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Young Men’s Christian Association
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Young Men’s Christian Association - Commentaires




2) Le fonctionnement interne


-Le mouvement est parfois qualifié de « géant endormi » du fait de la baisse de régime qui le caractérise depuis son heure de gloire pendant les deux guerres mondiales. A Genève, par exemple, le bureau de l’Alliance des YMCA a plusieurs fois été déficitaire, voire proche de la banqueroute en 1981, 1982 et 1988, et ses effectifs sont tombés de 14 employés à plein temps en 1953 à 13 en 1961, 10 en 1981 et 7 en 1985. La plus grosse YMCA du mouvement, en l’occurrence aux Etats-Unis, a également décliné à partir de 1930. Jusqu’en 1960, elle a géré ses associations locales avec des effectifs identiques, un volant d’environ quatre mille « secrétaires », alors que le nombre de membres triplait, obligeant l’organisation à recourir davantage au bénévolat, quitte à ne pas être trop exigeante sur le plan professionnel. La YWCA américaine a été encore plus touchée dans les années 1970. A mesure qu’elle se laïcisait, se politisait et se dispersait dans divers combats de gauche, de la lutte contre le racisme aux revendications féministes en passant par les droits civiques, elle a en effet vu fondre sa base sociale traditionnelle de jeunes filles issues des classes moyennes. Conjuguée à la baisse des subventions gouvernementales et à la concurrence grandissante des ONG, la baisse du nombre d’adhérents et de cotisations a entraîné des déficits à répétition à partir de 1984, si bien que la YMCA américaine a dû se résoudre à licencier la moitié des 140 employés de son siège à New York. En milieu étudiant, remarque plus précisément Carole Seymour-Jones, ses associations ont décliné à cause de la compétition des Eglises évangélistes, du développement de services sociaux sur les campus et de prises de position contre la guerre du Vietnam ou pour la liberté d’avortement qui ont inquiété les autorités académiques et privé le mouvement des financements des universités.

-A cet égard, il convient de ne pas se leurrer sur les effets inflationnistes des statistiques d’un mouvement qui revendique une présence dans 119 pays en 2011, contre 96 en 1988. Selon Clarence Shedd, l’Alliance mondiale des YMCA a vu le nombre d’associations membres passer de 348 en 1855 à 3 823 en 1888, 6 411 en 1900, 7 931 en 1909, 8 584 en 1913, 8 789 en 1920, 10 034 en 1928, 10 308 en 1936, 10 500 en 1938, 10 242 en 1949 et 9 107 en 1954. D’après des recensements internes, ce chiffre a ensuite augmenté de 9 414 en 1976 à plus de 14 000 en 2011. Faute de définition précise et standardisée d’un pays à l’autre, le nombre d’associations n’a cependant pas grand sens. Ainsi, Fiji compte presque autant d’associations locales que l’Inde ! La YMCA a parfois la taille d’une véritable multinationale dans des pays comme les Etats-Unis. Au Ghana, par exemple, le mouvement de la YMCA et de la YWCA est un des principaux employeurs du secteur non lucratif, avec 68 collaborateurs rémunérés et plus de 5 000 bénévoles en 1995. Les Caraïbes, en revanche, comptent une multitude de petites associations nationales qui n’ont généralement qu’un seul employé. De plus, le mouvement a parfois connu une durée de vie éphémère, à l’instar de la YWCA de Chypre, créée en 1979 et disparue en 1985. Enfin, les soubresauts de la décolonisation ont abouti à la multiplication d’entités, à l’exemple de la YWCA indienne, qui a éclaté à la suite de la partition de 1947 et débouché sur la création d’associations nationales au Pakistan, en Birmanie et au Sri Lanka en 1951. De ce point de vue, la prolifération d’associations nationales dans les pays en développement, désormais plus nombreuses qu’au Nord, ne traduit nullement un déplacement du centre de gravité du mouvement vers le Sud.

 

