>
American Friends Service Committee
>
Commentaires

American Friends Service Committee - Commentaires




8) Les relations avec les forces militaires


-Le désarmement, l’interdiction des trafics d’armes, les sanctions économiques et la réduction des services militaires comptent parmi les principales propositions de l’AFSC en faveur de la paix et contre la guerre. En toile de fond apparaît le leitmotiv de la non-violence, avec pour références obligées Mohandas Karamchand Gandhi et Martin Luther King, deux hommes dont le Comité de Philadelphie a financé la rencontre en Inde en 1959. Historiquement, il convient cependant de noter que le pacifisme des Quakers n’a pas toujours empêché les engagements individuels dans des luttes armées, quitte à renier les valeurs du mouvement et à être chassé de la Société religieuse des Amis. En Grande-Bretagne, les premiers fidèles comprenaient ainsi un bon nombre de militaires dont certains ont volontairement rejoint les milices de l’époque. Aux Etats-Unis, un groupe de dissidents, les Fighting ou les Free Quakers, comme on les a appelés, a quant à lui quitté la Société religieuse des Amis de Philadelphie pour combattre le colonisateur britannique et soutenir la Révolution américaine. Après la création de l’AFSC, quelques volontaires humanitaires ont également rallié des mouvements de lutte armée. En août 1918 sous la bannière de la Croix-Rouge bolchevique en Astrakhan, Margaret Barber, une Britannique, intégrait par exemple une unité militaire arménienne avant d’être arrêtée par les “ Blancs ” en Azerbaïdjan et d’être renvoyée dans son pays l’année suivante. De même, Ralph Fox, dont l’autobiographie raconte les mésaventures pour ravitailler la mission des Quakers britanniques à Buzuluk pendant la famine russe de 1922, s’est engagé dans les brigades internationales et a trouvé la mort sur le front espagnol en 1937, avec deux autres collègues.

