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Comité inter-mouvements auprès des évacués
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Historique

Comité inter-mouvements auprès des évacués - Historique




Années 1960


-Mars-juin 1961, Portugal : par l’intermédiaire du Conseil œcuménique des Eglises et de la Fédération universelle des Associations chrétiennes d’étudiants, la CIMADE organise vers la France et via l’Espagne l’évasion d’une soixantaine d’étudiants africains lusophones engagés dans la lutte pour l’indépendance et surveillés par la police du régime conservateur d’Antonio de Oliveira Salazar, la PIDE (Polícia Internacional de Defesa do Estado). Les gouvernements du Sénégal et du Congo-Brazzaville fournissent de vrais faux passeports ; Jacques Beaumont conduit les convois et est brièvement arrêté par le police franquiste au moment du passage de la frontière à Hendaye ; Eduardo Mondlane, leader du Frelimo (Front de libération du Mozambique) et à l’époque professeur aux Etats-Unis, réceptionne les évacués en France. Parmi eux, la plupart des futurs chefs des mouvements armés puis des partis uniques au pouvoir dans les ex-colonies africaines du Portugal : Joachim Chissano et Manuel Pascoal, respectivement Président et Premier Ministre du Mozambique ; Manuel Videira, Ministre du Développement en Angola ; Pedro Pires Rodrigues, Lopes da Silva et José Arauje, respectivement Président et Ministres des Finances et de la Justice du Cap-Vert ; Carlos Alberto Dias da Graça, Premier Ministre de São Tomé. Certains d’entre eux, tels Pedro Pires Rodrigues et Lopes da Silva, sont portés déserteurs car ils faisaient leur service militaire dans les troupes coloniales de l’armée portugaise. Une fois en France, beaucoup regagnent les maquis de l’Afrique portugaise via l’Allemagne et le Ghana. Favorable à l’indépendance des colonies depuis le début des années 1950, la CIMADE commence ainsi à s’engager politiquement et affiche clairement son objectif de « faire sortir du Portugal des éléments qui seront les ferments de l’élite angolaise pour se joindre à la lutte de libération ».

-A partir de 1967, Vietnam : la CIMADE travaille au Nord comme au Sud. En février 1968, elle participe avec le CCFD, la LDH, le parti communiste français, la Confédération générale des travailleurs et le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) à l’armement d’un bateau à destination du Nord, bateau dont certains diront qu’il a apporté de la logistique aux combattants communistes dans le Sud.

-23-24 mars 1968, France : la CIMADE participe à un colloque parisien intitulé « Christianisme et Révolution ». Le père Olivier Maillard, de Frères du Monde, une association fondée en 1958 et favorable aux indépendantistes en Algérie, y déclare : « Le problème n’est pas de choisir la violence, nous y sommes acculés. Le problème est d’assumer les situations de violence ». Soucieuse de ne pas sortir de son mandat humanitaire, la CIMADE refuse alors de signer la déclaration finale, qui proclame « le droit pour tout chrétien, comme pour tout homme, de participer au processus révolutionnaire, y compris par la lutte armée ». Cette année-là, le Comité intègre par ailleurs dans ses statuts l’élargissement de son action en direction du tiers-monde. Sa décision reflète la tendance de la plupart des Eglises protestantes occidentales à l’époque, qui se préoccupent de plus en plus des pays du Sud. La conférence mondiale du Conseil œcuménique des Eglises à Montreux en 1970 leur recommande ainsi de consacrer 2% de leurs ressources à l’aide au développement.

-1969, Nigeria : contrairement à la plupart des structures protestantes réunies au sein du Conseil oecuménique des Eglises, la CIMADE n'envoie pas de secours aux Ibo du Biafra, qui ont proclamé leur indépendance en 1967 et qui meurent de faim depuis qu'ils ont été complètement encerclés par les troupes fédérales en 1968. Il faut dire que le secrétaire général de la CIMADE, Jacques Beaumont, est acquis aux positions de la junte du colonel Yakubu Gowon, qui exerce un blocus impitoyable contre les sécessionnistes et qui interdit aux organisations humanitaires de ravitailler les rebelles. Contacté à Paris par Sam Ikoku, un des rares Ibo à avoir rallié le parti des Yorouba (l' Action Group ) et des fédéraux (il se mettra plus tard au service de la dictature Sani Abacha en 1994), Jacques Beaumont s'est rendu sur place pour rencontrer le chef du gouvernement et a monté une "Association France-Nigeria" pour faire pendant au "Comité pour le Biafra" lancé par un ambassadeur gaulliste, Raymond Offroy, autrefois en poste à Lagos en 1960. Sans dire qu'il agit pour le compte du colonel Yakubu Gowon, qui finance son association, Jacques Beaumont essaie de convaincre les membres du Conseil oecuménique des Eglises d'arrêter le pont aérien et clandestin qui alimente les rebelles de nuit malgré l'interdiction du gouvernement nigérian. Arguant que l'aide humanitaire prolonge inutilement les hostilités, il essaie notamment de persuader les responsables religieux qui s'inquiètent des compromissions avec les Biafrais et, par contrecoup, du sort des Eglises protestantes du côté nigérian après la fin de la guerre. Son opposition au ravitaillement des rebelles est essentiellement de nature politique puisqu'il sera ensuite favorable à des distributions alimentaires dans des situations où, là aussi, les secours contribuent à renforcer la capacité de nuisance des belligérants. Devenu responsable des opérations de l'UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'Enfance) en Indochine, Jacques Beaumont organisera ainsi en 1979 l'approvisionnement du Kampuchéa démocratique, pays soutenu par le Vietnam et l'Union Soviétique, mais délaissera les camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise, infestés de Khmers Rouges et appuyés par les Américains. Promu directeur des opérations d'urgence de l'UNICEF, il s'occupera aussi de secourir les victimes de la famine en Ethiopie en 1984, également dans un régime « marxiste ». Dans le cas du Biafra, sa position correspond en l'occurrence à l'analyse de la gauche française, qui se range avec l'Union Soviétique du côté des fédéraux par hostilité aux sympathies gaullistes pour les sécessionnistes. Face aux idéaux progressistes et panafricanistes de Kwame Nkrumah au Ghana, les rebelles sont accusés de balkaniser le continent en étant des agents de l'impérialisme et des sociétés pétrolières. En réalité, les Biafrais prônent une émancipation révolutionnaire de la « race nègre », tandis que la junte du colonel Yakubu Gowon est contrôlée par les conservateurs du Nord musulman, alliés traditionnels des Britanniques. L'association France-Nigeria de Jacques Beaumont est quant à elle soutenue par les milieux d'affaires français, qui s'inquiètent de ce que les déclarations du président Charles de Gaulle en faveur du Biafra menacent leurs intérêts du côté nigérian.