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American Friends Service Committee - Commentaires




2) Le fonctionnement interne


-En l’absence de sections nationales à l’étranger, les activités outre-mer de l’AFSC consistent pour beaucoup à financer les programmes de partenaires locaux dans les pays en développement. A l’occasion, les Quakers envoient également des expatriés sur le terrain, non sans risques. Les deux guerres mondiales ont été très meurtrières à cet égard. De 1915 à 1918, vingt-et-un ambulanciers de la FAU ont été tués et plusieurs de leurs hôpitaux bombardés par les troupes allemandes, notamment à Ypres le 20 décembre 1914 et Poperinghe les 25 avril et 22 août 1915. Dans la province de Samara pendant la révolution russe, les secouristes quakers ont quant à eux été maintes fois arrêtés et relâchés par les Gardes Rouges puis les Cosaques et les Tchèques qui s’emparèrent en juin 1918 de la ville de Buzuluk, évacuée le 9 octobre suivant par les cinq derniers volontaires restés sur place. Deux Britanniques, Gertrude Powicke et Richard Reynolds Ball, devaient pour leur part mourir du typhus en Pologne en 1919. Pendant la famine russe, les Britanniques Mary Pattison et Violet Tillard succombèrent à leur tour du typhus, respectivement en décembre 1921 et février 1922. De son côté, Anna Haines était interrogée en 1925 par les agents de la Sûreté politique de l’Etat, la Guépéou (Gosudarstvennoe Polititcheskoe Upravlenie), qui la suspectaient de prosélytisme. Ralliés aux équipes quakers de Buzuluk en 1921, deux communistes américain et anglais étaient ensuite exécutés par le régime stalinien dans les années 1930, tandis qu’Elsie Fox Howard était questionnée en 1935 par les hommes de la Gestapo (Geheimstaatpolizei), qui la soupçonnaient de soutenir l’opposition social-démocrate. Toujours en 1935, William Hugues, lui, était menacé d’expulsion et dut partir précipitamment d’Allemagne, où il allait revenir pour rendre visite à des dignitaires nazis détenus en prison après 1945. D’autres connurent des arrestations à répétition, à l’instar de Corder Catchpool avec les Blancs en Russie en 1918, les Nazis en Allemagne en 1933 et 1935, puis les Tchèques à Prague en 1938. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la situation s’est alors aggravée. En 1940, Francesca Wilson était brièvement arrêtée par la police hongroise car elle avait organisé la fuite vers la Yougoslavie de réfugiés tchèques hostiles à l’envahisseur allemand et consignés en prison par les autorités locales sur ordre de Berlin. En 1941, seize membres des FAU déployées en Grèce étaient également capturés par les troupes allemandes à Kalamata ; protégés par la Convention de Genève du fait de leur statut médical, ils furent envoyés au stalag V111B à Lamsdorf en Silésie. L’année 1942 compta parmi les pires pour les Britanniques des FAU. En Syrie, un objecteur de conscience, Nik Alderson, était tué par une bombe allemande dans le désert d’el-Azrac le 11 février. En Chine, le typhus emportait John Briggs et Douglas Hardy les 9 et 11 juin ; Clement White mourrait dans un accident de camion ; Louis Rivett succombait à la polio ; deux responsables des FAU, Tom Tanner et Peter Hume, disparaissaient dans un naufrage après une attaque à la torpille. Devenu fou lors de son affectation en Chine, un docteur, Quentin Boyd, décédait finalement à Calcutta le 15 août 1944. Pendant la libération de la France et de l’Alsace en 1944, encore, les volontaires Denis Frazer et John Bough disparaissaient à Strasbourg et Neuf-Brisach. Au total, les FAU ont recensé 17 morts au cours des hostilités. Si la période de la reconstruction a été moins malheureuse, les expatriés quakers ont continué de rencontrer des problèmes pendant les guerres d’indépendance qui ont marqué la fin de la colonisation. Posté par les FAU dans un village arabe près d’Alger, un volontaire du Service civil international, Howard Brunton, était par exemple arrêté et expulsé par la police française en mai 1956. Marjorie Nelson, elle, était enlevée par la guérilla communiste dans le Sud du Vietnam en janvier 1968. Depuis lors, les incidents semblent moins fréquents, peut-être parce que l’AFSC envoie moins d’expatriés et travaille davantage avec des autochtones. D’autres ONG quaker connaissent cependant des violences, à l’instar du CPCD (Centre for Peacemaking and Community Development), une petite association qui a été fondée spécifiquement pour venir en aide aux Tchétchènes et dont deux volontaires britanniques, Camilla Carr et Jon James, ont été brutalisés et enlevés près de Grozny en juillet 1997, avant d’être relâchés en septembre 1998.

