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Oxford Committee for Famine Relief
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Commentaires

Oxford Committee for Famine Relief - Commentaires




9) La capacité d'analyse


-Basé dans des villes universitaires comme Oxford en Grande-Bretagne et Boston aux Etats-Unis, Oxfam a l’habitude de participer aux débats publics et scientifiques sur les enjeux du développement. L’organisation a par exemple lancé des publications académiques comme Development in Practice et Gender and Development, respectivement en 1991 et 1992. Historiquement, son conseil d’administration a toujours compté un certain nombre d’universitaires, tel Hugo Slim en Grande-Bretagne. D’une manière générale, la capacité d’analyse du mouvement s’apprécie dans l’évaluation interne de ses activités, la capitalisation d’expérience de certains volontaires, l’élaboration de codes de conduite, la rédaction de manuels et la production d’études fouillées.
 
-A ses débuts, l’organisation n’évaluait pas ses activités car elle n’avait tout simplement pas les moyens d’envoyer sur le terrain quelqu’un vérifier les opérations qu’elle finançait. Cité dans le livre de John Clark publié en 1991, un ancien d’Oxfam-UK regrettait par exemple l’absence de curiosité sur les programmes terminés il y a cinq ou dix ans. Dans bien des cas, disait-il, il était probable que ses collègues «  ne savaient même pas si le projet avait perduré, s’il avait servi à quelque chose et à qui ». Par la suite, cependant, Oxfam-UK a commencé à s’interroger plus finement sur la qualité et la pertinence de ses programmes, tandis que ses bailleurs multipliaient les évaluations de terrain. Des augmentations de salaires ont notamment permis de favoriser la capitalisation d’expérience et de retenir les employés en réduisant la proportion de ceux qui quittaient l’organisation au bout d’un an : un cinquième dans les années 1980, contre un tiers dans les années 1970. L’objectif affiché a alors été de mieux partager les informations acquises sur le terrain dans le cadre d’un programme lancé par le Comité d’Oxford en 1996, le Cross Programme Learning Fund. Depuis lors, Oxfam-UK a aussi entrepris en 2005 de faire évaluer une partie de ses programmes par ses partenaires à travers le monde.
 
-Une fois n’est pas coutume, l’effort d’introspection a abouti à la publication en 2006 d’une synthèse dirigée par Geoffrey Salkeld et réalisée pour un montant de $400 000. Bien que les cas d’étude et le nom des partenaires évalués n’aient pas été rendus publics, l’analyse a eu le mérite de pointer les limites d’une organisation qui restait trop européano-centrée et anglophone. Geoffrey Salkeld et ses collègues ont notamment regretté que les différentes branches du mouvement ne partagent pas les mêmes outils d’analyse, ne recourent pas aux mêmes indicateurs, ne mutualisent pas assez leurs moyens, ne produisent pas ensemble leurs données ou leurs rapports et ne commanditent pas des évaluations répondant à un canevas commun. Dans certains pays, en outre, seule la section britannique d’Oxfam appliquait les standards du Project Sphere, qui n’étaient pas utilisés par les autres organisations membres du mouvement. Autre problème mis en évidence : l’absence d’articulation et de coordination entre les distributions de secours et les campagnes de plaidoyer. Au final, Geoffrey Salkeld et ses collègues ont expliqué ne pas avoir obtenu suffisamment d’informations de la part des partenaires pour apprécier l’efficacité globale du mouvement, qui reste en débat, y compris sur le plan financier.
 