-En général, l’Alliance mondiale des YMCA et des YWCA ne peut intervenir que dans les pays où elle dispose déjà d’associations nationales. Elle n’a donc pas été en mesure de réagir à de grosses crises humanitaires comme au Cambodge en 1979, en Bosnie en 1995, en Irak en 2003 ou en Syrie à partir de 2011. Il est certes arrivé que le mouvement lance des programmes d’urgence dans des pays où n’existaient pas de filières locales, tels l’Algérie en 1962 ou le Vietnam en 1966. A l’occasion, ses secours ont alors servi à poser les bases de structures associatives. En Autriche, les deux dynamiques ont été concomitantes : les YMCA et les YWCA s’y sont reconstituées en avril 1952 pendant que le mouvement se mobilisait pour assiter les réfugiés fuyant la crise de Hongrie à partir d’octobre 1956. Ailleurs, les secours ont précédé l’émergence de structures associatives. Montée en 1974 par des réfugiés établis à Kinshasa au Zaïre, la YMCA d’Angola s’est par exemple installée à Luanda au moment de l’indépendance en 1975 mais s’est avérée incapable d’opérer en dehors de la capitale du fait de la guerre civile, se contentant d’ouvrir deux centres de formation dans les banlieues de Kicolo et Palanca, l’un pour les filles, l’autre pour les déplacés. Dans le même ordre d’idées, le mouvement a profité de son intervention humanitaire au Soudan en 1981 pour demander à son représentant sur place, Adolf Wagner, d’y ouvrir des petites YMCA dans le Sud du pays. En Arménie, encore, l’envoi de secours aux victimes du tremblement de terre de 1988 a débouché sur l’organisation d’une association locale l’année suivante. L’Amérique centrale, elle, a connu une trajectoire un peu différente. Faute de relais sur place, le mouvement avait complètement été absent de la guerre civile du Salvador ou du tremblement de terre qui ravagea Managua en 1972 et des combats qui s’ensuivirent jusqu’à la prise du pouvoir par les sandinistes au Nicaragua en 1979. Par l’intermédiaire de la YMCA du Costa Rica sur une période de six mois de janvier à juillet 1982, sa seule aide avait consisté à envoyer un peu de nourriture et quelques habits à une cinquantaine d’adolescents parmi les 10 000 réfugiés salvadoriens recensés dans le pays. A la suite des YMCA du Nicaragua en juin 1989 puis du Honduras en juin 1990, c’est seulement en novembre 1990 qu’une YMCA du Salvador a pu se constituer. Mais c’est avec l’aide des YMCA d’Amérique latine, coordonnées par l’Uruguay, que l’association salvadorienne a pu fournir des logements provisoires aux victimes du tremblement de terre de février 2001 à Santa Gertrudis (Santa Tecla), El Guayabo, Lod Mangos (Armenia), Los Lagartos (San Julian) et El Lazareto (San Pedro Nonualco).

-Au niveau mondial, l’évolution du nombre de « membres » est tout aussi peu significative de la progression du mouvement. En effet, le terme est très imprécis et varie d’une association à l’autre. Sur le plan statistique, il n’a donc pas grand sens, sachant que le mouvement est tellement hétérogène qu’il n’est jamais parvenu pas à introduire des cartes de sociétaires valables dans toutes les YMCA du monde. Si l’on en croit les chiffres de Clarence Shedd, qui inclut les membres associés et les mineurs, appelés « cadets », il a connu une croissance formidable et est passé de 35 000 adhérents en 1855 à 54 000 en 1867, plus de 125 000 en 1878, 325 000 en 1888, 544 000 en 1900, 875 000 en 1909, 986 000 en 1913, 1 304 000 en 1920, 1 559 000 en 1928, 1 960 000 en 1938, 3 598 000 en 1949 et 4 045 000 en 1954. La période de la décolonisation et la fin de la guerre froide ont ensuite confirmé cette progression à l’échelle planétaire. L’Alliance mondiale des YMCA revendiquait un total de 13,7 millions de membres en 1969, 22,5 en 1977, 26 en 1988 et jusqu’à 58 millions de « bénéficiaires » en 2011, aux côtés de 100 000 employés et 725 000 volontaires. Aujourd’hui, elle dit faire partie des six plus gros mouvements de jeunes dans le monde, avec les scouts et la Fédération internationale des Croix Rouges et Croissants Rouges.
 
-Pour autant, le terme assez vague de « membre » ou de « bénéficiaire » ne se limite pas forcément aux adhérents cotisants et peut englober les simples participants. La remarque vaut pour les associations au niveau national. Les chiffres des YWCA américaines, par exemple, sont artificiellement gonflés quand, en 1949, le mouvement décide d’inclure parmi ses membres les filles d’au moins douze ans, avec un droit de vote à partir de l’âge de dix-sept ans. S’ils ne comprennent pas les femmes jusqu’en 1930, les effectifs des YMCA américaines sont tout aussi changeants car ils cumulent les cotisants occasionnels au cours de l’année. Le mouvement affiche donc une progression impressionnante, avec 15 498 adhérents et membres actifs en 1866, 84 392 en 1876, 132 803 en 1886, 263 298 en 1896, 268 477 en 1900, 597 857 en 1912, 868 892 en 1920, 1 034 109 en 1930, 1 323 076 en 1940, 2 088 361 en 1950, 2 427 610 en 1957 et 2 885 766 en 1962. En 1942 au moment de son heure de gloire, pendant la Seconde Guerre mondiale, on estime ainsi que la YMCA américaine représente 1% de la population du pays ! Un sondage cité par Mayer Zald et réalisé par George Gallup en 1954 le confirme : un quart des hommes américains de plus de 21 ans disent avoir adhéré à un moment ou un autre à une YMCA et, dans les villes de plus de 50 000 habitants, jusqu’à 96% ont fait usage des services de l’organisation. La progression est particulièrement marquée dans les grandes métropoles comme Chicago, où le mouvement enregistre 133 000 membres en 1961, contre moins de 38 000 en 1942, et où il déménage son siège national depuis New York en 1981.

