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Médecins Sans Frontières - Commentaires




6) Les relations avec les forces politiques


- Les positions de MSF à propos d’un conflit armé ne relèvent pas d’une idéologie partisane à proprement parler. Dans son livre, Michèle Manceaux, qui travaillait pour MDM, s’étonnait par exemple qu’en 1985, MSF ait dénoncé les exactions de la junte marxiste en Ethiopie et non le bombardement de civils par la dictature militaire pro-américaine au Salvador. Mais les abus n’avaient pas la même ampleur et n’étaient pas de nature identique. En Ethiopie, c’est directement la logistique humanitaire qui était détournée à des fins militaires pour déporter la population vers le Sud, vider le Nord du pays et priver les guérillas du soutien de la paysannerie. La question qui se posait était de savoir si la poursuite de l’aide n’était pas contre-productive. Le propos n’était pas d’adopter l’attitude des gouvernementaux occidentaux qui, selon le journaliste Peter Gill, avaient adopté deux poids et deux mesures en condamnant d’emblée le programme de réinstallation d’Addis-Abeba alors même qu’au Soudan en 1984, ils soutenaient l’Opération Moïse d’exfiltration des Juifs éthiopiens, les Falasha, et fermaient les yeux sur la corruption de la dictature pro-américaine à l’époque au pouvoir à Khartoum.

- Contrairement à une idée répandue, la diversité des sensibilités personnelles et les activités politiques de certains membres du mouvement ne permettent pas non plus d’affirmer que MSF serait une organisation "de droite" ou MDM une association "de gauche". L’extension et l’internationalisation du mouvement ont sans doute désamorcé le risque de dérive idéologique qui avait menacé MSF-France au moment de l’affaire de la Fondation "Libertés sans frontières". D’un côté, l’engagement de MSF aux côtés des Palestiniens au Liban ou des Sandinistes au Nicaragua a fait dire à Paul Berman que l’association était « la branche médicale des mouvements de guérilla progressistes du monde entier ». De l’autre, quelques-unes des interventions de MSF à ses débuts ont pu prendre une coloration partisane et anticommuniste au Cambodge, en Ethiopie, en Afghanistan, en Russie et en Chine. Au moment de la famine éthiopienne de 1984, par exemple, l'association a dénoncé les exactions de la junte marxiste mais pas des guérillas du Nord, qui attaquaient les convois d'aide humanitaire pour obliger la population à quitter les régions tenues par le gouvernement et à venir chercher de la nourriture dans les zones « libérées ». De même en Afghanistan, MSF a critiqué les violations du droit humanitaire par l’Armée Rouge, mais pas par les moudjahidine. En URSS entre 1988 et 1989, encore, l’organisation a envoyé quatre missions clandestines pour recueillir les témoignages de citoyens internés malgré eux dans des asiles, dénoncer les abus de la médecine locale et s’opposer à la réintégration de la section soviétique de l’Association mondiale de psychiatrie, qui l’avait exclue de ses rangs en 1983. En Chine en 1989, MSF a également tenté de secourir les manifestants de Tien-an-men alors que la capitale était déjà largement pourvue en médecins. En Afghanistan à partir de 1980, l’association a aussi bravé les autorités communistes en arguant qu’une action de prévention humanitaire serait plus efficace à l’intérieur des zones tenues par les moudjahidine, plutôt qu’en "fin de parcours", dans les camps de réfugiés au Pakistan. D’après des analystes comme Helga Baitenmann, la décision de n’intervenir que du côté des "combattants de la liberté" traduisait en réalité un refus de négocier avec le gouvernement mis en place par les Soviétiques à Kaboul. Le caractère clandestin des opérations a obligé à corrompre les douaniers pakistanais et les passeurs afghans, alimentant tout un réseau mafieux de profiteurs de guerre. Et les caravanes de médicaments se sont greffées sur les transports d’armes de la rébellion. De plus, les opérations de MSF à l'époque étaient financées par des organisations américaines et anticommunistes, le National Endowment for Democracy et l'International Rescue Committee, qui soutenaient ouvertement les moudjahidine en lutte contre l'Armée Rouge. A sa manière, l’association a donc pu participer à l’entreprise de réarmement moral des néo-conservateurs de Washington. Entre 1983 et 1985, notamment, Claude Malhuret a plusieurs fois été invité aux Etats-Unis par un sénateur républicain, Gordon Humphrey, qui avait mis en place l’Opération Cyclone de la CIA (Central Intelligence Agency) pour financer la résistance afghane.

- Aujourd’hui, on peut également se demander pourquoi les médecins sans frontières, si virulents à propos de l’Ethiopie communiste en octobre 1985, n’ont pas été plus démonstratifs à propos de l’Ouganda, pays très bien coté par la Banque mondiale et les Etats-Unis. A partir de septembre 1996, les Acholi du Nord ont en effet été regroupés de force à l’intérieur de camps ravitaillés par les humanitaires et « protégés » par l’armée ougandaise en vue de vider les campagnes et d’isoler les rebelles de la LRA (Lord Resistance Army). Selon Adam Branch, certaines agences d’aide ont ainsi contribué à pérenniser et contrôler des sites qui, sans elles, n’auraient pu perdurer sans provoquer des émeutes locales ou des protestations jusque dans la capitale. Partant, elles ont légitimé la stratégie de Kampala et perpétué une crise humanitaire qui n’aurait pas eu lieu d’être si les paysans avaient été autorisés à retourner chez eux cultiver leurs terres. Au regard des Conventions de Genève de 1949, il s’agissait pourtant d’un crime de guerre du fait que des civils avaient été placés dans des camps contre leur volonté, qu’ils n’y avaient pas été protégés et que leur enfermement ne répondait à aucune nécessité militaire, par exemple au moment d’une offensive de l’armée ougandaise. Le silence de MSF-Hollande, qui intervenait dans la région à l’époque, n’en paraît que plus étonnant.