-Les autres sections Oxfam n’ont certes pas été les dernières à essayer d’évaluer leurs activités. En Australie, CAA a entrepris sa première évaluation interne en 1976, en l’occurrence à propos de l’Inde, où l’organisation a dû réorienter ses efforts en mettant davantage l’accent sur la promotion des femmes, en améliorant l’accès aux populations les plus pauvres et en diversifiant des programmes trop concentrés géographiquement dans le Maharashtra et le Gujarat, deux régions déjà assez développés. L’association a ensuite recruté en 1981 son premier permanent chargé d’évaluer les projets, Kaye Bysouyth. Partie diriger un cabinet de consultants spécialisés (l’International Development Support Services) et remplacée en 1988 par le directeur des programmes outre-mer de l’organisation, Kamal Malhotra, celle-ci n’a certes jamais été employée à plein temps pour analyser les actions entreprises. Mais elle a facilité en 1983 une évaluation par les bénéficiaires des programmes d’un partenaire indien, AWARE, dans les districts de Mahaboobnager et Khamman en Andar Pradesh. Les résultats de l’analyse ont incité ladite ONG à réviser sa charte en 1987 pour répondre aux critiques contre sa bureaucratisation, promouvoir les femmes, donner la parole aux paysans et mieux intégrer leurs besoins. CAA, pour sa part, devait deux ans plus tard arrêter de financer les programmes d’AWARE, désormais considérés comme autosuffisants. En 2000, encore, Oxfam-Australie entreprenait de mesurer l’impact de son travail en termes de réalisation d’objectifs et de changement social avec, en particulier, une étude rétrospective sur les activités menées en Inde au cours des dix dernières années.
 
-La capacité d’analyse du mouvement se retrouve également dans des projets comme le manuel édité sous la direction de Brian Pratt et Jo Boyden à partir de 1985, puis de Deborah Eade et Suzanne Williams à partir de 1995. Dans le même ordre d’idées, Oxfam-UK a encouragé la formation d’ONG spécialisées dans la recherche, à commencer par ACORD (Agency for Co-operation and Research in Development). D’abord connue sous le nom d’Euro Action-Acord, cette dernière résulte en l’occurrence de la fusion, en 1976, d’une ONG homonyme, créée en 1972 au sortir de la guerre dans le Sud du Soudan, et d’Euro-Action Sahel, un consortium lancé en 1974 pour combattre la sécheresse en Afrique. Avec un budget financé à hauteur d’un tiers par les pouvoirs publics (29% de £6,6 millions en 1992, 32% de £8,2 millions en 2002), ACORD publie notamment des analyses sur les pays ravagés par les conflits armés.
 
-D’autres initiatives confirment par ailleurs le souci du mouvement d’améliorer ses pratiques humanitaires. Après avoir adopté un code de conduite initialement conçu par le CICR et les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge en 1993, Oxfam a ainsi pris, en 1995, la direction d’un comité de suivi qui, avec la Caritas (notamment le Catholic Relief Service), Save the Children, le Conseil œcuménique des Eglises et la Lutheran World Federation, a débouché en 1998 sur la constitution d’une plate-forme plus technique, SPHERE, afin d’élaborer des normes de qualité. En 2003 à Genève, encore, l’organisation a largement contribué à la fondation du Humanitarian Accountability Project, une structure visant à permettre aux bénéficiaires d’exprimer leurs griefs vis-à-vis des agences d’aide. En 1998, Oxfam s’est en revanche retiré d’un projet de manuel de santé qui, rédigé par le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés), préconisait des méthodes de contraception trop sophistiquées pour être appliquées sans risques dans les conditions d’hygiène douteuse des camps de réfugiés. Dans le même ordre d’idées, la plate-forme de SPHERE a d’ailleurs été critiquée parce que, basée sur un concensus mou et élargi, elle propose des normes a minima et nivelle les efforts de qualité par le bas. Pour Guglielmo Verdirame et Barbara Harrell-Bond, elle présente surtout l’inconvénient de développer un modèle de gestion qui, inspiré des Conventions de Genève, privilégie la solution des camps et revient à traiter les réfugiés comme des prisonniers de guerre en les confinant dans des espaces fermés.
 