-Héritage archaïque de l’Angleterre victorienne, les Alliances mondiales des YMCA et des YWCA maintiennent par ailleurs une séparation des sexes qui ne déplairait pas aux fondamentalistes musulmans. A l’occasion, les deux organisations collaborent ponctuellement sur des programmes de formation, d’aide humanitaire ou de santé, par exemple pour sensibiliser des jeunes d’Angola et de Sierra Leone à la prévention du sida. Depuis le déménagement de son siège à Genève en 1930, l’Alliance mondiale des YWCA s’est également rapprochée de son équivalent masculin. En 1935 puis 1948 ont ainsi été établies des commissions chargées d’étudier les modalités d’une coopération future, à défaut d’une fusion. A Saint Cergue en Suisse en 1962, la convention du Conseil mondial des YWCA a également été l’occasion d’engager avec la YMCA des discussions sur le dialogue œcuménique en direction des catholiques dans le cadre du concile de Vatican II. Les milieux étudiants se sont avérés être les plus ouverts à la mixité. Aux Etats-Unis, leurs associations de jeunes des deux sexes ont commencé en 1937 à se rencontrer tous les quatre ans et ont fini par se doter en 1951 d’une plateforme commune, le National Student Council of the YMCA and YWCA. Jusque dans les années 1960, elles sont restées beaucoup plus proches l’une de l’autre que leurs homologues « adultes ». De même au niveau international, la WSCF (World Students Christian Federation) est la seule entité à avoir vraiment associé les YMCA et les YWCA.
 
-Certes, les YMCA d’aujourd’hui ne sont plus fermées aux femmes. Au contraire, elles cherchent à en recruter davantage. Ainsi, elles comptaient un tiers de femmes parmi leurs membres et moins d’un cinquième parmi leurs employés en 1977. Depuis lors, la situation s’est nettement améliorée. Si l’on en croit les résultats d’une enquête effectuée en 2011, le mouvement de la YMCA compte toujours plus d’hommes parmi ses membres mais davantage de femmes parmi ses employés, avec une répartitition assez équilibrée des deux sexes quant à ses « bénéficiaires ». Arcboutées sur des idéeaux féministes, les YWCA, en revanche, continuent généralement de s’interdire de recruter des hommes. Les exceptions restent rares. En Australie en 1972, le siège de la YWCA a, pour la première fois, recruté un homme, Paul Conroy, tout en refusant d’étendre ses activités en direction des garçons.
 
-Historiquement, il n’en a pas toujours été ainsi. Selon Mary Hall et Helen Sweet, les YMCA américaines n’ont fermé leurs portes aux femmes qu’en 1867. La situation a beaucoup varié d’un pays à l’autre. L’Alliance mondiale des YMCA recensait 588 associations mixtes lorsqu’elle a organisé sa première session conjointe avec les YWCA en 1907, notamment en Ecosse, en Finlande, en Norvège et en Suède. Des contraintes financières et politiques ont également pu jouer un rôle. Pour réduire les coûts et répondre aux exigences d’un gouvernement désireux de réduire le nombre d’associations, les YMCA et YWCA de Lettonie ont par exemple dû fusionner entre 1937 et 1939, avant d’être tout simplement dissoutes au moment de l’invasion soviétique de 1940. De même au Canada, une résolution de 1926 a préconisé une nette séparation des YMCA et des YWCA dans les villes de plus de 50 000 habitants. Pour réaliser des économies d’échelle, en revanche, elle a recommandé un partenariat renforcé dans les bourgades plus petites où les deux entités pouvaient se louer ou partager leurs équipements. A la différence des Etats-Unis, une résolution de 1936, confirmée en 1961, a notamment permis les doubles affiliations aux Conseils nationaux des YMCA et des YWCA, voire les fusions sous le nom de « Y ». En Europe, on a également assisté à des fusions sous l’égide d’entités nationales uniques comme en Hollande en 1958, en Autriche en 1968 et en Allemagne en 1985, où l’Association des Jeunes Hommes Chrétiens (Christlicher Verein Junger Männer) a fini par prendre le nom plus neutre d’Association des Jeunes Gens Chrétiens (Christlicher Verein Junger Menschen).
 