-Bien souvent, les employés de l’AFSC continuent certes d’affronter les forces de l’ordre à cause de leurs prises de positions publiques contre l’arme nucléaire, le service militaire, le racisme, l’homophobie ou la guerre. C’est presqu’une spécialité pour une ONG dont plusieurs responsables ont fait de la prison aux Etats-Unis, à l’instar de son président, Stephen Cary, suite à des manifestations contre la guerre du Vietnam. Directeur du programme sud-africain de Philadelphie dans les années 1970, Michael Simmons a par exemple été détenu pendant deux ans parce qu’il avait refusé de répondre à l’appel de l’armée. Avant de partir au Nigeria en 1968, le secrétaire exécutif du bureau régional de l’AFSC à Chicago, Kale Williams, était quant à lui interpellé à plusieurs reprises lors de manifestations contre la guerre au Vietnam ou pour les droits civiques avec le révérend Martin Luther King. A la même époque, le secrétaire exécutif au niveau national, Bronson Clark, organisait des marches pour la paix à Washington : arrêté une première fois parce qu’il avait manifesté en 1941 devant l’ambassade de Grande Bretagne pour réclamer l’indépendance de l’Inde, il avait refusé d’effectuer son service civil dans un camp de travail pour objecteurs de conscience et avait été condamné en 1942 à trois ans de prison, avant d’être libéré sous caution en 1944. Depuis lors, cette tradition de protestation n’a jamais vraiment cessé. Encore récemment, le 9 décembre 1996, deux militants de l’AFSC étaient menacés de poursuites en justice pour avoir dénoncé l’exploitation des enfants du tiers-monde et distribué des tracts devant le magasin Disney d’un centre commercial de Manchester dans le New Hampshire. A peu près au même endroit, cette fois devant une boutique Nike, huit manifestants, dont le coordinateur régional de l’AFSC, étaient à leur tour arrêtés par la police le 18 avril 1998, puis condamnés à des amendes et des peines de prison avec sursis. Le 28 octobre 2003, le directeur de l’AFSC à Hawaï, Kyle Kajihiro, était ensuite arrêté à Honolulu alors qu’il protestait contre la présence de l’armée américaine dans l’île…

-De fait, le Comité de Philadelphie est habitué à préconiser la désobéissance civile, quitte à assumer un registre d’action pas toujours démocratique, notamment quand il remet en cause des règles admises par la majorité. Dans un règlement édicté en avril 1984 et cité par Guenter Lewy, l’AFSC l’approuve en l’occurrence lorsqu’il s’agit d’une urgence, d’un ultime recours, d’une injustice grave, d’une violation massive des droits de l’homme ou d’un conflit moral qui donne la priorité à la loi divine au détriment du droit séculier. L’objectif affiché est d’alerter l’opinion publique et de manifester sa solidarité avec les opprimés quand les autres méthodes de plaidoyer ont déjà échoué. Ce faisant, l’AFSC s’inscrit dans une longue tradition de contestation et de subversion. Historiquement, le quakerisme a en effet commencé par être réprimé en Angleterre au XVIIème siècle à cause de ses idéaux sur l’égalité des hommes en droits. A l’époque, le pacifisme de son fondateur, George Fox, inquiétait particulièrement les autorités établies car il avait attiré quelques militaires, avec 91 soldats et marins convertis dès 1660 selon le décompte de Margaret Hirst. Par la suite, les Quakers britanniques se sont certes institutionnalisés et ont progressivement perdu de leur dangerosité. Issus pour beaucoup de milieux bourgeois, ils sont devenus respectables et n’ont plus autant menacé les autorités. Non violents, ils n’en ont pas moins manifesté dans la rue, mené des grèves de la faim et occupé des lieux publics pour avancer leurs revendications, tandis qu’une minorité animait uneSocialist Quaker Society à Londres de 1898 à 1917. Pendant la Première Guerre mondiale, la Société religieuse des Amis britanniques a frôlé la désobéissance civile en refusant publiquement de se soumettre à la censure militaire, introduite en 1917, et en continuant de publier en espéranto des pamphlets internationalistes pour une paix immédiate, ce qui devait valoir à trois de ses membres d’être arrêtés, poursuivis en justice et brièvement emprisonnés en avril 1918.