-Oxfam s’avère conscient des effets pervers de l’aide. Dans son livre, Tony Jackson montre ainsi comment les distributions alimentaires gratuites peuvent être contre-productives en concurrençant et en pénalisant l’agriculture locale. L’organisation s’inquiète également de la façon dont l’assistance internationale est susceptible de renforcer des régimes autoritaires. En 1981, CAA critique par exemple la coopération australienne avec la dictature du président Ferdinand Edralin Marcos aux Philippines alors que le financement du projet de Zamboanga del Sur prévoit de construire des routes permettant à l’armée de pénétrer l’arrière-pays des îles Mindanao pour y écraser des insurgés communistes ou musulmans. Parfois, le mouvement fait aussi preuve d’une certaine lucidité quant à la qualité de ses partenaires dans le tiers-monde. A mots couverts, il s’interroge notamment sur leur manque de représentativité et leur absence de projets à long terme, même si, au final, ses conclusions « officielles » s’avèrent beaucoup moins tranchées dans le rapport qu’il publie en mars 2004 avec la Christian Relief and Development Association sur les ONG éthiopiennes. Commentant les ambitions du Brésil et de la Banque mondiale en matière de colonisation agricole (Planafloro), enfin, Patricia Feeney admet que les ONG du Nord comme Oxfam, qui a démarré en 1983 un vaste programme de gestion des ressources forestières dans l’Etat d’Orissa en Inde, ne sont pas à l’abri des problèmes de participation qui se posent aux grands projets des organisations intergouvernementales.
 
-Les situations des conflits armés constituent évidemment « un des principaux défis des agences d’aide soucieuses de ne pas contribuer à prolonger les hostilités », ainsi que l’admet Edmund Cairns. Comme les autres ONG travaillant dans des régions ravagées par des affrontements, Oxfam est en effet amené à alimenter les économies de guerre. Ce peut être lorsque ses équipements sont pillés et récupérés par les combattants, comme en Somalie ou au Libéria. Ce peut être lorsque Oxfam fournit des services publics qui déchargent les belligérants de leurs obligations sociales à l’égard des populations qu’ils prétendent protéger. Ce peut être, enfin, lorsque l’organisation finance directement les parties en lice ou se soumet à des rackets de protection. Les procédés sont nombreux en la matière et, parfois, tout à fait légaux. Faute d’avoir eu le temps d’obtenir des exemptions douanières au moment du tsunami de décembre 2004, par exemple, Oxfam a dû payer des taxes de 324% pour importer au Sri Lanka des 4x4 fabriqués en Inde.
 
-Face à de telles difficultés, l’organisation a monté des ateliers de réflexion spécifiquement sur ce thème, comme à Birmingham du 29 janvier au 2 février 1996. Dans un rapport daté d’avril 1995, son partenaire ACORD avait déjà admis qu’en « certains cas, il vaut peut-être mieux ne pas intervenir, de crainte que l’aide ne soit instrumentalisée » par les belligérants. Le directeur d’Oxfam-UK, David Bryer, s’est lui-même exprimé sur le sujet dans un article publié avec un collaborateur en 1997. « Si les combattants s’emparent de l’aide alimentaire et la revendent pour acheter des armes, écrivait-il, les agences humanitaires devraient se demander si elles ne font pas plus de mal que de bien ». Pour autant, la Charte du Sphere Project n’aborde quasiment pas le problème et se contente de vœux pieux. D’après son article 2.4., « il est du devoir des belligérants de respecter les interventions humanitaires ». Savoir comment les y contraindre n’est pas expliqué. Dans le même ordre d’idées, le responsable des urgences d’Oxfam, Nicholas Stockton, cité par David Keen, minimisait la responsabilité des agences humanitaires dans la prolongation du conflit au Sud-Soudan, arguant qu’une interruption de l’aide aurait aggravé la famine sans mettre un terme à la guerre.
 