-Concernant l’AFSC à proprement parler, l’objection de conscience est un point central car elle est profondément inscrite dans la genèse du mouvement. Après la mort d’Olivier Cromwell et la restauration de la monarchie britannique avec le roi Charles II en mai 1660, une tentative d’insurrection en janvier 1661 a en effet conduit à l’arrestation de nombreux suspects parmi lesquels 4 000 Quakers, soit le tiers des membres de la Société religieuse des Amis à l’époque. Accusé de comploter, George Fox a alors assuré le monarque de sa loyauté et déclaré que, fidèles aux enseignements du Christ, ses sympathisants ne prendraient jamais les armes pour instaurer le Royaume de Dieu. En 1742, 1860, 1928 et 1967, la Société religieuse des Amis a de nouveau réitéré son refus de la guerre et de la violence. Son approche pacifiste des conflits armés n’en a pas moins donné le sentiment d’une grande utopie, qui a plusieurs fois montré ses limites et ses contradictions. Le refus de porter des armes, notamment, s’est avéré impraticable à de nombreuses reprises, qu’il s’agisse d’autodéfense à un niveau individuel ou de mobilisation à un niveau collectif en cas de guerre. Les premiers Quakers étaient hostiles à tout service militaire, y compris sous la forme de travaux d’utilité publique ou de taxes spécifiques. Mais en Grande-Bretagne, certains ont utilisé et fabriqué des armes pour chasser. Mis à l’épreuve de la politique, les Quakers de Pennsylvanie ont également dû faire des concessions. Face à une menace d’attaque des Français du Canada en 1689, les Amis au pouvoir à Philadelphie ont laissé aux autres habitants de l’Etat le soin de lever une armée. Pressés de démontrer leur loyauté à l’égard de la Couronne britannique, ils ont par ailleurs accepté de payer en 1693 un impôt destiné à fortifier la ville de New York. L’année suivante, Guillaume d’Orange restituait la Pennsylvanie à son fondateur, William Penn. Mais ce dernier a dû donner des gages de loyauté et fournir 80 miliciens au représentant de Londres à New York. A partir de 1709, l’Assemblée quaker de Pennsylvanie a régulièrement versé à la Couronne britannique une taxe susceptible de financer le budget militaire de la monarchie. En 1754, par exemple, des fonds officiellement alloués aux Indiens dans le besoin ont servi à construire des forts au moment où l’Angleterre tentait d’introduire un service militaire obligatoire dans ses colonies américaines. A mesure que le système des armées de conscription se développait dans le monde occidental, il a bientôt fallu renoncer aux idéaux de George Fox. Le choix de s’acquitter ou non de ses obligations militaires a été laissé à la conscience de chacun. Les uns se sont justifiés en distinguant le politique du religieux et en imputant aux gouvernements la responsabilité des guerres. D’autres, qui avaient ravitaillé les armées britanniques lors de l’expédition de Crimée en 1855, se sont rachetés une conscience en réinvestissant leurs bénéfices dans des œuvres de charité. Non sans hypocrisie, les Quakers américains les plus aisés ont quant à eux échappé à la conscription en payant des remplaçants pour effectuer leur service militaire au moment de la guerre civile aux Etats-Unis en 1861-1865. Dans tous les cas, de moins en moins de fidèles ont été exclus de la Société religieuse des Amis pour avoir soutenu des positions militaires : on en comptait moins de 10 par an lors des assemblées annuelles à Londres dans les années 1910, contre plus de 50 dans les années 1860. Les deux guerres mondiales, en particulier, ont révélé toute la fragilité de l’engagement pacifiste. Pendant la première, plus des deux tiers des Quakers américains et un bon tiers de leurs coreligionnaires britanniques ont été mobilisés et incorporés dans la troupe selon les chiffres de John Graham, Margaret Hirst et Willis Hall. En Grande-Bretagne, à peine un quart des objecteurs de conscience quakers, entre 300 et 1 000 individus, a été poursuivi en justice et incarcéré pour avoir refusé d’effectuer un service alternatif ou de répondre aux convocations de l’armée. La proportion est encore moindre aux Etats-Unis, où seulement treize d’entre eux ont été condamnés, avec 113 Mennonites, à des peines de prison. La tendance s’est confirmée pendant la Seconde Guerre mondiale. A la différence des Témoins de Jéhovah déportés dans des camps pour avoir refusé de porter des armes, la plupart des Quakers allemands ont ainsi accepté de servir sous les drapeaux lorsque le régime nazi a réintroduit le service militaire obligatoire en 1935 ; seuls quelques objecteurs de conscience de la Société religieuse des Amis ont été emprisonnés et, pour l’un d’entre eux, exécuté. De même aux Etats-Unis, plus de la moitié des Amis américains appelés par l’armée ont été incorporés ; d’après Quickert Sibley et Philip Jacob, très peu ont fini en prison. Aujourd’hui, l’AFSC continue néanmoins de soutenir le principe d’un service alternatif pour remplacer les obligations militaires. Dans cette optique, il fournit notamment aux objecteurs de conscience une assistance juridique à travers le CCW (Center on Conscience & War), un organisme créé par les Eglises pacifistes en 2000 et initialement connu sous le nom de NSBRO(National Service Board for Religious Objectors) en 1940, puis de NISBCO (National Interreligious Service Board for Conscientious Objectors) à partir de 1964.

