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American Friends Service Committee - Commentaires




1) Le mandat


-L’approche quaker des conflits armés révèle deux tendances. L’une, radicale et militante, vise à abolir la guerre plutôt que d’essayer de l’humaniser comme a tenté de le faire le CICR. L’autre, plus pragmatique, promeut l’action humanitaire afin d’alléger les souffrances que ne manquent pas de provoquer des combats. Initialement, l’AFSC s’inscrit plutôt dans cette perspective, même si son engagement en faveur de la solidarité internationale sert également les objecteurs de conscience et fournit une alternative civile au service militaire en cas de mobilisation générale. Historiquement, la création du Comité de Philadelphie s’inscrit ainsi dans une tradition caritative et philanthropique qui s’est manifestée dès 1755, quand les Amis de Pennsylvanie ont accueilli quelque 450 réfugiés en provenance des régions troublées de Nova Scotia. A l’époque, les opérations de secours des Quakers consistaient essentiellement à envoyer des vivres, par exemple lors du siège de Boston en 1775, de la révolution américaine en 1783, des conquêtes napoléoniennes en 1804-1814, de l’insurrection grecque de Khios contre l’Empire ottoman en 1822-1823, de la famine irlandaise en 1824, 1831, 1846 et 1881, de la reconstruction de la Finlande bombardée par la marine britannique en guerre contre la Russie en 1857-1868, de la répression turque en Bulgarie en 1876 puis 1896, de la crise alimentaire en Russie en 1891-1893 puis 1908-1909, des pogroms en Arménie en 1897 puis 1909, de l’épidémie de peste en Inde après 1898 et des troubles de Macédoine en 1903 puis 1912. Les hostilités entre la France et la Prusse ont marqué un tournant à cet égard. Du 19 octobre 1870 au 8 mai 1871, les Amis britanniques ont en effet déployé pour la première fois une équipe de volontaires sur un terrain de crise. Pré-positionnés à Arlon en Belgique, ceux-ci arrivèrent bardés de l’étoile rouge et noire qui, créée pour l’occasion, allait devenir le symbole pacifiste des Quakers puis de l’AFSC. Concrètement, leur signe de reconnaissance devait d’abord servir à négocier un transport ferroviaire à moitié prix et à importer des vivres sans payer de droits de douanes. Délaissant la Saar du côté allemand, les volontaires britanniques intervinrent surtout à Metz, à Belfort et dans la banlieue de Paris lors du siège de la capitale qui dura du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871. Sur 41 hommes, 11 n’étaient pas quakers et 12 moururent de maladie ; certains restèrent ensuite participer à la reconstruction de la France jusqu’en 1875.

