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Commission internationale de juristes
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Commission internationale de juristes - Commentaires




9) La capitalisation d’expérience


-De par sa fonction d’investigation, la CIJ bénéficie évidemment d’une grande capacité d’analyse. En témoigne la qualité des articles publiés dans la Revue de la Commission internationale de juristesde 1957 à 1998. Certaines de ses missions de terrain ont en revanche été moins convaincantes, à la fois sur le plan méthodologique et opérationnel. Sur 17 rapports d’enquête étudiés par Hans Thoolen et Berth Verstappen, par exemple, 4 ne prenaient pas du tout soin de recouper leurs informations pour en vérifier l’exactitude. Après une tentative malheureuse de médiation dans la colonie britannique du Guyana en 1965, la CIJ a certes essayé de développer une approche plus neutre et plus factuelle à partir de témoignages directs, plutôt que d’affidavits recueillis auprès de réfugiés politiques. Parce qu’elle s’interdit de mener des missions clandestines, cependant, l’institution contacte généralement les autorités du pays concerné en leur demandant au préalable de faciliter le séjour sur place de ses enquêteurs, au risque de voir leur travail orienté par des gouvernements soucieux d’encadrer leurs conclusions. Pour dégager un consensus parmi ses juristes, en outre, la Commission ne publie pas d’opinions dissidentes et minoritaires dans ses rapports. Le problème s’est d’ailleurs retrouvé dans les procès où, le plus souvent, la CIJ n’envoyait qu’un seul observateur, en l’occurrence des avocats en exercice choisis pour l’occasion, plutôt que des employés permanents de l’organisation. Dans les années 1970 et 1980, la Commission finançait ainsi cinq voyages par an en moyenne, dont un quart pour suivre des procès en Afrique du Sud. Or ses observateurs parlaient rarement les langues locales et ne restaient pas plus de deux semaines en mission. En principe, ils n’étaient pas ressortissants du pays concerné afin d’éviter les conflits d’intérêts. Mais il y a eu des exceptions avec les Palestiniens des territoires occupés, la CIJ arguant que les Juifs ne s’étaient pas gênés pour enquêter eux-mêmes sur l’antisémitisme. Aujourd’hui encore, les missions d’enquête ou d’observation de la Commission ne durent guère plus d’une semaine, ce qui laisse fort peu de temps pour recouper des témoignages.

-Comme pour toutes les ONG de défense des droits de l’homme, il est finalement difficile d’apprécier l’exactitude et l’impact des efforts d’investigation de la CIJ. Par ses pressions, ses publications et ses rapports d’enquête, l’institution se vante d’avoir réussi à assouplir la position de certains gouvernements, à l’instar de Ceylan, qui a abrogé les dispositions les plus restrictives de l’état d’urgence proclamé pour juger avec des lois rétroactives les auteurs d’une tentative de putsch en janvier 1962. Dans un communiqué de presse du 8 janvier 1966, par exemple, la CIJ ne s’est pas embarrassée de considérations diplomatiques pour dénoncer les exécutions sommaires de la junte militaire à Bujumbura. Le retentissement médiatique donné à l’affaire a alors obligé les autorités burundaises à plus de retenue. Cela étant, il convient de faire la part des choses. En 1976, le Chah d’Iran a ainsi adopté les recommandations d’une mission de la CIJ pour réformer les tribunaux militaires et le code pénal. Mais l’ouverture du régime répondait surtout aux pressions diplomatiques du président américain Jimmy Carter, qui avait menacé de suspendre ses livraisons d’armes si la situation des droits de l’homme ne s’améliorait pas. Dans le même ordre d’idées, la CIJ dit avoir contribué à la libération du professeur Ofusu Amaah au Ghana en 1973, des avocats Juan María Bandrés et Miguel de Castells en Espagne en 1976 ou de l’opposant José Esteban González au Nicaragua en 1981, qui a été opportunément relâché peu avant la publication d’un rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Mais les dénonciations de l’institution ont aussi pu compromettre ses collaborateurs sur place. En Uruguay, notamment, Alberto Ramón Real a dû démissionner de la CIJ car il craignait des représailles de la part des militaires après avoir été emprisonné pendant un mois suite à la publication d’un rapport de l’organisation sur la situation des droits de l’homme dans ce pays en 1974.

-En d’autres termes, il s’avère que les efforts d’investigation de la Commission peuvent avoir un impact positif et négatif tout à la fois. La remarque vaut pour le travail que fournit la CIJ en vue de rédiger et promouvoir des conventions internationales qui, désormais, sont soutenues par des coalitions d’ONG. En effet, l’influence de la Commission est en quelque sorte diluée dans une nébuleuse d’associations de défense des droits de l’homme. La CIJ elle-même ne cherche pas toujours à mettre en évidence son rôle dans la préparation d’avant-projets qui, à force d’être amendés, finissent parfois par être complètement dénaturés. En fournissant une expertise juridique à des instances onusiennes où siègent les représentants de dictatures, la Commission est également consciente qu’elle risque de légitimer des gouvernements criminels et de leur fournir un prétexte pour retarder les tentatives de réformes par des manœuvres dilatoires.

-En conclusion, il apparaît que la CIJ n’a pas encore pleinement analysé l’impact de ses activités. L’institution a parfois été évaluée par ses bailleurs, tel le Ministère des Affaires étrangères hollandais dans le cadre d’une étude réalisée en 2003 par Todd Landman et Meghna Abraham. En 2011, le secrétaire général de la CIJ, Wilder Tayler, disait par ailleurs commanditer des évaluations biennales. A la différence de son partenaire palestinien al-Haq (Law in the Service of Man), cependant, la Commission ne publie pas les résultats de ses évaluations et ne met pas leurs rapports en ligne sur Internet. L’institution a plusieurs fois eu l’occasion de se remettre en question, notamment lors du scandale de 1967, de l’écroulement de l’Union soviétique en 1991 ou de la crise financière qui l’a obligée à interrompre des programmes puis à déménager ses bureaux en 2006. Mais sur le long terme, l’historiographie officielle de l’organisation manque de distance critique. Lucian Weeramantry, notamment, se contente d’une analyse très technique, ne dit rien des soutiens de la CIA et s’efforce essentiellement de réhabiliter l’institution pour laquelle il a travaillé, quitte à décrier le livre de Howard Tolley.