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Oxford Committee for Famine Relief
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Oxford Committee for Famine Relief - Commentaires




2) Le fonctionnement interne


-Parmi les ONG internationales étudiées par Hetty Kovach et al., Oxfam est une de celles qui a le mode de gouvernance le plus démocratique pour assurer une représentation géographiquement équilibrée de ses affiliés et interdire à une minorité de diriger seule l’organisation. A des degrés divers, le constat s’applique aussi aux sections nationales d’un mouvement qui fonctionne surtout au consensus, au risque de ralentir la prise de décisions. L’évolution d’Oxfam-Australia, qui a tenu à Melbourne sa première assemblée générale au niveau national, en 1966, est significative. Au départ, CAA évoquait plutôt une affaire de famille puisque son fondateur et premier directeur, Gerard Kennedy Tucker, devait céder la place à son neveu, David Scott, en 1962. Présidé par Gerard Kennedy Tucker de 1962 à 1969, David Scott de 1970 à 1980, John Birch de 1981 à 1982, Brian Hobbs de 1983 à 1987, Helen Gow de 1988 à 1989 et Judy Henderson de 1990 à 1992, Oxfam-Australia s’est ensuite doté en 1967 d’un comité national qui représentait les groupes de province mais qui n’a compté aucune femme jusqu’en 1973. C’est très progressivement que la gouvernance interne de l’organisation allait s’améliorer. Sous la présidence de Jo-Anne Everingham, qui a cédé sa place à Judy Mitchell cette année-là, Oxfam-Australia a par exemple décidé en 2002 d’organiser des élections à l’échelle du pays pour permettre aux volontaires de participer à la nomination des membres de son Conseil d’administration.
 
-Si les expatriés envoyés sur les terrains de crise sont tous salariés, la plupart des différentes branches d’Oxfam continuent de travailler dans leur pays de siège avec de nombreux bénévoles qui sont notamment chargés de collecter des fonds. Selon Gregor Stangherlin, par exemple, les Magasins du Monde de la section belge emploient 3 000 des 7 000 à 8 000 bénévoles que comptent les ONG de développement en Wallonie et à Bruxelles en 2001. A 90%, il s’agit de femmes au foyer assez éduquées et proches de la retraite, avec une moyenne d’âge de 58 ans. En Angleterre, leur profil est assez similaire et leur réseau social fournit une bonne partie de la clientèle des boutiques de l’organisation : d’après Sarah Stroup, la directrice d’Oxfam-UK, Barbara Stocking, l’a d’ailleurs appris à ses dépens lorsqu’elle a provoqué une chute des ventes en voulant professionnaliser ces structures. Malgré sa structure et son budget dignes d’une multinationale, l’organisation cherche ainsi à conserver son esprit caritatif et volontaire. Dans les années 1970, la section britannique a introduit des règles pour que le salaire des personnels soit inférieur d’environ 15% au prix du marché, jusqu’à 60% au niveau de la direction. Un système similaire a été adopté à CAA, où, d’après Susan Blackburn, les différences de salaires sont restées moindres que dans le privé et les autres ONG australiennes. Tous les employés des diverses sections nationales du mouvement sont par ailleurs syndiqués, en particulier aux Etats-Unis où, de l’aveu même de Raymond Offenheiser, les relations de la Service Employees International Union avec la direction ont parfois été tendues. De fait, le mouvement a connu une croissance impressionnante de ses ressources humaines et financières. Au fil des ans, Oxfam-UK est devenu la plus grosse association de solidarité internationale en Grande-Bretagne. En 1964, elle employait deux expatriés et 225 personnes en Angleterre, dont 135 au siège à Oxford. Mais en 1999, elle comptait un bon millier d’employés et environ 500 expatriés à travers le monde. Résultat, constate David Wilson, le développement et l’autonomisation des départements du marketing et de la collecte de fonds ont provoqué des incompréhensions, voire des tensions avec les services chargés de la mise en œuvre des programmes à l’étranger. Des volontaires ont eu le sentiment que les logiques économiques prenaient le pas sur l’engagement humanitaire. En effet, les opérations d’urgence n’ont pas seulement été décidées en fonction des besoins, mais aussi des opportunités de financements, à l’instar des autres ONG. Directeur adjoint d’Oxfam-UK, Nicholas Stockton admettait ainsi qu’en 1999, son organisation avait dépensé 140 fois plus par habitant au Kosovo qu’en Sierra Leone ou au Congo-Kinshasa, où les taux de mortalité étaient pourtant dix fois supérieurs.
 