-Le désarmement constitue un autre axe majeur de l’engagement de l’AFSC contre la guerre. Avec des opposants à l’intervention des Etats-Unis au Vietnam, le département d’éducation à la paix du Comité de Philadelphie monte ainsi en 1969 un programme de recherche, NARMIC (National Action Research on the Military Industrial Complex), pour sensibiliser la population à la question. L’arme nucléaire et le démantèlement des bases militaires américaines à l’étranger retiennent particulièrement l’attention. L’AFSC demande par exemple la fermeture de Fort Benning, où Washington entraîne les armées et les polices d’Amérique latine impliquées dans de nombreuses exactions. Par ailleurs, il collabore régulièrement avec WRI (War Resisters International), qui organise des grèves fiscales contre les dépenses militaires des gouvernements occidentaux, et PBI (Peace Brigades International), qui envoie des volontaires observer les cessez-le-feu et les atteintes aux droits de l’homme dans les zones de conflit. En pratique, l’AFSC doit néanmoins revoir à la baisse ses prétentions quant à un désarmement total de la planète. Après la fin de la guerre froide, il essaie plutôt d’obtenir une régulation du commerce des armes et une réduction partielle des dispositifs militaires existants. Mais il reste complètement à l’écart de la campagne contre les mines antipersonnel, une réussite, qui aboutit à la signature du traité d’Ottawa en 1997.

-D’une manière générale, la position de l’AFSC contre la guerre a beaucoup évolué au fil du temps. Dans les années 1960 et 1970, la dérive tiers-mondiste de l’AFSC conduit en effet à cautionner le combat des mouvements de libération et à recruter des militants pour qui la non-violence n’est qu’un point de tactique dans la lutte révolutionnaire. Cités par Gunter Lewy, les propos du secrétaire exécutif du Comité, Bronson Clark, reflètent bien les engagements de l’époque. « Je pense, disait-il, que la position de l’AFSC est claire : nous refusons de recourir à la violence pour favoriser le changement social. Mais cela ne nous oblige pas à condamner l’utilisation de la violence par des groupes qui ne sont pas d’accord avec notre point de vue pacifiste ». En l’occurrence, les positions de l’AFSC à ce sujet sont, on l’a vu, déterminées par des choix politiques en faveur des organisations de gauche et non de droite. De façon assez caricaturale, un vétéran du Comité, Russell Johnson, condamne ainsi l’intervention militaire des Etats-Unis au Vietnam mais soutient l’envoi de troupes cubaines aux côtés des Angolais contre les Sud-Africains à partir de 1976. En 1980, l’AFSC va même jusqu’à justifier officiellement les insurrections d’Amérique latine contre la violence structurelle de l’impérialisme capitaliste. Dans une déclaration citée par Guenter Lewy, le Comité affirme que son engagement en faveur de la non-violence « ne signifie pas que la population devrait accepter de continuer à être réprimée. Elle n’oblige pas non plus à maintenir une totale neutralité entre les oppresseurs et les opprimés ». Parce qu’il faut placer les protagonistes sur un pied d’égalité pour favoriser une vraie réconciliation, il « conviendrait donc de soutenir les processus de transformation qui visent à détruire les structures de coercition pour redonner leur dignité aux victimes ».

-La mobilisation contre la guerre du Vietnam a en fait été le moment crucial qui a vu l’AFSC basculer en faveur des mouvements de libération. En effet, le Comité a sans doute eu moins de difficultés à préserver son pacifisme des tentations gauchistes lorsque les Etats-Unis étaient isolationnistes, dans les années 1930, ou lorsqu’ils ont mené le combat contre l’Allemagne nazie, au cours de la décennie suivante. A l’époque, un militant comme Kirby Page soutenait certes que la Seconde Guerre mondiale opposait fondamentalement des puissances impérialistes à des régimes totalitaires, et non des démocraties à des dictatures. A l’en croire, les Etats-Unis ne pouvaient donc pas prétendre représenter le camp de la liberté pour justifier leur engagement militaire. Loin de contester leur droit à faire la guerre, l’AFSC n’en avait pas moins respecté la décision démocratique d’envoyer l’armée en Europe. Mieux encore, il s’était placé sous la protection de la loi pour garantir aux objecteurs de conscience un statut leur permettant d’échapper au service militaire. Dans tous les cas, il n’avait certainement pas souhaité la défaite des Alliés face aux nazis. Pendant la guerre du Vietnam, en revanche, il est allé beaucoup plus loin. Ainsi, il a demandé un retrait unilatéral des Etats-Unis, prôné la désobéissance civile, récusé la légitimité du Congrès et manifesté dans la rue avec des groupes qui se battaient contre la police, détruisaient des bâtiments administratifs, brûlaient le drapeau, défilaient avec des emblèmes du Viêt-công, appelaient à assassiner le président et se réjouissaient ouvertement des revers de l’armée américaine. Lorsque Washington a repris ses bombardements contre Hanoi et fait miner le port de Haiphong en mai 1972, l’AFSC a même participé à des actions qui visaient à stopper physiquement la conduite de la guerre en bloquant des bases aériennes, en encerclant des usines d’armements, en entravant des convois militaires et en empêchant le départ de navires de la marine nationale.