-Contrairement à une ONG comme Médecins sans frontières, qui s’est retirée d’Ethiopie en 1985 ou des camps de génocideurs rwandais en 1995 pour ne pas faciliter des dynamiques de violence, Oxfam n’a pas tiré toutes les conséquences du constat établi sur les effets pervers des secours humanitaires en situation de conflit armé. En de pareilles circonstances, et bien que favorable à la conditionnalité de l’aide internationale en fonction du respect des droits de l’homme, l’organisation préfère se désengager de certaines régions plutôt que de l’ensemble d’un pays, à l’instar d’ACORD à Gulu dans le nord de l’Ouganda en 1985-1986, à Juba dans le sud du Soudan en 1986 ou dans la province d’Uige en Angola en 1987 puis 1989. Pour reprendre le cas de l’Ouganda, Oxfam-UK a ainsi suspendu ses opérations dans la seule région de Kumi en 1989, afin de protester contre les exactions de l’armée. En Afghanistan à partir de 1998, encore, l’organisation a momentanément interrompu ses activités dans les écoles de garçons pour protester contre les directives des taliban qui lui interdisaient d’éduquer les filles. En revanche, les retraits effectués à l’échelle de pays entiers comme la Somalie en 1995, le Burundi en 1996 ou la Corée du Nord en 1998 font figure d’exception. La plupart du temps, Oxfam termine en réalité ses programmes ou suspend ses opérations lorsque les fonds viennent à manquer, que les objectifs sont atteints ou qu’un employé est blessé ou assassiné, par exemple dans le district de Pader en Ouganda après qu’un agent d’ACORD a été tué dans une embuscade des rebelles de la LRA (Lord Resistance Army) le 26 octobre 2005. En général, l’organisation procède rarement à des retraits « stratégiques » qui ne seraient pas dus à des raisons financières ou sécuritaires mais à une analyse circonstanciée sur les contraintes et les limites intrinsèques de l’aide humanitaire. Au mieux, il peut y avoir une sorte de partage des tâches en vue de mieux coordonner les acteurs déployés sur le terrain. Selon Nicholas Stockton cité par Rebecca Buell, Oxfam et Save the Children se sont par exemple retirés de camps en Ouganda quand ils se sont aperçus que leur présence dissuadait le Comité international de la Croix-Rouge d’y intervenir et d’y assurer la protection juridique des populations déplacées, mandat que lui seul pouvait exercer. La plupart du temps, le Comité d’Oxford passe en fait le relais à ses partenaires malgré les risques que cela engendre en matière d’amateurisme, d’impartialité, de manque de supervision et de détournement de l’aide. Dans un document de 2006 cité par Abby Stoddard et al., l’organisation liste ainsi les différents de cas de figure rencontrés en fonction du degré d’accès de son personnel expatrié, de ses employés locaux, de ses sous-traitants et de ses interlocuteurs communautaires.
 
-La remarque vaut également pour les catastrophes naturelles. Malgré son expérience, Oxfam-UK n’a pas toujours réussi à éviter les écueils connus d’une aide deversée massivement et destructrice pour l’économie locale et le tissu social. Lors du tremblement de terre de janvier 2001 dans le Gujarat en Inde, rappelle Tony Beck, l’organisation a privilégié les actions les plus médiatiques en important des pompes et des tuyaux qui n’ont servi à rien et qu’il aurait été bien moins onéreux d’acheter sur place. De leur côté, Geoffrey Salkeld et ses collègues ont remarqué que les expatriés envoyés sur place ne parlaient pas les langues locales et n’ont pas réussi à comprendre pleinement le contexte politique local pour mettre en œuvre des opérations de secours efficaces. Lors du tsunami asiatique de décembre 2004, encore, les interventions d’Oxfam-UK ont créé certains problèmes, en particulier au Sri Lanka, pays ravagé par la guérilla sécessionniste des Tigres Tamouls dans le nord-est de l’île. Selon Jonathan Goodhan, l’organisation a d’abord aggravé les tensions existantes en choisissant de travailler avec des partenaires qui n’étaient pas reconnus comme légitimes par les habitants de Mullipottanai, un village de déplacés cinghalais, tamouls et musulmans dans le district de Trincomalee. Dans la région d’Ampara et Batticaloa, elle est ensuite intervenue à l’occasion d’inondations deux semaines avant le raz-de-marée de décembre 2004. Forte des contacts déjà établis sur place, elle est alors parvenue à construire des abris de bien meilleure qualité que les ONG nouvellement arrivées. A la différence de World Vision, par exemple, elle a pris le temps de s’assurer que les propriétaires fonciers n’allaient pas expulser les rescapés relogés provisoirement sur leurs terres. D’après Abhijit Bhattacharjee et al., Oxfam-UK a cependant commis des erreurs. A Hambantota, dans le sud du pays, l’organisation a notamment rémunéré les villageois employés à la reconstruction des routes ou à la réparation des systèmes d’irrigation. Elle a ainsi retardé la reprise de l’activité économique et le retour des paysans aux travaux des champs car les émoluments proposés étaient supérieurs aux prix du marché. Le dispositif a même attiré les villageois de l’intérieur qui n’avaient pas été touchés par le tsunami, Oxfam-UK n’étant pas en mesure de vérifier qu’une seule personne par ménage sinistré viendrait travailler et percevoir un salaire.
 