-Les Quakers américains, eux, ont beaucoup manifesté contre la guerre du Vietnam, l’atome, la ségrégation raciale, l’impérialisme colonial et la répression des immigrés sans papiers. Dès 1958, ils tentaient ainsi de s’interposer en bateau pour empêcher des expériences nucléaires sur l’atoll de Bikini. L’un d’entre eux parvenait par ailleurs à s’introduire dans la salle de prières du quartier général des Nations Unies à New York, où il entamait une grève de la faim pour dénoncer les essais de la bombe atomique dans les territoires du Pacifique sous mandat des Etats-Unis. De son côté, c’est tout à fait officiellement que le directeur de l’AFSC, Louis Schneider, se rendait le 28 août 1978 à la tribune de l’ONU pour plaider en faveur de l’autodétermination de Porto Rico. Par la suite, le Comité de Philadelphie s’est également mobilisé en faveur des immigrés clandestins, essentiellement caribéens et latino-américains. En octobre 1987, par exemple, il appelait les employeurs à désobéir à la loi et à fournir du travail aux sans papiers. Dans le même ordre d’idées, en novembre 1988, il portait plainte au niveau fédéral pour demander la révision d’un dispositif d’immigration qui, selon lui, violait la liberté de religion et le principe d’égalité entre les hommes. En mars 2005, encore, il réclamait l’application du droit du travail pour les clandestins et mettait en ligne sur son site Internet toute une série de conseils pour apprendre aux sans papiers à réclamer un avocat, faire appel, refuser de laisser rentrer la police dans un domicile privé et éviter de répondre aux interrogatoires en cas d’arrestation. A partir d’avril 2003, l’AFSC s’est aussi mobilisé contre l’invasion de l’Irak par les troupes américaines. Pour dissuader les jeunes de répondre aux campagnes de recrutement de l’armée, l’organisation quaker a notamment imprimé des pamphlets distribués sur les campus et dans les cours d’écoles.

-De tels modes d’action donnent évidemment à l’AFSC une tournure très politique. En principe, l’organisation se veut impartiale lorsqu’elle envoie des secours humanitaires dans des crises à l’étranger. Lors de sa création en 1917, l’AFSC ne tente cependant pas d’intervenir en Allemagne et se déploie seulement aux côtés des troupes américaines en France, où le ministre de la guerre saluera finalement sa contribution à la victoire des Etats-Unis ! Grâce à son aide aux enfants victimes de malnutrition outre-Rhin, l’organisation quaker réussit ensuite à gagner la confiance des populations dans le camp des vaincus. Au moment de l’occupation de la Ruhr par les Français en 1923, l’AFSC est parfaitement accepté les Allemands, ce qui, dix ans plus tard, lui permettra de négocier plus facilement avec le régime nazi un accès aux lieux de détention. De 1937 à 1939 pendant la guerre d’Espagne, encore, le Comité prend soin de travailler dans tous les camps en présence. Ses prétentions à rester neutre n’empêchent certes pas les prises de positions politiques. Pendant la guerre du Vietnam, notamment, les velléités de l’AFSC à envoyer des secours au Sud comme au Nord équivalent à un soutien aux insurgés communistes. A l’époque, relève Guenter Lewy, l’AFSC compromet en fait son intégrité en relayant la cause de mouvements de lutte armée marqués à gauche. Il renonce à toute neutralité et se politise sous prétexte de combattre les causes structurelles des injustices sociales. S’inspirant de la théologie de la libération et de la phraséologie révolutionnaire du Brésilien Paulo Freire, qui prêche la “ conscientisation ” des masses, il suit ainsi la dérive tiers-mondiste de beaucoup d’ONG chrétiennes et prône l’instauration d’un nouvel ordre économique international qui passe par le renversement violent des régimes conservateurs. Résultat, l’AFSC aide surtout les réfugiés qui fuient les dictatures de droite en Amérique latine, notamment les Salvadoriens et les Guatemaltèques. S’il envoie quelques vêtements aux Polonais en 1984, il délaisse en revanche les boat people du Vietnam communiste ou les Indiens Miskitos du Nicaragua sandiniste.