-Dans certains pays, les YWCA ont, pour leur part, été lancées ou encadrées par des hommes. A ses débuts, par exemple, la YWCA britannique est présidée par le même philanthrope que la YMCA, à savoir le comte de Shaftesbury Anthony Ashley-Cooper. En Australie, la YWCA de Melbourne nait quant à elle en 1882 à l’instigation d’un homme de la YMCA, Race Lewis, avant d’être dirigée par Sarah Booth jusqu’en 1910. De son côté, la Fédération mondiale des étudiants chrétiens, ou WSCF (World Students Christian Federation), comprend tout à la fois des hommes et des femmes dès sa création en 1895. Bien que sa direction reste longtemps aux mains de la gente masculine, certaines de ses délégués sont des femmes reconnues comme membres de plein droit, au même titre que les hommes, quand l’organisation décide en 1913 de supprimer le grade d’auxiliaire féminin. Par la suite, en 1981, la WSCF rééquilibrera les rapports de genre en recommandant que la moitié de son exécutif soit composé de femmes. A l’époque, le conseil exécutif de l’Alliance mondiale des YMCA ne compte que sept élues, mais la proportion de délégués de sexe féminin montera à 16% lors de la convention triennale du mouvement à Aruba en 1988.
 
-De telles évolutions sont plus ou moins lentes suivant les pays. Aux Etats-Unis, la YMCA américaine commence à ouvrir ses portes aux femmes pendant la Première Guerre mondiale parce que les hommes sont partis au front et que ses bâtiments restent inocccupés. A partir de 1926, elle accorde alors aux femmes le statut de membres de plein droit et les autorise formellement à occuper des postes de secrétaires à partir de 1933. Mais en pratique, elle laisse à ses responsables locaux le soin d’appliquer ou non ces dispositions. Selon une étude de Herbert Shenton qui porte sur environ 95% des associations recensées aux Etats-Unis en 1930, la moitié des YMCA américaines coopère en fait avec des YWCA et près des deux tiers travaillent avec des femmes. De leur côté, quatre YWCA sur cinq collaborent avec des YMCA et plus d’une sur trois offre des services aux hommes. A partir de 1937, en outre, YMCA et YWCA tiennent ensemble leurs conseils nationaux. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la YMCA américaine commence également à se préoccuper des questions d’égalité entre les sexes. Ainsi, elle se dit favorable à la fin des restrictions qui obligent une femme mariée à demander la permission de son mari pour travailler ou ouvrir un compte en banque. Dans le même ordre d’idées, elle réclame un traitement égal pour la rémunération des hommes et des femmes à travail « comparable », demandes qui s’étendent à la sécurité sociale dans les années 1960. Les conflits se multiplient néanmoins entre les YMCA et les étudiantes des YWCA qui ont pris le pouvoir sur les campus en l’absence des hommes partis faire leur service militaire. Le bureau national de la YWCA américaine refuse catégoriquement le projet de fusion que la YMCA propose en 1954. Les débats internes au mouvement confirment une telle résolution lors des conventions de Chicago en mai 1952, New York en avril 1955 et St Louis du Missouri en mars 1958, quand l’organisation commandite à un sociologue de New York, Dan Dodson, une étude sur ses relations avec les YMCA. Publié en 1960 et approuvé l’année suivante, ledit rapport prône le maintien d’une structure indépendante pour défendre les droits de la femme. Il confirme que les garçons ne doivent pas adhérer aux YWCA et qu’ils peuvent êtres considéres, au mieux, comme des « associés » (associates). Quant aux YWCA qui ont fusionné avec des YMCA, elles sont désaffiliées.
 
-Ce sont en fait les YMCA américaines qui s’ouvrent à la mixité. Selon des statistiques de 1962 citées par Paul Limbert, un quart de leurs adhérents sont de sexe féminin et quatre associations sur cinq comptent des femmes dans leurs rangs. La YMCA de New York, une des plus grosses du mouvement, est à l’avant-garde dans ce domaine. En 1964, son foyer de Harlem est le premier des Etats-Unis à s’ouvrir aux femmes. Et en 1990, elle est pour la première fois dirigée par une femme, Paula Gavin, qui prend la suite d’une longue lignée d’hommes, à savoir Robert Ross McBurney de 1862 jusqu’à sa mort en 1898, Henry Orne à partir de 1898, Walter Diack à partir de 1917, Raymond Dickinson à partir de 1942, Gayle Lathrop à partir de 1956, William Howes à partir de 1966 et William Markell à partir de 1982. A l’époque, les femmes composent déjà la moitié du personnel de la YMCA de New York ; elles seront largement majoritaires dix ans plus tard. A l’échelle des Etats-Unis, le ratio des sexes est assez équilibré parmi la vingtaine de millions de membres que le mouvement recense en 2006. C’est au niveau des postes de direction que les femmes restent sous-représentées. Ainsi, les conseils d’administration des YMCA américaines sont composés à 78% d’hommes, contre 66% chez leurs homologues canadiens, si l’on en croit une étude réalisée par Julie Siciliano en août 1989 à partir d’un corpus de 5 601 et 1 163 personnes aux Etats-Unis et au Canada respectivement.
 