-Malgré les efforts entrepris en matière d’évaluation, il y a donc lieu de s’interroger sur la façon dont l’organisation tire des leçons de ses expériences de terrain et tente de les mettre en œuvre. Cités par Rebecca Buell, des employés réunis en colloque à Birmingham en février 1996 se plaignaient de ce que, pour masquer ses échecs, Oxfam évitait de les consulter lorsqu’ils revenaient d’une mission difficile dans un pays en guerre. Il est également arrivé que des évaluations internes soient mises sous le boisseau parce qu’elles révélaient d’importants disfonctionnements. Dans son rapport non publié sur les opérations d’Oxfam au Cambodge en 1980-1983, Tigger Stack relevait ainsi « l’incapacité de l’organisation à apprécier les enjeux politiques de ses programmes », « des illusions sur son partenariat avec le gouvernement », une certaine « confusion sur le plan opérationnel » et des « dépenses surfacturées ». Dans une interview accordée aux archivistes d’Oxfam le 25 août 2005, un ancien responsable de l’organisation au Soudan en 1987, Maurice Herson, remarquait quant à lui que son évaluation des programmes menés au Darfour en 2004 avait fini au fond d’un tiroir parce qu’elle était trop critique. Rétrospectivement, il regrettait un processus de sophistication et de spécialisation technique qui, sous couvert de professionnalisation, masquait une détérioration de la qualité du travail réalisé sur le terrain. Un tel problème de capitalisation d’expérience témoigne en l’occurrence d’une « faiblesse structurelle » que Chris Roche a parfaitement identifiée dans un opuscule datant de 1996. Constatant la difficulté à « extraire et disséminer les informations acquises », celui-ci notait que « les processus d’apprentissage » n’étaient « pas encouragés » et se heurtaient à « un environnement peu favorable à cause de l’insécurité de l’emploi et de la brièveté des contrats, qui n’incitaient pas le personnel à contredire la direction ».
 
-Aussi doit-on souligner les limites d’évaluations qui servent uniquement à cautionner les programmes entrepris sur le terrain. L’organisation ne semble pas toujours bien disposée à tirer parti de ses échecs. Forte de son ancrage dans les milieux académiques, elle excelle en revanche lorsqu’il s’agit de critiquer les coopérations gouvernementales. Rédigé en 2008 par un conseiller d’Oxfam-UK, Matt Waldam, un rapport du collectif des ONG en Afghanistan, ACBAR (Agency Coordinating Body for Afghan Relief), dénonce ainsi l’inefficacité, le gaspillage et l’absence de coordination de l’aide des pays occidentaux à Kaboul, avec des projets qui ne transitent pas par le gouvernement et des coûts de fonctionnement exorbitants pour financer les salaires des expatriés ou des consultants. Dans le même ordre d’idées, l’organisation sait riposter efficacement aux critiques. Le livre de Chris Roche en 1999 est par exemple une réponse directe à l’ouvrage de Roger Riddell et Mark Robinson, qui constataient l'impuissance des ONG à atteindre les populations rurales les plus pauvres. Dans la revue Development in Practice, des collaborateurs d’Oxfam comme Krishnamurthy Pushpanath, son représentant en Zambie de 1988 à 1993, publient par ailleurs des articles dithyrambiques sur les programmes de l’organisation. Du côté d’Oxfam-America, enfin, le refus de recevoir des financements du gouvernement américain permet d’échapper aux évaluations que l’agence de coopération USAID (United States Agency for International Development) impose aux ONG qu’elle finance.
 
