panama : la CIJ enquête sur des émeutes qui ont fait 27 morts dans la zone du canal en janvier 1964. Son rapport critique l’armée américaine, qui a tiré dans la foule, et la police panaméenne, qui n’a pas su calmer le jeu. Mais la Commission absout les Etats-Unis, qui ont décidé d’ouvrir le feu seulement après avoir été attaqués. Les socialistes panaméens dénoncent en conséquence le parti pris d’une organisation financée par Washington.

-1965, Guyana : à la demande des autorités en juin 1965, la CIJ enquête sur des troubles qui ont ensanglanté la colonie britannique à partir d’avril 1964. Son rapport se focalise sur les inégalités sociales et raciales, notamment à propos des Indiens, qui représentent 50% de la population mais seulement 20% des effectifs de la police. Bien que boycottée par l’opposition de gauche, la CIJ essaie en l’occurrence de rester impartiale et refuse en conséquence les propositions de financements de Londres ou du gouvernement guyanais. L’organisation, qui s’érige en tribunal, s’ingère néanmoins dans les affaires intérieures du pays en recommandant l’établissement d’un ombudsman plutôt que l’instauration de quotas ethniques.

-1966, Suisse : lors de son quatrième congrès international, qui se tient à Genève en 1966, la CIJ maintient en poste tous les membres de son comité exécutif et modifie ses statuts de façon à éviter que le budget soit discuté en session plénière. Une pareille opacité est d’autant plus inquiétante que l’organisation a attendu jusqu’en 1963 pour commanditer un premier audit financier qui a révélé de graves irrégularités et abouti au renvoi d’Edward Kozera. Certains membres de la Commission, tel l’Australien Edward St John, cherchent en conséquence à réformer la gouvernance interne d’une ONG dont la structure exécutive s’inspire du modèle américain du Council of Foreign Relations, avec des membres cooptés à parité entre les Républicains et les Démocrates. Sachant qu’il n’y a qu’un poste à pourvoir par pays, la CIJ privilégie en l’occurrence le recrutement de juristes proches des gouvernements plutôt que des partis d’opposition. Délaissant les femmes, elle n’élit pas non plus les présidents de son comité exécutif, qui, jusqu’en 1959, sont simplement cooptés ou renouvelés dans leurs fonctions.

-1967, Etats-Unis : au moment de poser sa candidature au Conseil économique et social des Nations unies ECOSOC (Economic and Social Council), la CIJ est accusée par le New York Times du 19 février 1967 d’être financée par les services secrets américains. Dans son édition du 26 février suivant, le Washington Post révèle ainsi que 97% du budget annuel de la Commission provient de sa section américaine, l’American Fund for Free Jurists, qui reçoit des subsides de la CIA (Central Intelligence Agency) via des fondations factices. Le secrétaire général de la CIJ, Sean MacBride, rétorque qu’il ignorait l’origine de ces fonds et soutient que ceux-ci n’ont pas influencé les prises de positions de l’organisation. L’affaire, souligne-t-il, s’inscrit en outre dans le contexte d’une attaque en règle de la part des pays communistes, qui critiquent les associations américaines de défense des droits de l’homme afin de négocier la réadmission à l’ECOSOC de deux organisations expulsées, officiellement parce qu’elles avaient fustigé la politique des Nations Unies pendant la guerre de Corée, en réalité parce qu’elles servaient les intérêts de Moscou, à savoir : l’International Association of Democratic Lawyers en juillet 1950 et la Women’s International Democratic Federation en avril 1954. Grâce à la réputation tiers-mondiste de Sean MacBride et à son engagement en faveur de l’indépendance de la Namibie, la CIJ parvient alors à rallier les voix des pays en développement pour être finalement agréée par le Conseil économique et social des Nations unies à New York. Mais l’arrêt des subventions secrètes de la CIA plonge la Commission dans une grave crise financière et l’oblige à se séparer de la plupart de ses employés. La CIJ est désormais contrainte de solliciter ouvertement le soutien de gouvernements occidentaux et de partenaires privés comme la Fondation Ford, qui sauve momentanément l’organisation du dépôt de bilan.

-1968, Tchécoslovaquie : faute de moyens financiers, la CIJ ne publie pas les résultats de l’enquête qu’elle a menée sur l’écrasement du printemps de Prague par les tanks soviétiques en 1968. Suite au scandale de 1967, l’organisation cherche en effet à contrecarrer son image pro-américaine et délaisse désormais les pays communistes pour concentrer ses efforts d’investigation sur les dictatures de droite. Dans les années 1970, elle se focalise ainsi sur le Chili, Israël ou l’Afrique du Sud et n’enquête pas sur les exactions des régimes marxistes au pouvoir en Ethiopie, en Corée du Nord, à Cuba ou en Albanie.

-1969, Japon : nouvellement créée, la section locale de la CIJ tient sa première assemblée générale à Tokyo en mars 1969. A l’exception de Hongkong, colonie britannique où existe une branche du groupe JUSTICE, la Commission ne parvient cependant pas à s’implanter durablement en Asie. A l’époque, seule l’Inde dispose d’une section vraiment active. Dans la région, les autres sont soit moribondes, soit réprimées par les dictatures en place. U Chan Htoon, qui avait organisé une section birmane en 1959, a ainsi été destitué par les militaires de son poste à la cour suprême et placé en résidence surveillée de 1963 à 1967. Etablie à Karachi en février 1966 et dirigée par Iqbal Kazi, la Pakistan Rule of Law Society n’a pas non plus réussi à résister aux tensions politiques qui ont miné la junte du général Agha Mohammad Yahya Khan. Composée à parité de juristes en provenance des parties orientale et occidentale du pays, elle ne survivra pas à la guerre civile qui conduira à l’indépendance du Bangladesh en 1971.