-Le Canada, justement, suit une trajectoire un peu similaire à cet égard. En 1924, la YMCA décide d’y ouvrir ses instances décisionelles aux femmes et aux non protestants à l’exception, précisément, de ses conseils d’administration. En 1928, elle recommande ensuite de faire superviser son travail auprès des femmes par des employées des YWCA là où les associations de jeunes filles chrétiennes n’existent pas encore. Mais les efforts de coopération sont interrompus par la Seconde Guerre mondiale. En 1940, la YMCA et la YWCA canadiennes ne parviennent pas à s’entendre pour mener en commun une campagne de collecte de fonds, sans même parler d’une quelconque coordination avec d’autres organisations humanitaires. En 1941, c’est le gouvernement qui oblige toutes les ONG à se regrouper pour solliciter la générosité du public ou demander des subventions, quitte à les placer sous la tutelle des autorités en verrouillant leurs programmes avec des autorisations administratives. La YWCA n’en demeure pas moins réticente à se rapprocher d’associations de la YMCA qui comptent de plus en plus de femmes et de mineurs dans leurs rangs au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Attachée à son indépendance à mesure qu’elle affirme sa vocation féministe, elle répudie ainsi un rapport de novembre 1973 qui préconise de fusionner les deux entités afin de réaliser des économies d’échelle, d’obtenir des subventions publiques et de s’adapter à la diminution du bénévolat du fait que les femmes ont moins de temps libres et sont de plus en plus nombreuses à avoir un emploi.

-Outre une séparation plus ou moins stricte des sexes, le mouvement des YMCA et des YWCA se caractérise par une domination anglo-saxonne qui se traduit par un glissement de son centre de gravité de Genève et Londres vers les Etats-Unis, avant de s’ouvrir aux pays en développement. En témoigne la composition de ses dirigeants et de ses effectifs. L’Alliance mondiale des YMCA, en l’occurrence, est présidée à Genève par des Suisses (Charles Fermaud en 1878, Henri Cuchet en 1879, Gustave Tophel en 1880-1895, Edouard Barde en 1895-1904, Reinhold Sarasin-Warnery en 1905-1911 et Paul Des Gouttes en 1911-1926), un Américain (John Mott de 1926 à 1947), un Ecossais (John Forrester-Paton de 1947 à 1954), de nouveau un Suisse (Alfred Hirs en 1954-1955), un Libérien (Charles Dunbar Sherman en 1955-1965), un Américain (James Donnell en 1965-1969), un Anglais (David Robinson en 1969-1973), un Ethiopien (Lij Endalkachew Makonnen en 1973-1974), un Indien (Kandathil Philip en 1975-1977), un Allemand (Walter Arnold en 1977-1981), un Ecossais (James Love en 1981-1985), un Américain (James Bellatti en 1985-1988), un Péruvien (Alejandro Vassilaqui en 1988-1991), un Nigérian (Garba Yaroson en 1991-1994), un Sud-Coréen (David Kwang-Sun Suh en 1994-1998), un Suisse (Martin Vogler en 1998-2002), un Sud-Africain (Caesar Molebatsi en 2002-2006), un Allemand (Martin Meissner en 2006-2010), un Américain (Kenneth Colloton en 2010-2014) et un Anglais (Peter Posner en 2014-2018). D’abord dominée par des Suisses, puis par des Anglo-saxons au sortir de la Première Guerre mondiale, l’organisation s’ouvre ainsi aux populations du Sud. Son premier président africain, le Libérien Charles Dunbar Sherman, est aussi le plus jeune à ce poste, en 1955. Lui succéderont pour la première fois un Asiatique, avec l’Indien Kandathil Philip en 1975, puis un Latino-Amérivain, avec le Péruvien Alejandro Vassilaqui en 1988.
 