-Le risque d’une telle approche, il faut le noter, est d’être juge et partie de la qualité des prestations réalisées dans des pays en développement. Censé tenir lieu d’ombudsman, le Humanitarian Accountability Project est significatif de ce point de vue puisque, statutairement, il prévoit que les doléances des destinataires de l’aide ne sont pas étudiées par une instance indépendante mais directement par l’ONG incriminée. A Aceh en Indonésie après le tsunami de décembre 2004, Oxfam a ainsi mis en place des « boîtes à idées » pour recueillir les plaintes éventuelles. Or l’organisation a supervisé elle-même la formation des Complaint Dealing Committees, les comités établis par ses soins et chargés de traiter les demandes de la population. Composés de cinq membres chacun, ces derniers ont donné la majorité des voix aux employés d’Oxfam et de ses partenaires locaux. Les deux autres membres étaient des représentants des chefs religieux et des autorités municipales, ceux-là mêmes qui étaient susceptibles de détourner les vivres dans un pays réputé parmi les plus corrompus du monde. Le dispositif n’a donc pas permis d’éviter les détournements de fonds : en mai 2006, Oxfam-UK devait mettre à pied dix de ses employés locaux et engager des actions disciplinaires contre douze autres après la disparition de ses caisses d’un montant de 22 000 dollars. D’une manière générale, le procédé laisse à désirer. Etudiant des projets de construction de routes dans 608 villages indonésiens, Benjamin Olken trouve en l’occurrence que la participation des habitants aux réunions de supervision n’a pas eu d’effet dissuasif. En moyenne, un quart des fonds a été détourné et les menaces d’enquêtes du gouvernement central se sont avérées plus efficaces pour limiter l’ampleur de la corruption. Autre problème, les cahiers de doléances mis en place par les organisations humanitaires ne sont pas toujours adaptés à une population illétrée qui est souvent muselée par les caciques locaux. En Afghanistan lors d’un recensement effectué en juin 2003 dans le camp de Maslakh près de Hérat, par exemple, les seigneurs de guerre ont tout simplement interdit aux habitants de parler des détournements de l’aide.
 
-Finalement, les défaillances de l’organisation en matière d’évaluation et de capitalisation d’expérience ne sont pas sans rappeler les problèmes relevés au sujet de la Banque mondiale. Dans un opuscule publié en 1995, le département politique d’Oxfam élaborait ainsi des recommandations qu’il aurait parfaitement pu s’appliquer. Il notait par exemple que « les informations sur les projets de la Banque mondiale restent souvent inaccessibles ou peu fiables » : une observation qui correspond bien aux lacunes des rapports d’activités du Comité d’Oxford et au refus de publier des évaluations critiques sur les programmes. Les auteurs de l’opuscule de 1995 déploraient également « l’incapacité à tirer parti des erreurs du passé » (ce que Mark Duffield avait déjà remarqué avec Oxfam-UK au Soudan) et « la récupération des projets par les élites locales au détriment des plus pauvres » (ce que Roger Riddell et Mark Robinson avaient aussi constaté à propos des ONG de développement en général). Ils concluaient que « le système de Bretton Woods devait mieux rendre des comptes et être plus ouvert au public ».