-A partir de 1917, l’AFSC a alors contribué à moderniser et professionnaliser l’aide quaker. Auparavant, la Société religieuse des Amis improvisait ses opérations au coup par coup avec le concours de bénévoles qui finançaient eux-mêmes leur voyage et qui éaient généralement issus de la haute bourgeoisie. Selon John Ormerod Greenwood, les secours déployés en France à partir d’octobre 1870 avaient ainsi donné lieu à de nombreux « gaspillages » du fait du « chaos » résultant d’un manque total de coordination et, quelques fois, d’un « sentimentalisme contre-productif ». De même, la guerre des Boers en Afrique du Sud à partir d’octobre 1899 avait révélé de graves problèmes de communication entre la Société religieuse des Amis à Londres et les équipes déployées sur le terrain. Les vivres et les médicaments envoyés par les Quakers étaient arrivés trop tard, en novembre 1901, tandis que les autorités britanniques avaient bientôt interdit aux organismes privés de ravitailler les familles afrikaners enfermées dans des camps de concentration, obligeant les secouristes à se rabattre sur la réinstallation et le relogement des autres victimes du conflit. Pendant longtemps, l’aide humanitaire des Amis a été d’autant plus difficile à gérer que chaque crise, chaque « préoccupation » (concern), suscitait la création d’un comité ad hoc. Moins riches que leurs homologues américains, les Britanniques, en particulier, ont beaucoup dispersé leurs efforts. Dans un rapport de 1948, cité par Roger Bush, le FSC admettait d’ailleurs sa « vanité » lorsqu’il prétendait sauver le monde avec une centaine de volontaires sans le sou. Par contraste, le Comité de Philadelphie a voulu rompre avec l’amateurisme des Quakers d’Europe. D’après Richenda Scott, les hommes d’affaires qui ont dirigé l’AFSC à ses débuts avaient une vision plus technocratique et pragmatique de l’aide. A l’époque, le FSC britannique recrutait ses volontaires en fonction de leurs qualités humaines et personnelles, plus que de leurs compétences. En revanche, il laissait à ses équipes une moindre marge de manœuvre sur le terrain. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’AFSC se contentait quant à lui de financer des opérations généralement démarrées par le FSC. En effet, les Quakers britanniques connaissaient mieux le Vieux continent, avaient davantage de contacts dans le monde colonial et s’avéraient perfaitement capables d’innover en cas de besoin, par exemple lorsqu’ils ont fabriqué des maisons démontables pour les Belges accueillis en Hollande dans les « lieux de refuge » (vluchtoorden) de Gaasterland, Amersfoort et Ede après l’occupation d’Anvers par les troupes allemandes en octobre 1914. Pendant la Première Guerre mondiale, les expatriés américains de l’AFSC n’étaient de toute façon pas très qualifiés. D’après un récit de 1918 du journaliste Lewis Gannett, cité par Jerry William Frost en 1992, beaucoup étaient immatures et indisciplinés. Essentiellement venus en France pour échapper au service militaire, certains ont volé des denrées, attrapé la syphilis au bordel, manifesté d’inquiétants troubles mentaux ou tenu des discours militaristes qui compromettaient leur statut d’objecteur de conscience ! Aussitôt la guerre terminée, la plupart ont demandé à rentrer chez eux.

-D’une manière générale, le quakerisme a eu une influence importante sur le mouvement humanitaire. En Grande-Bretagne, les Amis ont participé à la création d’ONG comme Anti-Slavery InternationalSave the ChildrenOxfamWar on Want et Amnesty International. Secrétaire honoraire de l’Emergency Committee for the Assistance of Germans, Austrians, Hungarians and Turks in Distress, Ruth Fry a ainsi joué un rôle déterminant dans l’établissement du Fight the Famine Council, ancêtre du SCF (Save the Children Fund) en 1919. Après 1945, des anciens de la FAU devaient pour leur part lancer la Laurie Baker Society, qui a financé des œuvres hospitalières en Inde, le Richie Mounsey Charitable Trust, qui s’est occupé d’éducation au Kenya, et l’International Integrated Health Association de Heber “ Roy ” Ridgway, qui a aidé des enfants malades en Russie et pris le nom de Child Health International lors de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Secrétaire général du Conseil National pour la Paix, le National Peace Council, et membre fondateur de la Campagne pour le Désarmement Nucléaire, le CND (Campaign for Nuclear Disarmament), Eric Baker, un Quaker, a quant à lui établi Amnesty International en 1961 aux côtés de Peter Benenson, dont il a été le principal collaborateur. Deux autres Amis, vétérans de la FAU, présidèrent ensuite Oxfam, en l’occurrence Michael Rowntree de 1972 à 1977 et Chris Barber de 1984 à 1989. Aux Etats-Unis, encore, des Amis ont joué un rôle non négligeable dans la naissance de la Fondation Carnegie pour la paix. L’AFSC a par ailleurs soutenu la formation en 1940 de l’Unitarian Service Committee, ancêtre de l’UUSC (Unitarian Universalist Service Committee), pour aider les réfugiés qui fuyaient l’Europe nazie, notamment les Tchèques. Clarence Pickett, encore, a fait partie des membres fondateurs de la section américaine de Save the Children en 1931 puis de CARE en 1945 (en remplacement d’un autre Quaker, Eastburn Thompson, mort peu avant dans un accident d’avion à Gander dans le New Foundland au Canada). L’AFSC, enfin, a largement inspiré la création du MCC (Mennonite Central Committee) en 1920 puis du BSC(Brethren Service Committee) en 1947.