-Depuis lors, la position de Philadelphie à l’égard de la violence « légitime » a encore évolué. En effet, le soutien à des mouvements de libération n’avait plus grand sens au sortir de la guerre froide et de la décolonisation. Malgré leur pacifisme viscéral et leur refus de porter des armes, certains Quakers ont alors pu accepter le principe d’interventions « militaro-humanitaires » dans un cadre multilatéral. De fait, leur position ne contrevenait pas aux préceptes de George Fox, qui, selon Larry Ingle, n’était pas opposé à l’implication des gouvernements dans des « guerres justes », concept catholique par excellence. De plus, l’AFSC avait eu maintes fois l’occasion de travailler avec l’armée américaine et d’utiliser sa logistique pour mener ses programmes humanitaires en France en 1918, en Chine en 1945, en Allemagne en 1946 ou dans Sud du Vietnam en 1968. A défaut d’être placés directement sous la coupe des troupes alliées, explique Eryl Hall Williams, des Quakers avaient par exemple été déployés en Hollande en 1945 à la demande du département militaire des affaires civiles, qui s’occupait d’administrer la population dans les territoires libérés après le départ des Allemands. Concrètement, c’est l’armée qui avait délivré des autorisations de circuler et assigné des tâches aux volontaires humanitaires, en leur interdisant initialement de franchir le Rhin. Par la suite, les Quakers avaient été chargés de distribuer les vivres des troupes britanniques ou américaines aux rescapés des camps de concentration en Allemagne, notamment des Polonais. Leurs secours étaient partie intégrante de la stratégie de reconstruction du commandement allié. De façon symbolique, les volontaires quakers avaient ainsi dû porter des uniformes donnés par l’armée, certes de couleur grise pour les distinguer du kaki des militaires britanniques, quitte à être confondus avec les soldats allemands de la période nazie ! Aussi paradoxale fusse-t-elle de la part d’une organisation pacifiste, une pareille synergie ne s’était pas limitée aux troupes alliées. Pour transporter des vivres et secourir des réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza en 1949, l’AFSC avait également utilisé des camions et des soldats de l’armée égyptienne. L’organisation quaker avait aussi recouru à des gardes pour maintenir l’ordre et éviter les émeutes lors des distributions de ses rations alimentaires.

-Aujourd’hui, l’AFSC semble certes se méfier davantage de l’instrumentalisation de ses secours par des armées en campagne, y compris des casques bleus. D’après Joe Volk, secrétaire exécutif du FCNL (Friends Committee on National Legislation), et Scott Stedjan, consultant à Oxfam-America, les Quakers prennent notamment leur distance avec la notion de « responsabilité de protéger » qui, votée à l’ONU en 2005, légitime les opérations de la paix et les interventions « militaro-humanitaires » en cas de défaillance d’un Etat vis-à-vis de sa propre population. Basé à Bruxelles, le Quaker Council for European Affairs préfère s’impliquer dans la prévention des conflits à travers un projet d’agence européenne pour la paix qui est lancé en 1997 et qui se structure en 2001 sous la forme d’un bureau, l’EPLO (European Peacebuilding Liaison Office). Envisagé comme un outil de réflexion stratégique plutôt que d’investigation, ce réseau compte ainsi des ONG comme International Alert mais pas l’ICG (International Crisis Group), qui est plus favorable à des interventions militaires pour rétablir la paix dans les pays en guerre.