-Une telle évolution se retrouve au niveau du poste de secrétaire général, où les Européens du continent dominent jusqu’à la Première Guerre mondiale, avec le Suisse Charles Fermaud (1879-1912), l’Allemand Christian Phildius (1896-1922), le Français Emmanuel Sautter (1911-1917) et le Suédois Karl Fries (1921-1926), avant de céder la place à des Américains, Walter Wesley Gethman (1927-1937), Tracy Strong (1937-1953) et Paul Limbert (1953-1962). Dès avant la Seconde Guerre mondiale, le mouvement commence cependant à s’ouvrir aux pays du tiers-monde. En 1928, le secrétariat de l’Alliance mondiale des YMCA à Genève recrute pour la première fois un employé qui n’est pas européen, l’Indien Surendra Datta. En 1934, trois Asiatiques et un Noir américain font également leur entrée dans l’exécutif de l’organisation. La décolonisation entérine alors le processus. Un secrétaire général suédois (Fredrik Franklin de 1962 à 1977) cède ainsi la place à un Uruguayen (Hector Caselli de 1977 à 1985), un Sud-coréen (Soo-Min Lee de 1985 à 1991), un Américain (John Casey de 1991 à 1998), un Britannique (Nick Nightingale de 1998 à 2002), un Bangladais (Bartholomew Shaha de 2002 à 2010) puis un Norvégien (Johan Vilhelm Eltvik depuis 2010).
 
-L’Alliance mondiale des YWCA suit une trajectoire assez similaire. Les Britanniques sont les premières à occuper la présidence avec Lucy Tritton de 1894 à 1902 puis de 1910 à 1914, George Campbell de 1902 à 1906, Mary Morley de 1906 à 1910, Montague Waldegrave de 1914 à 1924 puis de 1928 à 1930, Lady Parmoor (née Marian Emily Ellis) de 1924 à 1928, Ruth Rouse de 1938 à 1946 et Isabel Catto de 1955 à 1963. Les Américaines arrivent en deuxième position à ce poste, avec Lilace Reid Barnes de 1947 à 1955, Jewel Graham de 1987 à 1991 et Jane Lee Wolfe de 1999 à 2003. On trouve aussi une Hollandaise, Cornelia Jonkvrouwe van Asch van Wijck, de 1938 à 1930 puis de 1946 à 1947, deux Australiennes, Una Porter de 1963 à 1967 et Susan Brennan de 2007 à 2011, une Canadienne, Ann Northcote, de 1983 à 1987, et une Suédoise, Anita Andersson, de 1995 à 1999. A la suite d’une Grecque, Athena Athanassiou, de 1967 à 1975, les représentantes de pays du Sud arrivent bien plus tardivement avec une ressortissante des Barbades, Nita Barrow, de 1975 à 1983, une Indienne, Razia Ismail Abbasi, de 1991 à 1995, une Argentine, Monica Zetzsche, de 2003 à 2007, et une ressortissante de Trinidad et Tobago, Deborah Thomas-Austin, de 2011 à 2015.
 
-La domination anglo-saxone est encore plus évidente au niveau du secrétariat général de l’Alliance mondiale des YWCA. Sans compter la Britannique Helen Roberts de 1947 à 1955 puis les Néo-zélandaises Erica Brodie de 1978 à 1982 et Elaine Hesse Steel de 1987 à 1997, les Américaines accaparent le poste avec Annie Reynolds de 1894 à 1904, Clarissa Hale Spencer de 1904 à 1920, Charlotte Niven de 1920 à 1935, Ruth Frances Woodsmall de 1935 à 1947, Elizabeth Palmer de 1955 à 1978, Ruth Sovik de 1983 à 1985, Ellen Clark de 1985 à 1986 et Elaine Carlson de 1997 à 1998. Les seules autres nationalités qui apparaissent plus ou moins brièvement sont une Française de la CIMADE, Geneviève Camus Jacques en 1986-1987, une Kenyane, Musimbi Kanyoro, de 1998 à 2007, et une Zimbabwéenne, Nyaradzai Gumbonzvanda, à partir de 2007.
 
-Les ressortissants de pays en d&eacu te;veloppement sont tout aussi peu représentés à la WSCF, qui est  dirigée par des secrétaires généraux américain avec John Mott de 1895 à 1920, suisse avec Henry-Louis Henriod de 1920 à 1932, hollandais avec Willem Visser’t Hooft de 1932 à 1938, britannique avec Robert Mackie de 1938 à 1948, français avec Philippe Maury de 1949 à 1961, uruguayen avec Valdo Galland de 1961 à 1968, finlandais avec Risto Lehtonen de 1968 à 1972, philippins avec Feliciano Cariño de 1973 à 1977 puis Clarissa Balan-Sycip de 1990 à 1999, italien avec Emidio Campi de 1977 à 1984, cubain avec Manuel Quintero de 1984 à 1990, norvégien avec Beate Fagerli de 1999 à 2004, néo-zélandais avec Michael Wallace de 2004 à 2010 et américain avec Christine Housel de 2010 à 2014, avant de passer la main à un comité intérimaire en 2015.
 