-Aux Etats-Unis, le souci d’impartialité de l’organisation consiste surtout à diversifier l’origine sociale de ses collaborateurs. Depuis ses débuts, l’AFSC a profondément revu sa politique de recrutement, en l’occurrence sous la direction de Vincent Nicholson en 1917, Wilbur Thomas de 1918 à 1929, Clarence Pickett de 1929 à 1950, Lewis Hoskins de 1950 à 1959, Colin Bell de 1960 à 1965, William Lotspeich de 1966 jusqu’à sa mort en 1968, Bronson Clark de 1969 à 1974, Louis Schneider de 1974 à 1980, Asia Bennett de 1980 à 1992, Kara Newell de 1992 à 1999, Don Reeves en 1999, Mary Ellen McNish de 2000 à 2009 et Shan Cretin à partir de 2010. Désormais, le Comité de Philadelphie cherche à attirer des professionnels qui veulent faire carrière dans une organisation humanitaire, et non des Quakers qui se mettent en disponibilité pour se consacrer à des œuvres caritatives. Ainsi, l’AFSC a arrêté de monter des camps de travail qui devaient servir à former de jeunes volontaires mais qui, somme toute, s’avéraient peu utiles pour aider les populations dans le besoin. Parallèlement, le Comité a mis en œuvre une politique de discrimination positive en faveur des minorités et des femmes. En effet, l’AFSC et l’ensemble du mouvement quaker ont pendant longtemps été une affaire d’hommes. Jusqu’en 1907, les femmes quakers de Grande-Bretagne ont dû organiser leurs propres assemblées car les règles morales de l’Angleterre victorienne leur interdisaient de participer aux réunions de la Société religieuse des Amis. Malgré leur importance au sein du FSC, elles étaient également écartées de la direction du mouvement. Si elles ont eu plus de facilités à participer à des œuvres caritatives, elles étaient de facto exclues de certains fonctions, en particulier sur les terrains de crise. Sur un total de 600 expatriés envoyés en Europe par l’AFSC en 1917-1919, par exemple, seulement 50 ont été des femmes. Dans le même ordre d’idées, le Comité de Philadephie s’est beaucoup préoccupé des minorités ethniques, des milieux défavorisés, des prisonniers et des réfugiés, mais pas spécifiquement des femmes jusque dans les années 1960. A l’époque, explique Susan Lynn, sa grille salariale désavantageait très nettement les employés de sexe féminin. Il a fallu attendre 1980 pour que l’AFSC innove et élise à sa tête une femme, Asia Bennett. L’évolution a été encore plus lente au niveau de la présidence, avec Dulaney Bennett de 1991 à 1993 puis Arlene Kelly à partir de 2010. Pour autant, l’organisation quaker n’est pas devenu un lobby féministe à proprement parler, à la différence des YWCA, qui étaient exclusivement composées de femmes et qui ont d’ailleurs fourni une nouvelle directrice au Comité de Philadelphie, Mary Ellen McNish en 2000.

-Parallèlement, l’AFSC s’est ouvert aux minorités de couleur. Il a recruté sa première employée noire, Crystal Bird, en septembre 1927 (onze ans plus tard, celle-ci allait aussi devenir la première Afro-Américaine élue dans une Assemblée régionale, en l’occurrence à Philadelphie). Une telle politique de discrimination positive s’est inscrite dans le droit fil du combat des Quakers contre l’esclavage, à la suite d’une première pétition signée avec des Mennonites de Germantown dans l’Etat de Pennsylvanie en 1688. Dès 1776, la Société religieuse des Amis américains avait en effet déclaré qu’il n’était pas possible d’être à la fois chrétien et esclavagiste. En 1787, leurs coreligionnaires de Londres constituaient quant à eux une association, ancêtre d’Anti-Slavery International, afin de lutter contre la traite en Afrique de l’Ouest et pour la libération des esclaves dans les Antilles britanniques. Aux Etats-Unis, le contexte de la ségrégation raciale n’a évidemment pas facilité la tâche de l’AFSC. Dans les Etats du Sud, notamment, le Comité de Philadelphie a dû renoncer jusqu’en 1951 à envoyer des Noirs partager la vie des Blancs dans ses camps de travail volontaire. Les communautés quakers les plus conservatrices, elles, ont refusé pendant longtemps d’avoir des membres de couleur dans leurs rangs. Leurs établissements scolaires ont également tardé à arrêter de pratiquer la ségrégation. En 1938, par exemple, les parents blancs boycottaient une école quaker qui, pour la première fois, avait voulu admettre un élève noir. Il a fallu attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu’un des principaux collèges quakers, Swarthmore, s’ouvre aux étudiants de couleur. Contrairement aux idées reçues, le quakerisme n’a ainsi pas toujours été à la pointe du combat contre la traite des Noirs. Lors d’une visite à la Barbade en 1671, rappelle Larry Ingle, George Fox lui-même devait encourager les maîtres à évangéliser leurs esclaves afin de mieux les soumettre. A l’époque, les Quakers formaient la deuxième dénomination religieuse de l’île et leurs notables étaient plus riches que les autres planteurs grâce à un nombre de serviteurs supérieur à la moyenne. Il est cependant possible que George Fox ait surtout prêté allégeance à l’ordre établi parce qu’il avait été échaudé par deux ans de prisons en 1665-1666, après avoir refusé d’arrêter ses prêches contre l’Eglise anglicane.