-Concernant les secours à l’étranger, le mode de fonctionnement de l’association a beaucoup évolué. A ses débuts, Oxfam-UK s’appuie largement sur les réseaux missionnaires pour monter des projets opérationnels. A Calcutta en Inde jusque dans les années 1960, par exemple, il finance Don Bosco, qui gère un collège technique à Liluah, et les Jésuites, qui tiennent des « maisons de l’amour » (snehasadan) pour accueillir les enfants de la rue ; à Tamale au Ghana, encore, il soutient les projets agricoles des pères blancs. Il faut dire qu’à sa naissance, le Comité d’Oxford est très influencé par des personnalités religieuses. Ainsi, ses premiers présidents sont des révérends, à savoir Theodore Richard Milford, de 1942 à 1947 puis de 1960 à 1965, et Henry Roberts Moxley, de 1947 à 1960. De 1972 à 1977, l’organisation est ensuite présidée par Michael Rowntree, un Quaker qui avait servi dans une Friends’ Ambulance Unit pendant la Seconde Guerre mondiale et auquel succéderont Chris Barber en 1984, Mary Cherry en 1990, Joel Joffe en 1995 et Rosemary Thorp en 2002. Les sections québécoise et australienne d’Oxfam sont, pour leur part, issues de milieux catholiques et protestants respectivement. CAA, par exemple, pénètre le sous-continent indien à partir de 1955 par l’intermédiaire de Quakers comme Pierre Oppliger, un Suisse, et Laurie Baker, une volontaire qui gère un hôpital dans l’Uttar Pradesh. Initialement fondée par les Jésuites sous le nom de Mission y Desarrollo (Mission et Développement) en 1952, la section espagnole d’Oxfam-International, qui date de 1956, a une approche religieuse encore plus marquée puisque Intermón se transforme en Fondation laïque en 1986 seulement.
 
-Au cours des années 1960, cependant, Oxfam-UK devient directement opérationnel sur le terrain et commence à envoyer des expatriés sur le terrain. Dans les pays en guerre, certains collaborateurs du mouvement y laisseront d’ailleurs leur vie. Selon un calcul d’Oxfam-America en avril 1980, le Salvador est un des plus touchés à cet égard : au total, 17 employés locaux seront tués par l’armée et 300 bénéficiaires des projets de l’organisation disparaîtront, vraisemblablement liquidés par des escadrons de la mort. Au Liban, deux collaborateurs seront enlevés en 1988. En Afrique du Sud, un employé d’Oxfam-UK, Alex Mbatha, sera torturé par la police de l’apartheid en 1981 et une employée de NOVIB, Evelyn Zinanga, mourra dans un accident de voiture en 2001. Le sida emportera par ailleurs son contingent de victimes, dont 9 des 296 collaborateurs locaux de l’organisation dans les camps de réfugiés du nord de l’Ouganda en 1996-1997…
 
-Autre difficulté, très visible en situation d’urgence, l’envoi d’expatriés pour des missions courtes, avec un fort taux de rotation, conduit souvent à marginaliser les employés nationaux, qui ont pourtant une meilleure connaissance du terrain de l’intervention. A propos des secours apportés aux rescapés du tsunami de décembre 2004 au Sri Lanka, Abhijit Bhattacharjee et al. notent ainsi qu’Oxfam-UK commet quelques erreurs en privilégiant le recrutement de Cinghalais au détriment des Tamouls et en proposant des salaires trop élevés pour pouvoir être maintenus par la suite. Trop centralisée, l’organisation freine les initiatives locales, quitte à se dédire en revenant dès janvier sur sa décision de ne pas construire d’abris provisoires pour les victimes de la catastrophe. Le siège veut notamment contrôler toutes les informations recueillies sur le terrain, ce qui retarde et pénalise d’autant les efforts de coordination avec les autres organisations humanitaires.
 
-Depuis la vague tiers-mondiste des années 1970, le mouvement préfère généralement financer des initiatives locales plutôt que d’envoyer des expatriés. Son évolution n’est d’ailleurs pas sans rappeler le cas d’ACORD (Agency for Co-operation and Research in Development), une ONG parrainée par Oxfam-UK en 1976. A ses débuts, cette dernière a d’abord tenté de travailler avec les gouvernements du tiers-monde, en particulier les autorités municipales. Mais, à partir de 1980, la mode libérale et les plans d’ajustement structurel de la Banque mondiale l’ont conduit à essayer de contourner des Etats corrompus en encadrant directement les programmes par des expatriés, quitte à s’institutionnaliser et à augmenter ses coûts administratifs. A partir de 1986, ACORD a ensuite tenté de confier ses projets et ses activités génératrices de revenus à des organisations locales plus ou moins formalisées.
 
-Qu’il s’agisse de créer ou de soutenir une ONG déjà existante, l’idée d’Oxfam est en fait de favoriser des processus de développement endogène plutôt que de placer les bénéficiaires dans une relation de dépendance par rapport à l’aide étrangère. L’objectif est également de mieux répondre aux besoins en prenant soin de consulter la population avant de démarrer un projet. Théoriquement, Oxfam choisit des partenaires qui ont accès aux victimes, les traitent de façon impartiale, rendent des comptes, sont efficaces, autorisent à venir vérifier le déroulement de leurs opérations et ne dépendent pas que des subventions étrangères pour subsister. Un tel mode de fonctionnement a l’avantage d’associer la population au suivi et à l’évaluation des programmes. Mais il présente également le risque de multiplier à l’envi les micro-projets et de ne pouvoir empêcher la récupération de la logistique humanitaire à des fins politiques, comme en Tanzanie à partir de 1972, au Nicaragua à partir de 1980 ou en Ethiopie à partir de 1984. Autre difficulté, Oxfam risque de se retrouver à soutenir des structures en porte-à-faux avec les valeurs humanitaires du monde occidental, qu’il s’agisse d’émanations de mouvements de guérillas ou de groupes militants. Enfin, passer par le relais d’ONG locales ne garantit nullement que la population va s’approprier les projets de développement. Au Burkina Faso, note par exemple Marie-Christine Guéneau, les banques de céréales montées par Oxfam dépérissent et voient leur fonds de roulement s’amenuiser quand les intervenants extérieurs arrêtent de les financer.