-La ventilation géographique des effectifs du mouvement est à l’avenant. En effet, les YMCA américaines comptent, en moyenne, dix fois plus de membres que leurs homologues européens à partir de la fin des années 1920. Selon Clarence Shedd, le mouvement recense 20 000 membres adultes en Amérique du Nord contre 15 000 en Europe en 1855, 195 000 contre 122 000 en 1888, 268 000 contre 258 000 en 1900, 497 000 contre 340 000 en 1909, 558 000 contre 401 000 en 1920, 730 000 contre 247 000 en 1928, 612 000 contre 247 000 en 1938, 2 706 000 contre 540 000 en 1949 et 3 263 000 contre 574 000 en 1954. La Seconde Guerre mondiale consacre la domination anglo-saxonne. En 1949, un sixième des 7 869 YMCA recensées dans 70 pays et les deux tiers des 3 598 441 membres du mouvement sont américains ou canadiens. D’après une étude de 1977, encore, l’Amérique du Nord comptabilise plus de 15 000 employés sur un total d’environ 18 000 à travers le monde. A l’époque, les associations américaines et canadiennes fournissent respectivement 60% et 13% des contributions versées à Genève. La décolonisation et la montée en puissance des YMCA du tiers-monde ne changent pas fondamentalement la donne. Sur 45 millions de membres répartis dans 124 pays en 2008, une vingtaine sont américains. Et si l’on en croit une étude de 2011, l’Amérique du Nord représente 22 des 58 millions de « bénéficiaires » que revendique le mouvement.

-Malgré la dispersion géographique de leurs effectifs, les YMCA et les YWCA se caractérisent également par la mainmise de quelques notables qui constitutent parfois de véritables dynasties. Historiquement, certaines associations évoquent ainsi une affaire de famille. Lucien Warner, qui préside les YMCA militaires à partir de 1921, est par exemple le fils d’un père homonyme qui a dirigé le comité international de la YMCA américaine de 1895 à 1910. A New York, le président de la YMCA à partir de 1865, William Earle Dodge (1805-1883), est un riche homme d’affaires auquel succéderont son fils, William Earle Dodge (1832-1903), puis son petit fils, Cleveland Hoadley Dodge (1859-1926), à partir de 1876. De même à Chicago, le président de la YMCA en 1947-1950, Albert Farwell, est le neveu de John Farwell, le tenant du poste en 1859-1861, 1874-1876 puis 1884-1894 ; en 1950-1952, Samuel Hypes est quant à lui le fils de William Hypes, qui avait présidé l’organisation en 1916-1926. Dirigée par Dwight Moody de 1861 à 1866, William Vanarsdale de 1866 à 1872, Anson Hemingway de 1878 à 1888, Loring Wilbur Messer de 1888 à 1923, William Parker de 1923 à 1939, Frank Hathaway de 1939 à 1954 et Lloyd McClow de 1954 à 1963, la YMCA de Chicago fonctionne cependant de façon assez démocratique : les seuls points sur lesquels ses employés ne sont pas consultés, remarque Mayer Zald, concernent le salaire et la nomination du secrétaire général. A ses débuts, ajoute Emmett Dedmon, son conseil d’aministration connaît en outre un fort taux de renouvellement car il élimine systématiquement de ses rangs les membres qui manquent plus de trois réunions sans excuses valides, excluant de facto les hommes d’affaires à l’agenda chargé.
 
-Les YWCA n’échappent pas à une pareille endogamie. Au Canada, sa secrétaire générale de 1938 à 1945, Louise Gate, est la femme de Sherwood Eddy, un membre éminent de la YMCA américaine. A New York, encore, la présidente de la YWCA, Rebecca Morse, est la sœur du secrétaire général de la YMCA américaine, Richard Cary Morse (1869-1915), auquel succédera le fameux John Mott (1915-1928) avant que le mouvement ne se diversifie sous l’égide de Fred Ramsay (1928-1932), John Manley (1932-1940) puis Eugene Barnett (1940-1953). En Suède, la vice-présidente de la YWCA de 1938 à 1951, Elsa Cedergren, née comtesse Bernadotte de Wisborg, épouse quant à elle le président de la YMCA suédoise, Hugo Cedergren, qui s’occupera de l’aide aux prisonniers de guerre pour le compte de Genève pendant la Seconde Guerre mondiale. En Corée du Sud, enfin, la secrétaire générale de la YWCA, Soon Yang Park, succède en 1968 à sa tante Esther Park, en poste depuis 1947.
 