-En dépit de ses ambitions internationales, le Comité de Philadelphie travaille surtout aux Etats-Unis. Le budget de ses opérations outre-mer reste dérisoire, même s’il a décuplé en vingt ans et atteint une dizaine de millions de dollars au milieu des années 2000. En 2003, par exemple, la part des activités de solidarité internationale de l’AFSC représentait environ un tiers des fonds alloués à des programmes de terrain, avec des interventions dans 22 pays. A l’étranger, le Comité de Philadelphie mène des actions de développement et d’urgence tout à la fois. En général, il évite les opérations trop ambitieuses et préfère s’investir dans des petits projets à court terme, en laissant le soin à ses partenaires locaux de prendre ensuite le relais. Multifonctionnel, l’AFSC n’est pas spécialisé dans un secteur plus qu’un autre. Outre ses programmes éducatifs, sanitaires ou alimentaires dans le tiers-monde, il défend l’objection de conscience, demande la suppression de la peine de mort, combat les pratiques d’esclavage, lutte pour le désarmement de la planète, milite en faveur d’un commerce équitable, soutient le mouvement écologique, revendique une économie socialement responsable, appuie des négociations de paix, réclame un allègement de la dette des pays les moins avancés, etc. L’AFSC, remarque cependant Larry Ingle, est de moins en moins opérationnel sur le terrain depuis qu’il a préféré s’engager dans des activités de plaidoyer. Désormais, il s’apparente davantage à un lobby politique qu’à une organisation humanitaire qui enverrait des volontaires assister les populations dans le besoin. Pacifiste, l’AFSC n’a pas pour autant renoncé à proposer ses bons offices dans les crises, poursuivant une vieille tradition de médiation de la Société religieuse des Amis qui, en l’occurrence, n’a jamais réussi à empêcher des affrontements armés, qu’il s’agisse d’une expédition coloniale des Britanniques contre les Indiens de Plymouth dans le Massachusetts en 1675, de la révolution de l’indépendance des Etats-Unis en 1776, des hostilités entre la Prusse et le Danemark à propos des duchés de Schleswig et Holstein en 1850 puis 1864, ou encore de la guerre de Crimée à la suite de l’envoi d’une ambassade quaker auprès du tsar Nicolas Ier à Saint-Pétersbourg en 1854. Le Comité de Philadelphie prétend ainsi jouer un rôle en matière de prévention des conflits. D’après lui, ses médiateurs peuvent en effet négocier avec des acteurs non reconnus de la communauté internationale : des mouvements de lutte armée ou des entités sécessionnistes comme l’OLP ou le Biafra. Discrets et silencieux, les émissaires de Philadelphie sont donc en mesure d’approcher des belligérants que les diplomates officiels doivent au contraire éviter pour ne pas les légitimer ou ne pas sembler les reconnaître. Les rencontres se font parfois dans un cadre institutionnel, au QUNO à Genève, à la représentation de l’AFSC auprès des Nations Unies à New York ou au Conseil quaker pour les affaires européennes à Bruxelles. A partir de 1957, c’est dans les coulisses de l’ONU, notamment, que des Amis ont organisé des entretiens informels entre des diplomates africains et des représentants blancs des régimes racistes d’Afrique du Sud et de Rhodésie. Mais à l’occasion, l’AFSC a aussi pu endosser des initiatives prises à titre individuel sur le terrain. En 1918-1919, des Quakers américains et britanniques ont d’abord essayé de négocier des cessez-le-feu pour obtenir la libération de civils pris en otages lors des combats entre les Rouges et les Blancs au moment de la révolution russe. De novembre 1927 à mars 1928, des Amis ont ensuite monté une mission de bons offices pour s’interposer entre des insurgés sandinistes et des Marines américains venus à la rescousse du gouvernement nicaraguayen. En 1939 à la fin du conflit espagnol, encore, le représentant de l’AFSC, Howard Kershner, tentait pour sa part de négocier avec Francisco Franco une amnistie générale des prisonniers politiques en échange d’un rapatriement du trésor de guerre emporté par les Républicains partis en exil au Mexique…