-Le manque de personnel et, parfois, le patriarcat expliquent pour partie les pratiques de cooptation au sein du mouvement. A Gaza en Palestine, par exemple, le premier secrétaire général de la YMCA, en poste depuis 1952, Mousa Saba, cède ainsi la place à son fils, Isa Saba, dans un environnement qui ne compte quasiment pas de chrétiens. Les associations américaines, pour leur part, manquent de vocations. Les jeunes y viennent surtout pour faire du sport et très peu souhaitent exercer des responsabilités au sein de leur YMCA. Pour retenir ses volontaires, le mouvement doit très tôt les salarier et adopter les techniques de gestion des entreprises en leur fournissant des indemnités chômage et des pensions de retraites. Sa professionnalisation répond aussi à la demande de ses propres collaborateurs qui, aux Etats-Unis, organisent des syndicats maisons pour la YMCA dès 1909 puis la YWCA en 1917, les Associations of Employed Officers. Au Canada de telles initiatives prennent en 1925 la forme d’une fédération des secrétaires des YWCA qui disparaît en 1947 avant d’être reformée sous l’égide de la direction en 1962.

-Dès 1882, la YMCA américaine établit ainsi une assurance facultative à laquelle souscrivent quelques 4 000 employés. Finalisé en 1913 avant d’être interrompu par la guerre, l’initiative prend en 1922 la forme d’un fonds de pensions de retraite qui est financé à partir de 1925 grâce à un don d’un million de dollars de John Rockefeller Junior, en souvenir de sa fréquentation des étudiants de la YMCA à la Brown University. D’abord limité aux seuls secrétaires, le projet est ensuite étendu à tous les employés en vertu de résolutions adoptées à la convention nationale des YMCA à Colombus dans l’Ohio en 1938. L’objectif est clairement de professionnaliser le personnel et de le fidéliser afin de réduire un taux de rotation très élevé qui empêche la capitalisation d’expérience. L’année d’après, en janvier 1939, le conseil national des YMCA américaines refuse cependant que le système d’indemnités-chômage prévu au niveau fédéral soit étendu aux employés d’ONG. Après consultation, il s’avère en effet que les associations locales souhaitent continuer de recourir à des fonds de capitalisation pour financer la retraite ou le chômage de leurs employés, plutôt que d’être intégrées à un dispositif national de sécurité sociale.
 
-La YWCA américaine suit une trajectoire similaire. Approuvé lors de sa sixième convention nationale à Cleveland en 1920, son fonds de pensions devient opérationnel en 1925. L’objectif, là encore, est de retenir un personnel dont le taux de rotation est d’autant plus élevé que les femmes peuvent tomber enceintes ou déménager en fonction des affectations de leur mari : selon Josephine Harshaw, par exemple, 40% des cadres de la YWCA canadienne sont mariées. L’idée est aussi de professionnaliser des secrétaires en les formant dans des écoles qui ouvrent en Australie en 1910 ou à New York de 1908 jusqu’en 1928. A partir de 1949, notamment, la YWCA canadienne entreprend de former les secrétaires des associations des pays en développement. Son homologue des YMCA n’est évidemment pas en reste. Lancé en 1901 sous la forme d’une école d’été à Orillia sur les rives du lac Couchiching en Ontario, son camp de Geneva Park devient vite, en 1909, un centre de formation des secrétaires qui passe sous la responsabilité du Conseil national des YMCA canadiennes en 1919.
 
-La nécessité d’assurer le personnel paraît d’autant plus nécessaire que le mouvement déplore des pertes massives dans les rangs de ses volontaires postés sur les lignes de front pendant la Première Guerre mondiale. Certains de ses collaborateurs disparaissent également pendant la Seconde Guerre mondiale, à l’instar de Herbert Tönisson, un ancien secrétaire général de la YMCA d’Estonie déporté par les Russes lors de l’occupation soviétique de 1940. A l’exception de quelques accidents automobiles dans les pays en développement, la période de la décolonisation s’avère moins dangereuse à cet égard. Envoyé au Liban négocier la libération d’otages, le fondateur et président d’Y Care, Terry Waite, n’en pas moins détenu par des djihadistes de janvier 1987 à novembre 1991. Les soubresauts de la guerre froide n’épargnent pas non plus le mouvement. A Genève, l’Alliance mondiale des YMCA officialise ainsi en 1958 des « secours spéciaux » qui, essentiellement financés par les associations américaines et canadiennes, permettent d’assister les employés et leurs familles chassés d’Europe de l’Est par les communistes, à l’instar des Polonais accueillis en Grande-Bretagne.